mercredi 25 avril 2018

Kesrouane et Jbeil méritent-t-ils Chamel Roukoz ? Et surtout, vice versa ! (Art.522)


On dit que le diable se cache dans les détails. Ils ne croient pas si bien dire. L'affaire Juan Hobeiche nous en apporte la preuve et nous conduit vers une épreuve électorale majeure dans ce qui sera sans doute une autre mère de toutes les batailles législatives. 



 1  Le président de la Fédération des municipalités du Kesrouane remet la clé de la région à Hassan Nasrallah


Le jour de Seigneur, dimanche. Ah non, c'était plutôt samedi. Pour l'histoire ça aurait été mieux. Weekend dernier. Nous sommes dans le Kesrouane. Le chef de la Fédération des municipalités du caza et président du conseil municipal de Jounieh, remet à travers le candidat chiite du Hezbollah aux élections législatives dans la circonscription de Kesrouane-Jbeil, la clé de la région, à Hassan Nasrallah. Bien que symbolique, le geste a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux. Donner la clé d'une région maronite à un homme politico-religieux chiite, a de quoi indigner beaucoup de monde.

Le dossier est accablant pour Juan Hobeiche. Sur la vidéo, on le voit bien remettant le boitier à Hussein Zéïater. Sur les images qui circulent, on peut lire son nom ainsi que celui de l'organisme qu'il représente. En plus, il est réputé être « aouniste » et proche de Chamel Roukoz en particulier, le candidat du Courant patriotique libre, le parti qui a signé un document d'entente avec le Hezbollah un 6 février 2006. Accusé de « dhimitude », Juan Hobeiche dénonce aussitôt une machination.


 2  Si, Juan Hobeiche a probablement été piégé par le Hezbollah, et c'est même ce dernier qui aurait fabriqué la clé du Kesrouane


Et pourtant, trois éléments sèment le doute, un à charge, deux à décharge.

. Primo, le lieu où se déroule la cérémonie, le village de Maaïsra, une commune du Kesrouane limitrophe du caza de Jbeil, où réside depuis longtemps une communauté chiite, fidèle dans sa majorité au Hezb, comme la majorité de ses coreligionnaires libanais, bien intégrée dans la région maronite, et bien déterminée à préserver son héritage culturel, cultuel et communautaire, comme le montre la vidéo ci-jointe.

. Secundo, sur la vidéo de la remise du Prix qui circule, on s'aperçoit qu'au moment précis où Juan Hobeiche remet la clé à Hussein Zéaïter, un homme traverse la scène en background, et tout d'un coup, change de direction, se précipite sur le micro, bafouille et improvise une annonce: cheikh Juan Hobeiche, remet à cheikh Hassan Nasrallah, via cheikh Hussein Zéaïter, blablabla. Vive les machéyikh ! Cette mise en scène semble imprévue. Hobeiche dit qu'on lui a demandé de remettre un « bouclier » et non une « clé », notez l'importance de la nuance, reprise par son ami Chamel Roukoz d'ailleurs. Mais il est plausible qu'on lui ait demandé une chose, et qu'on ait fait autre chose. Dans tous les cas, Hobeiche ne réagit pas sur place, et finit par sourire à son interlocuteur chiite, comme un signe d'acquiescement. Son communiqué n'a été publié que 24 heures après le tollé provoqué sur les réseaux sociaux.

. Tertio, la fonte, la police pardi. Regarder bien la phrase « Cheikh Juan Hobeiche, président de la Fédération des municipalité du Kesrouane, s'honore... », cette fonte n'est typiquement ni arabe, ni libanaise, ni chrétienne ou ni kesrouanaise. L'autocollant comme le boitier tout entier ont été probablement fabriqués dans une officine graphique de la banlieue-sud de Beyrouth, fief du Hezbollah.

 3  Chamel Roukoz vole au secours de son ami Juan Hobeiche 


Juan Hobeiche était pressenti pour être candidat aux législatives de 2018 sur la liste de Chamel Roukoz. Ce dernier avait même oeuvré à l'élection du premier à la tête de la Fédération au printemps 2016, contrairement à ce que voulait Gebrane Bassil. Mais le deal ne s'est pas fait, l'offre était écrasée par une forte demande, le gâteau parlementaire suscitant beaucoup de vocations et de convoitise. Venant à la rescousse de son ami, Chamel Roukoz reprend la thèse de la manipulation de Hobeiche, surtout la nuance. On prévoyait un bouclier et non une clé, waouh. Il se permet même d'ajouter son grain de sel: « L'exploitation électorale du sujet a commencé. Je crois que personne n'est plus Kesrouanais que Hobeiche et Hassan Nasrallah n'est pas Israélien ». N'étant pas un ennemi, il sous-entend donc qu'on peut remettre la symbolique clé de la région du Kesrouane à Hassan Nasrallah.

C'est incroyable comme un non-événement se révèle être au fond, au centre d'une autre mère de toutes les batailles électorales. Est-ce que Kesrouane-Jbeil méritent-t-ils Chamel Roukoz et vice versa? Surtout, vice versa!

 4  Le Courant patriotique libre au centre d'une autre mère de toutes les batailles électorales, celle de Kesrouane-Jbeil 


Avec celles de Baalbek-Hermel et de Batroun, que j'ai abordées récemment, la bataille de Kesrouane-Jbeil ne manque pas de peps et d'enjeux. Plusieurs listes sont en compétition. La liste qu'on dit favorite est justement celle formée par le Courant patriotique libre autour de Chamel Roukoz, « lebnan elqawi » (le Liban fort). Elle comprend outre, GG, le gendre du général, sur lequel je reviendrai, trois noms célèbres qui s'illustrent tous les trois, chose rare, et croyez-moi je ne voudrais surtout pas leur manquer de respect, par la vacuité de leurs candidatures politiques.

. Mansour el-Bonn, l'homme de l'ombre, ex-député, « fils de » aussi, d'un ex-député, qu'on a dépoussiéré, rasé, coiffé, habillé, parfumé les joues à l'eau de Cologne et remis dans le circuit électoral. Wou na3iman lal nakhibinn el kiram! Même si tout le monde entend parler de lui, depuis des lustres, personne ne peut certifier qu'il ne soit pas un produit périmé. Le consommateur-électeur est averti! Malgré une apparence léthargique, on dit que c'est un infatigable homme de terrain. Sa popularité justement, il l'a doit à son assiduité aux mariages et aux enterrements dans la région. El-Bonn en un mot, le gouvernement devrait le cloner et l'installer dans tous les cazas, car c'est un homme de grande conviction. Quand el-Bonn se met à l'exercice de la sagesse de haute voltige, cela donne ceci: « le montage d'une liste électorale, c'est comme du bricolage ». Heida moustawa, heida kalem, heida za3im ! Mansour el-Bonn est l'archétype du néo-féodal, incapable d'aligner trois réflexions élaborées sur un sujet, mais qui ne semble guère être dérangé par le fait d'user et d'abuser de « l'argent électoral » et des « services » qu'il rend aux électeurs. Député de la région sous la pax syriana, il a été délogé par Michel Aoun. Contre le CPL autrefois, sur la liste CPL aujourd'hui. Pas de doute, Mansour el-Bonn est un grand bricoleur ma foi!

. Neemat Frem, l'énième richissime businessman qui se lance en politique. On ne peut pas parler de reconversion dans son cas, il est toujours homme d'affaires et son business est florissant, le PQ, papier-cul, entre autres. Le groupe Indevco, c'est une soixantaine d'entreprises présentes dans une soixantaine de pays, dont le Liban, l'Arabie saoudite, l'Egypte et les Etats-Unis, spécialisées dans la fabrication de cartons ondulés, plastique et papier d'emballage, produits jetables, tissus, papier, serviettes en papier, papier-toilette, papier kraft, machines, meubles, chaudières, chauffe-eau, etc. Et nous y voilà, c'est d'ailleurs l'une des particularités de la démocratie bananière libanaise. Les Anglais ont leurs gentlemen-farmers, les Libanais ont leurs businessmen-lawmakers. Conflits d'intérêt, what else! Et alors? Tant que les électeurs se prennent pour des moutons de Panurge, les poules n'auront pas de dents. On dit de Neemat Frem, « fils de » l'ancien ministre Georges Frem, que c'est un homme de principes. Justement, il a passé le plus clair de son temps à Meerab, afin que les FL l'adoptent, en vain. Il voulait la certitude de faire le plein des voix FL et l'engagement que les FL le nomme ministre, mais être dispensé de soutenir les positions des FL. A défaut, il a rappliqué du côté du CPL. Un chiffre à retenir, 3 000 $, l'enveloppe de ses aides financières. Il paraît qu'il dépense sans compter, c'est la planche à billets qui tourne à fond la caisse, pendant que Chamel Roukouz fustige l'achat de voix dans le Kesrouane ! Son mode opératoire, il se pointe dans les écoles privées pour régler les impayés des familles en difficulté. Les mauvaises langues parlent d'achats de voix. Non mais, je vous assure! Au passage, entre Hobeiche et Frem, le courant ne passe pas, pas plus qu'entre Frem et Bonn d'ailleurs. C'est pour dire, Chamel Roukoz est un grand cuistot.

. Ziad Baroud, le chouchou des chochottes, des fleurs-bleues et des belles-mères. Il était pressenti la moitié d'un quart de seconde pour la présidence de la République. Malgré sa popularité, il a été recalé à cause de sa petite taille, d'envergure voyons. Ziad Baroud a bâti toute sa réputation sur trois éléments: le désintéressement (se présentant comme un militant engagé plutôt qu'un homme politique), la compétence (se considérant comme un technocrate qu'un politicien) et l'indépendance (se voulant à égale distance du 14-Mars et du 8-Mars). Pour cela, il était souvent cité par la société civile, comme exemple suprême du candidat idéal. Mari idéal peut être! En rejoignant la liste de Chamel Roukoz, un « aouniste » pur et dure, toute l'édification s'écroule. Il n'est pas si désintéressé que ça et il n'est surement pas indépendant. Il avait suffisamment de notoriété pour être élu sur une liste apolitique. La société civile lui reproche d'ailleurs ce choix partisan, qui est loin d'être anodin. Quant à sa compétence, sa plus importante mission au sein de l'Etat est celle assumée en tant ministre de l'Intérieur entre 2008 et 2011. Ces deux dates clés du CV de Ziad Baroud délimitent merveilleusement bien l'homme politique qu'il est : il est l'homme d'entre les crises. Il est venu bien après la tempête du 7-Mai (invasion de Beyrouth et du Mont-Liban par la milice chiite du Hezbollah et du Parti social nationaliste syrien, avec qui le parti de Chamel Roukoz est allié électoralement aujourd'hui) et il est reparti en pleine tempête du 11-Janvier (coup de force du Hezbollah qui a fait tomber le gouvernement de Saad Hariri et donner le plein pouvoir au Hezbollah pendant trois ans). Il est là quand il fait beau, à l'abri au moindre avis de tempête ! Une affaire lui collera à la peau, jusqu'à la fin des temps. C'est sous son ministère qu'un citoyen libanais s'est volatilisé. Joseph Sader a disparu de la circulation, le 12 février 2009, sans laisser de traces, à deux pas de l'un des sites les plus surveillés du Liban, l'aéroport de Beyrouth. Le Hezbollah est soupçonné d'avoir enlevé cet employé de la MEA. Neuf ans plus tard, on ne connait toujours pas son sort. Dans un pays normal, ce genre de cas conduirait le ministre de l'Intérieur, en charge de la sécurité des citoyens, à disparaître de la scène politique. Mais le Liban n'est pas un pays normal.

Un dernier petit mot sur le candidat de la liste de Chamel Roukoz pour le siège chiite à Jbeil. C'est le dénommé Rabih Awad. Son slogan de campagne résulte d'un jeu de mots en arabe très révélateur de son allégeance au duo chiite, le mouvement Amal et le Hezbollah : « L'espoir d'un changement résistant au printemps 2018 ».


 5  Les listes concurrentes des partis des Forces libanaises, des Kataeb, des ex-14 Mars, des néo-Hezb et des indépendants


Parmis les listes concurrentes, il y a en premier celle formée par des personnalités indépendantes, « al-teghyir el-akid » (le changement assuré), soutenue par le parti des Forces libanaises, avec des noms connus comme Chaouki Daccache (Kesrouane ; ancien des FL et militant anti-occupation syrienne, reconverti en homme d'affaires spécialisé dans la fabrication de serres agricoles), Patricia Elias (Kesrouane ; avocate franco-libanaise spécialisée dans le droit international ; candidate aux élections législatives françaises de 2012 pour la 10e circonscription des Français de l'étranger) et Ziad Houwat (Jbeil ; ancien président du conseil municipal de la ville avant sa démission afin de se porter candidat aux législatives de 2018).

En lice aussi, une liste patchwork « nous avons la décision », formée avec Chaker Salameh (Kataeb), Farès Souaïd (ex-pilier du 14-Mars), Gilberte Zouein (ex-CPL) et Farid Heikal el-Khazen (l'homme qui ne savait plus quoi faire pour concourir, envisageant même le soutien du Hezbollah) ; la liste du Hezb et d'ex-FL, ah si!, « la solidarité nationale » ; et enfin, une liste prétendue société civile, « tous ma patrie », qui n'a aucune chance sérieuse de décrocher un siège, tellement la bataille politique sera dure.

Les pronostics sont fifty-fifty. Quatre députés pour la liste de Chamel Roukoz, quatre députés pour les autres listes.

 6  Chamel Roukoz : il n'est pas le seul, mais bon, c'est un grand promoteur de la démocratie bananière


On pourrait être tenté par dire, vive la démocratie libanaise et que le meilleur gagne. Mais il n'est pas sûr que ça sera le cas au Liban, dans la circonscription de Kesrouane-Jbeil en particulier.

Originaire du Batroun, la logique aurait dû pousser ce général à la retraite, à se présenter dans ce caza. Mais face au gendre prodige, Gebrane Bassil, qui contrôle le parti fondé par Michel Aoun depuis 2015, le gendre militaire, Chamel Roukoz, n'a rien pu faire. Maigre consolation, il est candidat dans la région qui a fait de Michel Aoun l'homme politique qu'il est devenu. Son ambition est de suivre les pas de son beau-père. Pour cela il faut non seulement qu'il décroche le siège du Kesrouane, mais aussi, avec le meilleur score. C'est loin d'être gagné, même si son siège est réservé.

Comme beaucoup de Libanais, j'avais une grande estime pour lui. Je l'avais intégré à un plan politique, le 24 mai 2014 svp (la veille de l'expiration du mandat de Michel Sleimane,  un peu moins de deux ans avant l'accord de Meerab. Celui-ci prévoyait que le 14-Mars élise Michel Aoun comme président de la République et nomme Chamel Roukoz commandant de l'armée libanaise, à une condition : que Chamel Roukoz conduise Michel Aoun et Samir Geagea à l'église Mar Mikhael, afin que le général déchire devant les caméras, le « Document d'entente » qu'il a signé avec le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Hélas, on ne m'a pas écouté et on l'a payé cher : près de 1 000 jours de vacance du pouvoir présidentiel, pour rien. Le 14-Mars a fini par élire Michel Aoun et lui a même permis de garder sa précieuse alliance avec le parti-milicien chiite.

Aujourd'hui et depuis que Chamel Roukoz s'est reconverti en politique, c'est la grande déception. Comme il est « ghrib » (étranger) à la politique et à la région, comme on dit au Kesrouane, nous sommes dans l'obligation de lui rappeler quelques évidences qu'il semble méconnaitre, ou s'obstine à ignorer, là réside toute la nuance.

Les démocraties bananières, auxquelles appartient le Liban, se caractérisent par plusieurs tendances : l'héritage politique (ex. Michel Aoun cédant la présidence du CPL à son premier gendre, Gebrane Bassil, et son siège parlementaire à son deuxième gendre, Chamel Roukoz), la reconversion des militaires en hommes politiques (ex. Chamel Roukoz), la confusion des genres entre hommes politiques et hommes d'affaires (ex. Neemat Frem), l'immixtion des hommes religieux dans la vie politique (ex. Hassan Nasrallah), et j'en passe et des meilleures. Une majorité de Libanais se sont tellement habitués à ces incongruités démocratiques, qu'ils ne se posent plus de questions, 3adé. Eh ben, non, ce n'est pas normal. Si on veut sortir le Liban du statut bananier dans lequel il est plongé depuis des lustres, il va falloir travailler hardiment pour mettre un terme à ces dérives malsaines à la démocratie. Hélas, ce n'est certainement pas Chamel Roukoz qui le fera, il est le promoteur de la démocratie bananière

L'esprit démocratique, l'intelligence politique, l'honnêteté intellectuelle, la capacité de rassemblement, la diplomatie et la finesse d'esprit sont des qualités indispensables pour élever la pratique de la politique en un art et exercer celui-ci avec noblesse. Or qui suit la campagne législatives de 2018 dans le Kesrouane, qui a commencé avec les municipales de 2016, ne peut que conclure que ces qualités ne sont pas les points forts de Chamel Roukoz. Sous son air de gentilhomme, l'homme excelle plutôt dans le populisme méchant. « Prenez garde des voleurs de la politique (...) Ils volent votre avenir et l'avenir de vos enfants, ainsi que vos aspirations et vos rêves. Ils sont protégés par les services de sécurité ». Soit pour le début, mais comment ça « protégés par les services de sécurité »?  « Accorder le droit de résidence aux étrangers qui sont propriétaires d'un appartement au Liban (loi de finances, art. 49, j'y reviendrai dans un autre article), est une question existentielle. Je regrette son élaboration par le Parlement et le gouvernement, afin qu'il se transforme en une plate-forme pour l'implantation (des réfugiés syriens et palestiniens au Liban) ». L'amnésie du général-retraité lui a fait oublier que son parti, le Courant patriotique libre, est dans toutes les sphères de l'Etat, il a élaboré et approuvé l'article 49 de la loi de finances : la commission des finances et du budget est présidée par une éminence grise du CPL, Ibrahim Kanaan, le parrain et grand défenseur de l'article 49 ; la part globale du CPL dans le gouvernement, qui est à l'origine de la loi, est de huit ministres, soit 28% du Conseil (trois ministres proprement CPL et cinq ministres, la part du Président) ; le CPL contrôle 18 députés au Parlement, soit 14% de l'Assemblée nationale qui a voté la loi. Rajouter à tout cela que Michel Aoun, ex-chef du CPL et actuellement président de la République, a signé et promulgué et la loi et l'article en question! Il est temps de se réveiller mon général.


 7  Le dilemme de Chamel Roukoz : oublier le passer ou y revenir sans cesse


On pourra multiplier les exemples à l'infini sans changer pour autant l'impression générale d'un iota : la prestation de Chamel Roukoz en politique est particulièrement décevante. Le plus grave dans son cas, est son insistance maladroite à revenir sur une époque peu reluisante pour lui. D'un côté, il déclare qu'il faut « oublier le passé » et qu'il est important de « tourner les pages douloureuses », et de l'autre côté, il y revient dès que l'occasion se présente.

. « Qui échoue dans l'achat de voix, œuvre pour mettre la pression sur les gens via le communautarisme et à travers des slogans qui placent les citoyens en confrontation avec les autres. C'est une logique milicienne. Qui a été milicien durant la guerre ne changera pas aujourd'hui ». Là aussi, l'amnésie semble frapper le général-retraité de plein fouet. Il ferait mieux de balayer devant sa porte, et pour l'achat de voix et pour la logique milicienne. Etrange qu'il ne voit pas ce que font les Frem, Bonn et Azar de sa liste, et qu'il ait oublié qu'il est resté lui-même pendant de très longues années de la guerre civile libanaise, milicien des Noumour el-Ahrar (les Tigres libres, la milice du Parti national libéral, de Camille et Dany Chamoun), et qu'il n'a rejoint l'armée libanaise qu'en 1985.


. Et puisqu'on y est, à propos de la faute grave de son ami Juan Hobeiche: « La réaction dans la rue relève de la surenchère électorale bon marché. Ils s'érigent en ligne de défense des Chrétiens, alors qu'ils les ont tués dans le passé ». Ah bon, parce que durant les quinze années de la guerre, il égrenait peut-être le chapelet et priait le rosaire en boucle dans Deir Mar Roukoz à Kleiat et à Dekwéneh ?

. On lui attribue aussi une déclaration prononcée dans un meeting électoral à Daraya, où il aurait affirmé que le 9 février 1990, il avait attaqué les positions des FL à Kleiat et qu'il avait la possibilité de tuer tout le monde sur le front, mais ce sont les lignes rouges qui l'en ont empêché.

Alors qu'il se trouve en l'an de grâce 2018 et en plein campagne électorale, 28 à 43 ans après les faits (selon à quelle période il fait référence), Chamel Roukoz revient sur un passé douloureux pour tout le monde.

. Pas pour reconnaître que la « guerre d'Elimination » (7arb el elgha2), programmée et lancée par le général Michel Aoun le 31 janvier 1990, alors qu'il se trouvait légalement en situation de « rébellion » (depuis l'élection de René Mouawad le 5 novembre 1989, président de la République), fut la plus grave erreur de la carrière militaire de l'actuel président de la République. Celle-ci faisait suite à une autre guerre lancée et perdue par ce dernier, contre les Syriens, la « guerre de Libération » (7arb el ta7rir). Ces deux guerres, totalement inutiles, ont détruit le Liban, martyrisé les Libanais, affaiblit le camp chrétien et conduit à sa défaite. La première a pavé la route à l'accord de Taëf qui a dépossédé le président chrétien de la majorité de ses prérogatives, la seconde à l'extension de l'occupation syrienne aux régions chrétiennes libres, à la prorogation de l'occupation du Liban de 15 ans (1990-2005), à l'exil de Michel Aoun, à l'emprisonnement de Samir Geagea et à la persécution des fidèles des deux hommes.

. Pas pour regretter sa participation à cette guerre fratricide chrétienne, particulièrement meurtrière et destructrice. Mille cinq morts, plusieurs milliers de blessés, des centaines de milliers de déplacés et de migrants, des milliards de dollars de dégâts et de pertes économiques.

. Pas pour reconnaitre d'avoir bataillé neuf mois pour rien, absolument rien! Michel Aoun avait déclenché cette guerre afin de dissoudre la milice chrétienne des Forces libanaises, alors qu'il n'avait aucun plan pour s'attaquer aux milices musulmanes, aux milices palestiniens et aux troupes étrangères israéliennes, iraniennes et syriennes. Si le Hezbollah est aujourd'hui armée jusqu'aux dents, c'est parce qu'en 1990, il n'y avait plus de contrepoids, pour exiger son désarmement. Au cours de la guerre d'Elimination, des unités de l'armée libanaise qui étaient commandées par Michel Aoun, se trouvaient du côté du Metn. Elles n'ont pas réussi à percer les lignes de défense des Forces libanaises commandées par Samir Geagea, qui contrôlaient les régions de Kesrouane et Jbeil, la circonscription électorale où se présente le général-retraité, ainsi qu'Achrafieh. La guerre d'Elimination, comme la guerre de Libération, furent des échecs. A l'époque Chamel Roukoz, était chargé du front Kleïat (armée) - Reifoun/Aachkout (FL).

. Et surtout, pas pour souligner l'importance de la réconciliation interchrétienne entre Michel Aoun et Samir Geagea.

Parce que Chamel Roukoz était partie prenante des différents conflits qui ont ensanglanté le Liban en général, le Kesrouane en particulier, en tant que milicien comme en tant qu'officier, il devait se garder de revenir sur les blessures de la guerre civile. Ses réflexions sont indécentes. Sa démarche est décevante. Etant donné que l'amnésie sélective revêt toujours un caractère pandémique au Liban et parce que tous ceux qui sont nés après 1980 ne connaissent pas tout ce pan de l'histoire libanaise, il était de mon devoir national de rappeler les faits.

 8  Les grandes lignes du programme électorale de Chamel Roukoz


Il est inutile de revenir sur les batailles militaires récentes dans lesquelles s'est illustré Chamel Roukoz et dont les principales sont la bataille de Nahr el-Bared (2007, contre le groupe terroriste libano-palestinien Fateh el-Islam), l'opération de Saïda (2013, contre le groupuscule de cheikh Ahmad el-Assir) et la bataille d'Arsal (2014, contre les groupes terroristes syriens al-Nosra et Daech). Dans ces trois batailles, il y a la partie glorieuse et une partie sombre. L'armée libanaise est d'un grand professionnalisme et a une puissance de feu redoutable. En comparaison, le Hezbollah n'est qu'une guérilla illégale, totalement inefficace dans une guerre conventionnelle. Les critiques concernant notre armée nationale, sur telle ou telle bataille ou dans telle ou telle situation, sont souvent non justifiées et déplacées. Elles sont entièrement à mettre sur le compte des déficients politiciens libanais. On l'oublie trop souvent, l'armée libanaise ne prend pas d'initiatives. Ça serait une violation de la Constitution d'ailleurs. Elle a des missions à accomplir. Elle est soumise aux ordres du ministre de la Défense, du Conseil des ministres, du Premier ministre et du président de la République, commandant en chef des forces armées libanaises. Les critiques déplacées contre l'armée libanaise font surtout le jeu du Hezbollah, la seule entité libanaise qui œuvre de toutes ses forces, via sa propagande et ses miliciens, à présenter l'armée libanaise comme une institution défaillante incapable de protéger le pays du Cèdre et les Libanais, une condition sine qua non pour justifier et pérenniser l'anomalie que constitue la milice chiite au Liban. Hélas, beaucoup de leaders libanais, Chamel Roukoz compris, tombent dans ce piège.

Celui qui demande la confiance des Kesrouanais et des Jbeilotes, ignore non seulement les menaces qui pèsent sur eux, mais aussi leurs préoccupations. Zappons ses palabres de campagne sur l'électricité et l'eau, 2aret 7aké éntikhébé, law badda tchatté ghayamit (s'il devait pleuvoir, le ciel se serait couvert de nuages). Le général-retraité est encore amnésique sur ce point. Ce ministère est entre les mains de son parti depuis une décennie. L'actuel chef du Courant patriotique libre, l'autre gendre, Gebrane Bassil, a passé 4 ans et des poussières au ministère de l'Energie et de l'Eau. A coup de pubs, payées par les contribuables, il avait annoncé aux Libanais le service 24h/24 pour 2015, c'était la campagne « Leban(off)on ». Tragicomique ce bonhomme.


Toujours est-il que Chamel Roukoz est pour le rétablissement du service militaire obligatoire, qu'importe si ce n'est pas la tendance des pays développés. Raison invoquée, la mixité sociale et communautaire. Il faut le comprendre, c'était tellement efficace. Les combattants de la première heure de la guerre civile libanaise, étaient tous passés par la mythologie du service militaire. A ce propos, son projet inclura les filles. Quel avant-gardiste! Il est tellement pour l'égalité des genres qu'il n'est pas très chaud pour les quotas féminins aux élections. Ah si mesdames, comprenne qui pourra. Sa position conservatrice n'est pas sans rappeler, un des slogans du Courant patriotique libre de la campagne 2009, « Sois-belle et vote ». Et tais-toi d'ailleurs!


Sur la Syrie, Chamel Roukoz a déjà déclaré la fin des opérations et qu'il est grand temps d'en tirer profit. « La croissance économique au Liban peut se concentrer sur les investissements à l'étranger, en Syrie spécialement, avec le début de sa reconstruction ». Et la guerre et les morts et le gazage de la population et la tyrannie des Assad? C'est pas notre problème! Il n'est pas sans rappeler l'empressement du chef de son parti, l'autre gendre, Gebrane Bassil, à organiser le salon « Rebuild Syria » il y a quelques mois.

En tout cas, ce qu'il pense du Hezbollah est tellement grave, que le sujet mérite d'être abordé à part.


 9  Le Hezbollah ne mérite pas la clé des Kesrouanais, qualifiés par Hassan Nasrallah « d'envahisseurs » de l'Empire byzantin, et Chamel Roukoz n'est ni à la hauteur de la tâche ni digne de la région


Ce qui frappe dans la bataille électorale menée actuellement par Chamel Roukoz, l'héritier du général Aoun, c'est ce contraste qui existe entre l'idée que beaucoup de Libanais avaient jadis du chef du régiment des Rangers et la triste réalité des choses de nos jours. Le général-commandant a jeté le confortable uniforme de l'héros pour porter l'étroit costard du retraité-candidat aux élections législatives dans la première circonscription du Mont-Liban, Kesrouane-Jbeil. Il devait savoir, en tant que militaire et plus que quiconque, que la fin ne justifie pas les moyens. Hélas, sa prestation civile manque cruellement de maturité politique.

Chamel Roukoz a raison, « Hassan Nasrallah n'est pas Israélien ». Il est pire, et de ce fait, il ne mérite pas la clé du Kesrouane, que Juan Hobeiche, le président de la Fédération des municipalités du Kesrouane lui a décerné, bon ou malgré lui. Son parti-milicien représente une menace existentielle pour le Liban en général et pour la région du Kesrouane-Jbeil en particulier.

De 1982 à 2018, rien n'a changé, à part le décor et la tactique. Pour le Liban, le Hezbollah ne cesse de répéter, que son projet politico-idéologique reste l'établissement d'un « Etat islamique », chiite bien entendu. La première fois, les Libanais l'ont entendu de la la bouche de Hassan Nasrallah en 1982. « Le premier et unique projet d'unification dans cet univers est le projet de l'Etat islamique. Le projet de l'Etat islamique est plus unificateur que certains ne pensent, ce n'est pas un projet de partition... Nous parlons d'un Etat islamique. » La dernière fois, c'est de la bouche de Naïm Kassem en 2016. « Nous restons attacher à ce qui a figuré dans la Lettre ouverte à propos de l'Etat islamique », lettre datant de1985 où le Hezb affirme obéir aux ordres de wali el-fakih et appelle à l'établissement d'une république islamique chiite au Liban (17:14-20:10). Mais encore, « en tant qu'islamiste, je ne peux pas dire que je suis islamiste et je propose l'islam, et je n'appelle pas à établir un Etat islamique car cela fait partie du projet auquel nous croyons sur les plans idéologique et culturel... Nous croyons que l'application de l'islam est la solution aux problèmes des êtres humains, en tout temps et en tout lieux... Moi je leur propose l'islam (aux non-musulmans)... C'est une solution pour tout le monde » (32:26-36:55). Le danger pour le Kesrouane vient de Daech n'est-ce pas?

Tout aussi grave, à la création du Hezbollah en 1982, Hassan Nasrallah avait spécialement mis en garde les Kesrouanais et les Jbeilotes. « Nous ne pardonnerons pas à ceux qui érigeront un canton chrétien à Beyrouth-Est, Kesrouane et Jbeil, car ce sont des régions musulmanes et les chrétiens y sont venus comme des envahisseurs. C'est l'Empire byzantin qui les a amené afin de planter une épine dans le flanc de la nation (islamique) ». Il sous-entendait que les Kesrouanais et les Jbeilotes n'avaient le choix qu'entre se tourner vers la Mecque ou d'aller se faire voir chez les Grecs !

Sur le Hezbollah, Chamel Roukoz a commencé sa campagne par ironiser sur l'attaque des adversaires du Hezbollah à propos de son attachement à Wilayat el-Fakih (la tutelle du Guide suprême de la République islamique chiite d'Iran, Ali Khamenei) au cours de la campagne électorale de 2009 : « le Hezbollah est présent dans l'équation libanaise, les Libanais sont conscients de cette réalité ». Et alors? Il avouera deux mois plus tard, « l'alliance stratégique avec le Hezbollah continue ». Mais la déclaration la plus grave de cet ancien haut gradé de l'armée libanaise, il l'a dite il y a une douzaine de jours : « Face à Israël, il faut réaliser l'équilibre de la terreur, à défaut de l'équilibre stratégique, avec tout ce dont nous disposons, que ce soit à travers l'armée ou du peuple libanais, comprenant bien sûr, le concept de la résistance ». Rou7 ya batal!


L'équilibre par la terreur, les Libanais l'ont bien vu à l'oeuvre en juillet 2006. C'était tellement redoutable qu'Israël n'a pas pu bombarder le Liban que 33 jours, qu'il n'a pas pu tuer qu'un peu plus d'un millier de Libanais, qu'il n'a pas pu blesser que quelques milliers de citoyens, qu'il n'a pas pu déplacer que plusieurs centaines de milliers de personnes, qu'il n'a pas pu provoquer qu'une dizaine de milliards de dollars de dollars de dégâts et de pertes économiques et qu'il n'a pas pu faire perdre au Liban que l'équivalent de 50% de son PIB de l'époque. Quelle « victoire divine » mon général !

 10  Aoun : « Chamel, c'est moi. Et moi, c'est Chamel », Gebrane Bassil et ses fans sont prévenus, ils savent ce qui leur reste à faire!


Après une longue réflexion, Chamel Roukoz a fait savoir au journal al-Akhbar, à propos de la remise de la clé du Kesrouane à Hassan Nasrallah, que « l'histoire est simple et ordinaire ». Sachant que « Sayyed Hassan Nasrallah est une personnalité nationale », il s'est demandé « où est le déshonneur si on lui remet un bouclier? » Ne pas comprendre que lorsqu'on remet la clé, un bouclier ou un gland de chêne, qu'importe et n'importe quel truc symbolique de la région où siège le patriarcat maronite d'Antioche et de tout l'Orient, « A qui la gloire du Liban a été donnée », comme dit la légende, au chef d'un parti-milicien classé terroriste par la majorité des pays arabes, européens et américains, accusé et jugé pour l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, qui projette d'instaurer un « Etat islamique » chiite au Liban et a sous-entendu un jour qu'il voulait expulser les « envahisseurs » Kesrouanais de leurs terres ou les islamiser, c'est être vraiment à côté de la plaque.

Si Chamel Roukoz ignore ces faits ou n'y a pas pensé, alors qu'il réclame la confiance des électeurs de Kesrouane et de Jbeil, c'est qu'il n'est pas à la hauteur de la tâche. S'il ne les ignore pas, y a pensé mais n'en a pas parlé, c'est qu'il n'est pas digne de l'être. En tout cas, les électeurs de la première circonscription du Mont-Liban savent un peu plus à qui ils ont affaire : un militaire opportuniste qui vise sa reconversion civile en député, dans la perspective, il faut le dire!, de la prochaine élection présidentielle, à terme en 2022 ou anticipée, bien avant. De Lahoud à Roukoz, en passant par Sleimane et Aoun, le Liban n'en a pas fini avec le règne des généraux. A moins que les Kesrouanais et les Jbeilotes ne décident de mettre leur grain de sel.

En tout cas, Gebrane Bassil et ses partisans sont prévenus. Le danger viendra de l'arrière. Ils ont intérêt à faire tomber Chamel Roukoz au Kesrouane le 6 mai, s'ils veulent ouvrir la voie à leur poulain. Idem pour Chamel Roukouz et ses partisans, ils devraient faire tomber Gebrane Bassil au Batroun, afin que leur poulain puisse courir sans obstacle vers le palais de Baabda.


Michel Aoun a peut être fait son choix. En coulisse il a fait savoir aux cadres du CPL, « Chamel, c'est moi... Et moi, c'est Chamel », un soutien précieux repris avec beaucoup de fierté par l'intéressé dans un tweet publié au début de la semaine. A moins qu'il ne pense à Roukoz pour 2022 et à Bassil pour 2028. Décidément, le pays du Cèdre mérite bien un autre surnom en ce moment : « le pays d'entre les deux gendres ». C'est pour dire que les résultats de Kesrouane-Jbeil comme ceux de Batroune-Zgharta-Koura-Bcharré, seront déterminants pour la suite. Et certains se mettent déjà à espérer de voir les deux gendres tomber en ballotage difficile.  

vendredi 13 avril 2018

Au sujet des tactiques du Futur, du CPL et des FL, et d'une autre « mère de toutes les batailles législatives », celle de Batroun-Zgharta-Koura-Bcharré. Trilogie électorale, deuxième volet (Art.521)



8. Entre le Courant du Futur et le parti des Forces libanaises, c'est le service minimum


Il suffit de regarder les alliances électorales pour en avoir la preuve. Certes, le Courant du Futur a établi des ententes électorales avec ses alliés traditionnels du camp du 14-Mars, les Forces libanaises, les Kataeb et le Parti socialiste progressiste. Il n'empêche que dans le millésime 2018, il a réussi aussi à s'entendre avec le Courant patriotique libre qui le critiquait sévèrement autrefois. De son côté, en dehors des personnalités indépendantes, le parti des Forces libanaises, n'a établi des ententes électorales qu'avec le Courant du Futur, les Kataeb et le Parti socialiste progressiste, les composantes originels du 14-Mars à son âge d'or (2005-2009).

Que le Futur et le CPL aient enterré la hache de guerre, les Libanais ne peuvent que s'en féliciter. Le problème c'est que l'entente entre ces deux formations, se fait au détriment des FL dans des régions considérées comme des fiefs des FL, comme Achrafieh et Bcharré-Batroun.

On dit que Saad Hariri n'a pas digéré d'être contrait de voter pour Michel Aoun, le candidat de Samir Geagea, qui s'est régulièrement attaqué aux Hariri, père et fils. Etrange motif sachant que son propre candidat, Sleimane Frangié, est du même camp que Michel Aoun, pro-Hezbollah, qu'il s'est attaqué aux Hariri lui aussi, et qu'il est même intervenu sur la scène du crime le 14 février 2005, en tant que ministre de l'Intérieur, détruisant peut être certains indices précieux pour l'enquête. Il n'y a qu'une différence notable entre ces deux candidats, le général était opposant à la tyrannie des Assad père et fils entre 1991-2005, alors que le beik était leur plus fidèle allié au Liban. En tout cas, aujourd'hui, l'entente entre le Premier ministre et le président de la République est plus que cordiale, cet argument est donc caduc.

De son côté, on dit que Samir Geagea n'a pas digéré que Saad Hariri l'ait mis au pied du mur, en adoptant la candidature de Sleimane Frangié, qui est un leader proHezb et proAssad notoire, et avec qui il a un problème personnel. Etrange argument aussi, sachant l'ex-chef du CPL, dont la candidature a été adoptée par hakim était dans le même cas.

La brouille vient d'ailleurs. Il semble que l'attitude des ministres FL dans le gouvernement Hariri ne plait pas au Futur. Ils sont trop obstructifs et pas assez accommodants, comme le prouvent leurs interventions dans l'affaire des navires-centrales que le ministre CPL, César Abi Khalil, voulait faire passer à tout prix, c'est le cas de le dire!, malgré la violation de certaines dispositions réglementaires.

Et ce n'est pas tout. La cerise sur le gâteau se trouve dans le feuilleton libano-franco-saoudien de la démission du Premier ministre libanais et de la propagande du Hezb & Co sur sa rétention à Riyad par Voldemort d'Arabie, MBS, le prince des Ténèbres, et sa libération par superman, Emmanuel Macron, après la tournée diplomatique de notre batman national, Gebrane Bassil. L'entourage de Saad Hariri reproche à Samir Geagea, d'avoir monté la tête des Saoudiens contre lui, en essayant de les persuader de le remplacer car il serait trop complaisant avec le Hezbollah. C'est ce qu'ont pensé surtout les lieutenants de Hariri, les fils de Bahia Hariri (sœur de Rafic Hariri), Ahmad et Nader, pendant la période de blackout où Saad Hariri n'était plus joignable. Ils ont cru naïvement, ils y croient encore, que Geagea est plus écouté à Riyad que Hariri lui-même. Enfin, les cousins Hariri comme Saad d'ailleurs, devraient d'abord régler leurs comptes en famille, avec Bahaa en tête (le fils aîné de Rafic Hariri), qui s'est vu déjà au Grand Sérail au zénith de la crise politique, et qui a agit dans les coulisses bien plus que Geagea, MBS et Macron.

En tout cas, la publication en début de semaine d'un selfie pris par Saad Hariri lui-même, avec le roi du maroc, Mohammad VI, et le prince-héritier d'Arabie saoudite, Mohammad ben Salmane, tout sourire et tous décontractés, suivi le lendemain, par un autre selfie, aux côtés du président français, Emmanuel Macron et MBS, sont les énièmes éléments qui prouvent combien de journalistes et d'hommes politiques, en Orient comme en Occident, ont été à côté de la plaque et du feuilleton.


Et ce « pas de commentaire » ironique, pour accompagner les deux photos svp, qui en dit long, permettra peut-être à ceux qui ont été victimes de mirage dans le désert d'Arabie à l'automne dernier, de s'en remettre enfin !


9. Saad Hariri est dans une situation difficile et complexe, alors que Samir Geagea se trouve dans une situation facile et décontractée 


Au-delà de ces différends, ce qui a été déterminant dans la rupture Futur-FL est ailleurs. Nul ne peut douter de l'attachement des deux hommes à la souveraineté du pays du Cèdre et au renforcement de l'état de droit au Liban. Si cheikh Saad et el-Hakim peuvent être qualifiés tous les deux de pragmatiques, les deux hommes ne sont pas soumis aux mêmes pressions.

Saad Hariri a trois rôles à assumer : ceux de Premier ministre, de leader de la communauté sunnite et d'homme d'affaires. Il sait que les trois rôles sont étroitement liés : d'une part, il ne pourra pas rester chef du gouvernement, s'il n'est pas le principal leader de la communauté sunnite, et d'autre part, il ne pourra pas rester le leader principal de la communauté sunnite, s'il ne reste pas un homme d'affaires prospère. Or, les augures ne sont pas rassurants.

. Primo, les affaires ne sont pas bonnes depuis un moment, au Liban comme en Arabie saoudite.

. Secundo, il a deux contestations sérieuses au sein de la communauté sunnite libanaise : à sa gauche, la ligne Najib Mikati (plutôt proHezb et proAssad) et à sa droite, la ligne Achraf Rifi (farouchement antiHezb et antiAssad). Et pour ne pas faciliter les choses, il sait qu'une ligne politique trop molle déplaira à l'Arabie saoudite, un précieux soutien international (sur les plans politique et économique); trop dure, elle déplaira au Hezbollah (au risque de lui coûter le Grand Sérail comme en 2011).

. Tertio, son bloc parlementaire risque de subir une cure d'amaigrissement à cause de la loi électorale proportionnelle, ce qui pourrait lui coûter le Grand Sérail, là aussi. Même si la rue sunnite lui est toujours fidèle, une partie de la communauté gronde. Elle lui reproche ses incessantes concessions depuis 2005, à l'égard de Bachar el-Assad, Hassan Nasrallah, Nabih Berri, Walid Joumblatt, Gebran Bassil et Michel Aoun.

La situation de Samir Geagea est totalement différente. Il n'a qu'un rôle à assumer : celui du leader des communautés chrétiennes non alignées sur la milice chiite libanaise et le régime alaouite syrien. Certes, une partie des partisans lui reproche son soutien à Michel Aoun pour la présidentielle, mais il n'a pas de véritable contestataire. Le leadership des communautés chrétiennes dans leur ensemble est pris par Michel Aoun, depuis 2005 déjà, donc rien de nouveau de ce côté. Candidat malheureux à la présidentielle de 2014-2016, il pense à 2022, mais c'est dans quatre ans et demi, une éternité au Moyen-Orient. Il espère augmenter la taille de son bloc parlementaire grâce à la proportionnelle. Les sondages lui donnent entièrement raison, étant donné l'importance de la base électorale des FL. Et enfin, il n'a pas d'affaires à gérer.

Ainsi, on voit bien que Saad Hariri est dans une situation complexe et il est soumis à trop de pressions contradictoires, alors que Samir Geagea est dans une situation simple et assez confortable. C'est dans le but de baisser le niveau de pression et de sauvegarder les trois rôles qu'il assume actuellement -aux niveaux politique, communautaire et financier- que Saad Hariri et ses lieutenants ont décidé d'effectuer une volte-face politique, en créant une entente politicienne avec le Courant patriotique libre, de Michel Aoun et de Gebrane Bassil, la principale force politique chrétienne.

10. Les raisons profondes du rapprochement entre Saad Hariri et Gebrane Bassil


Deux derniers éléments ont eu un effet catalytique, éloignant encore plus le Futur des FL, pour le rapprocher davantage du CPL.

. D'une part, la perspective de la reconstruction de la Syrie à court terme, un marché juteux de plusieurs centaines de milliards de dollars. C'est dans ce cadre qu'il faut placer l'enthousiasme de Gebrane Bassil pour organiser la conférence « Rebuild Syria » dans le cadre de l'initiative Lebanese National Energy le 27 octobre dernier, et l'empressement de Saad Hariri le même jour, pour nommer Saad Zakhia, comme nouvel ambassadeur auprès du régime de Bachar el-Assad, faisant du Liban le premier pays au monde à retourner précipitamment à Damas avec une représentation diplomatique de haut niveau. Savoir si les deux formations coordonnent leurs actions sur ce point, n'a pas beaucoup d'importances par rapport aux actes qui sont complémentaires. Nul ne peut douter de l'hostilité de Saad Hariri à l'égard du régime syrien, ce qui n'est absolument pas le cas de Gebrane Bassil, mais il y a là, un mélange des genres qui soulève beaucoup de questions.

. D'autre part, la perspective de renouvellement du pouvoir libanais à long terme. Les règnes de Michel Aoun et de Nabih Berri, prendront fin au plus tard en 2022, voire en 2026 pour ce dernier. L'avenir se prépare maintenant. Gebrane Bassil déplait à la fois au Hezbollah et à Amal. Les deux lui préfèrent Sleimane Frangié. S'il ne se montre pas inventif, il a déjà atteint son plafond politique, il ne pourra pas aller plus loin. On a déjà vu la complexité de la situation de Saad Hariri. Et pourquoi les deux jeunes leaders ne concluraient-ils un deal entre eux, dans l'intérêt des deux parties? Gebrane Bassil succédera à son beau-père Michel Aoun au palais de Baabda, Saad Hariri succédera à lui-même au Grand Sérail, et les deux tenteront d'imposer comme successeur à Nabih Berri dans l'hémicycle place de l'Etoile, un homme de leur sphère d'influence. La preuve? Mais, les manœuvres ont déjà commencé! Elles ont été dénoncées par Walid Joumblatt.

Bienvenue dans le monde merveilleux de la realpolitik libanaise, où toutes les combines politiques ont droit de cité. Le comble serait un rapprochement entre le Hezbollah et les Forces libanaises, la samah allah! Bon, ce n'est pas demain la veille. On peut regretter cela, mais ça ne change rien au constat, la séparation des corps entre les ex-piliers du 14-Mars est effective, même si le divorce entre Saad Hariri et Samir Geagea n'a toujours pas été prononcé. Toutefois, l'alliance stratégique entre les deux hommes, née de l'intifada du 14 mars 2005, perdure comme le prouve l'entente entre les deux formations dans 1/3 des circonscriptions, notamment à Zahlé (face au duo Hezbollah-Amal) et à Baalbek-Hermel. Et encore, même dans ces alliances, les deux formations ne sont pas sur la même longueur d'onde. Bakr Hojeiri (Futur) ne veut pas que les armes de la milice chiite soient utilisées au Liban et en Syrie, mais qu'elles soient dirigées uniquement contre Israël, quand Antoine Habchi (FL) ne veut tout simplement pas d'armes illégales au Liban, seules les forces armées libanaises pouvant en détenir légalement.

11. Les problèmes éthiques de la stratégie électorale de Gebrane Bassil


Le cas du Courant patriotique libre dans le millésime 2018 est assez singulier pour être traité à part et en détail. Le parti fondé par Michel Aoun et présidé depuis 2015 par son gendre, Gebrane Bassil, a réussi à accorder ses violons électoraux avec quasiment toutes les parties en compétition, enfin presque. De ce fait, il détient le record en nombre d'alliances. Pour ses partisans, il s'est montré ouvert à tous les courants politiques. L'ennui c'est que la stratégie électorale de Gebrane Bassil pose un gros problème éthique pour diverses raisons.

Primo, parce que l'entente avec certains partis politiques dans certaines circonscriptions est contrebalancée par la mésentente avec les mêmes partis politiques dans d'autres circonscriptions. C'est le cas avec le Courant du Futur, le mouvement Amal, le Parti social nationaliste syrien et le Hezbollah. Il est allié avec eux ici et là, et contre eux, ici et là. Les alliances étant établies au cas par cas, il est évident qu'elles ne sont pas basées sur un programme ou ne serait-ce qu'une vision politique commune. Seules les chances de gagner étant prises en compte avec l'objectif de gagner à tout prix, il s'agit donc d'alliances politiciennes.

Secundo, parce qu'il n'a pas hésité à s'allier avec des mouvements peu recommandables, comme le Parti social nationaliste syrien (Qawmiyé), un parti qui est toujours aussi fier de l'attaque terroriste qui a couté la vie au président de la République Bachir Gemayel en 1982, les Ahbach (mouvement religieux sunnite) et surtout, al-Jamaat el-Islamiyé, considérée comme étant les Frères musulmans du Liban, dans trois circonscriptions svp (Akkar, Chouf-Aley et Saïda-Jezzine). On a donc clairement affaire à des alliances sans principes, à part des intérêts partisanes. C'est d'autant plus étrange que le CPL a passé son temps à brandir la menace islamiste sunnite à tout bout de champ, allant jusqu'à accuser le Courant du Futur d'en être complice, comme le montre la pancarte brandie par Nicolas Sehnaoui lui-même (manifestations du 12 août 2015), valeureux candidat du CPL Achrafieh, sur une liste soutenue sans hésitation, par ce même Courant du Futur. Comprenne qui pourra! Enfin, des alliances intéressées dans les deux sens.


Tertio, parce qu'il a évité soigneusement les trois trois autres leaders maronites du club des « Quatre mousquetaires de Bkerké », Samir Geagea, Amine Gemayel et Sleimane Frangié. S'entendre avec un courant officiellement islamiste qui œuvre sous l'idéologie des Frères musulmans, mais avec aucun des partis officiellement laïcs, dirigés par des leaders chrétiens, est un grand exploit politicien de la part du CPL, qui mérite d'être salué. Politicien et pas politique, nuance.

12. Gebrane Bassil vise déjà l'élection présidentielle de 2022, voire une élection présidentielle anticipée


On voit bien que la stratégie électorale du CPL n'est qu'une ouverture politique en trompe-l'oeil. Il vaut mieux parler de manœuvres politiciennes, sans aucun principe, à part l'appât du gain politique. Pour Gebrane Bassil, tous les moyens sont bons pour constituer le plus important bloc parlementaire, afin de peser sur le pouvoir exécutif du prochaine gouvernement, sur le pouvoir législatif du prochain Parlement et sur les prochaines nominations administratives. Et ce n'est pas tout, Gebrane Bassil vise aussi, déjà et surtout, la prochaine élection présidentielle de 2022. On n'en parle pas, mais c'est l'élément clé du millésime 2018 qui explique les alliances tous azimuts et incongrues de Gebrane Bassil.

Etant donné le décalage dans l'expiration des mandats, entre le prochain Parlement (qui sera élu le 6 mai 2018) et l'actuel président de la République Michel Aoun (élu le 31 octobre 2016), respectivement, le 20 mai 2022 et le 31 octobre 2022, même si je ne suis pas devin, je peux vous annoncer en avant-première, le thème du prochain débat byzantin au Liban à l'horizon 2022. Dans quatre ans, nous débotterons pour savoir quelle assemblée parlementaire devra élire le 14e président de la République : un nouveau Parlement issu de nouvelles législatives organisées au mois de mai 2022, comme l'exige la Constitution, ou l'ancien parlement élu en mai 2018, comme le veut la jurisprudence « Michel Aoun », après une autoprorogation du mandat parlementaire pour des raisons bidon, cela va sans dire ? Qui croie que c'est la Constitution qui sera l'élément de référence, connait mal le Liban. Désolé, non, ce sont les résultats des élections législatives du 6 mai 2018 qui fixeront les modalités de l'élection présidentielle de 2022. Qui en décidera ? Le duo chiite Hezbollah-Amal et son allié chrétien le Courant patriotique libre, comme lors de l'élection du 13e président de la République (2014-2016), selon les scores qu'ils auront tous les trois le 6 mai 2018. Et encore une fois, ce sont les armes du Hezbollah et l'interprétation arbitraire de la Constitution par Nabih Berri, qui établiront le calendrier. Par ailleurs, Gebrane Bassil sait aussi, que son beau-père, aujourd'hui âgé de 84 ans, peut ne pas être en mesure de terminer son mandat, à cause d'une maladie grave ou d'un décès. Longue vie au général, mais bon, personne n'est dans les secrets des dieux. Dans ce cas, pas de doute ni d'option, il y aura une élection présidentielle anticipée et c'est l'assemblée parlementaire élue le 6 mai 2018 qui sera chargée de trouver son successeur. Le gendre y pense, pas seulement en se rasant le matin.

13. Entre le Courant patriotique libre et le parti des Forces libanaises, rien ne va plus


Toujours est-il que les présidents des partis des Forces libanaises et du Futur ont commis des erreurs d'appréciation et de calcul. L'erreur de Samir Geagea c'est d'avoir soutenu l'arrivée de Michel Aoun au pouvoir sans une sérieuse contrepartie politique. Le général n'avait même pas lu lui-même le communiqué, c'est el-hakim qui l'a fait. Aujourd'hui, il ne reste plus rien de l'accord de Meerab annoncé en grande pompe le 18 janvier 2016. A qui la faute ? Qu'importe. Il n'y a pas eu une seule entente électorale entre le Courant patriotique libre et le parti des Forces libanaises. Rien, que dalle. Il est clair que Gebrane Bassil est déterminé à tourner la page de l'entente interchrétienne et à verrouiller les communautés chrétiennes, comme le fait le duo chiite. L'erreur de Saad Hariri par contre est double, il a soutenu Sleimane Frangié à la présidentielle, c'est l'origine officielle de la mésentente, ce qui a obligé Samir Geagea à réagir, et s'est allié avec Gebrane Bassil dans plusieurs circonscriptions chrétiennes clés au détriment des FL.

Ce qui est fait est fait mais c'est pour dire que les deux ex-piliers du 14-Mars risquent par leurs choix politiques inappropriés de paver la route de Gebrane Bassil vers la présidentielle de 2022, via les élections législatives de 2018.

Mais, à vouloir être trop gourmand, Gebrane Bassil fait beaucoup d'erreurs et se fait beaucoup d'ennemis. C'est un peu la fable de la Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf.

La base du Futur n'a pas oublié les pancartes brandies par le Courant patriotique libre sur « les vraies couleurs de l'Etat islamique (Daech) », le bleu du Futur. qui constitue « l'émirat libanais de Etat islamique ». La base d'Amal n'a pas pardonné à Bassil son langage injurieux à l'encontre de Nabih Berri, où il l'a traité de « baltajé » (un voyou, hors-la-loi). La base du Hezb n'a pas digéré la remontrance de Bassil qui s'est permis de déclarer que « le Hezbollah prend des options qui ne servent pas l'Etat libanais, et cela, tout le Liban qui en paie le prix ». La base des Forces libanaises ne peut pas zapper l'allégation de Bassil à savoir que « avec les FL, il faut rester vigilant ».

Alors que la 27e séance électorale était prévue au Parlement, pour élire le président de la République, poste vacant depuis le 25 mai 2014, le 12 août 2015, le Courant patriotique libre a préféré organiser des manifestations nationales, afin de montrer aux Libanais "Les vraies couleurs de l'Etat islamique (Daech)", le bleu, la couleur du Courant du Futur. Aujourd'hui, le parti de Saad Hariri demande à ses sympathisants de voter pour le parti de Gebrane Bassil dans plusieurs circonscriptions.

Mais l'erreur la plus grave de Gebrane Bassil c'est celle d'avoir promis au peuple libanais, à coup d'annonces et d'affiches, payées par les contribuables libanais, en 2011-2012, qu'ils auront l'électricité 24h/24 à partir de 2015. Trois ans plus tard, il n'en est rien, la situation ne cesse de se dégrader. Et comme tous ceux qui échouent, Bassil est le champion de mettre la faute sur les autres: on ne l'aurait pas laissé faire. Et dire que depuis dix ans, le ministère de l'Energie est entre les mains du bloc du Changement et de la réforme. Gebrane Bassil lui-même est resté à la tête de ce ministère 4 ans et 3 mois (2009-2014). Pendant trois ans (2011-2014), les forces du 8-Mars, Mikati-Hezb-Amal-CPL, ont gouverné le pays seules. Depuis une douzaine d'années déjà, le bloc du Courant patriotique libre possède près de 1/5 du Parlement et selon les périodes jusqu'à 1/3 du Gouvernement. Or, dans le domaine de l'électricité, il n'y a jamais eu ni changement ni réforme, la situation va de pire en pis. L'actuel ministre de l'Energie, César Abi Khalil, a tenté un dernier coup de forcing préélectoral pour « vendre » ces bateaux-générateurs, merveilleuse source de gaspillage de l'argent public, en violation de la législation relative aux marchés publics, les appels d'offres et la transparence des procédures d'attribution de ces gros contrats.


14. Batroun-Zgharta-Koura-Bcharré, une autre mère de toutes les batailles législatives : elle déterminera l'avenir politique de Gebrane Bassil


Gebrane Bassil ne manque pas de qualités. C'est un homme, jeune, dynamique et qui a l'air sympathique. Mais tout le monde sait qu'il ne doit ses postes, ministre et chef de parti, qu'à son beau-père, Michel Aoun. Lui-même n'a rien gagné à la sueur de son front. Aujourd'hui, il est à un moment charnière de sa vie politique. Ce sont ses premières élections législatives depuis qu'il a été « nommé » à la tête du Courant patriotique libre en 2015, dans des conditions peu démocratiques, de l'avis même des partisans du CPL. Sur le plan général, il doit prouver qu'il a les épaules larges pour faire autant que l'ex-chef du CPL, Michel Aoun, afin de taire les contestations internes dans son parti. Sur le plan personnel, il doit remporter l'élection législative spécifique de Batroun pour s'assurer une légitimité populaire afin de taire les contestations externes en dehors de son parti. Une défaite au niveau local comme au niveau national, risque de mettre un terme à ses ambitions présidentielles. Voilà pourquoi la bataille de la 3e circonscription du Nord des cazas de Batroun-Zgharta-Koura-Bécharré sera elle aussi la mère de toutes les batailles. Elle décidera de l'avenir de Gebrane Bassil.

Sur le pied de guerre quatre listes. Le Courant du Futur a choisi son camp. Malgré un passif chargé avec le Courant patriotique libre, il sera aux côtés de son chef, Gebrane Bassil. Sur cette liste figure comme par enchantement, Michel Mouawad. Ce jeune arriviste, était il n'y a pas longtemps, un farouche opposant au CPL. Ils affronteront les partis des Forces libanaises et des Kataeb, qui ont décidé de mener cette bataille électorale côte à côte. Les Marada et le Parti national socialiste syrien sont dans la même tranchée, rejoints comme par hasard, par Boutros Harb, qui était il n'y a pas si longtemps que ça, une des figures indépendantes du 14-Mars. Dans son coin, la société civile, qui aura beaucoup de mal à trouver sa place dans ces régions fortement politisées. Les quatre cazas regroupent près de 250 000 électeurs, chrétiens à 89% (maronites à 74% et orthodoxes à 23%) et musulmans à 10% (essentiellement sunnites). Tous les regards se portent sur cette circonscription qui déterminera le sort du gendre de Michel Aoun. On saura prochainement dans quelle mesure les électeurs (dés)approuveront les alliances, parfois incongrues, des partis censés les représenter. Sachant que Gebrane Bassil a été battu aux élections législatives à deux reprises, en 2005 et en 2009, il reste à savoir s'il sera en mesure en 2018 de faire mentir les augures et leur mauvais présage, jamais deux sans trois! Réponse le 6 mai.

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Réf.
Trilogie électorale, premier volet : que penser du millésime 2018 ? Au sujet des 976 candidats aux élections législatives au Liban et des alliances politiques (Art.519)

lundi 9 avril 2018

Trilogie électorale, premier volet : que penser du millésime 2018 ? Au sujet des 976 candidats aux élections législatives au Liban et des alliances politiques (Art.519)


C'est un peu comme la saga Star Wars. J'ai commencé par la mère des batailles électorales, celle de Baalbek-Hermel. Aujourd'hui, je vous propose avec cette trilogie des zoom in and out sur les élections législatives libanaises du 27 avril (vote dans les pays arabes), du 29 avril (vote dans le reste du monde) et du 6 mai (vote au Liban). Celle-ci nous permettra d'aborder quelques aspects du millésime 2018. Premier volet. 


1. Le premier résultat de l'application de la nouvelle loi électorale est déjà tombé : 1/3 des candidats n'ont pas voulu ou pu constituer une liste, nuance!


Au début de la course législative, ils étaient 976 candidats à croire qu'ils pouvaient se disputer les 128 sièges parlementaires à pourvoir. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 597 candidats à continuer le combat. Ainsi, 379 personnes ont déjà jeté l'éponge, soit parce qu'il ont surestimé leurs forces, soit parce qu'ils ont sous-estimé la difficulté à former une liste. Déposer sa candidature est une chose, faire campagne, être sur une liste et livrer bataille, c'est tout autre. On ne s'est pas rendus compte, mais nous avons là, le premier résultat issu de l'application de la nouvelle loi électorale: plus d'un tiers des candidats furent contraints d'abandonner. Le système des listes est plus favorable aux candidats des partis traditionnels aguerris et bien implantés, qu'aux outsiders et aux novices. Il y a au total 77 listes en lice dans les 15 circonscriptions.


2. Les candidatures opportunistes dominent, de loin, les candidatures démocratiques


Indépendamment des idées et des programmes des uns et des autres, les candidatures peuvent être classées en deux grandes catégories.
. D'une part, il y a celles qu'on pourra appeler les « candidatures démocratiques ». Elles couvrent un spectre allant des candidatures politiciennes aux candidatures idéalistes, en passant par les candidatures politiques, au sens noble du terme, voire même extrémistes, au sens péjoratif bien entendu.
. D'autre part, il y a celle qu'on pourra désigner par les « candidatures opportunistes ». Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, il faut savoir que l'opportunisme désigne « la ligne de conduite politique dans laquelle la tactique se détermine d'après les circonstances, en transigeant, si nécessaire, avec les principes ». Aucun mot du dictionnaire, ne pourra résumer aussi bien notre millésime 2018 au Liban que celui-là.

On trouve de tout parmi les candidatures opportunistes, surtout qu'au Liban où beaucoup de gens semblent n'avoir aucun mal à se voir discourir en long en large et de travers dans l'hémicycle de la place de l'Etoile. Et ce ne sont pas les raisons qui manquent : soif du pouvoir, perspectives pécuniaires, aubaine financière, intérêts personnels, prestige et salamalecs, positionnement social, narcissisme, féodalisme, snobisme, naïveté, élitisme, et j'en passe et des meilleures. Dans tous les cas de figure, l'opportunisme en politique n'est pas de nature à améliorer l'expression démocratique au Liban et à rendre service au peuple libanais.

3. La féminisation des candidatures touche toutes les communautés libanaises à des degrés différents


Avant les retraits de candidatures, on a enregistré 111 candidatures féminines (70 après les retraits) pour 865 candidatures masculines, soit 11,4% du total (11,7% après les retraits). Par comparaison, on était à 42,4% aux dernières législatives en France, grâce à une loi qui impose la parité aux partis politiques, point non abordé au Liban.

Contrairement à ce que pourraient penser certains, les candidatures féminines dans les communautés musulmanes et chrétiennes étaient du même ordre, respectivement, 52 et 59. Néanmoins, on note une différence significative entre les 11 communautés qui ont légalement accès à la députation. Si on se base sur les chiffres des listes électorales libanaises de 2017 (d'après l'étude de Youssef Chahid el-Doueihy) et en partant du sex-ratio au Liban (95 hommes pour 100 femmes entre 15 et 64 ans), proportionnellement, ce sont les Protestants qui sont le plus portés à la féminisation des candidatures : une candidate pour 4 846 électrices. En dehors des Arméniens catholiques, la seule communauté sans candidate, c'est bien chez les Chiites où l'on note le plus de résistance à la féminisation des candidatures : une candidate pour 41 252 électrices. Il faut préciser dans ce sillage que le Hezbollah fait savoir régulièrement que la place de la femme n'est pas au Parlement, mais au foyer! Donc il est difficile pour les femmes chiites au Liban de faire acte de candidature dans un environnement aussi défavorable.


Par comparaison, chez les Sunnites nous avons une candidate pour 18 138 électrices, plus de la moitié, et chez les Druzes, une candidate pour 13 092 électrices, près du tiers (du même ordre que les minorités chrétiennes). Côté chrétien où la féminisation des candidatures est en général plus importante que du côté musulman, il existe de grandes disparités. Les communautés orthodoxes présentent plus de candidates que les communautés catholiques: chez les Arméniens orthodoxes, on note une candidate pour 6 418 électrices; chez les Grecs orthodoxes, une candidate pour 9 367 électrices ; chez les Maronites, une candidate pour 12 304 électrices ; chez les Grecs catholiques, une candidate pour 21 906 électrices.

Rappelons enfin, qu'avec seulement 4 femmes au Parlement, le Liban est à la 184e place au niveau mondial. Il ne fait mieux que le Yémen, Oman, Haiti et les îles du Pacifique. Et désolé, mais Michelle Gebrane Tuéni ne pourra pas compter pour deux, même si elle projette remplacer sa soeur Nayla, une députée effacée que peu de gens d'Achrafieh regrettent son départ anticipé à la retraite.

4. L'appétit insatiable de la gent masculine pour la députation est évidente, mais il existe des disparités importantes entre les communautés


Du côté des hommes, les deux extrêmes, bas et haut, sont tenus par les Alaouites et les Chiites, où l'on dénombre respectivement un candidat pour 517 et 4 109 électeurs (hommes seuls). Sacrés Alaouites, tous les 500 hommes, il y en a un qui veut devenir député ! Il serait intéressant de s'arrêter sur ces deux chiffres.

Chez les Alaouites, de deux choses: soit c'est la marque d'un dynamisme démocratique particulièrement supérieur à toutes les communautés libanaises, soit il y a une détermination dans la communauté alaouite libanaise à envoyer deux députés pro-régime alaouite syrien au Parlement libanais. Chez les Chiites, là aussi, de deux choses l'une : soit il y a un manque d'intérêt chez la communauté chiite par rapport aux autres communautés libanaises pour la chose politique, soit le tandem chiite Hezb-Amal (Nasrallah-Berri) fait tout ce qui imaginable pour ne pas laisser de place à la concurrence, voire pour intimider ceux qui s'y aventurent, l'un n'empêchant pas l'autre. Preuve s'il en faut, l'affaire du cheikh Abbas el-Jaouhari à Baalbek-Hermel récemment.


A part ça, on note aussi que les Protestants et les Grecs orthodoxes se distinguent des autres communautés libanaises par un certain dynamisme politique ou par un plus grand appétit pour la députation (respectivement un candidat pour 1 315 et 1 325 électeurs). Pour le reste, disons qu'il y a deux catégories qui se situent en dessous de la moyenne nationale : d'une part, les Grecs catholiques et les Arméniens catholiques avec un candidat pour 1 435 et 1 584 électeurs par candidat, et d'autre part, les Maronites et les Sunnites, avec un candidat pour 1 753 et 1 887 électeurs. On note par ailleurs que les Druzes se situent au niveau de la moyenne nationale, à 2 073 électeurs par candidat, alors que les Arméniens orthodoxes et les minorités chrétiennes sont bien au-dessus, respectivement à 2 371 et 3 615 électeurs par candidat.

5. Le doyen des candidats à la députation a 90 ans et toutes ses dents : c'est Mikhael el-Daher, le candidat d'outre-tombe de Hafez el-Assad


Autre aspect intéressant à étudier c'est l'âge des candidats au Liban. La loi fixe une limite inférieure. Ce n'est pas 18 ans ni même 21 ans. Selon la législation libanaise, l'âge légale pour déposer sa candidature est de 25 ans. Donc, nous avons la certitude, Joumana Haddad (Salloum) et Jessica Azar ont plus de 25 ans. En tout cas, le législateur libanais estime qu'il faut un minimum de maturité pour devenir représentant de la nation. Le problème c'est qu'il ne fixe pas de limite supérieure, estimant que ce n'est pas nécessaire. Dans un pays raisonnable peut être, mais pas au Liban.

Le doyen des candidats à la députation est âgé de 90 ans. C'est Mikhael el-Daher, qui se présente sérieusement pour le siège maronite dans le Akkar. « Mikhael el-Daher ou le chaos », c'était lui, ce candidat maronite de mauvais augure à la présidence de la République en 1988, qui fut désigné par l'occupant syrien, Hafez el-Assad, et le sous-secrétaire d'Etat américain, Richard Murphy. Le benjamin des octogénaires du millésime 2018, est le célèbre estèz Nabih Berri, l'inamovible président chiite du Parlement libanais, since 1992. Et comme il sera élu, nous pouvons dire, qu'il restera au perchoir jusqu'en 2022, soit un règne total de 30 ans au moins. Autre célébrité scotché au siège grec-orthodoxe du Metn depuis 1991, Michel el-Murr, 86 ans. Et bientôt dans le club des octogénaires, Albert Mansour, ex-ministre de la Défense lors de l'invasion syrienne du « réduit chrétien » le 13 octobre 1990, qui se présente pour le siège grec-catholique sur la liste du Hezbollah.

Enfin bref, la vitalité des hommes politiques libanais est impressionnante, surtout pour les proHezb-proAssad !

6. Les arrangements électoraux au Liban : même le diable y perdrait son latin et son âme


S'il faut résumer l'appréciation du millésime 2018 en une phrase, on peut dire qu'il est caractérisé par une certaine confusion des genres jamais observée auparavant, même sous occupation syrienne. Dans cette confusion, on peut noter trois tendances.

Primo, tout le monde s'est engagé dans des discussions ou des alliances avec tout le monde ou presque, grâce à la loi électorale bizarroïde que les leaders libanais avaient concoctée. Ils ne savaient vraiment pas ce qu'ils faisaient ! Chaque parti politique libanais prétend être resté fidèle à ses principes. Il n'empêche que sur le terrain, ils l'ont tous fait officiellement ou officieusement, d'une manière déclarée ou camouflée, en public ou en catimini, au niveau national ou local, dans le caza ou la circonscription, avec des partis considérés comme étant infréquentables peu de temps auparavant. On a donc tout vu et tout connu dans le millésime 2018 : Futur (moustaqbal)-CPL (3aouniyé), FL (qouwett)-Marada, CPL-Frères musulmans (jamaat islamiya), Michel Mouawad-CPL, PS (ichtiraqiyé)-Hezbollah, Hezbollah-Ahbach (sénniyé), CPL-PSNS (qawmiyé), PSNS-Boutros Harb, Hezbollah-Anciens FL (qoudama), etc.

Secundo, les discussions n'ont pas toujours abouti à des accords, FL-Marada par exemple, mais elles ont bel et bien eu lieu. Ainsi, à quelques semaines du rendez-vous électoral, si on interroge les Libanais, il ne faut pas être surpris d'apprendre que les électeurs estiment que l'écrasante majorité des candidatures libanaises sont opportunistes, y compris celles de la dite société civile ou féminine.

Tertio, le clivage 8-Mars / 14-Mars, qui a marqué les deux dernières élections, n'est plus qu'un lointain souvenir dans ces législatives. Il n'empêche qu'il n'est pas mort, loin de là, contrairement à ce que voudraient faire croire les « idiots utiles » du régime syrien et du Hezbollah. En tout cas, tant que ce parti-milicien ne se décidera pas à devenir un parti politique comme un autre, toute élection au Liban revêt forcément le caractère d'un référendum sur l'anomalie constitutionnelle qu'il constitue pour une partie des Libanais.


7. Les alliances législatives des principaux partis politiques : ce n'est pas très beau à voir


. Le Courant du Futur (Saad Hariri) a établi des ententes électorales avec ces alliés traditionnels, du camp du 14-Mars, les Forces libanaises, les Kataeb et le Parti socialiste progressiste. Toutefois, dans le millésime 2018, il a réussi aussi à s'entendre avec ceux qui le critiquaient sévèrement autrefois, notamment le Courant patriotique libre (dans trois circonscriptions). Par contre, c'est le service minimum avec les FL depuis un certain temps. C'est un secret de Polichinelle. Mais on peut dire d'ores et déjà que l'alliance stratégique née de l'intifada du 14 mars 2005 perdure, comme le prouve l'entente entre les deux formations dans 1/3 des circonscriptions, notamment à Baalbek-Hermel et à Zahlé (face au duo Hezbollah-Amal), sachant que le Futur n'a aucun rôle à jouer dans certaines circonscriptions, comme Kesrouane-Jbeil par exemple. Toutefois, on peut relever que l'entente entre le Futur et le CPL, qui se fait au détriment des FL évidemment, dans des régions considérées comme des fiefs des FL, comme Achrafieh et Bcharré-Batroun, est une faute politique de la part du Futur. On y reviendra dans le second volet de cette trilogie électorale.

. Le parti des Forces libanaises (Samir Geagea) n'a établi des ententes électorales qu'avec le Courant du Futur, les Kataeb et le Parti socialiste progressiste, les composantes originels du 14-Mars (2005-2009), ainsi qu'avec des personnalités indépendantes. Idem pour les Kataeb (Samy Gemayel).

. La relation entre le parti des Forces libanaises et les Kataeb, n'est pas aussi mal que ne voudraient faire croire ceux qui pêchent en eau trouble, comme le prouvent leur entente dans les grandes batailles qui se dérouleront dans certains fiefs de la « résistance libanaise », Beyrouth I, Zahlé, Bécharré-Koura-Zgharta-Batroune et Baalbek-Hermel. Toutefois, l'entente des Kataeb dans le Kesrouane avec Farès Souaïd et Farid Heikal el-Khazen, un néo-idiot-utile du Hezbollah, est un faux pas dont on pouvait se passer.

. Le Parti socialiste progressiste (PSP, Teymour & Walid Joumblatt) a conclu des ententes avec le Futur, le parti des Forces libanaises, le mouvement Amal et le Hezbollah, tout en évitant, le Courant patriotique libre et les Kataeb, de « mauvaises graines » peut-être, comme l'a pensé le beik la veille des élections législatives de 2009. En tout cas, dans le millésime 2018, la girouette s'est montrée toujours fidèle à elle-même.

. Le duo Hezbollah (Hassan Nasrallah) et Amal (Nabih Berri) ont établi des alliances électorales entre eux dans toutes les circonscriptions où ils ont un poids politique significatif, et avec d'autres formations du 8-Mars dans certaines circonscriptions, comme le Parti social nationaliste syrien (co-responsable des événements du 7-Mai), et le Courant patriotique libre (son fidèle allié depuis 2006). Les deux formations chiites ont réussi également à s'entendre avec des mouvements sunnites, les Ahbach (Beyrouth II) et les Nassériens (Saïda), et Nkoula Fattouch (Zahlé), l'homme qui oeuvre à la défiguration des paysages du Liban avec ses odieuses carrières.

. Les Marada (Sleimane Frangié) ont réussi l'exploit à s'entendre avec le Parti social nationaliste syrien d'une part, et avec Boutros Harb d'autre part, dans la circonscription Zgharta-Koura-Batroun.

. Le Courant patriotique libre (Gebrane Bassil, ex-présidé par Michel Aoun) a tissé des alliances avec presque toutes les parties en compétition, y compris ceux qu'il combattait farouchement, comme le Futur. Mais attention, tout est dans ce « presque » sélectif. Avec le Tachnag et le Hezbollah, rien de nouveau, ça a toujours été le cas. Avec le mouvement Amal, c'est un peu plus étonnant déjà, après la qualification de Nabih Berri par Gebrane Bassil de « baltajé », il n'y a pas si longtemps que ça. Idem pour l'entente avec Michel Mouawad à Zgharta. Les ententes les plus étonnantes sont établies avec el-Qawmiyé (PSNS), les Ahbach et al-Jamaat el-Islamiyé, ah si, et dans plusieurs circonscriptions svp! Par contre, il a évité soigneusement tous les partis chrétiens, les Marada, les Kataeb et même les Forces libanaises, comme si de rien n'était et comme si l'accord de Meerab n'a jamais existé. Nous y reviendrons dans le prochain volet de la trilogie.

. La relation entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre, les piliers du camp 8-Mars (2006-2016), est à son plus bas niveau, comme le prouve leur maigre entente dans les élections 2018 (Beyrouth II et Baabda seulement). Mais là aussi, l'alliance stratégique conclue le 6 février 2006 perdure, comme le prouve la défense du parti-milicien par le président de la République, Michel Aoun, à plusieurs occasions depuis son élection il y a un an et demi.

Post-scriptum


Dans les prochains volets de la trilogie électorale, nous aborderons entre autres, les relations tièdes entre le Courant du Futur et le parti des Forces libanaises, les alliances tous azimuts du Courant patriotique libre et l'irruption de la société civile dans l'arène politique au Liban.

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Réf.
Au sujet des tactiques du Futur, du CPL et des FL, et d'une autre « mère de toutes les batailles législatives », celle de Batroun-Zgharta-Koura-Bcharré. Trilogie électorale, deuxième volet (Art.521)