samedi 28 décembre 2013

Pourquoi Mohammad Chatah a été tué à J-20 de l'ouverture du procès Hariri par le Tribunal Spécial pour le Liban ? (Art.202)


Comme le dit si bien Jakob Bob Dylan dans une de ses chansons, hier les Libanais ont eu une nouvelle preuve que « evil is alive and well ». Le diable est vivant et se porte bien, on a parfois tendance à l’oublier ! Je sais que ce n’est pas le moment. C’est peut être déplacé d’en parler et inconvenant de mettre un lien qui pointe vers le site en question, alors que le pays du Cèdre est en deuil. Mais je le ferai quand même car le hasard a voulu que je m’émerveille sur ces images quelques minutes seulement avant que la mauvaise nouvelle ne me plonge dans une grande stupéfaction, une profonde tristesse et une colère indescriptible. Wlé ya ékhwét el charmouta, comme vous pouvez le voir sur ces photos animalières touchantes, si on fait cohabiter très tôt des prédateurs et des proies aux instincts pourtant fixés par la génétique, ils finissent par vivre ensemble pacifiquement le reste de leur vie. La nature animalière est vraiment extraordinaire. Je ne dirai pas autant de la nature humaine de certains ! Mais bon Dieu, qu’est-ce qu’il faut faire pour vivre en paix avec vous ? Mais bon sang, à quelle bestialité les hommes politiques du 14 Mars doivent faire face aujourd’hui de la part de certains de leurs compatriotes ? 

Je ne serai pas très long. L’humeur n’y est pas. D’ailleurs, il n’est nullement besoin de l’être. Je me contenterai d’un simple cadrage à ma manière, think different. 7 morts et 75 blessés, tous des innocents. Et parmi eux, Mohammad Baha Chatah ! Encore un homme qui n’est pas mort, ni de vieillesse, ni dans son lit. Il a été tué par l’explosion d’une voiture piégée en plein cœur de Beyrouth, non loin de là où Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais, fut assassiné. On l’a tué pour ce qu’il représentait, un politicien du camp souverainiste du 14 Mars et membre du courant du Futur. Il n’a pas été choisi par hasard. C’était un grand patriote sunnite. Patriote, parce qu’il avait une idée noble du Liban, que je partage pleinement. Sunnite, est une précision, hélas, mille fois hélas, utile de nos jours, utile pour les lecteurs d’outre-mer, utile pour les amnésiques et utile pour les sunnitophobes déclarés, camouflés ou cachés derrière l’index de sayyed Hassan Nasrallah.

C’était un premier ministrable au potentiel prometteur, comme l’était Pierre Gemayel, un présidentiable prometteur. Economiste de haut niveau, Mohammad Chatah a travaillé au Fonds monétaire international et à la Banque centrale du Liban. Il a été diplomate et ancien ministre des Finances. Mais plus que tout cela, Mohammad Chatah était un gentleman ! Brillant, réfléchi, serein, tolérant et aimable. Il rassurait par sa quiétude. Il incarnait l’homme responsable. Bref, c’est mon Liban qu’on a assassiné hier, et pour cette raison je vous maudirai, bande de fascistes, jusqu’à la nuit des temps.

Il y a quelques semaines, je me demandais dans un article pourquoi « le 8 Mars (notamment Hassan Nasrallah et son fidèle allié Michel Aoun) semble systématiquement zapper le fait que depuis ce funeste 14 février 2005, les glandes lacrymales de la moitié des Libanais, toujours les mêmes, sont mises à rude épreuve par les mêmes criminels. Elles n’arrivent plus à produire autant de larmes qu’il faudrait et qu’ils voudraient pour pleurer leurs martyrs. » Et je ne croyais pas si bien dire. Mohammad Chatah a rejoint cette longue liste des hommes et des femmes « martyrs » sur qui nous avons versé des larmes de sang :
- Des personnalités assassinées à cause de leur appartenance politique : Wissam el-Hassan (14 Mars / Futur, tué le 19 octobre 2012), Wissam Eid (14 Mars, tué le 25 janvier 2008), Antoine Ghanem (14 Mars / Kataeb, tué le 19 septembre 2007), Walid Eido (14 Mars / Futur, tué le 13 juin 2007), Pierre Gemayel (14 Mars / Kataeb, tué le 21 novembre 2006), Gebrane Tuéni (14 Mars, tué le 12 décembre 2005), Georges Haoui (14 Mars, tué le 22 juin 2005) et Samir Kassir (14 Mars, tué le 3 juin 2005). Comme on le voit, toutes ces victimes étaient du camp du 14 Mars. 
- Des personnalités qu’on a tentées d’assassiner à cause de leur appartenance politique également : Samir Geagea (14 Mars / parti des Forces libanaises, tentative d'assassinat le 4 avril 2012), Boutros Harb (14 Mars, tentative le 5 juillet 2012), Samir Chéhadé (14 Mars, tentative le 5 septembre 2006), May Chidiac (14 Mars, tentative le 25 septembre 2005), Elias el-Murr (14 Mars, tentative le 12 juillet 2005) et Marwan Hamadé (14 Mars, tentative le 1er octobre 2004). Là aussi, toutes les personnalités sont du camp du 14 Mars.

Je m’en fous royalement de ce que fera ou ne fera pas Walid Joumblatt, Nabih Berri et Michel Aoun, trois personnages fossilisés de la guerre civile libanaise, incapables d’évoluer et de s’adapter au changement de l’Histoire. Wlak law badda tchaté ghayamit. Le premier est un impuissant, le second est un opportuniste et le troisième est un cas désespéré, dans l’erreur il y est et dans l’erreur, il y restera jusqu’à la fin de ses jours. Ma 7adann yéz3al, chacun du trio cumule ces trois qualificatifs dans des proportions variables.

Qu’on ne se leurre pas, Mohammad Chatah n’a pas été tué uniquement parce que c’était un « sunnite modéré ». Ce n’était pas une raison suffisante même si l’on croit les médias d’épouvante du 8 Mars (al-Manar, al-Jadeed, OTV, al-Akhbar et tant d’autres) et que les takfiristes seraient déjà aux portes du Vatican ! Non, il n’a pas été tué pour pousser la communauté sunnite vers l’extrémisme non plus, et permettre aux extrémismes chiites de justifier leurs agissements au Liban et en Syrie. Le gentleman a été tué parce que c’était un « sunnite résistant » à l’hégémonie du Hezbollah sur le Liban. Qui doute de cela, n’a qu’à lire ses deux derniers tweets publiés une heure et demi avant son assassinat, qui tournent autour de la même idée : « Le Hezbollah intimide et fait pression pour parvenir à ce que le régime syrien a imposé pendant 15 ans : l’abandon par l’Etat (libanais) de sa souveraineté en matière de sécurité et de politique étrangère. » Quels tweets cher Mohammad ! Et l’on se demande ce matin dans les cafés de Beyrouth, quel hypocrite peut encore bien prétendre que même si Mohammad Chatah avait présenté ses lettres de créance à Morgoth et au Prince des Ténèbres, il serait au paradis aujourd’hui ! Ces pauvres hypocrites ont déjà oublié qu'on ne comptait plus les menaces franches des leaders du Hezbollah à l'encontre du 14 Mars ces derniers temps, comme le prouvent les « ne nous tentez pas », « ne nous essayez pas » et « ne jouez pas avec nous » de Hassan Nasrallah et consorts. Enno ma3léh, khoudouna be7elemkoun.

L’assassinat de ce gentleman de la classe politique libanaise répond à divers objectifs. Outre l’avantage inespéré de pouvoir éliminer, en pleine pagaille loco-régionale, un premier ministrable incontournable, au potentiel prometteur, opposant farouche à la politique du Hezbollah, au Liban comme en Syrie, et à l’ingérence du monde perso-chiite dans les affaires du monde arabo-sunnite, les assassins ont souhaité adresser trois messages dans trois directions et dans trois buts :

1. Paralyser Michel Sleimane et Tammam Salam. Le 1re message serait donc, « gare à vous, Michel Sleimane et Tammam Salam, ne serait-ce que de penser à nous exclure du prochain gouvernement ». Bien qu’ils disposent d’une marge de manœuvre très étroite, les deux hommes étaient déterminés à briser les obstacles imposés par les uns et les autres, au moins, à faire bouger les choses en début d’année, d'accoucher par exemple, d'un gouvernement restreint et neutre. Etant un homme de dialogue, en l’absence du chef de l’opposition du 14 Mars, Saad Hariri (pour des raisons de sécurité évidentes!), et en raison du véto du 8 Mars sur le redoutable Fouad Siniora, certains voyaient Mohammad Chatah au grand Sérail un jour ou l’autre, après les élections présidentielle et législatives. Il convient de préciser également que cette possible exclusion du Hezbollah du pouvoir exécutif constitue aujourd’hui un véritable cauchemar pour la milice chiite car même si théoriquement l’espérance de vie du gouvernement de Tammam Salam est courte (jusqu’à l’élection présidentielle, avant le 25 mai 2014), en pratique, il pourrait rester de très longs mois, en cas de vacance présidentielle. Inutile de vous dire qu’un tel scénario pourrait, la sama7 Allah, pousser les leaders de la milice libanaise, qui est enlisée dans la guerre civile syrienne (elle aurait perdu au moins 400 miliciens chiites à ce jour, « morts dans l’accomplissement de leur devoir djihadiste » comme elle prétend) et poursuivie par le Tribunal Spécial pour le Liban (cinq membres pour l’instant), à se mettre carrément sous une trithérapie composée de Xanax, de Prozac et de Stilnox ! C’est pour vous dire.

2. Terroriser le 14 Mars. Le 2e message serait alors, « gare à vous, leaders du 14 Mars, de prendre des initiatives qui vont à l’encontre des intérêts du Hezbollah et de la Syrie de Bachar el-Assad ». Et des initiatives de la sorte, il n'en manquera pas, que ce soit à l'occasion de l’élection présidentielle, des élections législatives ou de la formation des gouvernements pré et post-électorale. Précisément, je pense par exemple au déploiement de l’armée libanaise aux frontières avec la Syrie, à l’arrestation des accusés du Hezbollah (impliqués dans l’assassinat de Rafic Hariri ou dans la tentative d’assassinat de Boutros Harb), à l’exploitation des données de télécommunication (dans toutes les affaires criminelles qui secouent notre pays, comme l'assassinat de Wissam el-Hassan, les attentats de Tripoli, la tentative d’assassinat de Samir Geagea, et même l’assassinat de Mohammad Chatah), au jugement de certains accusés du 8 Mars (comme Michel Samaha et les Eid), à la reprise du contrôle du port et de l’aéroport de Beyrouth par l’Etat libanais (actuellement sous l’emprise du Hezbollah), j’en passe et des meilleures.

3. Mettre en garde la communauté internationale. Le 3e message est sans l’ombre d’un doute le plus important de tous. Il est double. Il s’adresse d’une part, au monde occidental. Celui-ci serait ainsi, « gare à vous, pays occidentaux, de laisser le Tribunal Spécial pour le Liban commencer son réquisitoire contre les cinq membres du Hezbollah, avec l'étalage du linge sale de sayyed Hassan Nasrallah, qui doit se mettre en place à partir du 16 janvier 2014 (un processus qui peut prendre des années). A vous de choisir : soit le TSL, soit les leaders du 14 Mars. » Ce message s’adresse d’autre part, au monde arabe, notamment à l’Arabie saoudite. Celui-là serait donc, « débrouillez-vous, pays arabes, spécialement vous l'Arabie saoudite, pour empêcher par tous les moyens, les djihadistes sunnites, de frapper les intérêts et le fief du Hezbollah au Liban (comme ce fut le cas, pour le double attentat de l’ambassade iranienne à Beyrouth). A vous de choisir : soit les leaders du 14 Mars, soit les djihadistes sunnites au Liban. » Le Hezb le sait très bien, les attaques terroristes qui le visent au Liban et qui sont liés à son intervention odieuse aux côtés du dernier tyran des Assad en Syrie, finiront par exaspérer même une partie des partisans de Michel Aoun.

Toujours est-il, près de neuf ans séparent le « Rapport de la mission d’établissement des faits chargée d’enquêter au Liban sur les causes, les circonstances et les conséquences de l’assassinat de M. Rafic Hariri, ancien Premier ministre », qui a été présenté au Conseil de sécurité le 24 mars 2005 (la mission dirigée par Peter FitzGerald), de la première audience du Tribunal Spécial pour le Liban, qui doit juger les cinq membres du Hezbollah accusés du meurtre de l’ancien Premier ministre, le jeudi 16 janvier 2014 à 9h30 précises. Neuf ans au cours desquels, le Hezbollah n’a cessé de manifester son irritation, sa défiance, son mécontentement, et pour cause ! Depuis le 14 février 2005 à 12 h 56 mn 26 s, la grande préoccupation de Hassan Nasrallah se concentre sur l’enquête criminelle en cours car c’est le seul paramètre que sayyed ne contrôle pas directement. Avec ses alliés, il a fait tout ce qui est possible et imaginable pour la discréditer, à défaut d’empêcher son démarrage. En vain, fort heureusement.

A en croire l’ambassadeur syrien au Liban et les médias d'épouvante du 8 Mars, Israël et l'Arabie saoudite seraient derrière l’assassinat de Mohammad Chatah. Bienvenue au dernier éléphant rose dans l’espace aérien libanais ! Si tel était le cas, le Hezbollah doit donc réclamer, en toute logique, la saisine du Conseil de sécurité, et demander au gouvernement libanais qu’il contrôle, de transférer le dossier de l’assassinat de Mohammad Chatah à La Haye, en vertu de l’article 1 du statut du Tribunal Spécial pour le Liban. Nous sommes en plein délire. Plus sérieusement, le 14 Mars devrait étudier toutes les options juridiques pour y parvenir, puisque « Le Tribunal spécial a compétence à l’égard des personnes responsables de l’attentat du 14 février 2005 (...) S’il estime que d’autres attentats terroristes survenus au Liban entre le 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005 ou à toute autre date ultérieure décidée par les parties avec l’assentiment du Conseil de sécurité ont (...) un lien de connexité avec l’attentat du 14 février 2005 et sont de nature et de gravité similaires, le Tribunal aura également compétence à l’égard des personnes qui en sont responsables. » Et c’est le cas, sans aucun doute.

Malgré la terreur et la douleur, nous devons nous souvenir que ce qui arrêtera les assassinats politiques au Liban, ce n’est ni un gouvernement neutre, ni un gouvernement d’union nationale, ni un gouvernement fantoche, ni toutes les formules gouvernementales abracadabrantesques, ni la noyade de Bachar et d’Asma dans le fleuve Amour, ni le raccourcissement de la barbe de Rohani, ni les documents d’entente, ni les rouleaux de PQ, ni les torchons de cuisine, ni les tables de dialogue, ni les palabres, ni les mascarades, ni les larmes de crocodile, ni el estinkarét, woul ta3ézé, wou tébwiss el lé7é, wala man ya7zaroun. Le seul paramètre qui arrêtera les assassinats politique au Liban ce sont uniquement la justice et un Etat de droit.

Hélas, il n’y a rien à attendre de la justice libanaise et l'Etat de droit au Liban est renvoyé aux calendes grecques. Les deux sont à l’image de notre pays, nases ! Malgré la gravité des faits, qui ne laissent de la place à aucun doute, Michel Samaha, accusé d’avoir projeté commettre des attentats terroristes à caractère confessionnel à la demande du régime syrien au Liban, et les Eid, accusés d’avoir facilité la fuite en Syrie des auteurs du double attentat de Tripoli, coulent des jours heureux, l’un derrière les barreaux en attendant le moment propice à sa libération sans jugement, et l’autre sirote des sirops de jallab sur les hauteurs de la capitale du Nord. Et en attendant, les Libanais ne savent toujours rien sur qui a tué ou tenté de tuer la longue liste de personnalités du 14 Mars que j’ai détaillée plus haut.

La seule lueur d’espoir pour le pays du Cèdre réside dans la justice internationale incarnée par le Tribunal Spécial pour le Liban. Merci le 14 Mars et longue vie à l’ancien Premier ministre, Fouad Siniora ! Et par conséquent, si le 14 Mars accepte de former un gouvernement aujourd’hui, demain ou après-demain, avec le parti des accusés officiels et officieux des assassinats politiques, le Hezbollah pour le nommer, non seulement il n’arrêtera pas les assassinats politiques au Liban, mais il trahira ses martyrs également, et surtout, il contribuera à amortir l'onde de choc du séisme juridique qui frappera bientôt tout le Moyen-Orient, de Beyrouth à Téhéran en passant par Damas, et dont l’épicentre se situera pourtant, à La Haye en Europe.

lundi 23 décembre 2013

Si seulement Fairuz, Ziad Rahbani, Majida el-Roumi et John Travolta savaient ce que Hassan Nasrallah pense d’eux (Art.201)


Une beauté éblouissante, doublée d’une voix exceptionnelle. Toute résistance est vaine. S’il faut les résumer en un mot, elles sont toutes les deux divinement sublimes. Alors, bon Dieu, quand on a la chance d’avoir la beauté du diable et une voix en or, pourquoi s’immiscer dans les méandres de la politique ? Allez savoir ! Eh bien, c’est ce que nous essayerons de faire.

La dernière polémique déclenchée par Ziad Rahbani soulève une question qui n’est ni banale ni nouvelle, et n’est point spécifique de notre pays du Cèdre. Est-ce qu’une personne, auteur de croûtes ou grande icône, artiste académique ou de boulevard, écrivain ou troubadour, peut-elle afficher ses opinions politiques sans précaution ni contrainte ? La réponse est évidemment oui. En tout cas, tout artiste comme tout citoyen est libre non seulement de ses opinions, mais aussi de décider de les faire connaitre. Tout cela est valable pour un pays normal, sauf que le Liban n’a jamais été un pays qui respire la normalité.

Dans une interview accordée par Ziad Rahbani au site al-Ahed, un satellite du Hezbollah -il fallait lire l’orientation biaisée des questions !- l’auteur d’une demi-douzaine de pièces de théâtre populaires dans les années 70 et 80, prétend que « Fairuz aime beaucoup sayyed Hassan ». Il a beau donné l’impression d’être bourré-shooté 36h sur 24, une impression qu’il entretient savamment et qui lui sert de plan marketing, Ziad Rahbani connaissait très bien et d’avance la portée d’une telle provocation : il profitait du fait qu’il est le fils de ce patrimoine culturel du Liban, pour se permettre de dire que sa mère soutient le Hezbollah comme lui. Même à 57 berges, on est content d’être le fils d’une maman célèbre ! On peut lui reprocher ce comportement malicieux et puéril, mais enfin, c’était son droit. Il revient à l’intéressée de confirmer, d’infirmer ou d’ignorer la polémique.

Et pourtant, l’allégation n’est pas banale. Admettons comme hypothèse de travail que Fairuz voue une certaine admiration pour sayyed Hassan Nasrallah. Il est évident qu’elle n’est pas la seule au Liban. Oublions le soutien massif de la communauté chiite à la milice chiite de ce leader chiite. Pour diverses raisons allant de la naïveté à la sunnitophobie, en passant par l’opportunisme et la convergence d’intérêts, il faut reconnaitre que le Hezb ratisse bien au-delà de sa communauté. Rappelons que le gouvernement démissionnaire actuel n’a vu le jour que grâce à une entourloupe politique concoctée par Hassan Nasrallah avec Walid Joumblatt (musulman druze), Najib Mikati (musulman sunnite), Nabih Berri (musulman chiite) et Michel Aoun (chrétien maronite), un quatuor d’union nationale contre les forces du 14 Mars, qui n’a jamais caché son admiration pour ce leader chiite. Rappelons aussi que Michel Aoun voue une admiration sans borne pour le Hezb au point de signer un pacte d’alliance inattendu avec son chef, poussant une frange des sympathisants chrétiens du général, soi-disant souverainistes, à témoigner d’une grande admiration saugrenue au sayyed, sachant que ce dernier n’a jamais coupé son cordon ombilical avec le wali el-fakih iranien.

Rappelons également, puisqu’on y est et pour rester dans le monde artistique, une interview aussi choquante que les on-dit de Zizou, le bobo-bad-boy des Rahbani. Si l’admiration de Fairuz à Hassan Nasrallah découle de propos invérifiables rapportés par son fils, celle de Majida el-Roumi est attestée par les images et le son. Le jour de l’an de l’année 2009, cette grande dame de la chanson, une autre icône libanaise, chrétienne également, déclare « qu’elle serait honorée de rencontrer sayyed Hassan Nasrallah ». D’accord, pas de quoi casser trois pattes à un canard. La suite, si ! Au cas où elle serait amenée à le rencontrer, Majida el-Roumi affirme que « je le saluerai pour le sentiment qu’il nous a donné, le jour où il a brisé l’idée qu’Israël était invincible ». S'adressant à lui directement et avec une grande solennité qui faisait trembler sa voix, elle rajoute : « Je te remercie d’avoir rendu la victoire plus proche que jamais. Tu as remonté le moral de tous les Arabes partout. C’est un honneur pour nous, que ça soit un compatriote qui ait permis d’y parvenir (...) La force que tu as entre les mains nous permet d’être un grand pays, un exemple pour d’autres pays. » Je ne veux pas être méchant avec une si belle femme dont les propos paraissent plutôt naïfs que très réfléchis, il n’empêche, mais bordel, sur quelle planète vit-elle ? Je veux bien admettre qu’elle ait pu zapper le déclenchement de cette guerre par le Hezb, mais elle devrait quand même savoir que cette « victoire » qui l’a rend si fière, a coûté aux Libanais 1 500 morts, et l’équivalent de 50 % de leur PIB de 2006, et que depuis, Hassan Nasrallah ne voit plus beaucoup la lumière sereine d’Allah, et risque sérieusement le SAD, Seasonal Affective Disorder, la fameuse dépression saisonnière, le blues de l’hiver, et une grave carence en vitamine D, alors qu’elle n’a couté aux Israéliens que 170 morts et 3 % de leur PIB, et que Tzipi Livni, l’ancienne ministre israélienne des Affaires étrangères de l’époque, a un moral d'acier et fait le plein de vitamine D en bronzant en bikini quand bon lui semble, dès que la météo le permet, sur les plages de Tel-Aviv ! Alors franchement ma chère Majida, il faudrait que tu revoies sérieusement tes critères de la victoire. Et puis, comment peux-tu tenir des propos aussi niais que « la force que tu as entre les mains est un exemple pour d’autres pays » ? Mais voyons, Français et Américains  ne rêvent que de voir un jour des milices parader sur les Champs-Elysées et sur la Fifth Avenue ! J’étais effaré en remarquant que ces propos ont été tenus moins de 8 mois après la mini guerre civile déclenchée par la milice du chef qu’elle admire dans les rues de Beyrouth et une partie du Mont-Liban. Wlé maa2oul heidé !

Revenons à nos moutons. Comme on le voit, la polémique autour du positionnement de Fairuz, ou de Majida-el Roumi, dépasse largement la simple liberté d’expression. Je pense que l’admiration déplacée de ces deux icônes pour le chef du Hezbollah pose deux problèmes majeurs.

1. Le premier est d’ordre général et se résume à la question suivante : peut-on soutenir le Hezbollah et admirer son chef, Hassan Nasrallah, comme si de rien n’était ? Sans la moindre hésitation, certainement pas ! Cette question s’adresse non seulement à Fairuz et à Majida el-Roumi, mais aussi à Ziad Rahbani, au cousin de Ziad, Ghassan (artiste et candidat aouniste malheureux aux dernières élections législatives pour le siège orthodoxe dans le Metn), à ma concierge Leila, à Michel Aoun et aux milliers de chrétiens partisans du général. Qui zappe la lourde responsabilité de la milice chiite dans le désastre de la guerre du 12 juillet 2006 et la tragédie du 7 mai 2008 est rattrapé par au moins trois réalités rédhibitoires qui rendent toute admiration du Hezbollah caduque : le « djihadisme » répugnant du Hezb en Syrie aux côtés du régime fasciste de Bachar el-Assad (le terme est utilisé par Nasrallah himself), le « terrorisme » abject du Hezb tel qu’il est vu par l’écrasante majorité des pays arabes et occidentaux (rappelons l’inscription de la milice chiite par l’Europe sur la liste des organisations terroristes en juillet dernier), et les « accusations d’assassinat » odieuses du Hezb comme l’a révélé l’enquête du Tribunal Spécial pour le Liban (nous sommes à J-24 de la première audience du TSL).

2. Le second problème est d’ordre spécifique et se résume à une autre question : est-ce que ces admirateurs et ces admiratrices connaissent réellement la nature de celui et de ceux qu’ils admirent ? Là aussi, sans la moindre hésitation, je doute fort bien ! A quel point doit-on être aveuglés par l’admiration, pour zapper les trois tares originelles du Hezbollah et ignorer qu’il s’agit d’une organisation religieuse chiite à tendance fasciste, qui n’a rien à envier aux salafistes sunnites et aux Frères musulmans, soumise au Guide suprême de la République islamique d’Iran, dont le projet vise à l’établissement d’une République islamique chiite au Liban pour résoudre le bordel communautaire de ce pays (cf. livre de cheikh Naïm Qassem, n°2 de la milice, « Hezbollah: la voie, l'expérience, l'avenir », dernière édition en mai 2009)? Sans doute beaucoup. Mais il y a pire. En réfléchissant à ces propos, je me suis demandé si l’admiration de ces belles âmes et des cousins Rahbani pour Hassan Nasrallah était réciproque après tout. J’étais abasourdi par ma découverte. Alors là, je n’aimerai pas être à leur place, je serai couvert de honte !

« Ecouter des chansons est haram car les chansons sont une façon de rendre une nation molle... Allah a établi un schéma pour que la société ne soit pas molle. Les gens du disco, de John Travolta et de je ne sais quoi d’autre. Tu le vois makhlou3, sa coiffure, sa tenue, sa démarche dans la rue, sa façon de s’assoir, de manger et de parler, tout est influencé (par cette manière d’être). Cet état conduit à la mollesse. Dieu tout-puissant a interdit de chanter afin que l’être humain garde une personnalité équilibrée et raisonnable (...) Oui, il y a des chants révolutionnaires qui sont halal parce qu’ils ne rendent pas l’être humain mou... Il y a deux types d’hymnes révolutionnaires... Il ne suffit pas de parler d’Allah, de Mahomet, de l’islam, de la résistance, du Sud (Liban) et d’Israël pour que la chanson devienne révolutionnaire (...) Une seule règle s’applique aux chants répandus : tout hymne ou toute chanson, où l’on parle d’Allah, de Mahomet, de l’islam et du Sud (Liban), qui est semblable à ceux qu’on retrouve chez les gens immoraux et de la débauche, et qui provoque l’euphorie, est haram. La norme étant qu’indépendamment du contenu culturel, intellectuel et politique, la chanson qui provoque l’euphorie, et dont l’esprit est retrouvé habituellement chez les gens immoraux, est haram. »

Hal makhlou2 el makhlou3, John Travolta, comme on le voit ici dans Saturday Night Fever. Excellent ! On dirait que Sayyed parle d’un personnage d’une pièce de Ziad Rahbani. En tout cas, non, nous ne sommes pas au Moyen-Age. Ce sont les propos contemporains de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, la personne que Fairuz, Majida el-Roumi, Ziad Rahbani, Ghassan son cousin, Leila ma concierge, une majorité de chiites et des milliers de chrétiens aounistes admirent ! Yé3né belmchabra7, ya mou7ébbine el sayyed, ya sitt Fayrouz wou ya sitt Majida, ya cha3eb lebnan el 3azim, et vous les fans des fanatiques, jusqu’à preuve du contraire, qui devrait être apportée par Nasrallah himself, la fatwa de sayyed Hassan, demeure valide : toutes les œuvres musicales, de Fairuz, de Majida el-Roumi, des cousins Rahbani, de Wadi3 el-Safi, de Farid el-Atrache, d'Oum Kalthoum, de Ragheb Alama, d'Elissa, de May Hariri, de Najwa Karam, de George Wassouf, de Haifa, de Nawal al-Zoghbi, d'Amal Hijazi, mais aussi celles de Gainsbourg, de Laurent Pagny, de Brassens, de Zazie, de U2, de Coldplay, de Pink Floyd, de Madonna, de Lady Gaga, ainsi que celles de tous les autres makhlou3ine de leurs races, darbé tfek ra2bétoun fakk, sont haram ! Hallucinant.

Au fait, je pense qu’il serait très intéressant de savoir ce que sayyed Hassan Nasrallah pense réellement de la personnalité de Ziad Rahbani et de son travail, pour qu'on rigole un bon coup ! Awélkoun, serait-il un makhlou3 à la John Travolta, un mollasson, un immoral, un débauché ou tout simplement un artiste talentueux ? Je serais bien curieux de savoir si sayyed Hassan serait capable d’écouter plus de trois minutes de « bel nesbé la boukra chou ? », une des célèbres pièces de théâtre de Ziad, lui l’artiste qui ne rate aucun discours du chef du Hezbollah ! En tout cas, Ziad Rahbani n’a jamais caché son athéisme. Il donne l’impression de fumer les joints trois par trois, depuis qu’il est sevré, et que son verre est comme le réservoir de la flamme du soldat inconnu, jamais vide. Ses pièces seraient qualifiées sans la moindre hésitation de « subversives » par tout esprit totalitaire qui se respecte. Bref, vous l’avez compris, Ziad Rahbani a tout pour déplaire au sayyed Hassan Nasrallah. Mais bon, à chacun son syndrome de Stockholm.

Cette séquence n’est pas sans rappeler un autre passage d’anthologie. « Un kamikaze est un homme apaisé, souriant, heureux, qui entame sa vraie vie... (Il est dans l’état de) quelqu'un qui quitterait un sauna, après y avoir passé des heures, chaud, fatigué et assoiffé, pour rejoindre une pièce confortable et calme, où l'attendraient belles paroles, cocktails et musique classique ». Non, ce n’est pas la profession de foi d’al-Qaeda, de Da3ich ou de Jabhat el-Nosra, ce sont les propos du chef du Hezbollah que tout ce beau monde admire.

Les fans des fanatiques, les partisans chrétiens de Michel Aoun pour être précis, vous assureront que tout cela relève de la diabolisation, ce sont des histoires anciennes, la milice chiite a changé, elle sait faire la part des choses, blablabla, patati, patata. C’est c’là oui ! Ces gens feignent d’ignorer qu’il n’a pas fallu longtemps pour que le Hezbollah comprenne une évidence tactique qui s'impose au Liban, le pays des 18 communautés, celle des athées comprise : pour conquérir l’Etat libanais et dominer sa population, il faut un tant soit peu dissimuler ses objectifs islamistes. C’est ce qu’ils font depuis un certain temps. Mais il est quand même difficile de rester cool et zen face à certains Libanais, ces « gens de la débauche et de l’immoralité », hal « makhlou3ine » el lebnéniyé. « L'ère maintenant est l’ère de la résistance. Le visage du Liban maintenant est le visage résistant. Avant l’avènement de la Résistance (autodésignation du Hezbollah), nous regardions la carte internationale, politique et géographique, mais nous ne voyions pas le Liban à cause de sa petite superficie et parce qu’il n’avait pas de rôle. Il était suiveur. C’était un espace de transactions, de boîtes de nuit, de services, de commissions et de blanchiment d’argent. C’était le Liban. Mais maintenant, il faut créer un nouveau Liban, qui soit en harmonie avec l’existence d’une Résistance (la milice chiite). »

Si, si, ces propos ont été tenus il y a à peine six semaines, le 12 novembre 2013 précisément, par un certain Mohammad Raad, membre imminent de la milice chiite, chef du Bloc de la fidélité à la Résistance, le groupe du Hezbollah au Parlement, le pouvoir législateur de l’Etat libanais. Je suis désolé d’être cru, mais tant qu’on se voile la face et qu’on n’appelle pas un chat un chat, on ne peut que rentrer dans les murs. Qu’il y ait des Libanais chiites qui acceptent sans broncher tous les propos fascistes du Hezbollah, constitue déjà un énorme souci pour le Liban tout entier, toutes communautés confondues. Mais j’avoue que cela reste encore du domaine du compréhensible, l’identification communautaire explique beaucoup de choses. Y a-t-il un espoir de voir la communauté chiite lâchée le Hezbollah un jour ? Peut-être, sans doute, sauf qu’on n’est pas demain la veille et qu’il s’agit d’une autre histoire.

Mais ce qui est surréaliste et absurde aujourd’hui, c’est de trouver des Libanais chrétiens qui admirent dans un mélange de naïveté, d’opportuniste, d’intérêts politiciens et de sunnitophobie, une organisation capable de tenir des propos aussi infâmes que ceux de Hassan Nasrallah, de Naïm Qassem et de Mohammad Raad, et qui constitue une des plus graves menaces pour l’identité libanaise de tous les temps ! Hélas, à cause des choix erronés des forces du 8 Mars, de Hassan Nasrallah à Michel Aoun, en passant par Nabih Berri et Walid Joumblatt, notre Liban est un pays qui ne respire pas la santé de nos jours. Allez, bonne chance pour tous ceux qui veulent faire une virée en enfer. La nature a non seulement horreur du vide, mais encore plus, de la connerie humaine. Mes chers compatriotes, vive la République, vive le Liban et vive Charles Darwin. Wlak, qu’est-ce que vous croyez, que les Mayas se sont évaporés ? Enno « pschitt », et il n’y avait plus personne après ? Moi, comme des milliers de Libanais, j’ai rendez-vous avec l’Histoire à La Haye le 16 janvier 2014 à 9h30. Tout le reste, en politique comme dans la vie, n’est que « vanité et poursuite de vent ». Au moins pour le moment.


Post-Scriptum

Il m’est impossible de ne pas dire deux mots sur le reste de l’interview de Ziad Rahbani. Ça vaut vraiment la peine de s’y arrêter quelques instants. Autant j’apprécie l'artiste qui détient incontestablement un grand talent et qui est très doué pour les formules sarcastiques, autant j'ai toujours trouvé l'homme à côté de la plaque en politique, un « double zéro à côté du zéro », pour reprendre une formule peu connue de Samir Geagea, le président du parti des Forces libanaises, le « dérangé » selon l’artiste.

Et puisqu'il se permet d'insulter un tas de monde sans retenue, que l'artiste me pardonne de rappeler quelques faits de l'histoire ancienne. Tout le monde a commis des erreurs durant cette sale guerre, le « camp chrétien », le « camp musulman » et Ziad Rahbani compris. Ce dernier avait choisi de rejoindre les Libanais pro-palestinien qui soutenaient à l’époque ceux qui considéraient que « la libération de Tel-Aviv passe par Jounieh », le « chef-lieu du réduit chrétien » du Mont-Liban durant la guerre civile libanaise. Je vous l’ai déjà dit, à chacun son syndrome de Stockholm. L’ironie de l’histoire, c’est que le Liban revit aujourd’hui avec la milice libanaise de Hassan Nasrallah, un remake encore plus tragique de ce qu’il a vécu avec la milice palestinienne de Yasser Arafat. La seule différence c’est que la libération de Tel-Aviv passe de nos jours non seulement par Beyrouth, Tripoli, Koraytim, Saïda, Bickfaya, Baabda et Meerab, mais aussi par Damas, Deraa, Qousseir, Homs, Edlib et Alep. Quelle honte !

Toujours est-il, limitons-nous à l'interview du site al-Ahed. On apprend pêle-mêle que Ziad Rahbani ne rate pas une seule conférence de presse du Sayyed au point de constituer ses propres archives de l'ensemble des discours de Hassan Nasrallah ; pour l’artiste, le Hezb ne peut pas avoir tué Rafic Hariri car il a une morale qui lui interdit de tuer les gens (et comment expliquer que Bakhos Baalbaki est mort de rire, hein ?) ; par contre, Wissam el-Hassan en était bien capable, « biya3mil rabba » ; Ziad préfère Emile Lahoud à Michel Sleiman (wlak mabrouk fih !); Geagea est un takfiriste ; Siniora est un abruti ; le Futur est perdu, il n’a aucune vision politique et ne comprend que le langage de l’argent et des comptes ; s’il était à la place du régime syrien, il aurait fait la même chose (nous sommes à 125 000 morts, 7 millions de déplacés et réfugiés, dont 1,3 million au Liban !); la guerre en Syrie se réglera dans les six prochains mois ; l’Occident soutient les takfiristes ; le rôle russe dans la région est parfait ; le fils de Fairuz est inquiet pour la présence chiite au Moyen-Orient, pas pour celle des chrétiens ; Israël est un cancer ; le pompon de l'interview étant son constat sur le printemps arabe, « bala rabi3 bala ballout »

La petite histoire ne dit pas si Ziad Rahbani était sous l’emprise d’une substance hallucinogène ou s’il souffrait toujours de cette haine de soi, de l'autre et de cet éternel syndrome de Stockholm. Dans tous les cas, s’il est un roi du sarcasme, il n’est pas moins un roi des éléphants roses qui encombrent l’espace aérien libanais. Rou7 ya akbar fayil bel charq el awsat ! « Ebnik 7mar ya Souraya! Zakké el sabé houwé, bass 7mar. » Wlak ya Ziad, chou baddak bel siyésé, wallah mich rekbé ma3ak, min zamén wou jéh !

jeudi 12 décembre 2013

Quand Annahar, le journal de Gebrane Tuéni, zappe l’essentiel de l’interview de Michel Aoun à MTV (Art.198)


Comme si les Libanais n’avaient pas assez d’ennuis. Seraient-ils maintenant condamnés à lire toute la presse tous les jours pour se faire une idée, afin d’éviter l’alternative de se taper 1h 46min et 36s de palabres et juger par eux-mêmes ? La question se pose aujourd’hui. Je l’ai relu trois fois pour m’assurer. Le journaliste d’Annahar, en charge de rédiger un résumé de ce qui s’est dit lors de l’apparition de Michel Aoun sur la chaine MTV en début de semaine, qu’il en soit remercié, a jugé pour une raison disons gentiment « mystérieuse », de ne pas mettre les lecteurs du principal quotidien libanais de langue arabe, le journal de Gebrane Tuéni dont on commémore aujourd’hui même l’assassinat odieux il y a huit ans, au courant de deux passages clés de la dernière interview du général.

00:27:20-00:28:00 / Michel Aoun est pour le maintien des armes du Hezbollah sans limite dans le temps

Aucun libanais ne doit rater ce petit passage de 40 secondes sous aucun prétexte. Ni à cause de la lenteur de la connexion, ni à cause du gel des circuits neuronaux par la tempête Alexa, ni à cause de quoi que ce soit d’autre. A la 27e minute et 20e seconde, Walid Abboud pose à Michel Aoun une question qui lui était adressée par un internaute libanais : « Si vous êtes élu président (de la République), que feriez-vous des armes du Hezbollah ? » La réponse de GMA est un cas d’école, qu’il faudrait enseigner dans toutes les facs libanaises de Sciences Po de l’AUB, l’USJ, la LAU, wlak même de l’ABC aussi. Je n’ai jamais, au grand jamais, vu et entendu Michel Aoun aussi embarrassé par une question ! Impressionnant. Jugez vous-même, c’est un régal à voir et à écouter, que je vais tenter de traduire le plus fidèlement possible, mot à mot, pour mes amis qui ne comprennent pas le libanais. Voici sa réponse, texto : « Elles resteront avec la Résistance (autodésignation de la milice chiite). Jusqu’à l’arrivée de la solution de la question moyen-orientale à nous. Celle-ci n’est pas liée par une décision... elle est liée à une décision de chez nous. Mais, ceci jusqu’à... En phase finale, après la solution de la question entre Israël et les Palestiniens. Parce que celle-ci arrivera à la fin des solutions qui commencent maintenant entre les Américains et les Russes. A ce moment-là, on sera dans une situation de paix au Proche-Orient. » Hein, vous avez la tête comme une citrouille ? Normal, moi aussi. Des paroles d'un homme d'Etat, n'est-ce pas ? Candidat permanent à la présidence de la République, since 1984 ! Après vérification, il semble que la vidéo de MTV sur Youtube n’a subi aucun montage, ni coupe, ni piratage des rushes, ni aucun brushing, c’est brut de brut. Bon, on l’aime ou ne l’aime pas, le général a sa propre façon d’exprimer sa pensée stratégique, alors svp un peu de respect, je vous demande d'arrêter de rire aux éclats !

Bassita, nous avons compris où il voulait en venir. Oui, tout le monde sait que Michel Aoun a signé un Pacs avec Hassan Nasrallah le 6 février 2006. Oui, tout le monde s’est rendu compte aussi que le général ne rate pas une seule occasion pour prouver que son alliance avec le Hezbollah n’est pas folklorique. Mais, c’est indéniablement la première fois depuis huit ans que GMA lie clairement le devenir des armes de la milice chiite aux problèmes du Moyen-Orient. Et croyez-moi, ce n’est ni une mince affaire ni une bourde.

« La7atta wousoul 7al elqadiyé elchareq awsatiyé la2elna », wlé maa2oul! Cette déclaration est particulièrement grave car dans la tête du général, la « solution des problèmes du Moyen-Orient » suppose d’abord, qu’on ait trouvé une solution au « problème syrien », il faudrait donc mettre fin à la guerre civile syrienne ; suppose ensuite, qu’on ait trouvé une solution au « problème israélien », à défaut de foutre Israël à la mer (comme le souhaite jabhit el moumena3a, 8 Mars), il faudrait donc se mettre d’accord sur cette foutue stratégie de défense du Liban (sur la table de dialogue since 2006 quand même) ; et suppose enfin, qu’on ait trouvé une solution au « problème palestinien », il faudrait donc rapatrier les 500 000 réfugiés des camps palestiniens du Liban dans le nouvel état de Palestine qui verra le jour un de ces jours. Et jusqu'à ce qu'on ait trouvé des solutions à tous ces problèmes du Moyen-Orient, les armes de la milice chiite continueront à être braquées contre l'Etat libanais et sa population, comme lors de la tragédie du 7 mai 2008 et contre la démocratie libanaise, comme lors du coup de force du 12 janvier 2011.

Inutile de vous dire que tout cela se réalisera quand les poules auront des dents et lorsque Bakhos Baalbaki sera président. Au train où vont les choses, ni les réfugiés syriens ne sont prêts à rentrer chez eux en 2014, ni notre stratégie de défense ne sera établie en 2020, ni nos hôtes palestiniens ne plieront bagages en 2026 ! Bilan des courses, Michel Aoun est donc pour le maintien des armes illégales de la milice du Hezbollah ad vitam aeternam, sans aucune limite dans le temps. Si je veux rester dans mon hommage à Molière, les Tartuffe iraniens du foot, je dirais que ce semblant d’ouverture du général Michel Aoun ces derniers mois -en direction de Saad Hariri, du courant du Futur et de l'Arabie saoudite- relève des fourberies de Scapin, plus que d’autres choses. Ce passage de l’interview de MTV constitue une information capitale que les médias du Liban auraient dû porter à la connaissance du peuple libanais.

1:33:45-1:37:00 / Michel Aoun a toujours des objections sur le Tribunal Spécial pour le Liban

Oui, tout le monde sait que Aoun s’est méfié du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) dès le départ. Oui, tout le monde se souvient aussi que Aoun considérait la veille des élections législatives de 2009, que le TSL « heidé tabkhit ba7ess », un plat de graviers. Mais, c’est incontestablement la première fois que Michel Aoun tire sur le TSL à un mois du début du procès des assassins de Rafic Hariri. Hallucinant.

Son offensive contre le TSL lundi soir, commence par ce constat à côté de la plaque : « Ça fait huit ans (que le TSL a commencé), mais il n’a pas encore tenu une audience. » Quel brouillon ! D’abord, le TSL n’a pas commencé il y a huit ans, c’est l’enquête qui a démarré en 2005. Ensuite, le TSL, la plus haute juridiction internationale, contrairement à ses alliés du Hezbollah et du régime syrien de Bachar el-Assad, ne fabrique pas les preuves sur commande, mais les cherche, et cela prend du temps ya général ya 3einé, surtout que le régime sécuritaire syro-libanais à l’époque de l’assassinat, a tout fait pour effacer une partie des preuves de la scène du crime devant le Saint-Georges. Enfin, pour info, la ma3louméto el 3ammé lal général, la première audience du TSL est fixée pour le 13 janvier 2014, soit dans 32 jours exactement. Alors, au lieu de continuer à tirer sur le TSL, il ferait mieux de cocher les jours qui nous séparent de ce rendez-vous historique avec la justice, dans le calendrier de sa cuisine.

S’en suit une offensive éclair, sous des prétextes bidon, contre l’obligation du Liban d’assurer 49 % des frais de fonctionnement du TSL. A la question de Walid Abboud de savoir « est-ce vous êtes contre le paiement du Liban de sa part pour financer le TSL ou contre la manière dont celui-ci s’est fait ? », Aoun assure qu’il est « contre les deux, car nous ne sommes pas obligés de payer une seule piastre, mais c’est à l’ONU, qui a décidé sans l’accord du Parlement, de le faire. » Se rendant compte qu’il vient de commettre une bourde, il essaie de se rattraper en commettant une encore plus grande avec « je ne suis pas contre le tribunal, je suis absolument contre le paiement... car celui-ci n’est pas passé par les organes légaux libanais. » Et le gouvernement libanais, c'est un organe génital peut être ? Et la fermeture du Parlement par le trio infernal du 8 Mars -Hassan Nasrallah, Michel Aoun et Nabih Berri- pendant un an et demi (déc. 2006-mai 2008), justement, pour empêcher la création du Tribunal Spécial pour le Liban, est légal peut être ? Que des foutaises mon général !

Depuis huit ans, le 8 Mars fait tout ce qui est possible et imaginable pour entraver l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri et discréditer le Tribunal Spécial pour le Liban, après avoir échoué à saboter sa création. Dernière tentative en date, il y a seulement quelques jours, l’offensive de la chaine de télé, al-Jadeed (NewTV), malgré sa mésaventure devant les locaux de la douane où ses reporters se sont fait tabasser, relance le brouillage des esprits des Libanais, avec l’éléphant rose sur la possible implication de Wissam el-Hassan dans l’assassinat de son patron, Rafic Hariri. C’est c’là oui, et Wissam el-Hassan fut assassiné à son tour par la suite pour un trafic de tulipes à l’aéroport de Beyrouth! Ou mieux, il a regretté son acte comme Judas jadis, et aurait organisé lui-même son assassinat par une voiture piégée en plein cœur d’Achrafieh le 19 octobre 2012! Foutaises. 

Soyons magnanimes, aidons ces amnésiques à retrouver la mémoire. En 2005, le chef des renseignements des Forces de sécurité intérieure était chargé de la sécurité de Rafic Hariri. Il n’était pas dans le convoi de l’ancien Premier ministre pour des raisons professionnelles. Cette absence a soulevé quelques questions, écartées rapidement par l’enquête. Il n’a jamais été suspecté de quoi que ce soit. Au grand dam de la coalition du 8 Mars et du dernier tyran des Assad, il a joué un rôle déterminant dans la progression fulgurante de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005 (la piste des télécommunications qui a conduit à l’accusation des cinq membres du Hezbollah par le TSL en 2011), dans le démantèlement des réseaux libanais d’espionnage au profit d’Israël (dont celui de Fayèz Karam, un proche collaborateur du général Michel Aoun) et dans le dévoilement du projet d’attentats à caractère confessionnel que Michel Samaha, un ancien ministre du 8 Mars, devait commettre au Liban à la demande personnelle de Bachar el-Assad.

En ce jour de triste mémoire, il convient également de rappeler aux amnésiques par conviction et par omission, dont fait partie le général Michel Aoun, que le Tribunal Spécial pour le Liban est le fruit d’un accord établi entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise. Il a été créé à la demande du gouvernement libanais de Fouad Siniora, en application des résolutions 1664 et 1757 du Conseil de sécurité, datant du 29 mars 2006 et du 30 mai 2007. L’article premier du statut du TSL stipule que « Le Tribunal spécial a compétence à l’égard des personnes responsables de l’attentat du 14 février 2005 (...) S’il estime que d’autres attentats terroristes survenus au Liban entre le 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005 ou à toute autre date ultérieure décidée par les parties avec l’assentiment du Conseil de sécurité ont (...) un lien de connexité avec l’attentat du 14 février 2005 et sont de nature et de gravité similaires, le Tribunal aura également compétence à l’égard des personnes qui en sont responsables. »

Yé3né, bel mchabra7, ya général ya ghaeiyyor 3a masale7 elmasi7iyé, les assassinats de Gebrane Tuéni (12 décembre 2005) et de Pierre Gemayel (21 novembre 2006), entre autres, relèvent également de la compétence du Tribunal Spécial pour le Liban. Yé3né, bala laf wou dawarann, ya général ya ghaeiyyor 3al 2awaninn el lebnéniyé, mettre des bâtons dans les roues du TSL, est une violation des lois internationales et de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité, dont une votée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies (qui autorise le Conseil à recourir à des mesures militaires ou non militaires « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales »), ainsi que des engagements pris par la République libanaise. Ces entraves ya général, sous diverses raisons aussi hypocrites que bidon, n'ont qu’un but, celui d’empêcher les Libanais non seulement de savoir qui a tué leur ancien Premier ministre, mais aussi qui a assassiné deux de leurs brillants représentants. C'est donc tout simplement inadmissible.

Encore une fois, le général Michel Aoun nous confirme que dans l’erreur, il y est et il est déterminé à y rester. Dans cette interview, il repousse les limites de l’inadmissible encore plus loin, en soutenant le maintien des armes du Hezbollah sans limite dans le temps et en s’attaquant au Tribunal Spécial pour le Liban à quelques semaines de sa première audience. Cela coïncide aussi avec une offensive soutenue du 8 Mars contre le TSL et la commémoration de l’assassinat de Gebrane Tuéni, qui a donné l’occasion aux partisans de son allié de distribuer des baklawas aux passants à l'annonce se sa mort il y a huit ans. Le reste de l’interview de GMA à MTV n’est que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el7aké ! Quiconque s’est limité à la lecture d’Annahar du mardi 10 décembre, pour s’informer de ce que Michel Aoun a dit à Walid Abboud lundi soir, est passé à côté de ces deux infos essentielles. Dommage. Etant donné la teneur de ces deux passages, ce zapping est pour le moins inquiétant. Il pose le problème de l’information au Liban. On n’a jamais eu autant de moyens de s’informer et pourtant, les Libanais sont encore mal informés.