lundi 12 mars 2018

L'histoire rocambolesque de Suzanne el-Hajj et Ziad Itani (Art.515)


C'est une de ces histoires vraies et invraisemblables à dormir debout, s'écrouler de rire et s'arracher les cheveux au réveil. Une tragi-comédie en onze actes, digne d'un scénario hollywoodien.



 1  Suzanne el-Hajj, la femme la plus belle et la puissante au Liban


Pour être belle, elle est belle! Enfin, pour certains et selon les angles de vue. Elle faisait partie des Forces de sécurité intérieure, la police libanaise. Elle a décroché un poste qui ferait crever de jalousie n'importe quel homme à la testostéronémie supérieure à 10 nmol/l. La lieutenant-colonel était cheffe du Bureau de la lutte contre la cybercriminalité et de la protection de la propriété intellectuelle, depuis 2012 svp. Beaucoup d'hommes auraient dit et fait n'importe quoi sur les réseaux sociaux pour se retrouver entre ses mains et être cuisiné par ses soins. Oui mais, bon, ils n'ont pas besoin d'elle pour dire et faire n'importe quoi d'ailleurs et elle n'a pas besoin d'eux pour se mettre à cuisiner les autres non plus.

Suzanne el-Hajj est originaire de Koura et diplômée de l'Université de Balamande. Elle a réussi à entrer dans les FSI, gravir les échelons et s'imposer comme première femme officier supérieur dans une institution où le sexe ratio était il y a une quinzaine d'années seulement, de 24 998 hommes pour 2 femmes. A son actif, la supervision du recrutement par les FSI d'un millier de femmes. A ses heures perdues, elle militait pour donner à la femme plus de place dans la société libanaise. Officier le jour, mondaine la nuit, ferme et décontractée, elle représentait l'archétype de celle qui a pleinement réussi et est devenue à un jeune âge « la femme la plus puissante au Liban ».

 2  Le faux pas du « like » du tweet du bouffon Charbel Khalil


Hélas, la deuxième fois que tous les Libanais ont entendu parler d'elle ce n'était pas en de si bons termes. Malgré la réserve due à ses fonctions, le 27 septembre 2017, Suzanne el-Hajj like en moins de 48 minutes (c'est qu'elle était en alerte!), un tweet du bouffon Charbel Khalil.


« La nouvelle de permettre aux femmes de conduire des voitures en Arabie saoudite est incomplète car elles ne sont autorisées à conduire que les voitures qui sont piégées », avec deux points d'exclamation et le hashtag « #clarification ». Et comme « les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait », il a fait suivre son ânerie par un autre tweet: « Vas-y, saute ».

Suzanne el-Hajj ne pouvait pas ignorer le sous-entendu de ce tweet, ni où se situe Charbel Khalil politiquement, pro-Courant patriotique libre, pro-Assad, anti-Arabie Saoudite, etc., et professionnellement, un abruti de première qui vaut son pesant de lourdeur, de vulgarité et de stupidité (ta2elit dam, satlané wou kharyané).

Autre contexte, la Syrie, et toujours le même humour : stupide, misanthrope et raciste. Jamais inquiété par la justice. Les chaines libanaises LBCI et Al-Jadeed (New TV) continuent à lui accorder l'antenne comme si de rien n'était!

Alors, comment une femme de son rang, de son élégance et de son intelligence, qui milite pour renforcer les droits de la femme et son émancipation, pouvait-elle apprécier un humour stupide, de mauvais goût, arabophobe, raciste et misogyne? Mystère et boule de gomme.

 3  La « capture d'écran » du journaliste Ziad Itani et la mise à l'écart de Suzanne el-Hajj


Le pot aux roses est découvert par Assaad Bechara, un conseiller d'Achraf Rifi, l'ancien directeur des Forces de sécurité intérieure (2005-2013). Une capture d'écran est faite et envoyée aux services de renseignement des FSI et au ministère de l'Intérieur, mais aussi au journaliste Ziad Itani, un proche de l'ex-directeur des FSI. Aussitôt, le journaliste procède à sa diffusion sur son site Ayoub News. Rapidement l'affaire prend de d'ampleur.

Au début, l'experte en cybercriminalité prétend que con compte a été hacké pendant un très court laps de temps, puis elle retire son like dans un second temps. Dans un troisième temps, elle publie un tweet en faveur de la femme saoudienne.


« Félicitations aux femmes saoudiennes qui ont obtenu le droit de conduire la voiture, même si ce droit arrive avec retard. Le secret est de continuer à leur permettre de conduire d'autres missions car il n'y a pas de réforme économique sans les femmes. » Excellent, mais enfin, elle aurait dû commencer et s'arrêter là, au lieu d'encourager l'autre bouffon. Trop tard, ses ennemis sont nombreux et la direction des FSI se voit obliger de réagir. Suzanne el-Hajj est mise à l'écart pour faute grave.

Beaucoup de gens se sont émus à l'époque de ce traitement dégradant, crachant sur l'Etat libanais et s'offusquant de la manière dont il punit ses officiers émérites pour faire plaisir à l'Arabie saoudite. Ils ignoraient que la cheffe du Bureau de la cybercriminalité n'était pas à sa première maladresse et qu'elle avait déjà reçu des remarques de sa hiérarchie concernant la publication de messages politiques et l'étalement de sa vie privée sur Instagram.

 4  La vengeance est un plat qui se mange froid


Les jours passèrent et Suzanne el-Hajj continua à ruminer cette histoire. Elle ne digère pas qu'elle soit tombée de son piédestal par un vulgum pecus et à cause d'un tweet. Elle en a gros sur la patate, sauf que la vengeance est un plat qui se mange froid. Réflexion faite, elle décide de contacter un pirate informatique et de lui confier la mission de monter un dossier contre Ziad Itani, le bouc émissaire responsable de son malheur et de sa chute professionnelle. Au Liban, l'accusation la plus facile et la plus grave à la fois reste la collaboration avec Israël. Selon le scénario qu'elle aurait écrit, Ziad Itani aurait eu des conversations avec une jeune femme israélienne.

En parallèle, la brillante officier prévoit même un scénario pour sa réintégration dans les rangs des FSI avec tous les honneurs. Pour ce faire, elle charge le pirate de hacker tant qu'il y est les comptes d'institutions libanaises, d'Ogéro et du ministère de la culture, et même ceux de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Le but de ces manœuvres frauduleuses étant de faire croire que son éviction a conduit au chaos cybernétique au Liban et qu'elle est par conséquent, irremplaçable.

 5  L'entrée en scène du comédien Ziad Itani, homonyme du journaliste, dans le rôle d'un espion israélien


Le jour J, c'est la mise à feu. Les graves accusations tombent entre les mains des services de la Sûreté de l'Etat. Elles conduisent à l'interpellation de Ziad Itani, le 23 novembre 2017. Le comédien passe aux aveux, obtenus sous la torture selon certains, et précise au passage qu'il a été chargé par les Israéliens de surveiller des personnalités politiques libanaises.

Tout se passe comme prévu à un détail près, le pirate de l'experte en cybercriminalité s'est trompé de cible. Il a bel et bien piégé un Ziad Itani, mais ce n'est pas celui qui a diffusé la capture d'écran de Suzanne el-Hajj, c'est un homonyme. Emir Kusturica n'en reviendrait pas! Il a confondu le comédien avec le journaliste, ya aréd nchakké wou bla3inéh.

 6  La récupération politicienne de la double affaire Itani-Hajj dans la perspective des élections législatives à Beyrouth et dans le Akkar, par Nouhad Machnouk et Hadi Hobeich


Maintenant qu'il y a une affaire dans l'affaire, comment freiner le processus d'amplification? Il y a eu plusieurs tentatives de toutes parts, deux d'une manière trop évidente. La première est venue de la part de sources anonymes qui ont affirmé que Ziad Itani, le comédien accusé d'avoir communiqué et collaboré avec Israël depuis 2014, était de toute façon sous surveillance depuis l'été 2017 et qu'il a selon ses propres aveux donné des informations confidentielles sur des personnalités libanaises. La deuxième tentative est venue de la part du milieu politique. C'est que Suzanne el-Hajj est mariée à un Hobeich, qui n'est autre que le frère du député de la région d'Akkar et membre du Courant du Futur, Hadi Hobeich. Au lieu de condamner les actes infâmes de sa belle-sœur, le député a le culot de demander à l'opinion publique, aux médias et aux activistes sur les réseaux sociaux, de « retirer ce dossier du débat médiatique, surtout que nous sommes dans une course électorale et que certains essaient d'exploiter ce dossier à des fins électorales étroites ». Lui en premier, d'où la nature curieuse de sa demande.

A vrai dire, il n'avait pas tort. Celui qui a fait fort dans ce domaine n'était autre que le ministre de l'Intérieur lui-même, bloc du Futur aussi, Nouhad Machnouk. Il décide de s'en mêler, n'y va pas de main morte et met les deux pieds dans le plat.


Non seulement, il décrétera « qu'innocenter (Ziad Itani) ne suffira pas », mais il rajoutera dans la foulée, « tous les Libanais s'excusent auprès de Ziad Itani », sous-entendant qu'ils devraient le faire. Mais, pourquoi mêler le peuple libanais à cette histoire? Dans une envolée lyrique le ministre de l'Intérieur évoquera la « fierté » que Ziad Itani suscite. De par sa « dignité », son « beyrouthisme », son « patriotisme » et son « arabité », il serait devenu selon Machnouk, la cible de « personnes idiotes et rancunières », sans doute, mais « communautaires » aussi ! Non mais, qu'est-ce que le communautarisme vient faire dans cette histoire? En fait, ce qui n'est pas dit dans ce tweet passionnel, c'est que la famille Itani est un « bloc électoral » qui pèse lourd dans les prochaines élections législatives à Beyrouth au mois de mai, beaucoup plus que les Hobeich dans le Akkar, et que son éminence a les yeux plus grands que le ventre, il vise le Grand Sérail! S'il y a quelqu'un qui a « communautarisé » la double affaire Itani-Hajj, c'est bel et bien, Nouhad Machnouk lui-même.

 7  L'arrestation de la cheffe de la lutte contre la cybercriminalité pour fabrication de fausses preuves et lancement de cyberattaques


Finalement, sur l'initiative conjointe de Michel Aoun et de Saad Hariri, les deux dossiers Ziad Itani et Suzanne el-Hajj sont regroupés et transmis, en toute logique, aux Forces de sécurité intérieure. Le président de la République et le Premier ministre conviennent aussi de laisser au tribunal militaire le pouvoir de rendre la justice. Le 2 mars la cheffe de la lutte contre la cybercriminalité est conduite dans les bureaux des FSI pour être interrogée. Quelques jours plus tard, elle est arrêtée et emprisonnée. Le procureur militaire requiert des poursuites judiciaires contre elle et contre son pirate informatique. Il justifie sa décision par deux éléments.

. D'une part, « la fabrication de fausses preuves matérielles et électroniques sur la collaboration d'un Libanais avec l'ennemi israélien, et la soumission d'information écrite contenant des documents falsifiés à la Direction générale de la Sûreté de l'Etat... l'incitation à fabriquer des preuves matériels et électronique au sujet de la collaboration d'un journaliste libanais avec l'ennemi israélien (…) tout en connaissant leur innocence ».

. D'autre part, « le lancement de cyberattaques et de piratage contre des sites de ministères, d'institutions sécuritaires, de banques, de sites d'information et divers sites au niveau local et à l'étranger ».

Les accusations contre l'ancienne directrice du Bureau libanais de la cybercriminalité sont graves. C'est au premier juge d’instruction militaire Riad Abou Ghida de décider de la suite à donner à cette histoire rocambolesque. Il interrogera Suzanne el-Hajj cette semaine. Elle encourt dix ans de prison. De cet interrogatoire dépendra aussi le sort du comédien Ziad Itani, qui croupit en prison depuis plus de trois mois. Il n'est ni accusé ni blanchi !

 8  Suzanne el-Hajj : une lieutenant-colonel devenue cybercriminelle?


Suzanne el-Hajj est présumée innocente jusqu'à preuve du contraire, par la justice, cela va de soi. Il n'empêche que beaucoup d'éléments qui circulent laissent planer un sérieux doute sur cette présomption.

C'est une belle femme qui a assumé sa mission au sein des Forces de sécurité intérieure avec beaucoup de compétente et de charisme. Elle a contribué à la féminisation de la gendarmerie libanaise. Elle était aussi un officier intrépide qui a incontestablement amélioré la condition de la femme libanaise. Nul ne peut douter un instant qu'en tant que femme évoluant dans un milieu dominé par des hommes orientaux, elle était jalousée, critiquée et attendue au tournant par ces derniers. Elle ne les a pas déçus ! Ironie du sort, son remplaçant est un homme et ça ne risque pas de changer avant longtemps.

Hélas, au fur et à mesure qu'elle prenait de la hauteur, Suzanne el-Hajj partait à la dérive. Au fil du temps, elle a transformé un Bureau qui était censé combattre exclusivement la cybercriminalité et protéger la propriété intellectuelle, en un organe de surveillance de la liberté d'expression des Libanais en général, des écrivains, journalistes, blogueurs et activistes en particulier. Nombreux sont ceux qui devaient s'engager à la mettre en sourdine sur tel ou tel sujet. Les langues se délient petit à petit. Certaines méthodes de la Dame de fer sont contestées aujourd'hui.

Suzanne el-Hajj était sans le moindre doute destinée à un grand avenir. Et puis, il y a eu ce faux pas, le like de l'ânerie de Charbel Khalil. Depuis, c'est la descente en enfer. Au lieu de profiter de sa mise à l'écart des FSI, pour faire oublier sa bévue et mieux rebondir, allez savoir quelle mouche l'a piqué pour qu'elle aille concocter dans une cave sombre une vengeance stupide contre un comédien présumé innocent de toute cette histoire, le confondant avec un journaliste, qui lui n'a fait qu'exercer le droit fondamental de « la liberté d'opinion », inscrite dans le préambule de la Constitution de la République libanaise, et de « la liberté d'exprimer sa pensée », garantie par son article 13.

En fabriquant un dossier de collaboration avec Israël contre le comédien Ziad Itani, le lieutenant-colonel Suzanne el-Hajj savait qu'elle envoyait un innocent en prison, sa vie sera brisée et il sera banni par son environnement, familial, amical et professionnel. En montant des cyberattaques contre des sites ministériels et institutionnels, elle savait aussi qu'elle utilisait les méthodes de ceux qu'elle était censée traquer. Si les accusations sont confirmées par la justice, l'histoire dira que Suzanne el-Hajj a mué de lieutenant-colonel à une cybercriminelle.

PS
Aux dernières nouvelles, mardi après-midi, la justice a émis un mandat d'arrêt contre Suzane el-Hajj.

 9  Ziad Itani et la jurisprudence Ziad Doueiri


Pour être sympa, il est sympa. Ziad Itani est en plus un comédien talentueux qui pouvait très bien se passer de cette désastreuse mésaventure qui lui est tombée sur la tête. Il est présumé innocent lui aussi, surtout lui, jusqu'à preuve du contraire, par la justice, cela va de soi. Il n'empêche que certains éléments qui circulent laissent planer un petit doute sur cette présomption. Il a reconnu une partie des accusations portées contre lui, quand il était détenu par la Sureté de l'Etat, « contact et collaboration » avec l'ennemi israélien, avant de se rétracter, en disant avec ironie qu'il avait joué « un rôle ». Il revient à la justice de trancher.

Flash-back. Dans le lot d'informations qui ont circulé après l'arrestation de Ziad Itani le 23 novembre 2017, où on trouvait tout et n'importe quoi, il était facile de perdre son latin et le fil de ses idées. C'était d'ailleurs le but. Ne devait subsister qu'une chose dans les esprits : la culpabilité de Ziad Itani. Les fers de lance pour couvrir cette propagande, et surtout en tirer profit, étaient le journal Al-Akhbar et la chaine Al-Jadeed (New TV).

Avec trois mois et demi de recul, il est très intéressant de dresser un récapitulatif du bazar construit autour de l'affaire Ziad Itani, c'est tout simplement hallucinant. On a dit que le comédien était en contact avec une femme israélienne depuis 2014, mais surveillé seulement depuis l'été 2017 ; qu'il s'avait depuis le début que c'était une officier du Mossad, puis qu'il ne le savait que depuis 2016 ; qu'elle s'appelait Nelly, puis Colette Vianfi ; qu'elle était grande, jolie avec des yeux verts, puis non, c'était une femme quelconque ; qu'il savait qu'elle était israélienne, puis qu'il ne le savait pas ; qu'elle était Hollandaise un moment, puis définitivement Suédoise ; qu'elle a choisi le comédien pour son carnet d'adresses ; qu'il l'a rencontré à Istanbul, puis non, qu'il n'avait rencontré qu'une intermédiaire, mais qu'il communiquait quotidiennement avec elle par vidéoconférence ; question d'argent, ce ne sont pas les versions qui manquent, il a reçu de grosses sommes d'argent, jusqu'à 10 000 $, via des virements de 500 à 1 000 $, destinées à améliorer son look et emmener ses proies aux restos ; puis non, qu'il n'a reçu que 5 000 $ cash à Istanbul ; et que finalement, il a travaillé pour Colette gratuitement, car elle le faisait chanter, le menaçant de révéler qu'il collaborer avec Israël et de diffuser des vidéos sexuelles enregistrées auparavant ; on a dit aussi qu'elle projetait venir à Beyrouth le 2 décembre et qu'elle a même réservé une chambre dans un hôtel de Broumana, et puis pas de bol, comme on a arrêté son pion, Ziad, le 23 novembre, elle a annulé sa réservation et on n'a finalement pas pu capturer cette pétasse d'espionne (malgré beaucoup de recherches, je n'ai pas réussi à savoir, si elle a été remboursée ou pas!) ; la première mission d'espionnage de Ziad Itani était de fournir à Colette l'israélienne, des infos sur la répartition démographiques des communautés à Beyrouth, concernant les zones à dominante musulmane et celles à dominante chrétienne, et de lui indiquer les régions qui sont sous influence sunnite et celle sous influence chiite (impressionnant non, vraie de vraie, dans Al-Akhbar et Al-Jadeed!) ; sa deuxième mission était de contacter des personnalités politiques influentes via leurs proches et leurs conseillers, surtout celles qui sont contre la violence et pour la paix ; qu'il lui faisait des rapports sur tous les journalistes et politiciens qu'il connaissait, notamment Nouhad Machnouk ; et j'en passe et des meilleures. Alors, de deux choses l'une, soit les espions israéliens sont nases, soit les auteurs de ce scénario ne sont pas très doués et qu'ils devraient changer de moquette à fumer!

La photo publiée par le quotidien libanais al-Liwaa le 27 novembre 2017, de "l'officier du Mossad israélien qui a recruté Ziad Itani"n'est autre que celle de l'actrice israélienne Gad Gadot-Varsano, Fast and Furious, Batman v Superman et surtout Wonder Woman, film interdit au Liban en juin 2017, à cause de la participation de son héroïne à des campagnes de promotion de l'Etat d'Israël et de Tsahal. 

Selon les médias 8-marsiens, le contact israélien avec Ziad Itani s'inscrirait dans le cadre général d'une « invasion israélien des réseaux sociaux libanais », avec deux objectifs principaux. D'une part, « créer un lobby politique et médiatique efficace pour promouvoir la paix au Moyen Orient », et indirectement, la « normalisation » des relations entre le Liban et Israël (le mot n'est jamais cité évidemment, ils parlent toujours de « Palestine occupée » ou « d'entité sioniste »). D'autre part, obtenir des informations confidentielles qui pourraient servir Israël dans ses projets d'assassinats ciblés.

Je laisse à tout un chacun la liberté d'évaluer la pertinence de cette hypothèse, sachant d'une part, que ceux qui la propagent, comme Al-Akhbar et New TV, sont des organes d'informations proches du Hezbollah et du régime syrien de Bachar el-Assad, et d'autre part, qu'il y a une nouvelle donne aujourd'hui, celle de la détention du lieutenant-colonel Suzanne el-Hajj pour avoir fabriqué de fausses preuves sur la collaboration de Ziad Itani avec Israël.

Dans tous les cas de figure, si le comédien est vraiment entré en contact avec une femme israélienne, et tant qu'il n'est pas prouvé que ce contact relevait de l'espionnage, il devra être relaxé en vertu de ce que j'ai appelé un jour « la jurisprudence Ziad Doueiri ». On pourrait même l'appeler la jurisprudence Amine Maalouf, l'écrivain, ou Bechara el-Raï, le patriarche maronite. A l'époque où le réalisateur libanais fut arrêté un moment, le 11 septembre 2017, pour s'être rendu en Israël quelques années auparavant afin de tourner un film, puis relâché rapidement et l'affaire classée sans suite, j'avais mis en garde à propos de la violation de l'article 285 qui interdit aux Libanais de se rendre en Israël et d'entrer en contact avec des Israéliens, qu'il ne faudra pas qu'il y ait une discrimination abjecte entre les Libanais à ce sujet : il y aurait d'un côté, des gens bé zaït comme Ziad Itani, Libanais et rien que Libanais, sur lesquels s'applique pleinement le Code pénal libanais, et de l'autre côté, des gens bé samné, comme Ziad Doueiri, Libanais détenteurs de nationalités en or, Française et Américaine pour ce dernier, qui leur accordent une immunité judiciaire de facto, sur lesquels ne s'appliquent qu'une partie de ce Code. En dehors du cas grave d'espionnage, l'article 285 devrait s'appliquer sur tous les Libanais ou ne s'appliquer sur personne.

PS 
Aux dernières nouvelles, Ziad Itani a été libéré le mardi 13 mars, en fin d'après-midi. Aucune charge n'a été retenue contre lui. Aussitôt, il a été reçu par le Premier ministre dans sa résidence de la Maison du Centre. Saad Hariri a fait savoir qu'en dépit de certaines erreurs qui ont été commises « la justice a été réalisée ».  Il a aussi reconnu que « nous ne pouvons pas nier qu'il y a eu une injustice à votre égard, mais l'Etat par ses appareils sécuritaires, sa justice et sa façon d'opérer, a montré qu'il est possible d'appliquer le droit dans ce pays ».

Ziad Itani (mardi 13 mars) : "Le (premier) juge (d’instruction militaire Riad) Abou Ghida libère Ziad Itani et émet un mandat d'arrêt contre le lieutenant-colonel Suzanne el-Hajj"

De son côté, Ziad Itani a salué le président Michel Aoun, le Premier ministre Saad Hariri et le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk. Il a déclaré « qu'il a été torturé après ses soi-disant aveux ». Il a fait savoir qu'il comptait sur la justice pour « révéler ce qui s'est passé » et qu'il avait l'intention de transformer son histoire en une pièce de théâtre.

 10  Y a-t-il une guerre des services de sécurité au pays du Cèdre, entre la Sûreté de l'Etat et les Forces de sécurité intérieure?


Certes, il peut y avoir des bisbrouilles entre les services chargés de la sécurité au Liban, comme dans tous les pays du monde. Mais faire croire que l'affaire Itani-Hajj cache une guerre entre la Sureté de l'Etat (SE) et les Forces de sécurité intérieure (FSI), est exagéré. Les accuser à tort et de travers, comme l'ont fait quelques politiciens, journalistes et activistes, est déplacé. Chacun a fait son devoir et ce qu'il croyait être utile. Quand la Sureté de l'Etat reçoit des indices sur des soupçons de collaboration de Ziad Itani avec Israël, elle ne pouvait pas douter un instant que c'était un coup monté!

Pour le reste, ce n'est qu'une suite logique. Primo, il était normal que face à des accusations graves, la SE ait obtenu l'autorisation du commissaire du gouvernement près de la Cour militaire pour procéder à l'arrestation du comédien. Secundo, il était aussi normal que lorsqu'on a voulu transférer le dossier d'une institution à une autre, la SE ait douté des intentions des FSI et l'ait soupçonné de vouloir étouffer l'affaire Itani. Tertio, il est également normal qu'au final, les dossiers soient gérés par les services de police, les Forces de sécurité intérieure, et les affaires tranchées par le Tribunal militaire, selon les lois en vigueur au Liban. Il n'y a que deux parties qui trouvent que tout cela n'est pas normal, ce sont ceux qui voudraient politiser les services de sécurité libanais et ceux qui aimeraient affaiblir l'Etat libanais. C'est toujours les mêmes et ils sont connus de tous.

PS
Après sa libération le mardi 13 mars en fin d'après-midi, Ziad Itani s'est dirigé vers la résidence privée de Saad Hariri à Beyrouth. Au cours de la réunion, le Premier ministre a fait savoir que « si ces (fausses) informations (concernant Ziad Itani) étaient parvenues à n'importe quel autre appareil (sécuritaire), celui-ci aurait agi de la même manière (que la Sûreté de l'Etat) ».

 11  Faut-il fermer le Bureau de la cybercriminalité au Liban?


Cette affaire est avant tout l'histoire tragique d'une femme exceptionnelle, qui a totalement perdu le contrôle des événements et la raison. S'il y a un problème à soulever, outre les conditions de détention du comédien Ziad Itani, c'est celui d'une certaine dérive du Bureau de la cybercriminalité, pas spécialement par la faute de Suzanne el-Hajj, mais par celle des politiciens libanais, encore une fois, qui font pression pour contrôler davantage la liberté d'expression au Liban.

Comme l'a précisé le dernier rapport d'une ONG américaine dans ce domaine, Freedom House, « les activistes et les journalistes sont confrontés à des arrestations, des interrogatoires et des menaces potentielles pour des discours tenus en ligne, critiquant le gouvernement, les responsables religieux ou l'armée ». Le rapport précise aussi que « le Bureau de la cybercriminalité et des droits de la propriété intellectuelle reste très actif dans le ciblage des activistes, souvent d'une manière qui démontre peu de respect pour la primauté du droit ».

Cela étant dit, réclamer la suppression du Bureau de la Cybercriminalité par certains, est d'une naïveté monumentale. Ces gens font l'impasse sur son extrême utilité de nos jours. Quand un Libanais se permet d'écrire suite à l'attaque terroriste du club Reina à Istanbul lors de la soirée du Réveillon il y a un peu plus d'un an, qui a fait 39 morts dont 3 Libanais, que les victimes méritaient de mourir parce qu'ils buvaient de l'alcool, ce n'est pas de la liberté d'expression, c'est faire l'apologie du terrorisme. C'est un des crimes traités par le Bureau de la cybercriminalité, au même titre que les arnaques électroniques ou la pédophilie. Morale de l'histoire, s'il y a un secteur qu'il faut renforcer c'est bien celui-là. S'il y a un secteur qu'il faut bien encadrer par la loi, c'est encore celui-là. Et s'il y a un secteur qu'il faut mettre à l'abri des manigances politiciennes, c'est toujours celui-là. Ainsi, la veille des élections législatives, il est grand temps que les candidats qui bavent devant le gâteau parlementaire, fassent des propositions concrètes dans cette triple direction.