mercredi 20 juin 2018

Du scandale Aoun-Hariri-Machnouk à l'affaire Ibrahim-Berri-Nasrallah : « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette » (Art.539)


Dans une démocratie bananière comme la nôtre, on n'a pas le temps de souffler, encore moins de nous ennuyer. C'est à peine si nous en disposons suffisamment pour enterrer dignement nos scandales, enfin, les leurs. Désolé de vous faire savoir au début de la saison estivale que nous avons eu tout faux ces derniers temps. Nos « Schpountz », contrairement à l'héros de Marcel Pagnol, ne sont pas simplets. De là à croire que les dirigeants libanais sont intelligents, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai point personnellement. Et pourtant, comme Irénée Fabre, le commis-épicier du film français de 1938 qui croit être un acteur né, les responsables libanais se considèrent eux-aussi comme des hommes providentiels. Autre caractéristique partagée avec le schpountz de Pagnol, « ils ne sont pas bon à rien, ils sont plutôt mauvais à tout », à prononcer avec le bon accent marseillais dans la bouche et une odeur de pastis dans le nez, en ayant en tête la tronche de Fernandel quand il fait le con. Même dans les scandales, ça ne vole jamais très haut dans nos contrées.


Tout a commencé récemment avec l'article 49. Voté pratiquement par l'ensemble des députés sortants représentant toute la classe politique, et défendu notamment par le Courant patriotique libre, le Courant du Futur et le mouvement Amal, qui donnait khabet laze2 heik, la « résidence à vie » au Liban aux propriétaires étrangers sous certains conditions (l'achat d'un logement d'une valeur de 500 000 $ à Beyrouth et de 330 000 $ en dehors), il est aujourd'hui enterré. Il ressuscitera en temps et en heure, bien évidemment. A l'éclatement du scandale, Ibrahim Kanaan, député du CPL et chef de la commission parlementaire des Finances et du Budget, à l'origine de cette mesure incongrue -qui encouragera la spéculation immobilière, le blanchiment d'argent et l'implantation d'une frange de déplacés syriens au Liban- a prétendu que que c'était une « résidence temporaire ». A la publication de la loi de finances, on s'est aperçus que c'était faux. Il avait donc menti au peuple libanais. Il n'était pas le seul à tomber dans cette malhonnêteté politique. Est-ce que le pays s'est arrêté pour autant afin de demander à Kannaan & Co des comptes ? Non mais pourquoi, tout va très bien Madame la Marquise !

A peine nous étions débarrassés de l'article 49, surgit alors le scandale du décret de naturalisation de ressortissants palestiniens, qui constitue une atteinte flagrante à la Constitution libanaise, et de ressortissants syriens peu recommandables, des proches du tyran de Damas, Bachar el-Assad, des corrompus, des corrupteurs et des évadés fiscaux, et même un Franco-Algérien recherché par les autorités judiciaires italienne et algérienne. Actuellement, le décret est en soins intensifs. Pas pour longtemps. La couleuvre était trop grosse à avaler. Mais il s'en sortira, naturellement.

Au début du scandale, Ziad Baroud, un homme de droit respecté, et Nadim Koteich, un homme de média reconnu, sont montés au créneau, non pour dénoncer la légitimité bidon d'un tel décret, mais au contraire, pour attaquer leurs compatriotes qui ont eu le malheur de souligner les irrégularités de cette naturalisation en catimini et le caractère top-secret du décret. Et pourquoi donc? Parce que les deux hommes sont proches des trois co-signataires du décret, Michel Aoun, Saad Hariri et Nouhad Machnouk. A la publication du décret, sous la pression de quelques médias et des réseaux sociaux, les doutes ont été confirmés. On s'est aperçus que le pouvoir représenté par Aoun-Hariri-Machnouk, ainsi que ses défenseurs Baroud-Koteich & Co, avait menti au peuple libanais. Est-ce que le pays s'est arrêté pour autant afin de demander à tout ce beau monde des comptes? Non mais pourquoi, tout va très bien Madame la Marquise !

Le scandale du jour c'est la dispense des ressortissants iraniens de se faire tamponner le passeport lors de leurs visites au Liban, à l'arrivée comme au départ, ce qui est le cas habituellement pour le reste du monde. Ce ne sont pas des touristes, routards et babacools, dont il est question, mais de proches du régime des mollahs, faut peut-être le préciser d'emblée. Comme pour les deux autres scandales, tout se passe en trois temps. Le déni, la confusion, la confirmation. Le chef de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, affirme que la mesure est « normale et naturelle » et surtout, qu'elle existe depuis des « dizaines d'années ». Faux, rétorque Nouhad Machnouk, le ministre de l'Intérieur, qui certifie que la décision est récente et n'est pas normale, elle a été prise il y a seulement quelques jours. Pas besoin d'être dans les secrets des dieux pour se faire une idée de la question. Comme par hasard, les Libanais n'ont pris connaissance du privilège accordé aux Iraniens qu'à travers un opposant iranien ! Les raisons invoquées sont vaseuses. On dit que l'officialisation du passage des ressortissants iraniens par le Liban, en apposant un tampon sur leur passeport, peut leur être préjudiciable pour obtenir un visa et se rendre en Europe. Ya haram, le Liban ne peut pas tolérer cette discrimination et un traitement si humiliant ! Yé3né bel 3arabé el mchabra7, le Liban a décidé de compliquer la tâche des autorités des pays de l'Union européenne, afin de faciliter la vie des ressortissants de la République islamique chiite d'Iran, qui je le rappelle ne sont ni des touristes ni des routards ni des babacools, mais forcément des proches du régime des mollahs, comme si de rien n'était, comme si cela faisait partie des intérêts du Liban, comme si le traité nucléaire n'est pas remis en cause et comme si les sanctions américaines qui se profilent n'enverront pas le pays des mollahs au ban des nations.

Pas besoin d'être expert non plus pour imaginer qu'une décision politique de cette importance n'est pas une simple mesure administrative que le chef de la Sûreté générale peut prendre seul dans son coin. Elle nécessite au mieux, l'aval du ministre de l'Intérieur, au pire, le feu vert du Conseil des ministres. Il n'en est rien. Etant de confession chiite, selon le Pacte national revu et corrigé, Abbas Ibrahim n'a pas pu prendre une décision de cette portée sans le consentement du duo chiite Nabih Berri et Hassan Nasrallah. Sans l'ombre d'un doute, ces deux hommes sont certainement à l'origine de cette contorsion aux règles en vigueur au pays du Cèdre. Et comme par hasard, alors qu'il devrait être pleinement concerné par ce nouveau scandale, le ministre libanais des Affaires étrangères, Gebrane Bassil, qui n'a pas hésité à défendre le décret de naturalisation, a fait savoir que son rôle n'est qu'informatif dans cette histoire douanière, la mesure dépendrait uniquement de la Sûreté générale.

Circonstance aggravante, la mesure douanière aurait été prise par le trio chiite libanais au lendemain d'une grave déclaration de Qassem Soleimani rapportée par Mehr, une agence d'information iranienne gérée par l'Organisation de diffusion de l'idéologie islamique (chiite). Dans cette dépêche du 11 juin, on apprend que le chef de « Faïlak al-Qods » (la Force de Jérusalem), une unité du Corps des gardiens de la révolution islamique spécialisée dans les opérations externes (qui dépend uniquement de Wali el-Fakih, le Guide suprême, Ali Khamenei), a qualifié les résultats des élections législatives libanaises de « grande victoire ». Celui qui peut être considéré comme le fer de lance du « croissant chiite » au Moyen-Orient (terme qui qualifie l'extension de l'hégémonie iranienne dans le monde arabe), estime que « le Hezbollah a remporté 74 des 128 sièges du Parlement libanais pour la première fois », et de ce fait « d'un parti résistant, le Hezbollah s'est transformé en un gouvernement libanais résistant ». Pour arriver à ce chiffe le commandant de la Force al-Qods, considérée par les Etats-Unis comme une entité qui soutient le terrorisme dans le monde, a dû rajouter tous les députés chrétiens du Courant patriotique libre de Bassil-Aoun, aux députés du duo chiite Berri-Nasrallah. Il a dû inclure nombreux députés soi-disant indépendants, Paula Yacoubian compris, allez savoir, après sa visite de courtoisie au chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, pour augmenter ses chances de ministrable ! En tout cas, ni Yacoubian ni Bassil ni Aoun ni Berri ni Nasrallah n'a jugé utile de commenter cette énième preuve de l'immixtion de l'Iran dans les affaires libanaises, pas plus qu'ils n'ont dénoncé la dispense douanière des Iraniens au Liban.

La députée de Beyrouth Paula Yacoubian, trop occupée par augmenter ses chances de ministrable que de répondre aux propos déplacés du commandant de la Force al-Qods, Qassem Soleimani. Ironie de l'histoire, les deux événements date du même jour, le 11 juin. 

Toujours est-il qu'il est bien clair qu'Abbas Ibrahim a menti au peuple libanais. Est-ce que le pays s'est arrêté pour autant afin de demander à tout ce beau monde impliqué dans cette nouvelle affaire d'Etat des comptes? Non mais pourquoi, tout va très bien Madame la Marquise !

*

Maintenant que le scandale est mis au jour, il va falloir sauver la face d'Abbas Ibrahim et de ceux qu'il représente dans cette affaire, Nasrallah et Berri. Eh oui, certains les ont oubliés! Pour la sortie de crise, on pourrait imaginer une solution donnant-donnant : tu me couvres sur le décret de naturalisation des Palestiniens et des Syriens, je te couvre sur la dispense douanière des Iraniens.

Le pouvoir hexagonal libanais -Aoun, Hariri, Machnouk, Ibrahim, Berri et Nasrallah- peuvent sillonner le Liban et se produire tout l'été devant les Libanais. Ils feront salle comble. Pour compléter la troupe, ils peuvent appeler en renfort Geagea, le parrain du « président fort » (qui tient à l'Accord de Meerab autant que Michel Aoun tient au Document d'entente avec Hassan Nasrallah!), Joumblatt, el-kezbé el-kbiré qui se considère toujours comme le « touriste de service », et l'incontournable, Gebrane Bassil, l'homme qui se prend pour « Don Quichotte de la République libanaise ». Ils pourront nous jouer et nous chanter cette comptine d'autrefois : « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ; le premier de nous deux qui rira aura une tapette ! » Ils trouveront encore beaucoup de monde pour les applaudir le jour et les maudire la nuit. Quelle extraordinaire tragi-comédie nous avons la chance de vivre !

Les auteurs de ces trois scandales ne se sont jamais inquiétés. Et vous savez pourquoi? Parce qu'une frange du peuple libanais est plus (pré)occupée par la défense du Brésil et de l'Allemagne au Mondial qu'à demander des comptes à ses leaders, qu'une deuxième frange a une mémoire très sélective et qu'une troisième n'a qu'une mémoire de trois minutes ! Nous ne sommes qu'une minorité à nous battre pour le nivellement par le haut et pour laisser le Liban dans un meilleur état que celui dans lequel nous l'avons trouvé. Mais comme quelques hirondelles ne font pas le printemps, une minorité de Libanais éclairés ne fera pas la renaissance. Du scandale Aoun-Hariri-Machnouk, nous sommes passés à l'affaire Ibrahim-Berri-Nasrallah. Et quand on pense que pour sauver la face, le premier trio a accepté le plan de sauvetage proposé par Abbas Ibrahim justement, qui prévoie une soi-disant vérification des noms douteux du décret de naturalisation par le chef de la Sûreté générale lui-même!, on se dit que la République libanaise n'est plus qu'une farce de nos jours par la double faute de certains dirigeants du Liban, les auteurs de cette farce, et d'une partie du peuple libanais, qui prend goût à jouer aux dindons de la farce. 

mardi 5 juin 2018

Derrière le « décret secret » de naturalisation, la volonté libanaise de prendre part au business de la reconstruction de la Syrie et la détermination syrienne de coloniser le Liban (Art.535)


Pendant que la « rebelle » Paula Yacoubian savoure pour le 13e jour consécutif son acte héroïque, en votant Nadine Labaki lors de la prorogation du mandat de Nabih Berri à la tête du Parlement libanais (1992-2022 et au-delà inchallah!), c'est encore lui qui a soulevé cette grave atteinte à l'honneur du Liban et des Libanais, ainsi qu'à notre Constitution et aux lois en vigueur dans notre pays, par nos propres dirigeants.


 I  Tout a commencé avec la « résidence à vie » accordée par les députés libanais via l'article 49


C'était il y a quelques mois. Samy Gemayel avait dénoncé le vote à la hâte et en pleine effervescence électorale, d'une disposition bénie par toute la classe politique ou presque, notamment par les deux Courants (patriotique libre et du Futur), qui permet d'octroyer une « résidence à vie » à tout acheteur étranger d'un appartement au Liban, d'une valeur de 500 000 $ à Beyrouth et de 333 000 $ en dehors. Le député du Metn voyait dans l'article 49 de la nouvelle loi de finances, une façon déguisée d'implanter une frange des Syriens réfugiés  au Liban, la classe aisée. J'ai dénoncé à mon tour cette disposition qui ouvre grand les portes du Liban au blanchiment d'argent et à la spéculation immobilière, ce qui se répercutera forcément d'une manière négative sur la vie des Libanais, notamment ceux des classes moyennes, déjà pleinement frappées par la cherté de la vie au Liban. Le Conseil constitutionnel fut saisi et l'article en question est finalement invalidé.

 II  La naturalisation au Liban, une affaire controversée depuis toujours : le décret de 1994


A peine l'affaire est réglée, une autre est venue la remplacer. Elle est beaucoup plus grave. Et c'est à Samy et Nadim Gemayel, les députés des Kataeb, qu'est revenue la tâche de dénoncer le nouveau scandale, la signature en catimini d'un décret de naturalisation controversé le 11 mai 2018, portant le numéro 2942.

Dans la plupart des pays démocratiques, comme la France par exemple, les conditions d'attribution de la nationalité sont claires, donc connues de tous, et le décret de naturalisation est publié dans le Journal officiel, pour être justement connu de tous. Pas au Liban, où la naturalisation se fait à la dérobée.

On explique l'opacité libanaise dans les conditions d'attribution de la nationalité libanaise par le désir de préserver l'équilibre communautaire islamo-chrétien. Fixer des critères précis c'est prendre le risque de naturaliser massivement des ressortissants de telle ou telle confession ou nationalité, une démarche qui peut conduire à un déséquilibre démographique entre les 17 communautés libanaises. Soit, mais c'est encore pire sans critères comme le prouve la naturalisation massive de 1994, réalisée alors que le Liban était sous occupation syrienne. Elias Hraoui était président de la République, Rafic Hariri Premier ministre et l'inamovible Nabih Berri, président du Parlement.

Un rapport ministériel de 2006 estime, parce qu'on n'a toujours pas les chiffres exacts!, le nombre d'étrangers naturalisés à l'époque à près de 160 000 personnes. Du fait des mariages et des naissances, ce sont en réalité plus de 200 000 personnes, pour une population de 3,4 millions à l'époque. On dit qu'ils étaient 2/3 musulmans et 1/3 chrétiens. Oublions le déséquilibre communautaire, c'est comme si Emmanuel Macron naturalisait en une seule vague, 3 999 999 Mamoudou Gassama, soit presque la moitié des étrangers non-européens qui vivent en France. Aux Etats-Unis, il faudrait que Donald Trump naturalise d'un coup de stylo, 19 des 46 millions d'étrangers nés en dehors des Etats-Unis. Ce qui a posé problème dans le décret de 1994 c'est d'abord son caractère massif, dans un pays où la concorde communautaire ne tient qu'à un fil!

Mais le plus grave dans le décret de 1994 est ailleurs. Pour le comprendre, il faut revenir à une info récente passée totalement inaperçue, noyée dans les fêtes de fin d'année, le recensement des « réfugiés palestiniens » au Liban. Au total, on n'a trouvé que 174 422 Palestiniens au Liban. Et on est parti disserter un bon moment sur l'exagération des chiffres et les peurs infondées. C'est trois fois moins que les estimations les plus alarmistes! Très joli, sauf qu'on a oublié de préciser que le recensement ne concerne que les « réfugiés palestiniens » dans les dits « camps palestiniens » et aux alentours, les Palestiniens installés loin de ces « villes » n'y figuraient pas.

Et encore, si on n'avait oublier que ça. Les valeureux enquêteurs Libanais et Palestiniens, ainsi que le Premier ministre Saad Hariri lui-même qui a repris leur chiffre, ont oublié d'informer la presse en général et les Libanais en particulier que 469 331 personnes sont enregistrés au Liban auprès de l’UNRWA en tant que « réfugiés palestiniens », que 71 747 Palestiniens svp ont été naturalisés en 1994, ce qui constitue de facto une implantation des réfugiés palestiniens au Liban, le désir le plus profond de l'Etat d'Israël et une violation flagrante de la Constitution libanaise. Chapeau à toute l'équipe, beau travail les gars ! Le chiffre du recensement a été contesté par de nombreuses sources libanaises et palestiniennes.

Pour revenir au décret de 1994, une autre majorité des naturalisées de l'époque était de nationalité syrienne. On parle de 66 000 personnes qui ne se rappellent de leur double nationalité qu'au moment des élections.

Toujours est-il qu'un recours en invalidation déposé par la Ligue maronite a conduit le Conseil d'Etat à l’ouverture d’une enquête sur une dizaine de milliers de naturalisations douteuses.

 III  La naturalisation au Liban, une cuisine top secret : le décret de 2018


Le problème principale des naturalisations au Liban réside dans l'opacité concernant, non seulement les conditions d'attribution de la nationalité libanaise, mais aussi le contenu des décrets de naturalisation. C'est à peine croyable, mais à ce jour, on ne connait ni le nom des personnes naturalisées le 11 mai 2018 (des noms circulent), ni même leur nombre exact (on parle de plusieurs centaines).

Circulez il n'y a rien à voir, nous ont expliqué, entre autres, Ziad Baroud et Nadim Koteich, qui ne semblent même pas déranger par le caractère secret de la naturalisation Aoun-Hariri-Machnouk. Et alors ? Comme par hasard, le premier est proche du Courant patriotique libre, le second, du Courant du Futur, les deux partis politiques qui sont pleinement impliqués dans ce nouveau scandale. Finalement, ce sont les cousins Gemayel qui ont permis de mettre au grand jour cette faille inadmissible dans les usages politiques au Liban : l'impossibilité, même pour des élus de la nation!, de connaître les noms des personnes naturalisées au Liban à travers les canaux officiels! Non, vous ne rêvez pas, bienvenue au Liban, le pays de toutes les magouilles.

Le président de la République, Michel Aoun, argue que ce n'est pas à lui de le faire, alors qu'il est l'origine même du décret. Le Premier ministre, Saad Hariri, est aux abonnés absents sur ce sujet, alors qu'il a co-signé le décret. Le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk (Futur), co-signataire du décret, ainsi que le président de la République, ont le culot de se réfugier derrière la protection des données personnelles. Incroyable, mais vrai. Ainsi, selon les responsables libanais, obtenir le décret qui mentionne les noms des personnes naturalisées dans des conditions douteuses, est une info d'ordre privée, seules les personnes concernées peuvent le faire. Bienvenue dans l'univers surréaliste libanais.

Pour mesurer le degré de gravité de la question, il faut savoir que sans la publication du « décret secret » dans le Journal officiel, la marge de manœuvre de ceux qui voudraient contester auprès du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat certaines naturalisations douteuses signées par le trio Aoun-Hariri-Machnouk, ont une marge de manœuvre très étroite.

A droite, la lettre envoyée par le député des Kataeb, Samy Gemayel, au président de la République, Michel Aoun, lui demandant une copie du décret de naturalisation qu'il a signé le 11 mai 2018. A gauche, la fin de non-recevoir de la présidence qui invoque la protection des données personnelles, envoyant Samy Gemayel se faire voir chez le ministère de l'Intérieur, qui l'envoie à son tour se faire voir chez les Grecs. Bienvenue dans l'univers surréaliste libanais.

 IV  La faute politique de Aoun est plus grande que celle des co-signataires du décret, Hariri et Machnouk


Alors qu'une mère libanaise mariée à un ressortissant étranger, ne peut toujours pas transmettre la nationalité libanaise à ses enfants, comme le fait un homme libanais marié à une ressortissante étrangère, le président de la République, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur auraient décidé d'octroyer la nationalité libanaise à un ensemble de ressortissants palestiniens, ce qui constitue une violation de la Constitution libanaise, comme en 1994, qui interdit explicitement toute forme d'implantation des réfugiés palestiniens au Liban. Plus grave encore, Aoun, Hariri et Machnouk, auraient décidé d'offrir la nationalité libanaise à un ensemble de personnalités et de riches hommes d'affaires syriens. On parle des familles de Samer Faouz, Abdel Kader Sabra, Farouk Joud, Hani Mourtada, Samer Youssef et Moufid Karamé, des gens qui font partie du cercle rapproché du régime terroriste de Bachar el-Assad.

Et encore, n'étant pas sûrs des noms, le plus grave est ailleurs. Après l'éclatement du scandale posé par ces noms, Aoun, Hariri et Machnouk, se comportent comme des retraités de la vie politique libanaise, sans aucune responsabilité, des touristes, des visiteurs, des observateurs, des spectateurs, enfin, tout ce que vous voulez, sauf comme le pouvoir exécutif qui est à l'origine même du scandale et qui doit rendre des comptes devant le peuple libanais.

Le président de la République, Michel Aoun, demande une enquête APRÈS avoir signé le décret de naturalisation et non AVANT, comprenne qui pourra. 

Concentrons-nous sur le cas le plus grave, celui de Michel Aoun. Enfin, je ne sais pas si le cas de Saad Hariri n'est pas plus grave, mais bon, restons sur le cas de celui qui communique sur le sujet, plutôt que sur le cas de celui qui a décidé de garder le silence. Le président de la République réclame de la part du chef de la Sûreté générale de mener une « enquête » approfondie sur les personnes naturalisées et demande à ceux qui détiennent des « informations » sur ces dernières de les faire parvenir aux autorités, sachant qu'il refuse de transmettre à Samy Gemayel une copie du décret qu'il a lui-même signé où figurent les noms des personnes naturalisées. Il est fascinant le président fort, n'est-ce pas?

Houston, we have a problem. De deux choses l'une : soit aucune enquête n'a été menée AVANT l'attribution de la nationalité libanaise et le président de la République a signé à l'aveugle le décret de naturalisation ; soit Michel Aoun a signé en connaissance de cause, mais n'a pas prévu le scandale, il se trouve maintenant dans un sacré merdier et ne sait plus comment s'en tirer. La première option pose un problème de compétence, la seconde, de conscience.

Ce qui est valable pour Aoun, l'est aussi pour Hariri et Machnouk. Mais, la faute politique de Michel Aoun est plus grande que celle des co-signataires du décret, parce que la naturalisation est une prérogative exclusive du président de la République et que Michel Aoun est le seul haut personnage de l'Etat a juré devant Dieu et le peuple libanais, de protéger la Constitution de la République libanaise. Il n'empêche que Hariri et Machnouk ne font pas de la figuration, ils sont pleinement responsables par leurs signatures.

Ceci nous conduit à deux réflexions.

. La première concerne l'erreur de calcul de Samir Geagea et de Saad Hariri d'avoir soutenu l'arrivée de Michel Aoun à la présidence de la République, sans le contraindre à mettre fin à son alliance avec le Hezbollah et à sa bonne entente avec le régime syrien.

. La deuxième concerne précisément la prérogative de la naturalisation. La faute de Michel Aoun est impardonnable puisque son décret concernerait la naturalisation de Palestiniens en violation de la Constitution libanaise et de Syriens proches de Bachar el-Assad, dont l'envoyé spécial, Michel Samaha, qui croupit toujours dans les geôles libanaises pour avoir tenté de replonger le Liban dans la guerre confessionnelle, nous rappelle justement le caractère terroriste de son régime. Etant donné l'ampleur du scandale soulevé aujourd'hui, cette prérogative du « président chrétien » finira tôt ou tard par tomber. Il est clair qu'elle passera un jour au Conseil des ministres. Michel Aoun aura donc contribué, encore une fois, comme en 1988-1990, à l'affaiblissement du poste présidentiel. Le journaliste Nadim Koteich qui en veut aux réseaux sociaux d'avoir amplifié le problème, a pourtant survolé la question dans sa dernière vidéo. D'autres n'en pensent pas moins. Chapeau mon général!

 V  Circonstances aggravantes pour Aoun-Machnouk-Hariri


Et encore, si les Libanais devaient se contenter de cela! Elément aggravant, certains Syriens naturalisés auraient appris la nouvelle dans la presse. Ils ont fait savoir clairement qu'ils n'avaient rien demandé. C'est le cas de Hani Mourtada, un ancien ministre syrien, et beaucoup de noms cités précédemment, qu'ils ont tenu à affirmer qu'ils sont fiers de leur nationalité syrienne. Qu'ils l'aient demandé ou pas, qu'ils l'aient obtenu ou pas, qu'importe, c'est à croire que la demande de naturalisation de certains a été déposée par un tiers! Nooon? Siiiii. Par qui : Fadia el-Chérré'a, Ali Mamelouk, Duraide Lahham ou Bachar el-Assad? Si vous ne savez pas, vous pouvez appelez un ami, ou un ennemi, Michel Samaha, par exemple.

Gebrane Bassil, ministre des Affaires étrangères svp, l'homme qui se prend pour Don Quichotte de la République libanaise, le gendre de Michel Aoun qui veut faire croire qu'il n'était au courant de rien, demande lui aussi "une enquête sérieuse et rapide" APRÈS la naturalisation et non avant.

Il ne fait pas de doute que parmi les heureux bénéficiaires, la majorité des personnes ont droit à la nationalité libanaise et la méritent. Mais beaucoup de questions inquiètent les Libanais aujourd'hui. Pourquoi le ministre de la Justice, un proche de Michel Aoun, a tenu en pleine tempête à faire savoir que d'autres décrets de naturalisation suivront? Pourquoi dans tous les milieux du CPL et du Futur, de Chamel Roukouz à Ziad Baroud, de Gebrane Bassil à Alain Aoun, de Nouhad Machnouk à Nadim Koteich, il y a cette détermination à minimiser l'affaire et à étouffer le scandale, alors qu'ils tenaient le discours inverse il n'y a pas si longtemps que ça ? En somme, pourquoi la naturalisation tout court, pourquoi maintenant, pourquoi avoir caché les noms de personnes indésirables parmi les noms des personnes méritantes, et surtout, pourquoi le recours à des « décrets secrets » s'ils n'avaient vraiment rien à cacher ?

Chamel Roukouz, l'autre gendre de Michel Aoun qui a pris son siège dans le Kesrouane, trouve que tout "ce tintouin autour du décret de naturalisation n'a aucun sens, les cas sont individuels et les raisons sont humanitaires". Ayons donc une pensée et une prière pour tous ces fidèles du régime de Bachar el-Assad, qui attendent dans les couloirs de la naturalisation au Liban!

 VI  Pourquoi ils auraient recouru à un « décret secret », s'ils n'avaient rien à cacher? Les raisons d'une naturalisation non assumée


Parlons peu, parlons bien. Il est plus que probable que le « secret » de la démarche d'Aoun-Hariri-Machnouk soit lié à la présence de noms « indésirables » parmi les naturalisés, des proches de la tyrannie des Assad qui font honte au Liban. Dans un tel cas de figure, la demande de naturalisation de ces ressortissants syriens et leur naturalisation par le trio libanais viseraient des objectifs différents :

• Du coté syrien, la demande de naturalisation a comme premier objectif de mettre à l'abri d'éventuelles sanctions internationales des proches du régime syrien. Elle s'inscrit dans le vaste projet insidieux de Bachar el-Assad de colonisation du Liban, via de riches hommes d'affaires syriens (le biais économique) et des réfugiés syriens (le biais démographique). Elle complète des mesures légales prises récemment en Syrie pour exproprier de facto des Syriens réfugiés au Liban s'ils ne sont pas en mesure de se rendre en Syrie rapidement pour enregistrer leurs biens immobiliers. De ce fait, ils ne leur donnent en réalité comme choix que de rester au pays du Cèdre loin de la tyrannie qu'ils ont fuit, ce qui permettra au régime alaouite syrien de réussir à la fois le nettoyage ethnique de la Syrie (en éliminant une frange importante de la communauté sunnite) et la colonisation massive du Liban (par des ressortissants syriens). Par ailleurs, force est de constater que cette demande s'accompagne d'un retour en force au Parlement libanais, des grandes figures libanaises de la période d'occupation syrienne du Liban, Jamil el-Sayyed en tête.

• Du coté libanais, c'est le "business as usual" qui prime. Et ce ne sont pas les signes qui manquent pour le prouver. Le coup d'envoi a été donné avec le salon « Rebuild Syria » organisé à Beyrouth les 27-28 octobre 2017, sous le haut parrainage de son Excellence, le ministre libanais des Affaires étrangères. « Que la reconstruction de la Syrie soit la reconstruction de la Syrie et du Liban » avait déclaré Gebrane Bassil à l'ouverture du salon. « Les Libanais ont devancé l'Etat sur la question de la reconstruction de la Syrie qui constitue une grande opportunité (...) et qui nécessite des réformes structurelles », avait déclaré le même Gebrane Bassil à la fermeture du salon. Des réformes et des décrets secrets peut-être? Comme par hasard, le même jour où le chef du Courant patriotique libre s'emballait pour la reconstruction de la Syrie, le chef du Courant du Futur et Premier ministre, Saad Hariri, a jugé que c'est le moment le plus opportun de l'Histoire afin d'envoyer un nouvel ambassadeur à Damas pour présenter ses lettres de créances à Bachar el-Assad, faisant du pays du Cèdre le premier pays au monde à effectuer une telle démarche. Quelques mois plus tard, il y a eu l'affaire de l'article 49 et de l'octroie de la « résidence à vie » évoquée dans l'intro, votée par toute la classe politique à l'exception des Kataeb et défendue notamment par le CPL et le Futur. Aujourd'hui, c'est le scandale du décret-secret de naturalisation signé par le président de la République, Michel Aoun, le Premier ministre, Saad Hariri, et le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk.


 VII  Qui tient à garder le décret de naturalisation secret, est soit un traitre à la nation, soit un idiot utile de Bachar el-Assad


La naturalisation de personnalités proches de Bachar el-Assad est sans doute le sésame pour de nombreux Libanais, politiciens et hommes d'affaires, qui bavent devant le juteux projet de reconstruction de la Syrie, pour prendre part à un marché évalué à 300 milliards de dollars, qui se fera après le sacrifice de 500 000 Syriens pour rien. Pour l'heure, ce n'est qu'une hypothèse. Elle ne sera confirmée ou infirmée que si et seulement si, le décret de naturalisation originel est rendu public, sans intervention ultérieure de la part du pouvoir exécutif. On nous dira que ce n'est pas forcément mauvais et que c'est même très bénéfique pour l'économie libanaise qui a beaucoup souffert de l'afflux massif de réfugiés syriens. Pour vous les rapaces et pour votre Liban, pas pour nous les gens de principes et pour notre Liban.

Lier la participation libanaise au projet de reconstruction de la Syrie, à la naturalisation de proches du régime syrien, une tyrannie qui oeuvre clairement pour le nettoyage ethnique en Syrie et la colonisation du Liban, relève de l'abomination. Qui le fait en connaissance de cause mérite d'être jugé sur le champ pour « haute trahison ». Qui ne le fait pas en connaissance de cause, mais le rend possible, est un « idiot utile » de Bachar el-Assad, qui mérite d'être déchu de ses fonctions. Quiconque ne se prononce pas sur la publication immédiate du « décret secret », sans tergiversation et prétexte bidon, et son nettoyage de tout individu lié de près ou de loin à la tyrannie criminelle des Assad, est soit dans l'une, soit dans l'autre catégorie.