vendredi 14 septembre 2012

La visite de Benoît XVI au Liban, vue de 3 angles géopolitiques : Liban, Syrie et Moyen-Orient (Art.75)



Que l’on soit athée ou agnostique, fidèle ou mécréant, chrétien ou rastafari, une institution qui a 2000 ans d’existence, 1.1 milliard d’adeptes et 265 chefs souverains, ne laisse forcément pas indifférent ! On verra bien, qui restera en l’an 3987 des entreprises du Dow Jones ou du CAC 40 d’aujourd’hui ! Voilà pourquoi un voyage papal est toujours placé sous haute surveillance et scruté à la loupe. Passons sur l’enthousiasme excessif habituel de nos chers compatriotes, débordant et peu écologique, lors des séjours des hautes personnalités au pays du Cèdre. On peut accueillir dignement le pape sans être obligé de placarder tout le Liban d’affiches en couleur et de refaire à la va-vite les chaussées des routes qu’empruntera la papamobile. Allons donc à l’essentiel. Si Benoît XVI a maintenu son voyage au Liban, entre le 14 et le 16 septembre, alors que la situation dans notre pays sur le plan sécuritaire est peu reluisante, c’est parce qu’il est conscient de l’enjeu de son déplacement. Celui-ci doit être considéré sous trois angles de vues géopolitiques : du Liban, de la Syrie et du Moyen-Orient.


1. Angle de vue du Liban

Quarante-huit ans après la visite éclair de Paul VI (52 minutes à l’aéroport), quinze ans après la visite historique de Jean-Paul II, Benoît XVI est le 3e pape qui se rend dans un pays hors du commun. Comme disait son prédécesseur, « Le Liban est plus qu’un pays, le Liban est un message ». Pourquoi donc ? Parce que dans ce petit pays de 10 452 km², cohabitent depuis près de 1400 ans, les deux grandes religions de tous les temps : le christianisme et l’islam. Certes la vie des 18 communautés libanaises -sans nos compatriotes juifs depuis 1975- n’est pas un long fleuve tranquille, mais nulle part au monde ces deux religions cohabitent à pied d’égalité et paisiblement tout de même! Une image d’Epinal pour certains, mais pas pour le pape, pas pour des millions d’arabes et pas pour Bakhos Baalbaki. Le souverain pontife délivrera au pays où coulaient jadis « le lait et le miel », pour reprendre la métaphore biblique, un message de fraternité -on en a grandement besoin surtout en ce moment- chrétiens et musulmans sont unis dans ce pays ad vitam aeternam. Et pour faire de la surenchère sentimentalo-religieuse à 5 piastres je rajoute, et je m’étonne de moi-même !, ce qui a été uni par Dieu, les hommes ne peuvent pas le séparer. Et pour faire de la provocation voltairienne plus conséquente, je pourrais dire exactement l’inverse, sans pour autant m’étonner !, ce qui a été uni par les hommes, Dieu ne peut pas le séparer. Amen !


2. Angle de vue de la Syrie

Il est évident qu’hormis Joumana Haddad, tout le monde attendra « avec impatience » ce que la plus haute autorité chrétienne au monde dira sur la Syrie. Je crains que beaucoup de gens ne soient déçus et le feront savoir avec plus ou moins d’élégance naturellement. Pas moi. Des dizaines de milliers de morts en Syrie, le pape ne peut que compatir à la souffrance endurée par le peuple syrien depuis 18 mois, toutes communautés confondues, dans sa quête de liberté. Benoît XVI s’est déjà prononcé à diverses reprises sur le conflit syrien avec la même constance. Il a toujours appelé à la paix, au dialogue et à la solidarité. Rien de plus normal pour un homme d’Eglise.

Lors de ses vœux de Nouvel An au corps diplomatique, il avait demandé l’ouverture d'« un dialogue fructueux entre les acteurs politiques ». Quelques semaines plus tard, il a invité tout le monde, spécialement les autorités politiques en Syrie « à privilégier la voie du dialogue, de la réconciliation et de l’engagement en faveur de la paix ». Plus tard, à l’occasion de son traditionnel message urbi et orbi lors de la fête de Pâques, il a prié pour « que cesse l'effusion de sang et que soit entrepris sans délai le chemin du respect, du dialogue et de la réconciliation ». En juin dernier, en s’adressant aux participants de la réunion des œuvres d'assistance aux Eglises orientales, Benoit XVI a affirmé sa « proximité aux grandes souffrances des frères et des sœurs de Syrie, en particulier des petits innocents et des plus faibles ». Il a expressément demandé que « ne soit épargné aucun effort de la communauté internationale pour la paix. » Il a aussi formulé le vœu que « Dieu donne la sagesse du cœur à ceux qui ont des responsabilités, afin que cessent toute effusion de sang et la violence qui apporte seulement douleur et mort ». En été, il a tiré la sonnette d’alarme, « Que ne soit épargné aucun effort de la part de la communauté internationale pour faire sortir la Syrie de la situation de violence et de crise actuelle, qui dure déjà depuis longtemps et risque de devenir un conflit généralisé qui aurait des conséquences fortement négatives pour le pays et pour toute la région. » Et il a renouvelé son appel à la solidarité, « J’élève aussi un pressant et douloureux appel pour que, face au besoin extrême de la population, soit garantie la nécessaire assistance humanitaire, ainsi qu’à de nombreuses personnes qui ont dû laisser leurs maisons, certaines se réfugiant dans les pays voisins : la valeur de la vie humaine est un bien précieux à sauvegarder toujours. » Il y a quelques semaines, il a exprimé sa vive inquiétude, « Je continue à suivre avec inquiétude les événements tragiques et violents croissants en Syrie avec la triste succession de morts et de blessés. Je pense également au nombre élevé de personnes déplacées et de réfugiés dans les pays voisins. Je demande que leur soient garanties l’aide et l’assistance humanitaire nécessaires ». Aucun pouvoir politique, arabe ou occidental, ne sait prononcer autant que Benoît XVI sur la Syrie.

Il ne fait aucun doute que son message au Liban sur le conflit syrien, restera dans cet état d’esprit -paix, dialogue et solidarité- ce qui est encore une fois parfaitement normal pour un homme d’Eglise. Tout cela est peut-être insuffisant pour certains. J’entends déjà les insultes fusées ! Personnellement, je n’attends pas plus du chef de l’Eglise catholique. Ce dernier sait plus que quiconque, que l’idéalisme simpliste n’est pas de bons conseils. Le scénario à l’irakienne qui est une catastrophe humanitaire pour la population civile, notamment la communauté chrétienne ; les premières élections démocratiques dans les pays arabes libérés du totalitarisme qui ne s’inscrivent pas dans la « tolérance religieuse » ; la situation peu enviable des chrétiens de Syrie pris entre le marteau du régime alaouite et l’enclume des Frères musulmans ; etc. Tout cela est dans l’esprit du pape et il serait naïf pour tout responsable de son rang de ne pas y penser et de ne pas en tenir compte, sans être accusé pour autant et ridiculement de soutenir la tyrannie des Assad !

Par contre, s’il faut attendre beaucoup, c’est plutôt des responsables politiques internationaux en général, et des rebelles syriens en particulier. Eux, ils ont le pouvoir absolu de changer la donne, pas un pape. En dépit des déclarations hypocrites des uns et des autres, le « niet » des Russes, aussi ignoble soit-il, n’est point étonnant de la part d’un ex-KGBiste et suite à l’aventurisme occidental en Libye. L’assassinat il y a 2 jours de l’ambassadeur américain à Tripoli et la talibanisation du Mali il y a quelques mois, nous rappellent avec amertume que l’amateurisme en politique internationale se paye très cher. En tout cas, ce niet arrange tout le monde, sans exception, puisqu’ils dispensent tous les responsables politiques de la planète notamment les arabes et les occidentaux, de toute action « concrète » envers la population civile syrienne. Il est plus qu’évident  étant donné l’ampleur du drame, la constante barbarie du régime d’Assad, le rapport des forces sur le terrain et l’enlisement de la situation, tous les partis du conflit doivent se ressaisir et réévaluer leurs analyses.

Aujourd’hui la révolution en Syrie dérape dangereusement. L’initiative des rebelles d’occuper des quartiers d’Alep, pris il y a quelques semaines (où règne la confusion la plus totale; ils affirment détenir 60% de la ville mais l’aéroport fonctionne normalement !), alors qu’avec le recul on a la certitude qu’ils n’avaient pas les moyens de garder leurs positions et de protéger efficacement la population civile en cas d’attaque des forces gouvernementales ; l’exécution sommaire par les rebelles de 20 soldats de l’armée syrienne il y a quelques jours après la prise de la caserne d’Hanano (depuis, elle a été reprise par les forces gouvernementales!) ; le recours des rebelles à la voiture piégée contre une position de l’armée régulière dans la province d’Idleb (18 morts) ; tout cela n’est pas rassurant sur l’issue des affrontements. Les rebelles doivent revoir leur copie ; américains, russes, arabes et européens aussi ! Toute action en Syrie, comme l’inaction aussi, a des conséquences. Et celles-ci se payent en vies humaines. Se tromper n’est pas grave, persister dans l’erreur est impardonnable.

Dernier détail qui a tout de même son importance, les chrétiens de Syrie, près de 1 500 000 fidèles, relèvent à 69% des Eglises orthodoxes et seulement à 28,5% des Eglises catholiques. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que le chef suprême des catholiques parle aux noms de toutes les communautés chrétiennes de Syrie. Benoit XVI ne peut qu’être fidèle à l’essence des Evangiles communs à ces dernières, l’amour et la paix, mais ceux-ci ne s’obtiennent ni par la violence ni avec les armes ! Je suis intimement convaincu que la révolte syrienne aurait dû rester pacifique, pas pour les mêmes raisons que le pape mais parce qu’elle aurait été plus efficace tout simplement. Je sais d’avance que mon affirmation choquera plus d’une personne. C’est mon humble avis. Ce qui a été fait est fait. En tout cas, je pense plus que jamais comme je l’ai dit dans un article il y a un mois qu’« Il est temps que les rebelles de Syrie réévaluent l’efficacité de leur stratégie ! » après 18 mois d’affrontement. Une guérilla est longue et incertaine, dont le coût est exorbitant pour la population civile (vies humaines, souffrance, dégâts matériels, manque à gagner...). La solution en Syrie est politique et non militaire. D’ailleurs, selon le patriarche maronite Bechara Raï, le pape appellera au Liban « ceux qui financent ou arment les uns et les autres dans le conflit d'arrêter de le faire ». Il s’est déjà exprimé très clairement sur le sujet dans l’avion qui le menait à Beyrouth. "L'importation d'armes doit cesser une fois pour toutes car sans importation d'armes la guerre ne pourrait continuer. Au lieu d'importer des armes, il conviendrait d'importer des idées de paix, de créativité, d'amour du prochain". Faute de quoi, il faut accepter d’assister encore longtemps impuissant à ce spectacle révoltant et meurtrier, avant d’espérer apercevoir une lumière au bout du tunnel.


3. Angle de vue du Moyen-Orient.

C’est sans aucun doute, l’angle de vue le plus important de cette visite. A lui seul, il permet d’apposer le tampon « historique » sur le séjour pontifical au pays du Cèdre. Aujourd’hui à 18h, dans la basilique Saint Paul de Harissa, le pape Benoît XVI, annoncera du Liban, point névralgique du Moyen-Orient, la « nouvelle exhortation apostolique post-synodale », que Joumana Haddad aurait mieux fait de lire avant de se lancer dans sa diatribe démagogique et enflammée contre le Saint-Siège.

Qu’est-ce que tout ce charabia veut bien dire ? Il s’agit des propositions retenues par le pape à partir des conclusions du Synode « L'Église catholique au Moyen-Orient : communion et témoignage », ce mini-concile qui a réuni il y a moins de 2 ans à Rome 185 Pères de l’Eglise (dont 140 de traditions orientales catholiques, avec la participation du Cardinal Mar Nasrallah Boutros Sfeir), pour débattre en toute démocratie des préoccupations de l’Eglise catholique au Moyen-Orient. L’idée d’organiser un synode sur la région revient au Mgr Louis Sako, l’évêque de Kirkouk (Irak), qui l’a proposé au pape Benoit XVI afin de trouver les moyens pour faire face au désastre suscité par l’intervention américaine en Irak et ses dommages collatéraux sur les civils irakiens en général, la communauté chrétienne en particulier. Après 2 semaines de discussion, les Pères synodaux ont donc soumis au Souverain pontife « un ensemble de propositions concrètes que les Pères considèrent d’une importance capitale. » L’Exhortation apostolique qui sera annoncée par Benoît XVI aujourd’hui, et qui reprend une partie des propositions, engage les autorités catholiques du Moyen-Orient. L’enjeu est donc important. Vous trouverez ci-dessous les extraits les plus marquants des points que j’ai sélectionnés. 

- Rester ouverts à tous. (proposition n° 4)
- Ne pas tomber dans le confessionnalisme. (4)
- Eveiller la conscience des chrétiens dans le monde à une plus grande solidarité. (5)
- Réclamer et soutenir le droit international et le respect de toutes les personnes et de tous les peuples. (5)
- Attirer l'attention du monde entier sur la situation dramatique de certaines communautés chrétiennes au Moyen-Orient. (5)
- Demander aux instances nationales et internationales un effort spécial pour mettre fin à cette situation de tension, en rétablissant la justice et la paix. (5)
- Exhorter nos fidèles et nos communautés ecclésiales à ne pas céder à la tentation de vendre leurs propriétés immobilières. (6)
- Aider les chrétiens à garder leurs terres ou à en acquérir de nouvelles, nous proposons par exemple la création de projets chargés de les faire fructifier, pour permettre aux propriétaires de demeurer chez eux dignement et essayer de récupérer ceux qui sont perdus et confisqués. (6)
- Appliquer un système d'audit dans les affaires financières de l'Église. (7)
- Encourager le pèlerinage, retour aux sources, découvrir la richesse des Églises d'Orient, rencontrer et encourager les communautés chrétiennes locales. (8)
- Prier et œuvrer pour la justice et la paix au Moyen-Orient. (9)
- Appeler à la purification de la mémoire, et à favoriser le langage de la paix et l'espérance, plutôt que celui de la peur et de la violence. (9)
- Appeler les autorités civiles responsables à appliquer les résolutions des Nations-Unies concernant la région, en particulier le retour des réfugiés et le statut de Jérusalem et des Lieux Saints. (9)
- Créer un bureau ou une commission chargée de l'étude du phénomène migratoire et de ses motivations pour trouver les moyens de le contrecarrer. (10)
- Faire tout ce qui est possible pour consolider la présence des chrétiens dans leurs patries, et cela spécialement à travers des projets de développement, pour limiter le phénomène de la migration. (10)
- La situation des travailleurs immigrés au Moyen-Orient, chrétiens et non chrétiens, surtout les femmes, nous concerne au plus haut degré. (14)
- Nous appelons pour que les droits fondamentaux des immigrés, reconnus par le droit international, soient respectés, quelles que soient la nationalité et la religion des immigrés, et pour les aider aux plans juridique, social et humain. (14)
- Former une commission qui serait chargée d'étudier la situation des fidèles catholiques dans les pays du Golfe. (19)
- Intensifier l'usage de la langue arabe dans le cadre des institutions du Saint-Siège et de ses réunions officielles. (21)
- Assurer la même rémunération à tous les prêtres actifs et retraités ; instituer un système de protection sociale qui devrait être étendu aux religieux et religieuses ainsi qu'aux épouses des prêtres mariés et à leurs enfants mineurs. (22)
- Etudier la possibilité d'avoir des prêtres mariés en dehors du territoire patriarcal. (23)
- Encourager et renforcer le respect, la dignité, le rôle et les droits de la femme. (27)
- Sauvegarder et promouvoir le respect des droits humains innés des enfants à partir du moment de la conception, pour leur assurer les soins de la santé et une éducation chrétienne. (27)
- Renforcer les centres de préparation au mariage, les centres d'écoute et d'orientation, l'accompagnement spirituel et humain des jeunes foyers, le suivi pastoral des familles, surtout celles confrontées à des situations difficiles (conflits internes, handicap, drogue, etc.). (35)
- Encouragement de la natalité et de la bonne éducation des enfants. (35)
- Etre à l’écoute des jeunes pour répondre à leurs interrogations et à leurs besoins. (36)
- S'occuper des gens du troisième âge, des immigrés et des réfugiés avec leurs divers besoins sociaux. (38)
- Prendre soin plus particulièrement des handicapés en leur créant des structures adéquates nécessaires et favorisent leur intégration dans la société. (38)
- Les chrétiens auront à cœur de protéger la nature et l'environnement. Ils appellent les gouvernements et tous les hommes de bonne volonté à unir leurs efforts en faveur de la sauvegarde de la création. (38)
- Les chrétiens du Moyen-Orient sont appelés à poursuivre le dialogue avec leurs concitoyens des autres religions, dialogue qui rapproche les esprits et les cœurs. (40)
- Les chrétiens sont invités, avec leurs partenaires, à la purification de la mémoire, au pardon mutuel du passé et à la recherche d'un meilleur avenir commun. (40)
- Dans la vie de chaque jour, ils chercheront l'acceptation mutuelle malgré les différences, et œuvreront à édifier une société nouvelle où le pluralisme religieux est respecté et où le fanatisme et l'extrémisme seront exclus. (40)
- Les initiatives de dialogue et de coopération avec les juifs sont à encourager pour approfondir les valeurs humaines et religieuses, la liberté, la justice, la paix et la fraternité. (41)
- Nous refusons l'antisémitisme et l'antijudaïsme, en distinguant entre religion et politique. (41)
- Au Moyen-Orient, les chrétiens partagent avec les musulmans la même vie et le même destin. Ils édifient ensemble la société. Il est important de promouvoir la notion de citoyenneté, la dignité de la personne humaine, l'égalité des droits et des devoirs et la liberté religieuse comprenant la liberté du culte et la liberté de conscience. (42)
- Les chrétiens du Moyen-Orient sont appelés à poursuivre le dialogue de vie fructueux avec les musulmans. Ils veilleront à avoir, à leur égard, un regard d'estime et d'amour, mettant de côté tout préjugé négatif. (42)
- Ensemble, chrétiens et musulmans, sont invités à découvrir leurs valeurs religieuses respectives. Ils offriront ainsi au monde l'image d'une rencontre positive et d'une collaboration fructueuse entre les croyants de ces religions, s'opposant ensemble à tout genre de fondamentalisme et de violence au nom de la religion. (42)
- Confier tout le Moyen-Orient à la protection de la Vierge Marie. (44)

Ces propositions peuvent être regroupées dans plusieurs catégories : ouverture d’esprit (4, 9, 40, 41, 42), solidarité (5, 35, 36, 38), respect du droit international (5, 9), préoccupations chrétiennes (5, 6, 10, 35), respect des droits des individus (14, 19, 22, 27), vente des terres (6) et transparence financière (7). Comme dans tout document de ce genre, il y a un peu de « littérature ». Il n’empêche que cette Exhortation apostolique est ambitieuse et répondra à un triple objectif : favoriser l’épanouissement des communautés chrétiennes au Moyen-Orient, dissiper les menaces qui pèsent sur les minorités chrétiennes vivant dans des sociétés dominées démographiquement par l’islam sunnite et encourager la cohabitation pacifique et la tolérance religieuse entre toutes les communautés, chrétiennes, musulmanes et juives. Reste à savoir comment elle sera traduite sur le terrain, mais c’est une autre paire de manches.

Je voudrais souligner particulièrement quatre points. Tout d'abord, le point 9 qui me plaît dans son contenu et sa formulation avec l'« appel à la purification de la mémoire ». Il y a ensuite, une partie du point 38 : « Les chrétiens auront à cœur de protéger la nature et l'environnement. Ils appellent les gouvernements et tous les hommes de bonne volonté à unir leurs efforts en faveur de la sauvegarde de la création. » Wlak bravo wou alf bravo ! Ya reit nos élus pourraient s'en inspirer chi chouei ! Par contre, je ne partage pas la vision des Pères sur le point 27, « respect des droits humains innés des enfants à partir du moment de la conception », mais c’est un autre débat. Enfin, le dernier point m’a fait sourire : « Confier tout le Moyen-Orient à la protection de la Vierge Marie. » Il fallait y penser !


Conclusion

Nous sommes à une période cruciale de l’Histoire du Moyen-Orient. Nous avons un monde arabe en pleine mutation, des révolutions politiques qui se déroulent sans révolution religieuse, des démocraties naissantes qui amènent au pouvoir des partis extrémistes, une crise économique mondiale sans précédent, une hémorragie migratoire continuelle, une démographie déclinante, une vente alarmante des terres au plus offrant, bref, les sujets d’inquiétude des orientaux de confession chrétienne ne manquent pas. La tragédie des chrétiens d’Irak est dans tous les esprits. Le pape en est pleinement conscient en se rendant au Liban: "Le Printemps arabe est une chose positive, un désir de davantage de démocratie, de liberté, de coopération, d'une identité arabe rénovée. Mais, nous savons que le cri de la liberté si important, si positif, court le risque d'oublier un aspect fondamental de la liberté, la tolérance envers l'autre. Nous devons tout faire pour que le concept de liberté aille dans la direction juste".

Certes, l’Exhortation apostolique de Benoît XVI apportera des réponses spécifiques à certaines craintes. Mais face à ces inquiétudes, ce qui rassurera le plus les communautés chrétiennes, ce n’est ni le pape ni son exhortation ni tous les miroirs du monde, ce sont surtout leurs compatriotes musulmans ! Et vice versa bien évidemment. Prenons par exemple le Liban, la répétition inlassable de Saad Hariri, de son attachement à la parité entre chrétiens et musulmans, est un élément rassurant. La dissolution de toutes les milices libanaises (Hezbollah) et non libanaises (palestiniennes), rassurera davantage. Trouver une solution définitive au problème des réfugiés palestiniens (12% de la population libanaise... peut-on imaginer une seconde 8 millions de réfugiés dans un pays comme la France et 38 millions aux Etats-Unis !), rassurera encore plus. Et je pourrai multiplier les exemples à l’infini. Par contre, quand un grand pays arabe comme l’Egypte, choisi pour représenter ses 82 millions d’habitants, des extrémistes (70% du Parlement et le président sont issus des rangs des Frères musulmans et des salafistes), il faut reconnaitre qu’il n’y a pas de quoi rassurer l’arabe chrétien. Le distinguo entre salafistes et Frères musulmans est sans beaucoup d’importance, tant que ces derniers font leurs campagnes électorales sous le slogan « L’Islam est la solution ». Rejeter clairement ce slogan, par tout arabe musulman est surement de nature à rassurer son compatriote chrétien. La situation en Syrie n’est pas non plus très rassurante. Quand on apprend que ce sont des groupes armés extrémistes sunnites qui sont à l’origine de la bataille d’Alep, on ne doit pas s’étonner que les chrétiens de la ville se montrent inquiets ! Mais c’est loin d’être à sens unique ! De l’autre côté, les chrétiens d’Orient ne doivent pas se placer loin des préoccupations des musulmans. Sur la Syrie précisément, ils doivent être pleinement conscients, de la nécessité absolue qu’ils apportent une contribution substantielle dans la chute de la tyrannie des Assad en Syrie, pour minimiser les risques de vengeances post-révolutionnaires et être en paix avec leur conscience.

Je termine ce long article par Régis Debray. Pour le philosophe français, « Les chrétiens d'Orient sont l'angle mort de notre vision du monde : ils sont trop chrétiens pour les altermondialistes et trop orientaux pour les occidentalistes. » En dépit de cette position spéciale, il pense que leur rôle en Orient est fondamental. « Toutes ces communautés arabo-chrétiennes - catholiques, orthodoxes, coptes ou maronites - jouent un rôle irremplaçable de trait d'union et de médiateur entre l'extérieur et l'intérieur, l'Occident et l'Orient. De plus, elles ne sont pas seulement un élément d'équilibre, en évitant au monde arabo-musulman de se replier sur lui-même, mais aussi de modernisation. » Chrétiens et musulmans du monde arabe doivent en être pleinement conscients aujourd’hui. Mais cela ne dissipera malheureusement pas toutes les craintes. Seule la démocratie, dans les textes et les esprits, apportera une assurance durable pour les chrétiens du Moyen-Orient, et garantira une cohabitation pacifique entre toutes les communautés religieuses, sachant qu’aucune démocratie ne sera entière avant la mise en route de la « révolution religieuse », aussi bien dans les esprits des chrétiens que dans ceux des musulmans !


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jeudi 6 septembre 2012

« Mashrou3 Leila » boycotte les « Red Hot Chili Peppers » parce qu'ils ne boyocottent pas Israël ! (Art.73)


Après Athènes et avant Istanbul, ils ont décidé de faire escale aujourd’hui à Beyrouth ! 10 albums, 60 millions d'exemplaires vendus, 321 millions de vidéos vues sur YouTube, 12 single n°1 au U.S. Mainstream Rock Tracks chart dont la magnifique chanson Californication (8 pour U2 !), 30 ans de carrière, 595 concerts à leur actif, une quinzaine de Grammy et MTV Awards, et une intronisation toute fraiche au Rock'n Roll Hall of Fame, les Red Hot Chili Peppers sont l’un des groupes de rock les plus créatifs et les plus survoltés de la planète. Une longue carrière sans faute. Mais... Ils ont eu le malheur de programmer un concert à Tel Aviv prévu pour le 10 septembre. Une raison suffisante pour que le jeune groupe libanais, Mashrou3 Leila ("projet d'une nuit", né il y a 4 ans avec la rencontre de 7 étudiants en architecture et en design), qui comptent libérer la Palestine à partir du campus de l'AUB (American University of Beirut), refuse d’assurer la première partie du concert du groupe californien.

Rien de nouveau au pays des palabres, des bahwarét, des 3antariyét et du brassage de vent. Dès l’annonce de la venue du groupe américain au printemps, des voix se sont élevées pour appeler au « boycott de ceux qui refusent de boycotter Israël » ! Tout un programme, mais avec 4 décennies de décalage. Depuis avril 2012 les Red Hot sont en tournée et le resteront jusqu’en février 2013. Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Irlande, Belgique, Pays-Bas, Espagne, France, Suisse, Italie, Russie, Ukraine, Pologne, Lituanie, Estonie, Finlande, Allemagne, République Tchèque, Croatie, Roumanie, Bulgarie, Grèce, Turquie, Israël, Nouvelle Zélande, Australie et Afrique du Sud, des dizaines de concerts dans le monde entier sans incident sauf au Liban. Merci Mashrou3 Leila, pour ces waldaniyett.

Pourtant le 31 août le groupe libanais annonça à ses 52 000 fans sur Facebook : "Habibi, we’re opening for Red Hot Chili Peppers - September 6 - Beirut Waterfront. I don’t think I’ll be able to sleep tonight... 7obb wa gharam, Leila x ». Yiii ma as2alak, comme dirait Emile Rahmé. Quelques jours plus tard, ils se ressaisissent de leur enthousiasme pour annoncer aux mêmes fans, tout en minuscules: « we will not be opening for the red hot chili peppers on september 6 in beirut. » Sommé de s’expliquer, Hamed Sinno, le chanteur du groupe se contenta d’un « no comment ». Seulement 1 006 personnes, soit 2% des fans, ont liké le revirement capricieux du groupe. 

Au-delà de ces enfantillages, il est évident que ce désistement de dernière minute, la veille !, constitue bien un coup de marketing des jeunes de l’AUB. C’est ce qui rend leur démarche encore plus contestable. Mais enfin, c'est de la réputation du Liban qu'il s'agit. Et ce n'est pas à quelques artistes de la "gauche caviar libanaise" de s'en charger. En tout cas, les Red Hot se produiront ce soir bel et bien au New Waterfront à Beyrouth avec ou sans Mashrou3 Leila. En rentrant dans ce jeu folklorique du boycott d’Israël, en mélangeant l’artistique et la politique, en changeant d’avis du jour au lendemain, en se ridiculisant pour si peu, le groupe libanais, pourtant très prometteur, a prouvé qu’il n’était pas à la hauteur de la distinction que le groupe américain lui a fait. Tant pis pour lui. Hier soir, les Californiens ont envoyé à leurs 19 277 254 fans : « What’s up Beirut !!!! ». Et bien aux noms des fans, je dis haut et fort « welcome to Beirut » et mille mercis au Red Hot d’avoir maintenu leur concert en dépit de toute cette agitation immature. Sur le fond, j'invite ceux qui veulent en savoir plus, à lire mon article « Steven Spielberg, Lara Fabian ou MTV : encore, toujours et plus que jamais ce prétexte d'Israël ! », pour se rendre compte du ridicule de la décision de Mashrou3 Leila.