mercredi 25 mai 2016

Désormais, seul le « conclave parlementaire » permettra d’élire sans caprices le président de la République libanaise (Art.361)


Continuons là où nous nous sommes arrêtés la dernière fois. Je paraphrasais l’artiste américain Andy Warhol, le pater du pop art et du droit de chacun à « fifteen minutes of fame » et je disais avec sarcasme que tout maronite du Liban, d’outre-mer et d’outre-tombe avait droit de croire pendant 15 minutes qu’il pourrait devenir président de la République libanaise, de son vivant ou même d'être déclaré à titre posthume, ce dernier point étant formulé implicitement pour rassurer le général. Toutefois, Andy et moi, nous parlions d’un quart d’heure, pas de 28 ans. Un million de quarts d'heure, en continu, ça ne se fait pas messieurs Aoun et Geagea, cela dépasse la part de l'ensemble de la communauté maronite du Liban. Ainsi, afin qu’on puisse garantir à chaque maronite de nos jours et de nos tombes, son tour à ce fameux quart d’heure de présidentiable, il va falloir mettre un terme à la tragi-comédie qui a assez duré et en finir avec les candidatures farfelues de Sleimane Frangié et de Michel Aoun, cela va de soi, mais aussi réformer la Constitution libanaise pour éviter dorénavant une interminable vacance du pouvoir présidentiel, comme celle que nous connaissons depuis le 25 mai 2014.

L’adoption par Saad Hariri de la candidature du beik de Zgharta et le ralliement de Samir Geagea à la candidature du général de Rabié, n’ont absolument rien changé à la donne présidentielle, n’en déplaise à tout ce beau monde et à leurs sympathisants. La vérité est dans le fait que Hassan Nasrallah a mis en œuvre au printemps 2014, la décision du Guide suprême de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei, de bloquer l’élection présidentielle libanaise jusqu’à nouvel ordre. Et pour cause, la priorité absolue de l'Iran et du Hezbollah aujourd’hui est la Syrie. Leur enlisement dans la guerre civile syrienne leur interdit de revenir en arrière. Certes, les pertes importantes et les nombreux revers qu’ils subissent les affaiblissent, mais contrairement à ce que les naïfs pensent, ceux-ci renforcent la détermination de ces deux entités chiites à vouloir gagner la guerre d’une part, et consolide le soutien de la majorité des communautés chiites iraniennes et libanaises au régime des mollahs et au Hezbollah d’autre part.

Ainsi, l’élection présidentielle libanaise ne figure pas sur la liste des priorités du Hezbollah à cause de la Syrie. A ce motif qui reste secondaire, on peut y rajouter trois motifs fondamentaux.

Primo, le Hezbollah se méfie des présidentiables. Avec le recul, le parti chiite considère qu’il s’est fait avoir avec l’élection de Michel Sleimane. Il a cru que ce dernier marcherait sur les pas de son prédécesseur, Emile Lahoud. Mais la non-intervention du commandant de l’armée libanaise dans la démo de guerre civile qui a eu lieu le 7 mai 2008 dans les rues de Beyrouth et sur les routes du Mont-Liban, n’a pas été un signe de bon augure pour la suite. Dans son habit présidentiel, l’ex-général a réussi à fédérer tous les leaders libanais autour de la Déclaration de Baabda en leur imposant de s'engager à « se tenir à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux... veiller à maîtriser la situation à la frontière libano-syrienne (...) le pays ne pouvant servir de base ou de point de passage pour la contrebande d’armes et l’infiltration de combattants... respecter les résolutions internationales, notamment la résolution 1701 du Conseil de sécurité ». C’était en juin 2012. Hassan Nasrallah avait accepté ces contraintes car il ne savait pas à l’époque que ses miliciens allaient être obligés d’intervenir massivement pour éviter la chute de la tyrannie des Assad. D’ailleurs, le Hezb n’oubliera pas, qu’à quelques mois de la fin de son mandat, Michel Sleimane a assené que « la Déclaration de Baabda est devenue une des constantes (au Liban), au même titre que le Pacte national ».

Secundo, même si le président de la République libanaise a perdu beaucoup de ses prérogatives de l’âge d’or du maronitisme politique, il demeure néanmoins, par le pouvoir de la Constitution libanaise, chef de l’Etat et commandant en chef des forces armées, il est le seul haut personnage de l’Etat libanais à prêter serment de fidélité à la nation et à veiller au respect de la Constitution, il nomme le chef du gouvernement, promulgue ‘seul’ le décret de nomination du président du Conseil des ministres, il promulgue le décret de formation et de démission du gouvernement, ainsi que celui de la démission et de la révocation des ministres, il promulgue le décret de dissolution de l’Assemblée nationale, il préside le Conseil supérieur de Défense et le Conseil des ministres, il convoque le gouvernement à titre exceptionnel, il soumet n’importe quel sujet urgent au Conseil des ministres, transmet à la Chambre des députés les projets de loi, promulgue les lois, accrédite les ambassadeurs, négocie les traités internationaux et les ratifie, et j’en passe et des meilleures. C’est pour dire, le Hezbollah ne peut absolument pas accepter n’importe qui à la magistrature suprême sauf s’il est contraint et forcé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il ne veut ni Michel Aoun ni Sleimane Frangié comme président, en dépit de leur zèle, car il ne leur fait pas confiance. Comme il ne fait pas confiance à quiconque qui n’est pas de la communauté chiite. Hassan Nasrallah l’a dit il y a longtemps : la force du Hezbollah vient du fait qu’il est secret et ce secret est dû à la nature exclusivement chiite du mouvement.

Tertio, le Hezbollah ne croit pas au système politique libanais. Il le fait régulièrement savoir, directement ou indirectement. La dernière fois, c’était il y a quelques mois. A l’occasion de la nouvelle année 2016, cheikh Naïm Qassem, le numéro deux du Hezbollah, est apparu au petit écran pour annoncer à ces compatriotes, maronites, sunnites, orthodoxes, druzes, arméniens, chiites, bouddhistes et athées, que « le projet du Hezbollah demeure l’établissement d’une République islamique chiite au Liban ». C’est à peine croyable, mais vous n’avez qu’à vérifier vous-même, c’était il y a moins de cinq mois. Pour y parvenir, il faudra dans un premier temps dynamiter la parité islamo-chrétienne, qui constitue le fondement de la nation libanaise, pour instaurer le tripartisme christiano-sunnito-chiite. La suite est facile à prévoir. On dépoussière les compteurs des naissances pour les remettre en marche et l’histoire sera écrite par les vainqueurs, sur le plan démographique, cela va de soi.

Des déclarations des dirigeants du Hezbollah qui rejettent le système libanais, mais aussi la culture, la tradition ou l’histoire du Liban, ainsi que les coutumes du pays du Cèdre, il y en a beaucoup. Prenons par exemple, le délire de Mohammad Raad, un des idéologues du Hezbollah, député since 1992 et président du bloc parlementaire du parti, en novembre 2013. « Le visage du Liban maintenant est le visage résistant. Avant l’avènement de la Résistance (autodésignation du Hezbollah), nous regardions la carte internationale, politique et géographique, mais nous ne voyions pas le Liban à cause de sa petite superficie et parce qu’il n’avait pas de rôle. Il était suiveur. C’était un espace de transactions, de boîtes de nuit, de services, de commissions et de blanchiment d’argent. C’était le Liban. Mais maintenant, il faut créer un nouveau Liban qui soit en harmonie avec l’existence d’une Résistance (la milice chiite). »

Et comme si de rien n’était, voilà que Saad Hariri et Samir Geagea, et leurs fidèles sympathisants, n’ont pas trouvé mieux que de proposer Sleimane Frangié et Michel Aoun, comme présidents de la République libanaise, sachant que l’un comme l’autre considère qu’ils ne forment « qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah », qui est « le souverain de tous » pour le premier et « un chef exceptionnel » pour le second. Eh bien, il n’y a pas que Mohammad Raad qui délire !

Dans ces conditions, comment peut-on imaginer un Hezbollah facilitant l’élection présidentielle libanaise ? A moins qu’il ne soit contraint et forcé, il ne le fera pas de son propre gré et de sitôt. Cette échéance électorale ne lui apporte rien en ce moment, malgré les bourdes de ses adversaires. Pire encore, elle présente un risque à court terme et remet en cause son projet à long terme. Rajouter à tout cela, que par sa capacité de blocage, le parti chiite détient une carte importante entre ses mains. Pourquoi l’utiliser maintenant et la griller ? Mieux vaut la garder pour les jours difficiles, et il y en aura, forcément. En attendant, nous entrons dans la 3e année de vacance du pouvoir et rien ne nous pousse à être optimistes.


Toujours est-il que s’il est difficile de dire comment on peut s’en sortir, une chose est sûre et certaine à ce stade. Dans un pays aussi disloqué et immature que le Liban, où les esprits sont communautaires et les institutions sont grippées, la Constitution doit être revue et corrigée dès qu’il sera possible, afin de garantir au peuple libanais un fonctionnement démocratique minimal. Précisons d’emblée qu’une telle révision constitutionnelle doit être réduite au strict minimum car il ne peut être question d’ouvrir un chantier législatif alors qu’un des protagonistes de l’échiquier politique, le Hezbollah, est lourdement armé et ne croit pas au « système libanais ».

3. Au niveau du pouvoir législatif
 
Aussi condamnable soit-elle, il n’est pas judicieux d’interdire toute prorogation du mandat des parlementaires dans un pays comme le Liban et une région comme le Moyen-Orient. On peut se retrouver un jour où l’autre comme en 1976, dans des conditions qui empêchent vraiment la tenue d’élections législatives au Liban. Par contre, il est indispensable pour la démocratie, de mettre un terme à l’abus des représentants de la nation, qui seraient tentés pour des considérations politiciennes, d’échapper au jugement du peuple en s’auto-prorogeant leur mandat. Ce fut le cas entre 2013-2014. Le motif sécuritaire invoquée par l’écrasante majorité des députés, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, s’est révélé être bidon, comme l’a confirmé la bonne tenue des trois rounds d’élections municipales dans les régions de Beyrouth, de la Bekaa, du Mont-Liban et du Sud-Liban, en ce mois de mai. On ne peut pas accepter sur le plan éthique, de payer des députés plus de 350 000 $ chacun, sans compter les innombrables avantages directs et indirects, soit plus de 45 millions $ d’argent public au total octroyés à 128 valeureux représentants de la nation pour qu’ils soient aussi peu efficaces et « légiférer par nécessité », une ou deux fois au cours du mandat bonus, en violation délibérée de la Constitution libanaise en cas de vacance présidentielle. Une seule réforme dissuadera les députés de s’autoproroger leur mandat, c’est l’arrêt total de leur rémunération en cas de prorogation du mandat du Parlement. Si c’était le cas en 2013, soyez-en sûrs, les parlementaires libanais n’auraient pas prorogé leur mandat de 4 années, soit d’un mandat entier.

2. Au niveau du pouvoir exécutif
 
Deux problèmes majeurs affectent le bon fonctionnement du pouvoir exécutif libanais : les interminables négociations pour composer le gouvernement et le boycott des réunions du Conseil des ministres au gré des intérêts politiciens. Pour y remédier, il faut donc envisager deux réformes. D’une part, instaurer une date butoir de 2, 4, 8 ou 16 semaines, qu’importe, mais enfin, un délai suffisant pour qu’un nouveau Premier ministre soit nommé, forme son gouvernement et se présente devant l’Assemblée nationale pour obtenir sa confiance. Passé le délai, le Premier ministre est révoqué et un autre est nommé à sa place. D’autre part, tout ministre devrait avoir droit à un carnet de 5, 10 ou 15 absences autorisées. Une fois que celui-ci est épuisé, le ministre doit être congédié et remplacé. On ne peut plus tolérer qu’on boude, qu’on se retire et qu’on attende des mois et des mois qu’un zéphyr se lève pour adoucir les humeurs et faire changer d’avis les capricieux de la République.

1. Au niveau du pouvoir présidentiel

Le Liban a connu quatre périodes de vacance présidentielle depuis son indépendance en 1943 : sous Fouad Chehab & Ahmad Assaad (en 1952, elle n’a duré que 5 jours), sous Michel Aoun & Hussein Husseini (1988-1990 : 751 jours svp, sans président ou avec des présidents qui n’ont pas pu exercer leur pouvoir), sous Fouad Siniora & Nabih Berri (2007-2008 : 183 jours) et sous Tammam Salam & Nabih Berri (depuis le 25 mai 2014 : 731 jours, wel kheir la 2eddém). Ainsi, nous avons été sans président, officiellement ou de facto, 1 670 jours au total, soit 4,5 ans au cours de 72,5 ans d’indépendance, càd plus de 6% du temps. Dans 20 jours, nous battrons notre propre record. Tout indique que la période de vacance que nous vivons actuellement durera encore longtemps.

Vu ces données, on peut imaginer facilement à quel point le poste du président de la République libanaise, réservé selon le Pacte national islamo-chrétien de 1943 à un Libanais de confession chrétienne maronite, fait l’objet de marchandage et de chantage politiques. Ceci n’est pas le cas ni pour le poste de Premier ministre, réservé à un Libanais de confession musulmane sunnite, ni pour celui du chef du Parlement, réservé à un libanais de confession musulmane chiite, l’attribution des deux postes n’ayant pas posé de gros soucis au Liban dans le passé. Et pourtant, les désignations des heureux élus pour ces trois hauts postes de la République libanaise, obéissent à des processus démocratiques simples à appliquer, à condition d’avoir un minimum de bonne volonté et de désintéressement, qui n’est apparemment plus le cas au pays du Cèdre depuis une trentaine d’années. Non mais sérieusement, peut-on faire plus simple et plus clair que l’article 74 de la Constitution libanaise qui stipule « qu’en cas de vacance de la présidence par décès, démission ou pour toute autre cause, l’Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau Président » ? "Immédiatement" veut dire précisément "sans marquer de temps d'arrêt", et "de plein droit" veut dire en gros, qu'on peut se passer des rendez-vous fixés au compte-gouttes par l'apothicaire du perchoir, beï el misaqiyé (le père du respect de l'esprit du pacte national de 1943), comme disent Hariri et Geagea, et se réunir quotidiennement trois fois par jour !

Le hic dans l’élection présidentielle libanaise c’est le fameux quorum pour valider toute séance électorale au Parlement. La Constitution libanaise n’est pas suffisamment explicite à ce sujet. Certains contestent la règle des 2/3 qui a toujours été appliquée. Peu importe. Pour mettre un terme définitif aux interprétations des uns et contre-interprétations des autres, nous devons inclure dans la Constitution un processus électoral qui a eu largement le temps au cours des siècles pour faire ses preuves, le procédé papal, en instaurant le principe du « conclave parlementaire » pour élire le président de la République libanaise, par l’enfermement des députés libanais au siège du Parlement place de l’Etoile, jusqu’à l’apparition de la fumée blanche

Fumée blanche, chapelle Sixtine (Vatican)
Photo Dylan Martinez, Reuters (2013)

Le Vatican applique ce procédé électoral depuis l’an de grâce 1271, justement, à la suite d’une vacance du Saint-Siège qui a duré près de 3 ans (encore un effort messieurs et mesdames les députés et nous y serons). Pour l’anecdote (et ça vaut le détour pour nous autres citoyens), il faut savoir que le collège électoral de l’époque était dominé par les cardinaux français, une minorité de cardinaux italiens détenait le pouvoir de blocage (alors, ça vous rappelle quelque chose ?). Excédés par l’incapacité de ces cardinaux à faire leur devoir (ah, on est bien placés pour le comprendre), la population de Viterbo, une ville italienne qui se situe à 70 km de Rome (à l’époque l’élection se déroulait dans la ville où le pape mourrait) décidèrent dans un premier temps, au bout d’un an et demi seulement (nous, on est à deux ans et nous ne faisons toujours rien), d’enfermer les cardinaux cum clave, « avec une clef » (chez nous, Nabih Berri l’a fait, entre 2006-2008, en enfermant les parlementaires dehors, comme dirait Albert Dupontel !). La mesure n’étant pas suffisante, ils les réduisirent dans un deuxième temps, au pain et à l’eau (au Liban, on est au tabboulé, au chawarma et au hommous, et toujours rien). L’entente n’étant toujours pas au rendez-vous (comme au Liban), la population italienne choisit dans un troisième temps d’ôter le toit du palais pontifical de la ville (ils avaient de sacrés ancêtres ces Italiens). Il a fallu au total 15 mois de pression de la population pour que les cardinaux élisent Tebaldo Visconti, comme le 184e pape (qui sera connu sous le nom de Grégoire X), et 6 mois supplémentaires, pour que l’heureux élu passe du Royaume de Jérusalem (un des quatre Etats latins d’Orient fondés après la Première croisade), où il était archidiacre, à Rome, où il devient chef de l’Eglise catholique romaine. C’est dans ces conditions rocambolesques qu’est né le principe de l’élection du pape en conclave.

Toujours est-il que c’était des hommes d’Eglise et du Moyen-Age. Ils étaient forcément plus résistants. Mais, aujourd’hui, avec les enfants gâtés de la République libanaise, qui vivent allégrement aux frais de la princesse, de l’Etat et des contribuables, les députés libanais ne résisteraient pas 72 heures à un mode de vie aussi austère et draconien. Pour nous assurer des institutions fonctionnelles, nous devons nous battre pour imposer ces trois idées de réforme de la Constitution dans la campagne électorale des prochaines élections législatives. Elles sont simples à appliquer et efficaces pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. De telles propositions devraient faire l’unanimité et ne pas poser de problèmes particuliers à tout esprit honnête, démocratique et bien intentionné, qui se préoccupe vraiment de l’intérêt suprême de la nation libanaise et des citoyens libanais. Pour les imposer, il faut en parler inlassablement et menacer tout candidat à la députation d’être privé de voix s’il n’annonce pas urbi et orbi à s’engager de voter « la diète financière en cas de prorogation parlementaire », « l’instauration d’une date butoir pour la formation d’un nouveau gouvernement », « la limitation du boycott des conseils des ministres » et enfin, « la mise en place du conclave parlementaire », pour en finir une fois pour toutes avec les vacances à répétition du poste de président de la République libanaise et surtout, pour préserver la magistrature suprême des mauvais desseins de certains.

vendredi 20 mai 2016

Voilà 123 jours que Geagea s’est rallié à Aoun, et toujours, beaucoup de bruit pour rien (Art.360)


Samir Geagea et Michel Aoun
Meerab, le 18 janvier 2016
Photo: Aldo (site FL)
L’argument majeur de Samir Geagea pour se(nous) persuader qu’il n’a pas pris une mauvaise décision le 18 janvier 2016, c’est d’asséner régulièrement, la dernière fois le soir des élections municipales dans la région du Mont-Liban, que sa nouvelle alliance avec Michel Aoun est plébiscitée par 2/3, 3/4, 4/3 ou 16/9 des chrétiens du Liban.

Nul ne conteste le symbolisme de la réconciliation personnelle interchrétienne et ses répercussions sur les bases militantes du parti des Forces libanaises et du Courant patriotique libre. La dépressurisation de la rue chrétienne, ou musulmane d’ailleurs, devrait toujours être encouragée au pays des guerres qui n'en finissent pas et des 18 communautés religieuses et athées. Cependant, il sera question
dans cet article d’aller explorer au-delà de ce symbolisme, surtout à quelques jours du 2e anniversaire de la vacance du pouvoir présidentiel au Liban. Aujourd’hui, 123 jours sont passés au retrait de la candidature de Samir Geagea en faveur de celle de Michel Aoun, annoncé en grande pompe à Meerab. Nous avons donc suffisamment du recul pour faire un premier bilan.

I. INFLUENCE DU RALLIEMENT DE GEAGEA A AOUN SUR LE DOSSIER PRÉSIDENTIEL

Zappons d’abord cette croyance mythologique selon laquelle le soutien de hakim au général aurait empêché l’arrivée du beik de Zagharta à Baabda. « Frangié président » était une tentative malheureuse du Courant du Futur pour revenir au pouvoir et qui n’était en réalité qu’un projet mort-né concocté par un parti au bord l’implosion due à une accumulation de concessions qui ne cessent d’exaspérer la rue sunnite et quelques personnalités importantes qui y sont proches, comme Achraf Rifi, le ministre de la Justice. D’ailleurs, les élections municipales de Beyrouth l’ont prouvé, la liste composée par le « rouleau compresseur », le parti de Saad Hariri, renforcée par une coalition de tous les partis politiques traditionnels, sans le parti chiite de Dahiyé mais avec la bénédiction du patriarche orthodoxe, a peiné à franchir ne serait-ce que la barre symbolique des 10% des électeurs inscrits de la capitale libanaise. Bref, le projet farfelu de coucher Sleimane Frangié dans les beaux draps de Baabda, n’avait aucune chance de se concrétiser dès le départ, à moins de provoquer une rupture entre le Futur et sa base électorale. N’en parlons pas aujourd’hui ! Celui qui se considère comme le « frère de Bachar el-Assad » et qui ne forme « qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah » qui serait selon lui « le souverain de tous », vient de commettre une énième bourde éliminatoire pour tout patriote libanais, notamment de la rue sunnite, une erreur qui devrait l’écarter définitivement de la course présidentielle. Il n’a pas trouvé mieux que d’aller présenter ses condoléances aux dirigeants du Hezbollah le 13 mai, au lendemain de la mort d’un de leur haut cadre militaire et non des moindres, Moustafa Badreddine. Dans ce sillage, on peut dire aussi la même chose du projet farfelu de coucher Michel Aoun dans les beaux draps de Baabda. Le général également, qui considère que « Bachar el-Assad mérite le prix Nobel de la paix dans sa lutte contre le terrorisme » et qui ne forme « qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah », qui serait selon lui « un chef exceptionnel » (notez ce parallélisme saisissant entre Aoun et Frangié !), vient de commettre à son tour une énième bourde éliminatoire pour tout patriote libanais, notamment de la rue chrétienne, une erreur qui devrait l’écarter définitivement de la course présidentielle. Il n’a pas trouvé mieux que d’appeler Hassan Nasrallah le surlendemain de la mort de Moustafa Badreddine, le 14 mai, pour lui présenter ses condoléances. Je rappelle à celles et ceux qui faisaient le tour du monde les cinq dernières années, à la brasse ou à cloche-pied, que l'homme en question, qui a été tué lors d'une explosion près de Damas le 12 mai, est accusé par le Tribunal Spécial pour le Liban de l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, le père de Saad Hariri, et de 21 autres personnes, le 14 février 2005. Ainsi, l’idée que le soutien de Geagea à Aoun aurait empêché, empêche et empêchera Frangié d’accéder à Baabda, n’est pas réaliste.

Zappons ensuite l’idée fantaisiste avec laquelle on voudrait persuader les Libanais que le soutien du président des Forces libanaises (FL) au leader de facto du Courant patriotique Libre (CPL) aurait coincé le chef du Hezbollah. Si de grandes plaies comme celles infligées par le 7-Mai, le Tribunal spécial pour le Liban et la guerre civile syrienne n’ont pas abouti à le « coincer » comme certains le voudraient, alors ce n’est certainement pas cette égratignure politique qui le fera. En plus, là encore, tout le monde savait, j’en ai parlé il y a des années de cela, le Hezbollah ne veut ni de Michel Aoun ni de Sleimane Frangié comme président, il ne leur fait pas confiance. Comme il ne fait pas confiance à quiconque qui n’est pas de la communauté chiite. Hassan Nasrallah l’a dit il y a longtemps : la force du Hezbollah vient du fait qu’il est secret et ce secret est dû à la nature exclusivement chiite du mouvement.

Zappons enfin l’aberrante allégation qui décrète que cette initiative a changé le dynamisme de l’élection présidentielle libanaise. Valide les premiers jours, mais quatre mois plus tard, on est plus que jamais enlisé dans la vacance du pouvoir présidentiel. Au lieu de raccourcir la vacance présidentielle, le ralliement de Geagea à Aoun ne fait que la prolonger, ce qui prouve que cet argument est aujourd’hui périmé.

La vérité est dans le fait que le Hezbollah a pris la décision au printemps 2014 de bloquer l’élection présidentielle libanaise jusqu’à nouvel ordre. Ne pas l’avoir compris en 2014 est excusable, ne pas le comprendre même en 2016, est impardonnable.

II. LA NOUVELLE ALLIANCE CHRÉTIENNE ET LA LOI ÉLECTORALE

Comme on vient de le voir, sur le « dossier présidentiel », le rapprochement Geagea-Aoun n’a rien donné. Certains diront que les bénéfices du 18-Janvier ne se répercutent pas sur l’élection présidentielle mais sur tout le reste. Comme par hasard ! Alors, pourquoi soutenir Aoun dans sa fatigante course présidentielle ? Enfin, admettons encore. Dans ce reste, on retrouve trois grands dossiers : nationalité libanaise, loi électorale et élections municipales.

Oui le duo maronite a réussi brillamment à valider la récupération de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais, une revendication chrétienne négligée depuis l’effondrement de l’Empire ottoman, alors que celle-ci devait permettre à toutes les communautés libanaises d’en profiter. Excellente chose sauf que Geagea et Aoun ont obtenu ce résultat en novembre 2015, deux mois avant la fusion politique dans la course présidentielle. Le ralliement de Geagea à la candidature d’Aoun était donc totalement inutile sur ce point.

Sur l’autre dossier capital, une nouvelle loi électorale, on n’a rien et on n’est pas prêts d’en avoir. Vous en doutez ? Résumons la situation en trois actes.

Acte I. D’un côté, on constate que la séparation politique est consommée entre le Futur et les FL, à cause de l’adoption par le premier de la candidature Frangié (l’adversaire des FL), qui a poussé les derniers à adopter celle d’Aoun (l’adversaire du Futur). D’un autre côté, on note que la séparation politique est tout aussi consommée entre le Hezbollah et le CPL, à cause de l’abstention du premier de concrétiser son soutien à son fidèle allié, Michel Aoun. Cependant, on constate qu’aucun des protagonistes ne veut rompre complètement cha3rit mou3awiya, puisqu’il sait qu’il est indésirable dans l’autre camp.

Acte II. Si Aoun n’a pas rompu avec le Hezbollah, malgré l’ingratitude et la défiance de ce dernier à son égard, c’est pour deux raisons. D’une part, parce que le Futur reste son pire adversaire. Et comme l’ennemi de mon ennemi est forcément mon ami, il ne saurait être question de rompre avec le Hezbollah malgré les coups bas de ce dernier. D’autre part, parce qu’il sait que la loi électorale de 1960 peut ne jamais être remplacée ou au mieux, l’être avec une loi électorale de même nature. Dans ces conditions, mieux vaut pour le CPL de garder son alliance avec le Hezb, ce qui lui permettra d’obtenir la part du lion aux prochaines législatives. Deux facteurs l’encouragent dans cette voie : la brouille profonde entre le Futur et ses compétiteurs, les FL, qui garantit au CPL d’être en pole position dans la course législative si la loi de 1960 est maintenue ; Aoun connait bien l’importance de rafler la mise législative car ce sont ces élections qui détermineront le poids politique de chacun, la présidentielle étant symbolique et de faible portée au Liban. Gagner les élections législatives permet d’avoir son mot à dire dans la formation du prochain gouvernement et la future présidentielle, mais aussi dans le vote des lois et les nominations administratives.

Acte III. Samir Geagea et Michel Aoun, mais aussi Samy Gemayel, ont grosso modo la même vision concernant la loi électorale : les trois leaders chrétiens rejettent catégoriquement la loi de 1960 (quoique le général peut s’en accommoder comme on l’a vu) et les trois sont conscients de la nécessité absolue d’avoir une loi plus représentative. Pour les détails, c’est une autre affaire. De l’autre côté, les leaders politiques musulmans ne sont pas complètement de cet avis. Walid Joumblatt, le leader « socialiste progressiste », ne sait pas quoi faire depuis 7 ans pour garder la loi électorale féodale de 1960. Elle lui donne un poids politique sans commune mesure avec son poids réel. Il a même tenté de reporter les élections municipales, pour ne pas être mis à nu. Saad Hariri non plus n’est pas pressé de changer la loi électorale actuelle. Elle lui convient parfaitement : grande circonscription et scrutin majoritaire, le Futur ne peut pas rêver mieux. A un moment où la rue sunnite gronde et la rue chrétienne est mécontente, le parti risque de sortir des prochaines législatives affaibli. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que le scrutin municipal s’est très mal déroulé à Beyrouth : tous les partis réunis autour du Futur n’ont récolté que 9% de voix des électeurs inscrits. Nabih Berri et Hassan Nasrallah sont encore moins pressés de changer la loi électorale du fait que les fiefs électoraux chiites sont verrouillés sur les plans politique et démographique.

Epilogue, je doute fort bien dans ces conditions, que les Libanais aient une bonne loi prochainement ou ne serait-ce qu’une bonne nouvelle sur le front de la loi électorale. Le soutien de Geagea à Aoun n’a absolument rien changé dans ce domaine. Et là encore, la coordination entre les deux partis pouvait se faire sans cette fusion présidentielle stérile. Dans tous les cas, le rapprochement des leaders chrétiens a toutes les chances de raidir les positions politiques des leaders musulmans sur la loi électorale. Tout cela n’est pas de bon augure pour l'ensemble des Libanais et pour la démocratie libanaise.

III. LES BATAILLES MUNICIPALES MENÉES PAR LES FL ET LE CPL

Le bénéfice de la nouvelle alliance Geagea-Aoun sur les élections municipales est un non-sens. Depuis des décennies, nous n’avons connu qu’une seule fois des élections municipales libres, c'était en 2010. Et justement parce que ces élections ont essentiellement un enjeu local, celles-ci se déroulaient d’une manière très simple dans les villages chrétiens ou mixtes : le CPL constituait/intégrait une liste, les FL une autre, et les gens choisissaient en toute liberté, la compétition étant toujours bénéfique à l’offre électorale et à la démocratie. Selon les poids électoraux dans les villages, telle liste gagnait, toute entière, ici ou là, telle liste perçait, partiellement, ici ou là. La nouveauté 2016 avec la formation de listes communes FL-CPL n’a pas changé radicalement la donne. Qui n’a pas de poids sur le terrain a été barré, même s’il figurait sur une liste en béton (c’est le cas emblématique du frère du numéro 2 des FL, Georges Adwan, qui a été éliminé de la liste FL-CPL de Deir el-Qamar), et qui avait du poids a percé, même s’il était exclu de l’entente (à Deir el-Qamar justement où les candidats soutenus par Dory Chamoun ont décroché le tiers des sièges municipaux et des maires). C’est le principal avantage du système des listes, l’entente politicienne n’est pas vraiment la panacée, les électeurs libanais restent souverains.
Pour la promotion de ce concept inédit, les leaders chrétiens ont mis en avant l’intérêt des citoyens. C’est fort aimable de leur part sauf qu’ils ont omis de préciser que cette tactique est avant tout dans l’intérêt des partis chrétiens et non des citoyens, nuance ! Si les électeurs ont pu choisi en 2016 comme en 2010, en toute liberté, c’était souvent sans véritable compétition, comme dans le cas du tandem chiite d’ailleurs, avec une offre électorale pauvre. Ce procédé politique rappelle l’entente commerciale entre des entreprises du même secteur, pour sortir les mêmes produits et adoptés les mêmes prix, ce n’est jamais dans l’intérêt des consommateurs.
En pratique, le survol des résultats des élections municipales dans le Mont-Liban permet de dégager une preuve de plus que l’entente interchrétienne est une mascarade. Tout le monde se déclare gagnant, du côté des FL comme du CPL, y compris du côté des Kataeb et des grandes familles, qui ont fait bande à part dans certaines régions et qui ont rejoint les FL et le CPL dans d’autres. On peut dire aussi que cette entente n’a pas empêché les affrontements d’avoir lieu entre le CPL et les FL là où Aoun a estimé que la bataille était décisive pour ses intérêts personnels.

A Jounieh par exemple, Michel Aoun a mis tout son poids politique afin de s’assurer une écrasante victoire face à Samir Geagea, en politisant la bataille (comme si la route de Baabda devait passer par Jounieh !), en adoptant des slogans populistes grotesques (« Jounieh, capitale des chrétiens orientaux ») et en faisant intervenir directement ses proches (Nicolas Sehanoui et surtout, le général Chamel Roukouz, le sujet de la discorde, qui aurait officieusement hérité du siège parlementaire de son beau-père au Kesrouan, au grand dam de Samir Geagea et de Gebrane Bassil, ce dernier devant retenter sa chance dans le caza de Batroun vraisemblablement). Pour garder à l’entente de Meerab une certaine consistance, malgré la fausse note, les FL ont adopté un profil bas à Jounieh. Dès la fermeture des bureaux de vote dans le chef-lieu du Kesrouan, Samir Geagea s’est empressé d’annoncer urbi et orbi que les résultats des municipales de Jounieh ne remettront pas en cause son soutien à Michel Aoun. L’homme semble donc y tenir. Nous devons en prendre acte.

IV. BILAN DE 123 JOURS DE RALLIEMENT ET DE 345 JOURS DE RAPPROCHEMENT

Ainsi, on peut dire que les 123 jours écoulés, voire les 234 ou même les 345, n’apportent pas de quoi convaincre sérieusement les citoyens libanais, notamment chrétiens, de la double utilité du rapprochement FL-CPL et du ralliement Geagea-Aoun. Les répercussions de l’un et de l’autre sur les grands dossiers qui ont marqué les deux dernières années, depuis l’installation de la vacance présidentielle à Baabda le 25 mai 2014, sont dérisoires :

- le vote d’une nouvelle loi électorale : nous sommes plus que jamais plongés dans les palabres, depuis 7 ans svp, la nouvelle alliance ne changeant rien à la donne, bien au contraire (voir plus haut);
- l’organisation des élections législatives : reportées pour un motif sécuritaire peu convaincant, report approuvé par le tandem FL-CPL, alors que l’organisation des élections municipales ont prouvé qu’on aurait pu très bien les faire s'il y avait une volonté politique pour cela ;
- la prorogation parlementaire : pour un mandat entier de 4 ans, approuvée de facto par les deux partis chrétiens et payée par les contribuables, comme si de rien n’était ;
- la violation de la Constitution par l’invention de l’hérésie de la « législation de nécessité » : avec la contribution active du duo chrétien, alors qu’il n’y a aucun doute sur ce point, il est illégal de légiférer au Liban en cas de vacance de la présidence de la République ;
- la récupération de la nationalité libanaise : qui aurait pu se faire sans rapprochement et ralliement ;
- la rupture de l’alliance signée en 2006 entre Hassan Nasrallah et Michel Aoun : aucun effet ; le général a considéré son allié, quelques jours seulement après le show de Meerab, comme un « chef exceptionnel », avec qui il ne formait « qu’une seule personne », comme Sleimane Junior d’ailleurs; il vient même de présenter ses condoléances à Hassan Nasrallah pour la mort de Moustafa Badreddine, comme le beik de Zgharta ;
- le détachement du général de son alignement sur l'axe régime d'Assad - régime des mollahs : aucun effet ; Aoun a encore considéré, pour la énième fois depuis 2011, comme Sleimane Frangié, que « la fin de la guerre en Syrie a commencé » et qu'elle se conclurait en faveur du tyran de Damas forcément ;
- l’afflux massif de réfugiés syriens au Liban : qui s’est fait alors qu’Aoun et Nasrallah tenaient seuls les rênes du pouvoir exécutif au Liban entre 2011 et 2014 ; depuis, malgré les répercussions importantes sur la vie économique et sociale au pays du Cèdre, à part quelques déclarations populistes sur le risque d’implantation définitive des réfugiés syriens au Liban, le duo FL-CPL n’a même pas abordé ce dossier épineux ;
- la sécurisation de la frontière syro-libanaise par le déploiement de l'armée libanaise et son contrôle d'une main de fer dans les deux sens : aucune avancée malgré le fait que le nouvel allié de Geagea est un vieil allié du Hezbollah et du régime syrien ; 
- les élections municipales : rapprochement et ralliement peu intéressants pour les citoyens sachant que l'objectif inavoué du tandem chrétien est de permettre aux deux partis FL et CPL de s’assurer une présence conjointe dans les Conseils municipaux ;
- la vacance du pouvoir présidentiel : alors que Samir Geagea et Saad Hariri s’acharnent pour défendre leurs candidats présidentiels respectifs, Michel Aoun et Sleimane Frangié ne se sont pas donné la peine d’assister aux 38 dernières séances électorales du Parlement.
Alors là, chapeau les gars !


Il me semble que ceux qui ont été froissés par mon dernier article de soutien à Dory Chamoun, face à l’offensive déplacée du tandem Geagea-Aoun à Deir el-Qamar, et celles qui ont été offusquées par ma proposition de l’élire comme président de la République, qui a rencontré un grand succès soit dit au passage, voudraient plutôt porter Michel Aoun à Baabda, comme le souhaite Samir Geagea d'ailleurs. Enfin, « pourquoi pas ». Pas pour l’élire, mais pour le délire. Pour paraphraser l’artiste américain Andy Warhol, le pater du pop art et du droit de chacun à « fifteen minutes of fame », je dirais avec sarcasme que tout maronite du Liban, d’outre-mer et d’outre-tombe, jusqu’à la 7e génération, négociable, a droit de croire pendant 15 minutes, qu’il peut devenir président de la République libanaise, de son vivant ou même à titre posthume . Andy et Bakhos parlent d’un quart d’heure, pas de 28 ans ! Un million de quarts d'heure, ça ne se fait pas messieurs, cela dépasse la part de l'ensemble de la population maronite du Liban ! Riyad Salamé, Ziad Baroud, Carlos Eddé, Jean Kahwajé, Chemel Roukouz, Gebrane Bassil, Bakhos Baalbaki, et j’en passe et des meilleurs. A chaque maronite son tour, voyons. Qu’importe, mais il est urgent d’en finir avec les candidatures farfelues de Michel Aoun et de Sleimane Frangié. La tragi-comédie a assez duré. Basta Cosi.

samedi 14 mai 2016

Geagea et Aoun devraient porter Dory Chamoun à Baabda, au lieu de lui chercher des noises politiciennes à Deir el-Qamar (Art.359)


On ne peut pas faire passer les manœuvres politiciennes de Deir el-Qamar en 2016 pour un acte électoral banal de la vie démocratique libanaise. C’est une couleuvre bien difficile à avaler.

Flash-back. Le 7 mai 2008, alors que je suis de passage à Beyrouth, je reçois un appel de mes proches qui se trouvaient à l’étranger. Après une brève description de la situation, j'explique à mes interlocuteurs que maintenant que le Hezbollah s’embourbe dans les rues et sur les routes libanaises, le 14-Mars profitera de la situation pour imposer l'élection de Dory Chamoun comme président de la République libanaise, à la majorité relative. Naïf que je suis, d'être aussi sûr de moi et d'avoir autant confiance dans le 14-Mars. Tout le monde connait la désastreuse suite des événements. Abdication, kellou chakh batata, puis Doha, tebwiss lé7é, et élection présidentielle, wa hallouma jara. C’était ce qu’on peut appeler avec le recul, a wishful thinking.

Huit ans plus tard. Nous sommes de nouveaux dans une période de vacance du pouvoir, Dory Chamoun est toujours disponible, le Hezbollah s'embourbe dans les rues et sur les routes syriennes et mon vœu n’a pas été exaucé. Alors de grâce, messieurs Samir Geagea et Michel Aoun, vous ne trouvez pas que vous ferez mieux, pour le Liban et dans l’intérêt des communautés chrétiennes, de porter l’ex-maire de Deir el-Qamar jusqu’au palais de Baabda, au lieu de chercher des noises à ce gentleman pour quelques sièges municipaux ?

Les nouveaux alliés justifient leur forcing à Deir el-Qamar par la constitution de la liste soutenue par Dory Chamoun et les Kataeb, avec Naji Boustani, un ex-conseiller d'Emile Lahoud et l'avocat des généraux relaxés par le Tribunal Spécial pour le Liban. Et pourtant, l'homme en question, est le frère de Zahi Boustani, l'ancien chef de la Sûreté générale et un des plus proches conseillers de Bachir Gemayel, président de la République libanaise et chef des Forces libanaises. Naji Boustani était plus tard conseiller de Michel Sleimane, opposant à Walid Joumblatt, depuis les années 1990 d'ailleurs, et conciliateur entre Dory Chamoun et sa nièce, Tracy, trois tâches tout à fait honorables. Et il est peut-être là le problème, puisque le beik de Mokhtara semble vouloir lui aussi la chute de la liste Chamoun ! Il y a également un autre nom qui a froissé les nouveaux alliés, c'est celui de Fadi Honein, président de la liste qui dérange, le neveux de Mounir Honein, magistrat de la période d'occupation syrienne, l'actuel président de la municipalité de Deir el-Qamar. Argument quelque peu surprenant sachant que le général lui-même, son parti, sa télévision et tous ses canaux terrestres, maritimes et satellitaires, ne cessent depuis le soutien de Geagea à Aoun le 18 janvier 2016, d'affirmer leur positionnement aux côtés du dernier tyran des Assad et du Hezbollah ! Dernier exemple en date, hier vendredi, où la chaine OTV a considéré que 
« Moustafa Badreddine, un autre martyr... est tombé pour que nous ne tombons pas, pour que la patrie ne tombe pas... Il est maintenant au-dessus des mots, des dirigeants et des jugements... Son sacrifice est plus sacré que toute profanation ». Disons qu'ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère pour montrer leur fidélité à la milice chiite ! Mais pour s'entendre avec Dory Chamoun, les gars n'y arrivent pas. A tout hasard, pour celles et ceux qui faisaient le tour du monde à la nage les cinq dernières années, l'homme en question, qui a été tué lors d'une explosion près de Damas la veille, est accusé par le Tribunal Spécial pour le Liban de l'assassinat de l'ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes, le 14 février 2005.

Deir el-Qamar est aujourd’hui l’un des derniers coins pittoresques du Liban. C’est incontestablement le plus charmant de tous les villages libanais et le plus chargé d’histoire. A partir du 16e siècle, la région a été dominée par les dynasties des Maan (de confession druze) et des Chehab (de confession sunnite, mais dont une partie est devenue maronite... bienvenue au Liban !), les fondateurs de l’entité libanaise. « Le couvent de la lune », un nom de village si poétique, devint même la capitale de l’émirat autonome du Mont-Liban sous le règne de Fakhr el-Dine II (1572-1635), le prince libanais éclairé, le redoutable émir druze qui fut élevé au Kesrouan chez les maronites de la famille Khazen (encore bienvenue au Liban !), il donna des sueurs froides à l’envahisseur ottoman, ses troupes sont mêmes entrées dans Damas. Deir el-Qamar est par ailleurs un symbole de la coexistence religieuse. Si celle-ci est loin d’être un long fleuve tranquille, il n’empêche qu’à côté des nombreuses églises -dédiées à Sainte Marie, Saint Georges et Saint Elias- on trouve la mosquée de Fakhr el-Dine I (un édifice datant du 16e siècle) et une synagogue svp (datant du 17e siècle, c’est la plus ancienne du Mont-Liban). Pour l’anecdote, sachez qu’on y a installé une urne lors des élections législatives de 2005 pour la centaine d’électeurs juifs des listes électorales de la région. Seul un d’entre eux a osé s’y présenter. Il a voté blanc.

Lieux de culte à Deir el-Qamar (église, mosquée, synagogue)
Deir el-Qamar a été détruit après les massacres de la communauté maronite en 1860. Aussitôt, elle fut reconstruite par les hommes de Napoléon III. Quelques années plus tard, ses habitants élurent la première municipalité arabe de l'Empire ottoman. On était encore au 19e siècle ! C'est le village de Camille Chamoun, un des grands présidents de la République libanaise (1952-1958). C’est là où les populations chrétiennes du Chouf se sont réfugiées pour fuir la guerre de la Montagne et ses massacres en septembre 1983. Les deux principaux protagonistes des élections municipales de 2016, qui tirent les ficelles dans ce jeu électoral, connaissent bien la région. L’un d’eux, c’est Samir Geagea justement. En tant que commandant des miliciens chrétiens des Forces libanaises dans la Montagne, il était chargé de défendre le village où s’étaient réfugiées les populations chrétiennes du Chouf après le retrait de l’armée israélienne, et qui étaient encerclées par les miliciens druzes de Walid Joumblatt. Le second n’est autre que Michel Aoun. En tant que commandant de la 8e brigade de l’armée libanaise, il devait stopper la horde milicienne libano-syro-palestinienne qui voulait s’emparer du palais présidentiel de Baabda où siégeait Amine Gemayel. Trente trois ans plus tard, tout ce beau monde revint sur les lieux, mais avec des intentions moins nobles qu’à l’époque.

Dory Chamoun est un homme de principe, une raison suffisante pour déranger au plus haut degré. Il n’a pas dévié d’un iota de son opposition à la tyrannie des Assad, père et fils, et à la milice du Hezbollah, depuis sa création. Là où d’autres municipalités libanaises, l'écrasante majorité, s’acharnent pour effacer tout ce qui peut rappeler le caractère rural et traditionnel de leurs villages, Dory Chamoun essaie depuis 2004, en tant que président de la municipalité puis député de la région, de préserver tant bien que mal ce bijou de la montagne libanaise, de cette nauséabonde défiguration immobilière qui ravage le Mont-Liban, grâce à une application stricte des contraintes urbanistiques. Aujourd’hui, tout le monde veut la peau du Dernier des Mohicans. Walid Joumblatt, Michel Aoun, Samir Geagea, et d’autres notables de Deir el-Qamar. Sauf votre respect messieurs, si la réconciliation chrétienne doit se faire au détriment d’un homme comme Dory Chamoun, eh ekhet heik mousala7a, 3omra ma tkoun, on s’en passerait bien. Ça fait 30 ans qu’on s'en accommode d’ailleurs. J'irai même plus loin, s'il faut sacrifier la députation de Georges Adwan, le numéro deux du parti des Forces libanaises, aux prochaines législatives, ou celle de son frère Boutros, aux municipales de demain, pour préserver celle de Dory Chamoun, car au fond c'est l'enjeu caché de cette bataille municipale, il ne faut pas hésiter la moitié d'un quart de seconde. Dans tous les cas, aux municipales, aux législatives comme aux présidentielles, je voterai pour Dory Chamoun, sans l’once d’une ombre de la moindre hésitation.