lundi 30 mars 2015

Ce qui menace le plus les Libanais, ce n’est ni le Hezbollah ni Daech, mais la libéralisation des loyers anciens au Liban (Art.280)


D’après les délais réglementaires, propriétaires et locataires doivent se mettre d'accord sur la détermination des augmentations de loyer selon la loi de libéralisation des loyers anciens, avant le 31 mars 2015. Ceci nous amène à penser que la Commission parlementaire de l’Administration et de la Justice devrait terminer assez rapidement le rafistolage de la nouvelle loi, en corrigeant les trois articles invalidés par le Conseil constitutionnel il y a quelques mois. Dans un premier temps, la nouvelle version corrigée, que nous aurons bientôt, sera soumise au vote du Parlement et dans un second temps, promulguée de nouveau par le président de la République. « Houston we have two problems ! »

Le premier vient du fait que le Parlement autoprorogé, à la légitimité branlante, n’a plus le droit de légiférer, pas à cause de l’autoprorogation (processus anti-démocratique), mais du fait de la vacance présidentielle. Sur ce point la Constitution libanaise est parfaitement claire. Les articles 74 et 75 ne laissent aucune place au moindre doute. « En cas de vacance de la présidence par décès, démission ou pour toute autre cause, l’Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau Président... La Chambre réunie pour élire le Président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l’élection du Chef de l’Etat ». Mais, c’est sans compter sur le génie libanais. Les parlementaires autoprorogés ont eu le culot de trouver une fatwa aux articles 74 et 75 : al-tachri3 el-darouré, la législation nécessaire, avec une variante, al-tachri3 el-estesta2é, la législation exceptionnelle. C’est très malin, sauf qu’il n’y a rien dans la Constitution libanaise qui évoque la « nécessité » d’élaborer des lois d’une façon « exceptionnelle » en cas de vacance présidentielle. Actuellement, la nécessité exceptionnelle impose une seule tâche aux Parlementaires du Liban : élire le président de la République libanaise.

Il y a ensuite, le problème de la promulgation de la loi corrigée. Cela relève des prérogatives présidentielles, qui donnent le droit au Président de retourner la loi au Parlement ou de saisir le Conseil constitutionnel. Or, nous n’avons plus de président depuis le 25 mai 2014. En toute logique, le processus devrait donc être suspendu jusqu'à l'élection d'un nouveau président. Mais, là aussi, le génie libanais a eu le culot de trouver une fatwa. Le Conseil des ministres héritera des prérogatives présidentielles. C’est très malin, sauf qu’il n’y a rien dans la Constitution libanaise qui évoque un tel héritage dans la promulgation des lois. Et c’est logique. On ne peut pas être juge et partie. Le gouvernement, le pouvoir exécutif, et son soutien parlementaire, le pouvoir législatif, est à l’origine de la loi, il ne peut donc pas juger s’il faut retourner la loi au Parlement ou saisir le Conseil constitutionnel. En tout cas, il ne le fera jamais, puisque c’est « sa » loi.

On nage dans l’absurde ! Les parlementaires et les leaders libanais font comme si de rien n’était. L’Etat libanais se montre impitoyable avec un pauvre citoyen qui ne paye pas les droits de succession, son eau ou sa place de stationnement, mais, d’une tolérance incroyable pour les fatwa constitutionnelles. Comment demander aux citoyens libanais de respecter la législation, quand les politiciens ne respectent pas la Constitution ? Pitoyable.

Ceci étant, il faut savoir que le lobby immobilier est aujourd’hui pressé d’en finir par tous les moyens avec les locataires anciens. Ce qui menace le plus les Libanais de la classe moyenne de nos jours, ce ne sont ni les armes du Hezbollah, ni la barbarie de Daech, encore moins la tyrannie des Assad et le nucléaire iranien, mais la loi de libéralisation des loyers anciens. Au moment où le gouvernement libanais de Tammam Salam, ainsi que le Parlement qui lui accorde la confiance, ne parvient même pas à augmenter le salaire minimum libanais -qui s’élève à 450 $/mois sachant qu’un abonnement électrique privé peut engloutir jusqu’à 150 $/mois pour quelques misérables ampères, dans le pays des doubles factures au royaume du privé, où il n'existe aucune protection sociale digne de ce nom- aller comprendre par quelle bêtise, on a décidé de libéraliser les loyers anciens.

La libéralisation sauvage des loyers anciens au Liban, telle qu’elle a été décidée par le Parlement libanais, malgré les rafistolages de la commission parlementaire, aura de graves conséquences au pays du Cèdre, dont voici les grandes lignes.

1. La violation des droits séculaires des locataires libanais pour l’achat de leurs appartements avec une décote (30 à 50 %), et à l’indemnisation en cas d’expulsion (du même ordre), contrairement à ce qui se pratiquait depuis des décennies en application des lois libanaises en vigueur. Cette pratique de l’achat des appartements anciens à moitié prix au Liban, s’approche des pratiques françaises qui découlent de la loi de 1948 et qui concernent encore en 2015, plus de 200 000 foyers à Paris où le prix moyen du mètre carré se situe autour de 8 000 € et peut atteindre les 15 000 € dans certains quartiers. Rien n’interdisait au Liban de continuer à suivre la France en matière du logement, sauf la volonté politique et le lobbying des promoteurs, évidemment.

2. La violation de la décision du Conseil constitutionnel qui a recommandé au gouvernement et aux députés libanais d’établir le plan d’une véritable politique du logement qui doit garantir aux Libanais le droit au logement, en précisant bien que celles-ci devraient être mises en œuvre avant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation sur les locations. Il n’y a pas l’ombre d’un plan ! Pire encore, la Caisse bidon qui devrait venir en aide aux plus démunis, et qui ne concernera qu’une minorité des locataires anciens, n’a même pas vu le jour. Et pour cause, on prévoit de la renflouer avec les donations. Tabarrou3ett, une première mondiale ! De toute façon, la caisse est amenée à disparaitre dans 9 à 12 ans. Après, c’est la loi de la jungle en matière de logement au Liban.

3. L’expulsion immédiate, dès mercredi, sans indemnités, de milliers de locataires, quel que soit leur revenu, en vertu d’une interprétation biaisée de l’article 29 de la nouvelle loi, en refusant la transmission automatique du bail aux enfants dont les parents locataires sont décédés après 1992.

4. L’augmentation progressive des loyers pour des centaines de milliers de Libanais, jusqu’à 1 000 $/mois, soit 12 000 $/ans, d’ici 5 ans.

5. L’expulsion potentiellement programmée de presque la totalité des locataires anciens au Liban, d’ici 9 ans, notamment des natifs de Beyrouth et de Tripoli, sans indemnités, soit près d’un million de personnes au total, des logements qu’ils occupent depuis des lustres. Les Libanais de la classe moyenne seront remplacés par des gens de la classe aisée, libanaise et arabe, changeant radicalement le profil socio-économique de Beyrouth. L’exode économique transcommunautaire sera amplifié par la présence de 1,5 million de réfugiés syriens. Il n’y a plus un seul logement « bon marché » à louer sur tout le territoire libanais.

6. La ségrégation sociale et spatiale des Libanais, ce qui est contraire au principe de la Constitution libanaise, en renvoyant les locataires expulsés de la classe moyenne, s’entasser dans les périphéries, dans le but de mettre la ville de Beyrouth (notamment ses beaux quartiers d’Achrafieh, de Verdun, de Hamra, etc.), à la disposition des promoteurs sans vergogne et de la classe aisée.

7. La destruction totale du parc immobilier ancien, des immeubles de deux à six étages (la majorité des immeubles anciens), et la construction de tours d’une dizaine d’étages avec des appartements à vendre neufs à 3 000, 5 000 ou 10 000 $/m², aujourd’hui ou dans 9 ans, ou à louer à des prix exorbitants, 1 500, 2 000 ou 2 500 $/mois. Avec la nouvelle loi, nous pouvons donc dire adieu aux bâtiments à taille humaine à Beyrouth, à l’architecture typique de la ville, aux immeubles aux trois arcs et à tout ce qui fait le charme de la capitale libanaise.

8. Une spéculation immobilière sauvage qui rendra Beyrouth inaccessible à la majorité des Libanais, même ceux qui ne sont pas concernés par la loi de libéralisation des loyers anciens.

La loi de libéralisation des loyers anciens a été votée par plus de 90 députés libanais (sur 128), de toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues. Parmi les défenseurs zélés, on retrouve Robert Ghanem (Futur/Hariri), Samir el-Jisr (Futur/Hariri), Neemtallah Abi-Nasr (CPL/Aoun) et Ghassan Moukheibir (CPL/Aoun). S'y opposent les députés des Kataeb (Samy Gemayel, Nadim Gemayel, Elie Marouni, Fady Haber) et divers députés du 8M (Hagop Pakradounian/Tachnag, Kassem Hachem/Baath, Abdellatif Zein/bloc Berri), notamment du Hezbollah (Nawaf Moussaoui, Walid Succariyé, Bilal Farhat) et du CPL (Ziad Assouad et Elie Aoun). Les députés des Forces libanaises (Geagea) et du Parti socialiste progressiste (Joumblatt) sont aux abonnés absents.

Si la libéralisation des locations anciennes est mise en œuvre comme le souhaitent les promoteurs de la loi, le Liban devra se préparer à une véritable catastrophe sociale, au plus grand exode transcommunautaire de son histoire, à une défiguration du tissu urbain et social de Beyrouth et à un rejet de toute la classe politique actuelle, notamment du Courant du Futur, des Forces libanaises et du Courant patriotique libre, ceux qui se partagent la ville de Beyrouth sur le plan politique. Pour en savoir plus, rendez-vous ce soir sur New TV à 20h30, dans l’émission de Rima Karaki, « Lel nacher ». Wajih Damerji, le Zorro des locataires, affrontera Joseph Zgheib, le sergent Garcia des propriétaires, pour un débat passionné et passionnant.

vendredi 27 mars 2015

Fouad Siniora à la barre du Tribunal Spécial pour le Liban : faut-il regarder la vérité qu’il montre ou le doigt qui la montre? (Art.279)


Nul n’est au-dessus de son pays, avait coutume de dire Rafic Hariri. Encore moins, au-dessus de la critique. Il n’empêche que regarder le doigt, alors que le sage montre la lune, sachant que la célèbre maxime est connue de tous, disons sans ambages que cela relève du crétinisme. Depuis 40 ans, nous gémissons à longueur de journée et de colonne, de mur et de salon, qu’on tue les nôtres, dont deux présidents de la République, Bachir Gemayel et René Mouawad, sans que jamais personne n’ait été jugé. Et pour une fois, il est donné à ce peuple, cha3eb lebnen el3azim, d’assister en direct au jugement des assassins d’un de leurs anciens Premiers ministres, par une haute juridiction internationale que beaucoup de monde nous envie, on trouve toujours certains compatriotes déterminés à ne pas liker la page Facebook du Tribunal Spécial pour le Liban (1875 likes pour 4 millions d'habitants et 15 millions d'origine libanaise, la performance de la photo d'une potiche qui se prend pour le nombril du monde, et encore, habillée !), et d'autres compatriotes obstinés à regarder le doigt de celui qui leur montre la lune, à geindre encore, le plus sérieusement au monde, sur l’utilité du TSL, la politisation du TSL, le coût du TSL, la dominance de couleurs politiquement indésirables comme le rouge des robes et le bleu des écrans dans la salle d’audience du TSL, et à disserter en long, en large et de travers sur l'opération saoudienne « Tempête décisive », sur le mystère du crash de l'A320 et sur un tas d'autres sujets qui n'influenceront pas directement l'avenir du Liban.

Ceci dit, étant indépendant, je peux m’offrir le luxe de juger les dirigeants libanais à leur performance politique. J’ai beaucoup de choses à reprocher au 14-Mars, spécialement à Fouad Siniora, chef du bloc parlementaire du Futur. A commencer par le blocage du projet de loi sur la nouvelle grille des salaires et le vote de la nouvelle loi de libéralisation des loyers anciens, deux décisions incohérentes, prises sans tenir compte des difficultés financières de la classe moyenne au Liban. Dans ce domaine, il faut avouer que le 8-Mars, notamment le Hezbollah, s’est montré plus sensible à ces problèmes sociaux. Mais, ce n’est pas le sujet du jour. Faisons la part des choses. Aujourd’hui, le débat concerne la justice dans notre pays. Toutes les jérémiades des hypocrites ne sauraient détourner l’attention des Libanais de la lune, ni éclipser le soleil de la vérité qui, comme le disait si bien Victor Hugo, fait tout voir et ne se laisse pas regarder.

Qu’il ait dit la vérité ou pas, n’a strictement aucune importance. Et pourtant, le témoignage de Fouad Siniora ces quatre derniers jours, a toutefois un grand intérêt. Inutile de vous perdre dans les palabres de dizaines d’heures d’audiences à La Haye. Devant le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), Fouad Siniora a apporté un éclairage historique sur trois points précis qui devraient intéresses tout (com)patriote du pays du Cèdre.

1. Ce qu’on appelle le « système sécuritaire syro-libanais » (Ghazi Kenaan, Rostoum Ghazalé, Emile Lahoud, Jamil el-Saïyed, etc.), n’était qu’un « outil syrien » pour soumettre le « Liban souverain » au joug de la « dictature de la Syrie ». Rappelons que contrairement à ce qui s’est passé au cours du Printemps arabe tunisien, personne de cette clique n’a été jugé pour la répression sanglante des citoyens Libanais (notamment des Forces libanaises, des Kataeb et du Courant patriotique libre), pendant la période de Terreur syrienne entre le 13 octobre 1990 (début de l’occupation syrienne complète du Liban) et le 26 avril 2005 (retrait des troupes syriennes du Liban, après 29 ans d’occupation) ou pour les assassinats et tentatives d'assassinat commis entre 2004 et 2013 (de Marwan Hamadé à Mohammad Chatah), encore moins pour les crimes perpétués par les troupes syriennes pendant l'occupation du Liban entre 1976 et 2005. 

2. Le manitou du système sécuritaire syro-libanais était Bachar el-Assad. Il « tenait le Liban d’une main de fer », comme nous l’a confirmé Fouad Siniora, un témoin clé de cette sale période. Le dernier tyran des Assad est donc forcément impliqué dans l’attentat du 14 février 2005. Ce n’est qu’un secret de Polichinelle. Des preuves ? Comme par hasard, Bachar el-Assad a forcé son coreligionnaire alaouite, Ghazi Kenaan, l’ancien chef des services de renseignement au Liban pendant 20 ans (1982-2002), celui qui a créé un « puissant réseau d'influence, d'intimidation et de terreur » au pays du Cèdre, à se suicider quelques semaines seulement après son témoignage devant la commission de l’ONU qui enquêtait sur l’attentat du 14 février 2005. Et comme par hasard aussi, Imad Moughniyeh, le responsable des opérations du Hezbollah, « le partisan de la guerre clandestine et un théoricien de l'attentat à la voiture piégée et de la prise d'otages » (Wikipédia svp), l'homme le plus discret au monde, a trouvé la mort lui également, dans l'explosion de sa voiture à Damas, le 12 février 2008, un an avant la mise en route du tribunal international en charge de juger les assassins de Rafic Hariri. L’histoire ne dit pas si le premier s’est tiré deux balles dans la tête et si le second a lui même piégé sa voiture, mais il ne manquait plus que de faire croire aux niais, ceux qui regardent aujourd’hui le doigt de Fouad Siniora, que le crocodile syrien s'est suicidé parce qu’il avait perdu son hamster et le loup libanais s'est fait exploser parce qu'il avait un problème de prostate !

On apprend aussi du témoignage de l’ancien Premier ministre de la seconde Indépendance, que si le fondateur de cette dynastie tyrannique syrienne, Hafez, était un dictateur qui restait à l’écoute de ses interlocuteurs même s’il ne tenait pas compte de ce qu’on lui disait, le fils, est de surcroit, une véritable racaille, insultant et menaçant. En tout cas, même après le retrait syrien du Liban, Bachar el-Assad est demeuré le paramètre le plus influent de la météo politico-sécuritaire au pays du Cèdre. Pour rappel, actuellement, les leaders alaouites libanais, les Eid, père et fils, sont réfugiés chez le tyran de Damas, après leur inculpation dans le double attentat qui a ensanglanté la communauté sunnite de Tripoli en août 2013, dont le but était d'embraser le Nord du Liban. Actuellement aussi, Michel Samaha, une figure importante de la nébuleuse politico-sécuritaire syro-libanaise, croupit en prison, pas à cause de faits survenus pendant la période de répression syrienne (1990-2005), mais pour la possession en 2012 de 24 charges explosives, fournies par le régime syrien. Il devait commettre des attentats à caractère confessionnel au Liban, dont l’assassinat du patriarche maronite et de députés sunnites dans les régions sunnites du Nord, décidément, et les attribuer à des djihadistes sunnites libanais. Les ordres venaient de Bachar el-Assad dont l'objectif visait à déclencher une guerre confessionnelle entre les Libanais

3. Le Hezbollah aurait tenté d’assassiner Rafic Hariri à plusieurs reprises, selon un soi-disant aveu du défunt à son ministre, fin 2003, début 2004. Pourquoi ne l’a-t-on pas su avant ? Mystère. Y-a-il des preuves ? Aucune. Que vaut réellement cette information ? Pas grand-chose, évidemment, en dépit de la tempête médiatique qu’elle a déclenchée de part et d’autre. Cette révélation est périmée, disons dépassée, puisque le TSL a justement comme mission de juger cinq membres du Hezbollah de l’assassinat même de Rafic Hariri ! Il ne faudra peut-être pas l'oublier.

Par ailleurs, il serait inutile de s’attarder sur la stratégie de défense des avocats des cinq membres du Hezbollah qui a consisté à multiplier les sujets de diversion sur la dette publique du Liban, la création de Solidere, la privatisation du réseau téléphonique mobile, les entretiens avec Feltman (l’ambassadeur américain au Liban), la détention des quatre généraux (chargés des postes de sécurité), etc. Certes, cela relève du boulot de la défense, il n’empêche que le président de la Chambre de première instance, David Re, n’a pas cessé de demander au franco-libanais, maitre Antoine Korkmaz, avocat de Mustafa Badereddine, le principal accusé du Hezbollah, de formuler clairement ses hypothèses, au lieu de tourner autour du pot en multipliant les questions à l'infini, et d’avoir des documents pertinents à présenter à la barre à la place des « je crois », « je pense » et « de mémoire ».

Comme tout témoignage de ce genre, celui de Fouad Siniora ne comporte pas de révélations fracassantes. Il n’empêche que cette apparition à la barre du TSL revêt un caractère exceptionnel. Grâce au témoignage de l’ancien ministre des Finances de Rafic Hariri, les citoyens libanais ont enfin l’opportunité, d’une part, de reconstituer le climat politico-sécuritaire d’une époque sombre, après l’extension de l’occupation syrienne à la totalité des régions libanaises en 1990 (merci Bush père !), d’évaluer la nature des contraintes syriennes imposées continuellement à l’ancien Premier ministre de la reconstruction, Rafic Hariri, et de mesurer les menaces grandissantes qui pesaient sur lui, au fur et à mesure qu’il réussissait à reconstruire le Liban, qu’il devenait populaire et qu’il essayait d’affirmer la primauté de la souveraineté libanaise sur l’occupation syrienne.

Dans ce sillage, il convient de rappeler que la Terreur syrienne avait déjà atteint son zénith dès le mois d’avril de l’année 1994, avec la constitution de dossiers judiciaires par le système sécuritaire syro-libanais contre Samir Geagea, le chef du parti des Forces libanaises, le dernier des Mohicans du Cèdre à rejeter l’occupation syrienne du Liban. Mais à l’époque, personne n’avait bien compris que la répression qui frappait les opposants chrétiens de plein fouet, allait rapidement toucher les sunnites aussi de plein fouet. Toujours est-il, le gouvernement de Rafic Hariri était alors contraint d’emprisonner Samir Geagea au sous-sol du ministère de la Défense et de dissoudre le parti chrétien, les mesures furent annoncées par l'apprenti terroriste, Michel Samaha, ami personnel du terroriste en chef, Bachar el-Assad. Aujourd'hui, le premier croupit en prison près de Beyrouth, le second s'enterre dans son palais à Damas et Samir Geagea a retrouvé sa liberté. Eh oui, l’histoire peut se montrer impitoyable !

Enfin, terminons sur des anecdotes. Savoir si Rafic Hariri était affecté au plus profond de lui-même par les entretiens humiliants qu’il a eus avec Bachar el-Assad au point de pleurer un jour sur l’épaule de son ami de longue date, Fouad Siniora, franchement, c’est une préoccupation de poissons rouges. A ce propos, le dernier épisode du TSL a permis de découvrir des admirateurs de Rafic Hariri ici et là qui s’ignoraient jusqu’au témoignage de Fouad Siniora à La Haye et qui se sont réveillés offusquer par le récit de ce compagnon de route ingrat qui aurait eu le culot de montrer l’ancien Premier ministre sous un angle de « mollasson ». Breaking News, ça vient de tomber. Bachar el-Assad demande de témoigner d’urgence à La Haye. « Fouad Siniora ment. Quand je l’ai insulté et menacé, Rafic Hariri m’a semblé imperturbable ». Ah, le tyran de Damas vient de commettre l’erreur du milliardaire américain Robert Durst qui a avoué par inadvertance trois meurtres qu’il aurait commis, au cours du tournage d’un documentaire sur lui. Hitchcock avait bien raison, Le crime était « presque » parfait. Eh oui, il ne pouvait pas l’être complètement, même quand on a des troupes qui tiennent le pays d’une main de fer et qui ont tout fait avec les collabos du coin pour effacer les preuves de la scène du crime. Tenez, c’est encore ce qui sort du témoignage de Fouad Siniora devant le TSL. Un élément de plus qui prouve que Bachar el-Assad est directement impliqué dans l’assassinat de Rafic Hariri. Affaire à suive.

samedi 14 mars 2015

8-Mars vs. 14-Mars, 25 matchs de la décennie post-indépendance : si le 8-Mars a raté des rendez-vous politiques, le 14-Mars a loupé en plus, des rendez-vous sociaux (Art.276)


Beaucoup de compatriotes trouveront qu’il est inutile de palabrer de nos jours sur les bilans des mouvements politiques nés le 8 et le 14 mars 2005, respectivement le 8-Mars (8M) et le 14-Mars (14M), puisqu’il n’en reste plus rien en réalité. Je ne suis pas de cet avis, mais alors, pas du tout. J’ai contribué moi aussi comme des centaines de milliers de Libanais pour transformer ces journées ordinaires du calendrier, en deux dates extraordinaires de l’histoire du Liban qui ont façonné son avenir. Et pour le démontrer, j’ai souhaité aujourd'hui survoler avec une certaine neutralité, bien que difficile, les réalisations et les ratés des deux camps, au-delà du clivage politique et des débats stériles, que j’appellerai les « rendez-vous », manqués sans doute pour les perdants, aux niveaux politique, sécuritaire, judiciaire, économique, écologique ou social. Je vous propose donc une sélection personnelle de 25 matchs survenus entre 2005 et 2015, qui prouvent qu'au Liban il y a bel et bien deux camps, issus de ces deux manifestations historiques qui façonneront l'avenir du pays du Cèdre encore pour longtemps. Les résultats sont soit « 0 », pour nul, soit « 1 », le bon point qui va à qui de droit. Ils sont accompagnés d’un commentaire explicatif de la notation attribuée.

1. Nombre de participants aux manifestations historiques du 8 et du 14 mars 2005 : 8M(0)-14M(1)
Autour de 400 000 pour le 8M, 1 000 000 pour le 14M. Toutes les composantes politiques de l’échiquier libanais étaient présentes le 14 mars 2005 place des Martyrs à Beyrouth, toutes appartenances communautaires confondues, à l’exception du Hezbollah et les partis apparentés. Les sympathisants du Courant patriotique libre ont manifesté le 14 mars 2005 et non le 8 mars 2005. Mais, le 6 février 2006, Michel Aoun s’est repositionné dans le camp du 8M. Il y est toujours et plus que jamais.

2. Création d'une coalition multiconfessionnelle : 8M(1)-14M(1)                     
Le 8M aujourd'hui, et pas en 2005, regroupe de facto, le Hezbollah (un parti chiite), Amal (chiite), le Courant patriotique libre (chrétien), le Parti socialiste (druze), le parti national syrien (multiconfessionnel) et le parti Baath. Le 14M regroupe depuis 2005, le Courant du Futur (multiconfessionnel à dominante sunnite), le parti des Forces libanaises (chrétien), les Kataeb (chrétien) et des indépendants (multiconfessionnel). L'avantage de cette dichotomie républicaine réside justement dans cette répartition multiconfessionnelle dans chaque camp.

3. Retrait des troupes d'occupation syriennes du Liban le 26 avril 2005 : 8M(0)-14M(1) 
La manifestation du 8 mars 2005 s'est déroulée sous le slogan « Merci la Syrie des Assad », à peine trois semaines après l’assassinat de Rafic Hariri. Le rassemblement du 14 mars 2005 a eu lieu sous la bannière « La Syrie dehors ». La tyrannie des Assad, qui occupait le Liban depuis 29 ans, était rendue responsable du meurtre de l’ancien Premier ministre libanais, comme elle l’a été pour un autre Premier ministre, Rachid Karamé (1987), et deux présidents de la République, Bachir Gemayel (1982) et René Mouawad (1989).

4. Assassinats politiques entre 2004 et 2013 : 8M(0)-14M(1)   
L'écrasante majorité des personnalités assassinées et qu'on a tentées d'assassiner entre 2004 et 2013 font partie du 14M. De forts soupçons pèsent sur le Hezbollah, qui est poursuivi actuellement par le Tribunal Spécial pour le Liban pour l’exécution de Rafic Hariri et de 21 autres personnes le 14 février 2005.

5. Premières magouilles politiciennes post-indépendance : 8M(0)-14M(0)
Elles concernent l’accord quadripartite qui a été conclu entre les leaders musulmans (Hariri-Joumblatt-Berri-Nasrallah), quelques semaines après les manifestations historiques, au détriment des leaders chrétiens (Aoun-Gemayel-Geagea). Ce fut le premier faux pas du 14M fraichement constitué.

6. Recherche de la justice dans les assassinats politiques : 8M(0)-14M(1)
Les forces d'occupation syrienne, puis le 8M par la suite, ont tout fait pour égarer les enquêteurs, empêcher la naissance du Tribunal Spécial pour le Liban et entraver l’action de la justice. Après la publication des actes d'accusation, le Hezbollah a même élevé les cinq accusés de l’assassinat de Rafic Hariri, au rang de « saints ». Eh oui, ça veut tout dire !

7. Vie quotidienne : 8M(0)-14M(0)                                          
En ce qui concerne la vie quotidienne au pays où coulaient jadis le lait et le miel -comme par exemple au niveau de la distribution de l'eau potable à tous les étages, de l'alimentation électrique (par l'Etat ou les générateurs privés) et des embouteillages- que l'on soit sous un gouvernement du 8M ou du 14M, voire sous un gouvernement de cohabitation, la situation n'a pas changé radicalement en dix ans. C’est la galère quotidienne pour tous les Libanais et ce n’est pas prêt de s'arranger. C'est donc un double zéro aux deux camps.

8. Détention et usage d'armes légères et lourdes en dehors des forces armées libanaises : 8M(0)-14M(1)
Le Hezbollah détient un arsenal conséquent, des armes légères et lourdes, d'une manière illégale, sans autorisation de l'Etat libanais, en violation de l'Accord de Taëf et des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU n° 1559 et 1701. Il s'en est servi le 7 mai 2008 à Beyrouth et dans le Mont-Liban.

9. Mise en danger physique de l'ensemble de la population libanaise : 8M(0)-14M(1)
La milice chiite mène des opérations contre Israël (12 juillet 2006 et 28 janvier 2015) et en Syrie (depuis 2012), sans l’accord des autorités libanaises alors que celles-ci mettent en danger l'ensemble de la population libanaise. Hélas, ce n’est pas prêt de changer.

10. Mise en danger de l'économie libanaise : 8M(0)-14M(0)      
Le 8M a mis en danger l’économie du Liban en occupant le centre-ville de Beyrouth pendant un an et demi (2006-2008), mais aussi par l'insécurité due aux assassinats politiques (depuis 2004), par l'enlisement du Hezbollah dans la guerre civile en Syrie (depuis 2012) et par la dissémination des armes au Liban. Le 8M et le 14M, conjointement, font prendre au pays du Cèdre le risque de déposer le bilan, en ne faisant pas approuvé le budget de l'Etat libanais par le Parlement libanais depuis dix ans et en ne prévoyant aucun plan ou ne serait-ce qu’une utopie de plan pour réduire notre dette abyssale qui s’élèvera vers la fin de l’année 2015, à 69 milliards $, soit 152 % du PIB. Notre dette aura donc pratiquement doublé au cours de cette décennie

11. Respect des règles démocratiques : 8M(0)-14M(1)            
Cette décennie politique a été marquée par une vacance législative de plus d'un an et demi due à la fermeture du Parlement par le 8M (2006-2008), une vacance ministérielle (dans les faits) d'une année due aux obstacles mis par le 8M pour la formation du gouvernement de Tammam Salam (2013-2014) et deux périodes de vacance présidentielle (en 2007-2008 et en 2014-2015) de plus de 15 mois (à ce jour), par la faute du 8M comme on le verra plus loin. Notons par ailleurs, que malgré le revirement politicien de Walid Joumblatt, qui est passé dans le giron du 8M, be leilé wou dou7aha, lors de cette fameuse nuit des Chemises noires (déploiement des miliciens du Hezbollah dans les rues de Beyrouth en janvier 2011), Saad Hariri a cédé son poste de Premier ministre au candidat du 8M, Najib Mikati.

12. Politique écologique de la municipalité de Beyrouth : 8M(1)-14M(0)
La municipalité de Beyrouth qui est contrôlée par le 14M depuis plus de dix ans, n’a pris aucune mesure pour arrêter la mutilation des ficus des trottoirs dans une région où l’on crève de chaleur plus de la moitié de l’année, et n’est toujours pas décidée à ouvrir le plus grand espace vert de la capitale aux résidents de la ville, une ouverture qui était prévue initialement en 2002, c’est-à-dire il y a 13 ans ! Pire encore, elle prévoit de faire passer une autoroute en plein cœur d’Achrafieh, condamnant de milliers de Beyrouthins à la nuisance et à la pollution, et elle est même déterminée à bétonner 2/3 du sous-sol d'un jardin d’Achrafieh (Jésuites à Geitawi) pour en faire un parking, deux sujets que j’ai couvert en long et en large dans le passé.

13. Attente de l'issue de la guerre civile syrienne : 8M(0)-14M(0) 
Depuis 4 ans, le 8M croit chaque mardi que Bachar el-Assad va écraser la rébellion et le 14M espère en finir avec le tyran de Damas chaque vendredi. Maintenant, on a rajouté l'attente de l'issue des négociations entre l'Iran et les pays occidentaux, ainsi que le changement de la garde-robe de la Première dame à la Maison-Blanche dans deux ans. Précisons à tout hasard, que les attentes n'ont jamais constitué une politique volontariste efficace, même à l'époque de Nabuchodonosor. Sinon, on n'en serait pas là, n'est-ce pas ?

14. Implication dans le terrorisme : 8M(0)-14M(1)                  
Indépendamment du procès qui se déroule actuellement à La Haye et qui vise le Hezbollah pour l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, la milice chiite figure depuis l'été 2013 sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. A part cela, l'affaire de cette décennie politique écoulée réside sans doute dans l'incarcération de Michel Samaha (affilié 8M, ami de Bachar el-Assad), une mesure inimaginable si les charges qui pèsent sur lui n'étaient pas d'une grande gravité et s'il n'a pas été pris en flagrant délit. Le régime syrien lui avait confié la mission de mener une vingtaine d'attentats terroristes à caractère confessionnel au Liban (2012), dont l'un devait viser le patriarche maronite dans une région sunnite. Ce n'est pas pour rien qu'on a tenté de le liquider récemment. Cette décennie est marquée aussi par la fuite chez le régime syrien des leaders alaouites libanais, les Eid père et fils (affiliés 8M), après la mise en évidence de leur implication dans un double attentat qui a visé des mosquées sunnites de Tripoli (en 2013, plusieurs dizaines de morts). Samaha et les Eid ont été défendus pendant un certain temps par le Hezbollah.
                                                                                                         
15. Gestion du dossier des réfugiés syriens au Liban : 8M(0)-14M(0)       
Le Liban croule sous le poids de 1,5 à 2 millions de Syriens (réfugiés et déplacés) pour une population libanaise estimée à près de 4 millions. Au déclenchement de la révolution en Syrie en 2011, c'est le 8M seul qui était aux commandes au Liban. Il est resté plus de trois ans. Même s'il était difficile d'agir autrement, même si le 14M était au pouvoir, il porte quand même l'entière responsabilité dans l'afflux massif et incontrôlé des réfugiés syriens au Liban.

16. Pourrissement de la situation à Ersal : 8M(0)-14M(0)         
En refusant un contrôle strict de l'afflux des réfugiés syriens au Liban, et en laissant certains députés sunnites affiliés au 14M en roue libre pendant trop longtemps (dont Khaled Daher, suspendu depuis un mois du bloc parlementaire du Futur suite à ses positions politiques ambiguës et sa charge contre les symboles religieux chrétiens au Liban, et Mouine El-Merhebi, dont les charges contre l’armée libanaise sont légion et qui a reçu il y a quelques semaines « une dernière mise en garde » de la part du Futur), le 14M s'est rendu indirectement complice du pourrissement de la situation à Ersal, qui a permis l'infiltration parmi les réfugiés et l'enracinement dans la région de terroristes syriens appartenant à Daech et à Jabhat al-Nosra, et la prise en otage de cette ville sunnite de la Bekaa, que la milice chiite cherche à neutraliser par tous les moyens depuis son implication massive dans la guerre en 2012.

17. Déploiement de l'armée libanaise le long de la frontière syro-libanaise : 8M(0)-14M(1)           
Même s’il n’a pas pu le faire quand il était au pouvoir, le 14M réclame ce déploiement depuis des lustres. Le 8M s'y est opposé farouchement, notamment quand il était seul au pouvoir (2011-2014, période qui a connu l’implantation de Daech et de Nosra dans le jurd de Ersal), afin de maintenir cette zone de libre-échange avec le régime syrien.

18. Implication massive dans la guerre civile en Syrie : 8M(0)-14M(1)                  
Après avoir nié pendant longtemps, le Hezbollah reconnait son implication massive dans la guerre syrienne aux côtés du régime de Bachar el-Assad. La nécrologie de la milice chiite précise que ses miliciens meurent dans « l'accomplissement de leur devoir djihadiste ». Le Hezbollah a déjà perdu plusieurs centaines de miliciens en Syrie.

19. Implication personnelle dans la guerre civile en Syrie : 8M(1)-14M(0) 
On estime à plusieurs centaines de personnes le nombre de Libanais sunnites impliqués à titre personnel dans la guerre civile syrienne aux côtés des rebelles. Même si aucun parti du 14M ne les soutient, ils s'y rendent sans que personne ne les en empêche.

20. Nouvelle loi électorale : 8M(0)-14M(0)
Le 8M et le 14M se sont entendus pour proroger le mandat du Parlement élu pour quatre ans en 2009, mais n’étaient pas disposés pour rédiger une nouvelle loi électorale afin de remplacer la loi féodale de 1960. Pire encore, depuis l'autoprorogation, bientôt deux ans, le sujet n'a même pas été abordé. Double zéro aux deux camps et c’est largement mérité.

21. Tenue des élections législatives en juin 2013 : 8M(0)-14M(0)  
Le motif sécuritaire n'était qu'un prétexte. Chaque camp craignait que l'autre camp ne l'emporte. Bonjour la démocratie ! Le statu quo, en attendant l’issue de la guerre en Syrie, arrangeait à la fois le 8M et le 14M. Bilan des courses, une double entente pour un double mandat, salaires payés bien entendu, pour un double zéro qui est là aussi, bien mérité.

22. Nouvelle loi de libéralisation des locations anciennes votée le 1er avril 2014 : 8M(1)-14M(0)    
Du fait de la nouvelle loi sur les locations anciennes, on estime que près de 800 000 Libanais verront leurs loyers augmenter en moyenne de 1 000 $/mois dans 5 ans et seront expulsés de leurs logements dans 9 ans, sans aucune indemnité. Cette loi conduira de facto à l’expulsion de la classe moyenne et des natifs de Beyrouth de la capitale libanaise, à une spéculation immobilière sauvage qui rendra Beyrouth inaccessible à la majorité des Libanais, à une ségrégation sociale et spatiale des communautés libanaises et à la destruction du peu qui reste du parc immobilier ancien de la ville. La loi du logement a été concoctée et défendue avec acharnement par le Courant du Futur (notamment par les députés Robert Ghanem et Samir el-Jisr) alors que sa base sunnite de Beyrouth sera pleinement concernée. Elle est soutenue fermement par certains députés du Courant patriotique libre (dont Neemtallah Abi-Nasr et Ghassan Moukheiber). S'y opposent les députés des Kataeb (Samy Gemayel, Nadim Gemayel, Elie Marouni), et divers députés du 8M, notamment du Hezbollah (Nawaf Moussaoui et Walid Succariyé) et du CPL (Ziad Assouad). Les députés des Forces libanaises sont aux abonnés absents alors que leur base à Beyrouth sera aussi touchée de plein fouet. Pour résumer disons que le Courant du Futur, les Forces libanaises et le Courant patriotique libre n’ont semble-t-il pas trouver mieux que de se tirer une rafale de kalachnikov dans les pieds. La 7awla wala qowata ella bellah !

23. Projet de loi sur la nouvelle grille de salaires de la fonction publique : 8M(1)-14M(0)   
Le 14M s'est opposé au vote de la nouvelle grille de salaires sous motif que son financement n'est pas assuré convenablement, alors que le salaire minimum libanais n'est que de 450 $/mois, que toutes les factures dans ce pays sont doubles (électricité, eau et téléphone), qu’il n’existe que peu de protections sociales, que les Libanais se saignent pour éduquer leurs enfants ou se soigner, et qu’un abonnement électrique privé peut coûter plus de 150 $/mois pour quelques misérables ampères par jour. Enfin, notez que cela n'a pas empêché le 14M de voter la libéralisation des loyers anciens (ces loyers passeront de 50 à 1 000 $/mois), en prévoyant que la Caisse de l'Etat qui viendrait en aide aux plus démunis, pendant seulement 9 ans (après c'est la loi de la jungle), sera renflouée par les donations. Une première mondiale !
                                                                                                         
24. Absences médiatiques remarquées : 8M(0)-14M(0)
La palme d'or du côté du 8M revient à Gilberte Zouein, sans partage. Pour la 10e année consécutive, personne ne connait le timbre de la voix de cette députée aouniste, pourtant diplômée d'histoire et de sciences politiques, présidente de la commission parlementaire de la femme. Du côté du 14M, il y a deux ex-aequo, Nayla Tuéni (indépendante ; bien que rapporteuse de la commission parlementaire de la femme, on ne l’entend même pas lors de la journée annuelle de la femme, le 8 mars ; avec ce duo de choc, les femmes libanaises auront donc leurs quotas avec la prochaine éclipse totale du soleil au Moyen-Orient, en 2081) et le sacré Okab Sakr (Futur), toujours empêtré dans le trafic de cure-dents en Syrie. Pour rappel, un député coute près de 400 000 $/mandat aux contribuables libanais. On en a 128 au total, que certains voudraient faire passer à 134, alors que la moitié serait largement suffisant et sachant que de toute façon, l’efficacité globale des parlementaires libanais laisse beaucoup à désirer.
                                                                                                         
25. Election présidentielle : 8M(0)-14M(1)                              
Je termine ce survol par le match le plus consternant de cette décennie. Les députés du 14M, dont le candidat à la magistrature suprême est Samir Geagea, se sont rendus aux 20 séances d'élection présidentielle qui se sont tenues au Parlement libanais depuis le 25 mai 2014. Les députés du 8M, dont le candidat est Michel Aoun, les ont boycottées toutes, à l’exception de la première. Ces derniers portent donc une très lourde responsabilité dans la vacance présidentielle qui est en place depuis plus de neuf mois.

Comme on le voit, ces 25 matchs de la décennie post-indépendance entre le 8-Mars et le 14-Mars, laissent apparaitre que si les premiers ont raté brillamment tous les rendez-vous politiques, ou presque, les derniers, malgré quelques belles performances, ont loupé un grand nombre d’entre eux, ainsi que la totalité des rendez-vous sociaux, ou presque, ce qui est beaucoup plus inquiétant pour les prochaines élections législatives. Enfin, que personne ne s’y trompe, tôt ou tard, il y en aura. Et ce jour-là, on n’entendra que « les pleurs et les grincements de dents », comme le disait si bien Jésus de Nazareth. A moins qu'il n'y ait un miracle ou un sursaut, allez savoir ! En tout cas, mieux vaut tard que jamais et il n'est jamais trop tard pour bien faire, que l'on soit du 8-Mars ou du 14-Mars.