mercredi 20 juin 2018

Du scandale Aoun-Hariri-Machnouk à l'affaire Ibrahim-Berri-Nasrallah : « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette » (Art.539)


Dans une démocratie bananière comme la nôtre, on n'a pas le temps de souffler, encore moins de nous ennuyer. C'est à peine si nous en disposons suffisamment pour enterrer dignement nos scandales, enfin, les leurs. Désolé de vous faire savoir au début de la saison estivale que nous avons eu tout faux ces derniers temps. Nos « Schpountz », contrairement à l'héros de Marcel Pagnol, ne sont pas simplets. De là à croire que les dirigeants libanais sont intelligents, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai point personnellement. Et pourtant, comme Irénée Fabre, le commis-épicier du film français de 1938 qui croit être un acteur né, les responsables libanais se considèrent eux-aussi comme des hommes providentiels. Autre caractéristique partagée avec le schpountz de Pagnol, « ils ne sont pas bon à rien, ils sont plutôt mauvais à tout », à prononcer avec le bon accent marseillais dans la bouche et une odeur de pastis dans le nez, en ayant en tête la tronche de Fernandel quand il fait le con. Même dans les scandales, ça ne vole jamais très haut dans nos contrées.


Tout a commencé récemment avec l'article 49. Voté pratiquement par l'ensemble des députés sortants représentant toute la classe politique, et défendu notamment par le Courant patriotique libre, le Courant du Futur et le mouvement Amal, qui donnait khabet laze2 heik, la « résidence à vie » au Liban aux propriétaires étrangers sous certains conditions (l'achat d'un logement d'une valeur de 500 000 $ à Beyrouth et de 330 000 $ en dehors), il est aujourd'hui enterré. Il ressuscitera en temps et en heure, bien évidemment. A l'éclatement du scandale, Ibrahim Kanaan, député du CPL et chef de la commission parlementaire des Finances et du Budget, à l'origine de cette mesure incongrue -qui encouragera la spéculation immobilière, le blanchiment d'argent et l'implantation d'une frange de déplacés syriens au Liban- a prétendu que que c'était une « résidence temporaire ». A la publication de la loi de finances, on s'est aperçus que c'était faux. Il avait donc menti au peuple libanais. Il n'était pas le seul à tomber dans cette malhonnêteté politique. Est-ce que le pays s'est arrêté pour autant afin de demander à Kannaan & Co des comptes ? Non mais pourquoi, tout va très bien Madame la Marquise !

A peine nous étions débarrassés de l'article 49, surgit alors le scandale du décret de naturalisation de ressortissants palestiniens, qui constitue une atteinte flagrante à la Constitution libanaise, et de ressortissants syriens peu recommandables, des proches du tyran de Damas, Bachar el-Assad, des corrompus, des corrupteurs et des évadés fiscaux, et même un Franco-Algérien recherché par les autorités judiciaires italienne et algérienne. Actuellement, le décret est en soins intensifs. Pas pour longtemps. La couleuvre était trop grosse à avaler. Mais il s'en sortira, naturellement.

Au début du scandale, Ziad Baroud, un homme de droit respecté, et Nadim Koteich, un homme de média reconnu, sont montés au créneau, non pour dénoncer la légitimité bidon d'un tel décret, mais au contraire, pour attaquer leurs compatriotes qui ont eu le malheur de souligner les irrégularités de cette naturalisation en catimini et le caractère top-secret du décret. Et pourquoi donc? Parce que les deux hommes sont proches des trois co-signataires du décret, Michel Aoun, Saad Hariri et Nouhad Machnouk. A la publication du décret, sous la pression de quelques médias et des réseaux sociaux, les doutes ont été confirmés. On s'est aperçus que le pouvoir représenté par Aoun-Hariri-Machnouk, ainsi que ses défenseurs Baroud-Koteich & Co, avait menti au peuple libanais. Est-ce que le pays s'est arrêté pour autant afin de demander à tout ce beau monde des comptes? Non mais pourquoi, tout va très bien Madame la Marquise !

Le scandale du jour c'est la dispense des ressortissants iraniens de se faire tamponner le passeport lors de leurs visites au Liban, à l'arrivée comme au départ, ce qui est le cas habituellement pour le reste du monde. Ce ne sont pas des touristes, routards et babacools, dont il est question, mais de proches du régime des mollahs, faut peut-être le préciser d'emblée. Comme pour les deux autres scandales, tout se passe en trois temps. Le déni, la confusion, la confirmation. Le chef de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, affirme que la mesure est « normale et naturelle » et surtout, qu'elle existe depuis des « dizaines d'années ». Faux, rétorque Nouhad Machnouk, le ministre de l'Intérieur, qui certifie que la décision est récente et n'est pas normale, elle a été prise il y a seulement quelques jours. Pas besoin d'être dans les secrets des dieux pour se faire une idée de la question. Comme par hasard, les Libanais n'ont pris connaissance du privilège accordé aux Iraniens qu'à travers un opposant iranien ! Les raisons invoquées sont vaseuses. On dit que l'officialisation du passage des ressortissants iraniens par le Liban, en apposant un tampon sur leur passeport, peut leur être préjudiciable pour obtenir un visa et se rendre en Europe. Ya haram, le Liban ne peut pas tolérer cette discrimination et un traitement si humiliant ! Yé3né bel 3arabé el mchabra7, le Liban a décidé de compliquer la tâche des autorités des pays de l'Union européenne, afin de faciliter la vie des ressortissants de la République islamique chiite d'Iran, qui je le rappelle ne sont ni des touristes ni des routards ni des babacools, mais forcément des proches du régime des mollahs, comme si de rien n'était, comme si cela faisait partie des intérêts du Liban, comme si le traité nucléaire n'est pas remis en cause et comme si les sanctions américaines qui se profilent n'enverront pas le pays des mollahs au ban des nations.

Pas besoin d'être expert non plus pour imaginer qu'une décision politique de cette importance n'est pas une simple mesure administrative que le chef de la Sûreté générale peut prendre seul dans son coin. Elle nécessite au mieux, l'aval du ministre de l'Intérieur, au pire, le feu vert du Conseil des ministres. Il n'en est rien. Etant de confession chiite, selon le Pacte national revu et corrigé, Abbas Ibrahim n'a pas pu prendre une décision de cette portée sans le consentement du duo chiite Nabih Berri et Hassan Nasrallah. Sans l'ombre d'un doute, ces deux hommes sont certainement à l'origine de cette contorsion aux règles en vigueur au pays du Cèdre. Et comme par hasard, alors qu'il devrait être pleinement concerné par ce nouveau scandale, le ministre libanais des Affaires étrangères, Gebrane Bassil, qui n'a pas hésité à défendre le décret de naturalisation, a fait savoir que son rôle n'est qu'informatif dans cette histoire douanière, la mesure dépendrait uniquement de la Sûreté générale.

Circonstance aggravante, la mesure douanière aurait été prise par le trio chiite libanais au lendemain d'une grave déclaration de Qassem Soleimani rapportée par Mehr, une agence d'information iranienne gérée par l'Organisation de diffusion de l'idéologie islamique (chiite). Dans cette dépêche du 11 juin, on apprend que le chef de « Faïlak al-Qods » (la Force de Jérusalem), une unité du Corps des gardiens de la révolution islamique spécialisée dans les opérations externes (qui dépend uniquement de Wali el-Fakih, le Guide suprême, Ali Khamenei), a qualifié les résultats des élections législatives libanaises de « grande victoire ». Celui qui peut être considéré comme le fer de lance du « croissant chiite » au Moyen-Orient (terme qui qualifie l'extension de l'hégémonie iranienne dans le monde arabe), estime que « le Hezbollah a remporté 74 des 128 sièges du Parlement libanais pour la première fois », et de ce fait « d'un parti résistant, le Hezbollah s'est transformé en un gouvernement libanais résistant ». Pour arriver à ce chiffe le commandant de la Force al-Qods, considérée par les Etats-Unis comme une entité qui soutient le terrorisme dans le monde, a dû rajouter tous les députés chrétiens du Courant patriotique libre de Bassil-Aoun, aux députés du duo chiite Berri-Nasrallah. Il a dû inclure nombreux députés soi-disant indépendants, Paula Yacoubian compris, allez savoir, après sa visite de courtoisie au chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, pour augmenter ses chances de ministrable ! En tout cas, ni Yacoubian ni Bassil ni Aoun ni Berri ni Nasrallah n'a jugé utile de commenter cette énième preuve de l'immixtion de l'Iran dans les affaires libanaises, pas plus qu'ils n'ont dénoncé la dispense douanière des Iraniens au Liban.

La députée de Beyrouth Paula Yacoubian, trop occupée par augmenter ses chances de ministrable que de répondre aux propos déplacés du commandant de la Force al-Qods, Qassem Soleimani. Ironie de l'histoire, les deux événements date du même jour, le 11 juin. 

Toujours est-il qu'il est bien clair qu'Abbas Ibrahim a menti au peuple libanais. Est-ce que le pays s'est arrêté pour autant afin de demander à tout ce beau monde impliqué dans cette nouvelle affaire d'Etat des comptes? Non mais pourquoi, tout va très bien Madame la Marquise !

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Maintenant que le scandale est mis au jour, il va falloir sauver la face d'Abbas Ibrahim et de ceux qu'il représente dans cette affaire, Nasrallah et Berri. Eh oui, certains les ont oubliés! Pour la sortie de crise, on pourrait imaginer une solution donnant-donnant : tu me couvres sur le décret de naturalisation des Palestiniens et des Syriens, je te couvre sur la dispense douanière des Iraniens.

Le pouvoir hexagonal libanais -Aoun, Hariri, Machnouk, Ibrahim, Berri et Nasrallah- peuvent sillonner le Liban et se produire tout l'été devant les Libanais. Ils feront salle comble. Pour compléter la troupe, ils peuvent appeler en renfort Geagea, le parrain du « président fort » (qui tient à l'Accord de Meerab autant que Michel Aoun tient au Document d'entente avec Hassan Nasrallah!), Joumblatt, el-kezbé el-kbiré qui se considère toujours comme le « touriste de service », et l'incontournable, Gebrane Bassil, l'homme qui se prend pour « Don Quichotte de la République libanaise ». Ils pourront nous jouer et nous chanter cette comptine d'autrefois : « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ; le premier de nous deux qui rira aura une tapette ! » Ils trouveront encore beaucoup de monde pour les applaudir le jour et les maudire la nuit. Quelle extraordinaire tragi-comédie nous avons la chance de vivre !

Les auteurs de ces trois scandales ne se sont jamais inquiétés. Et vous savez pourquoi? Parce qu'une frange du peuple libanais est plus (pré)occupée par la défense du Brésil et de l'Allemagne au Mondial qu'à demander des comptes à ses leaders, qu'une deuxième frange a une mémoire très sélective et qu'une troisième n'a qu'une mémoire de trois minutes ! Nous ne sommes qu'une minorité à nous battre pour le nivellement par le haut et pour laisser le Liban dans un meilleur état que celui dans lequel nous l'avons trouvé. Mais comme quelques hirondelles ne font pas le printemps, une minorité de Libanais éclairés ne fera pas la renaissance. Du scandale Aoun-Hariri-Machnouk, nous sommes passés à l'affaire Ibrahim-Berri-Nasrallah. Et quand on pense que pour sauver la face, le premier trio a accepté le plan de sauvetage proposé par Abbas Ibrahim justement, qui prévoie une soi-disant vérification des noms douteux du décret de naturalisation par le chef de la Sûreté générale lui-même!, on se dit que la République libanaise n'est plus qu'une farce de nos jours par la double faute de certains dirigeants du Liban, les auteurs de cette farce, et d'une partie du peuple libanais, qui prend goût à jouer aux dindons de la farce.