dimanche 11 septembre 2011

Nul n'est au-dessus de la sacro-sainte démocratie ! (Art.34)


Ils en rêvaient, il l'a fait! Eux, on ne peut rien leur reprocher. Mais lui, qu'est ce qu'on en fait bon Dieu! Faut-il accueillir Béchara Raï avec des oranges sanguines et du jaune d'œuf ? La question se pose sérieusement après les récents démêlés médiatiques du patriarche maronite avec le peuple libanais.

S'attendrir sur "le pauvre Assad qui ne peut pas faire de miracles" le lendemain même où le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé a accusé le régime syrien d'être coupable de "crimes contre l'humanité", le dictateur syrien ne pouvait pas rêver de mieux. Et partant du principe, quand on dépasse les bornes (surtout de la connerie!) il n'y a plus de limites, Béchara Raï décida de se surpasser à Paris. Lier le désarmement de la milice chiite au retour des réfugiés palestiniens en Palestine et douter toujours du Tribunal Spécial pour le Liban, alors que le Hezbollah est accusé par la plus haute juridiction internationale de l'assassinat de Rafic Hariri et soupçonné de 3 autres assassinats ou tentatives d'assassinats (Marwan Hamadé, Georges Haoui, Elias El-Murr), Hassan Nasrallah lui aussi ne pouvait pas espérer mieux!

On ne peut qu'être dubitatif devant les prouesses funestes du patriarche maronite. Jamais un homme public, qu'il soit religieux, politicien ou pantin, n'a dilapidé en si peu de temps l'énorme capital de sympathie et de respect dont il disposait à son avènement! Palme d'or incontestée. Béchara Raï nous donne toutes les raisons du monde de l'accueillir à l'aéroport avec des oranges sanguines et du jaune d'œuf. Mais nous ne le ferons pas, non seulement par respect à son vénérable prédécesseur mais surtout à cause de notre attachement à la démocratie.

La démocratie est un système politique fondé sur la liberté et l'égalité de chacun. De ce fait, le patriarche Raï comme tout citoyen de ce pays a le droit de se mêler de politique et de dire ce qu'il pense aussi abjecte que cela puisse paraître. Il faudrait peut être l'empêcher de s'exprimer dorénavant diraient certains, mais au nom de quoi nous le ferons alors que des crapauds de toutes espèces et leurs têtards coassent et pullulent dans la mare politique libanaise! Ceci étant, nous autres citoyens avons aussi le droit de réagir avec véhémence à ses propos et en toute liberté. Autrefois, on risquait l'excommunication de l'Eglise. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, c'est la sacro-sainte démocratie. Dieu merci!

Quoi qu'il en soit, la sacralisation des hommes et des institutions est malsaine car anti-démocratique. Si personne n'est au-dessus de la loi, il est temps d'admettre –ça serait un signe de maturité politique- que nul n'est au-dessus de la démocratie. Ni les dignitaires religieux, qu'ils soient chrétiens ou musulmans, ni le patriarche, ni le mufti, ni le sayyed, ni le cheikh, ni Bkerké, ni Dar El-Fatwa, ni le président de la République, ni le Premier ministre, ni le président du Parlement, ni le chef de l'armée, ni l'armée toute entière, ni les services de renseignement, ni les Forces de sécurité intérieure, ni les Forces libanaises, ni Michel Hayek, ni Bakhos Baalbaki… En tout cas, nous sommes sur la bonne voie, la preuve: rappelons-nous la sociologie du Hezbollah, cette milice extrémiste enrobée par le vernis de la résistance islamique, qui était pendant longtemps un sujet tabou imposé à tout le monde et qui n'est aujourd'hui qu'un sujet "serpillière" pour un grand nombre de libanais!

Et nous resterons sur la bonne voie, tant qu'on évitera la violence des débordements, comme ce fut le cas le 5 nov. 1989, où un groupe endoctriné et fanatisé par le général Aoun, a agressé physiquement le patriarche Mar Nasrallah Boutros Sfeir à Bkerké. Quelques heures auparavant, cette "force tranquille", pour reprendre le slogan de campagne de François Mitterrand qui lui sied si bien, avait prononcé comme à l'accoutumée un discours d'une grande sagesse et qui mérite d'être remémoré en plein scandale Rai:

"Ô bien-aimés. Nous connaissons notre devoir... L'épreuve est grande sans doute, mais pour cela il faut unir les cœurs... Le Liban restera le pays de la liberté, de la souveraineté, de l'indépendance complète et entière… Le canon, s'il a sa place maintenant (Aoun était enlisé dans la guerre et la rébellion), viendra un temps où il n'aura aucune place. Il sera remplacé par le dialogue et la concorde." Devant une foule excitée qui exprima son mécontentement bruyamment, il rajouta: "C'est votre avis et nous l'accueillons bien. Mais alors que vous êtes épris de liberté et de démocratie, laissez à l'autre le droit d'exprimer son avis… Personne ne nous dictera une opinion!"

C'était le 76e patriarche de notre communauté, un homme qui était digne de son titre: Patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient ! Nous suivrons ses conseils, nous laisserons à cet Autre le droit d'exprimer son avis et nous ne dicterons pas notre opinion à Bkerké. Mais nous aimerions obtenir tout de même des explications sur les dernières prises de position controversées du patriarche Raï au sujet des armes du Hezbollah et de la dictature syrienne. S'expliquer devant ceux qu'on est censés représenter, les chrétiens du Liban et de tout l'Orient en général et les maronites en particulier, et rendre des comptes, constituent les piliers de tout environnement démocratique sain. C'est même un devoir. Lui, qui est si friand de caméras, bavard, narcissique, j'en passe et des meilleurs, ferait bien dès son retour dans notre patriarcat, de faire une apparition télévisuelle pour une bonne explication en famille. Faute de mieux, nous prendrons acte de son positionnement dans le camp du 8 Mars: il nous forcera ainsi, à être les brebis galeuses du berger égaré !


Post-Scriptum

1. Dans cette tourmente, quitte à offenser certains personnes, il convient de se poser une question à double volet! Et si Béchara Raï disait tout haut ce que beaucoup de chrétiens, libanais et syriens, pas seulement aounistes, pensaient tout bas ? Et si finalement nous n'étions que des politiciens et des intellectuels à débattre avec beaucoup de passion dans les médias alors que sur le terrain les communautés chrétiennes du Liban et de Syrie sont complètement ailleurs? Si oui, il y a nécessité absolue à en connaître les raisons.

2. Puisque nous savons exactement ce que nous reprochons à Béchara Raï, évitons tout de même de le prendre pour un bouc émissaire, pire, un punching-ball ! Le patriarche Raï n'est pas responsable ni de la chute du gouvernement Hariri (au passage, qui a osé dire ses quatre vérités au responsable de ce volte-face de janvier dernier!?), ni du maintien de Bachar El-Assad en Syrie, ni de l'hégémonie du Hezbollah sur le Liban, ni de la chimère armée-peuple-résistance (c'est un gouvernement à dominance 14 Mars qui l'a créé!), ni de la 1re défaite dans la bataille de l'électricité (soi-disant on a gagné… sans doute par une illusion d'optique!), ni de notre incapacité à utiliser le TSL à notre avantage, ni de l'éloignement de Saad Hariri de la scène libanaise, ni de la léthargie et le manque d'inspiration du 14 Mars, ni de notre impuissance à gêner le gouvernement Mikati, ni, ni et ni!
Notre mal a pour origine le Hezbollah et son enracinement dans la communauté chiite!
Notre problème c'est Michel Aoun et son enracinement dans la communauté chrétienne!
Notre souci c'est Walid Joumblatt, une girouette sur qui on ne pourra jamais compter-on a tendance à l'oublier!- et son enracinement dans la communauté druze!
Et notre salut viendra seulement des urnes ! Nous devons mettre toutes nos forces sur ce qui nous ramènera au pouvoir, les élections législatives! Hasard du calendrier, le 23 septembre se tiendra sous l'égide du patriarche maronite une réunion interchrétienne pour discuter de la loi électorale! C'est une autre occasion pour Béchara Raï de se rattraper. Mais j'y crois pas. Entre nous, je me méfie d'un patriarche qui se rase tous les matins!