lundi 25 mai 2015

Michel Aoun bat son propre record : il est désormais impliqué dans 99,62% des 1304 jours de vacance du pouvoir au Liban (Art.289)


Cela fait un an que le Liban n’a plus de président de la République. On peut encore disserter pendant une autre année reconductible, jusqu’au dernier jour de ce mandat virtuel qui prendra fin en 2020, sur les raisons de ce triste blocage de la vie politique libanaise, sans réussir pour autant à faire avancer la réflexion d’un iota. En même temps, il est impossible de laisser passer cette date comme si de rien n’était. En pensant à un angle original pour aborder la présidentielle libanaise, je me suis dit que le mieux à faire serait d’aller voir où ils en sont nos principaux candidats à la présidence de la République libanaise, Michel Aoun et Samir Geagea.

Le choc des Titans n’ayant pas pu avoir lieu dans l’arène parlementaire, on nous a annoncé comme lot de consolation une rencontre entre les deux hommes dans les coulisses politiques. L’annonce a été faite il y a tellement longtemps, que ces retrouvailles interchrétiennes n’intéressent plus personne aujourd’hui, à part Télé-Liban et Télé-Lumière. Idem pour ces rencontres intermusulmanes, entre le Futur (sunnite) et le Hezbollah (chiite), mises en place depuis un moment. Dans les deux cas, c’est la débandade au sein de la société libanaise. Eh oui, les leaders chrétiens oublient qu’il faut savoir arrêter les préliminaires à un moment et passer à l’acte, et les leaders musulmans oublient qu’une relation stérile ne passionne pas les foules.

Toujours est-il que du côté du président du parti des Forces libanaises (FL), candidat désiré du camp du 14-Mars, la problématique de la présidentielle libanaise est plutôt simple. Comme l’exige la Constitution libanaise, notamment les articles 74 et 75, « En cas de vacance de la présidence par décès, démission ou pour toute autre cause, l’Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau Président... La Chambre réunie pour élire le Président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l’élection du Chef de l’Etat », tous les députés de la nation ont le devoir patriotique de se rendre au Parlement pour élire le président de la République libanaise. Ainsi, pour Hakim, la bataille démocratique seule doit déterminer qui sera l’heureux élu. C’est très noble sauf que 23 séances électorales plus tard, on n’a pas pu concrétiser ce qui est prévu par la Constitution libanaise, parce que les députés du camp du 8-Mars, notamment ceux du duo inséparable, Michel Aoun et Hassan Nasrallah, ont boycotté les séances électorales. A défaut de quorum, 2/3 des parlementaires (86/128 députés), seule la première séance a pu avoir lieu. Samir Geagea recueillit 48 voix, Michel Aoun, aucune.

Du côté du secrétaire général du Hezbollah, le moteur du boycott, la problématique de la présidentielle libanaise est simple aussi, mais pas pour les mêmes raisons que pour les FL. Lorsqu’on est enlisé dans une guerre sans fin en Syrie, « nous combattons... à Damas, à Alep, à Deir Ezzor, Qousseir, Hassaké et Idlib (...) nous serons présents partout en Syrie où notre présence est requise pour la bataille », subissant de lourdes pertes sur les plans humain et financier, perdant du terrain dans le Qalamoun (de l’autre côté de l’Anti-Liban), s’engageant dans une « bataille existentielle » qui pourrait exiger de la milice chiite une « mobilisation générale », eh bien, « toutes les autres (batailles) passent au second plan », Hassan Nasrallah l’a fait savoir urbi et orbi tout juste hier. Dans ce contexte, il faut comprendre que l’élection d’un président de la République, chrétien maronite de surcroit, comme le veut le Pacte nationale de 1943, est le cadet de ses soucis. Pire encore, la vacance présidentielle arrange les affaires du Hezbollah, sachant que le président de la République libanaise, en dépit de l’amputation de ses prérogatives par l’accord de Taëf, demeure le « haut commandant des forces armées libanaises ». Ainsi, il est évident que la milice chiite ne veut pas prendre le moindre risque de voir s’installer à Baabda, et pour six ans svp, ce qui constitue une éternité au Moyen-Orient, un homme souverainiste fort, comme Samir Geagea, qui demande clairement dans son programme présidentiel, entre autres, le déploiement immédiat de l’armée libanaise le long de la frontière syro-libanaise (avec ou sans l’aide de la FINUL), le contrôle de cette frontière passoire d’une main de fer (dans les deux sens), une stricte limitation du pouvoir de déclarer la guerre et la paix à l’Etat libanais (actuellement entre les mains d’une milice sectaire, qui a fait allégeance de ses propres aveux, au Wali el-faqih, le Guide suprême de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei) et le respect absolu de la Déclaration de Baabda (consensus interlibanais qui prône la « neutralité » du Liban).

Le problème se complique par le fait que le Hezbollah ne veut pas prendre le risque de voir s’installer à Baabda même un homme comme Michel Aoun, par crainte que l’habit présidentiel ne mue son fidèle allié en un souverainiste intransigeant, surtout s’il est appâté par les puissances loco-régionales, le 14-Mars et l’Arabie saoudite. Cette crainte est amplifiée par un autre fait, la confession chrétienne de Michel Aoun. Tout le monde sait qu’il n’y a pas un planton chrétien qui travaille ne serait-ce que pour la chaine de télévision du Hezbollah. Dans le passé, « lointain » diront les gens embarrassés, Hassan Nasrallah n’a-t-il pas déclaré que la force du Hezbollah vient du fait qu’il a un fonctionnement secret et que ce secret ne peut être conservé que parce que le parti et sa milice sont exclusivement chiites ? Ainsi, et ce n’est qu’un secret de Polichinelle, un de plus, Sayyed n’a aucune confiance dans le Général. Il fera tout pour l’empêcher d’accéder à la magistrature suprême. Il a mis des mois avant de soutenir sa candidature officiellement et ne l'a fait que lorsqu'il s'est assuré que l'élection de l'homme est quasi impossible.

Les manœuvres de diversion de Hassan Nasrallah pour captiver, séduire ou effrayer les communautés chrétiennes libanaises, comme celle à laquelle nous avons assisté hier, « Je ne veux faire pas peur aux gens, ‘bass ma badna ned7ak 3ala ba3ed’. Je voudrais demander aux chrétiens du Liban : est-ce que la position de tel ou de tel dirigeant et leader du 14-Mars et parti du 14-Mars, constitue une garantie réelle qui vous protège du massacre, du meurtre, du pillage, et met vos femmes à l’abri du rapt et sauvegarde vos églises de la destruction ? », ne sauront détourner l’attention des Libanais du fait que l'élection présidentielle libanaise est une priorité absolue pour eux, et pour les communautés chrétiennes en particulier, et que le Hezbollah ne veut ni de Michel Aoun ni de Samir Geagea ni d’aucun chrétien fort à la tête de l’Etat libanais. Un épouvantail fera largement l’affaire de la milice chiite et de l'axe Damas-Téhéran.

Du côté du président du Courant patriotique libre (CPL), le candidat non-désiré du camp du 8-Mars, la problématique de la présidentielle libanaise est également simple, mais pas pour les mêmes raisons que pour les FL et le Hezb. Pour bien la comprendre, il suffit de décortiquer son dernier discours prononcé lors d’une rencontre avec les militants de son parti ce weekend. Comme dans mon article sur le Corleone à 5 piastres, Michel Samaha, je ne respecterai pas la chronologie dans les extraits que je vous propose. Je vous ferai un montage qui permet de mieux ressortir les desiderata et les incohérences de Michel Aoun.

Comme d’habitude, le général n’a rien à se reprocher. D’emblée, il se place en victime. « Nous sommes aujourd’hui sous le choc... en raison du comportement de nos partenaires de la patrie qui croient que nous sommes des ouvriers chez eux (...) Nous sommes visés... Ils se déclarent tous comme tuteurs sur nous. » Mieux vaut en rire et passer aux choses concrètes. Michel Aoun s’autorise de juger le passé des autres, alors qu’il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser dans son cas. « Nous les avons essayé 15 ans ». Qui au juste ? Personne ne sait. Ce qui est sûr c’est que le général évoque la période de terreur instaurée entre 1990 et 2005 par le système sécuritaire syro-libanais mis en place par la tyrannie des Assad, père et fils, avec laquelle il est allié officieusement, depuis 2004, et officiellement, depuis 2008, une alliance scellée lors de sa visite historique à Bachar el-Assad. Alors, un peu de cohérence, ne ferait pas de mal. « Nous avons vu où étaient les références chrétiennes, et comment elles avaient peur et se cachaient dans leurs résidences ». Tiens, tiens, et pendant ce temps, le général était bien planqué en France. Il s’est bien gardé de préciser que son retour au Liban est le fruit d’un arrangement politique avec les Syriens, selon plusieurs sources proches de lui à l’époque de son exil.

Le général s'est taillé ensuite un portrait sur mesure, utile pour revenir au palais de Baabda. « Nous avons refusé la ‘turquisation’ dans le passé. Un refus pour nous défendre et défendre les Arabes. Regardez ce que fait la Turquie aujourd’hui. » Du grand n’importe quoi, alors zappons à quelque chose de plus consistant. « Nous avons rejeté la Syrie, quand elle exerçait une tutelle sur nous. Pour cela, quand elle est sortie du Liban, j’ai essayé d’établir avec elle les meilleures relations, comme je l’ai promis, car je respecte les promesses et les alliances. » Mais, voyons, le général est un homme de parole et d’honneur. Et que pense-t-il de l’affaire Michel Samaha qui a failli embraser le Liban à la demande de Bachar el-Assad ? « Nous commenterons (la décision de justice) un autre moment ». Mais voyons, pourquoi se presser, il n’y a pas mort d’hommes ?

Tout cela ne l’empêche pas d’être exigeant, sauf avec lui-même. « Je souhaite rappeler au ministre de la Défense... qu’il est censé appliquer la loi et nommer un commandant de l’armée et non de proroger une situation illégale. S’il n’en est pas capable, qu’il démissionne. » Et moi, Bakhos Baalbaki, je souhaite rappeler au député du Kesrouan, qu’il est censé apprendre par cœur les articles 74 et 75 de la Constitution libanaise, cités précédemment. Et s’il en est incapable, il n’a qu’à démissionner et aller pêcher la sardine en Méditerranée, je m’engage à lui offrir les appâts.

Le meilleur du discours du général, se trouve sans aucun doute dans ce qu’il a dit au sujet du « pacte national ». C’est un passage d’anthologie. Michel Aoun y reviendra même à trois moments différents de son discours. Hasard des coïncidences, je suis actuellement sur un projet de court-métrage américano-libanais, qui parlera de la guerre du Liban et du foot, où nous avons abordé justement le « Pacte ». Il a fallu y revenir à 36 reprises, sans exagération, pour parvenir à trouver l’expression finale d’une malheureuse phrase qui sera insérée dans le film. C’est pour vous dire, que j’ai eu largement le temps de plonger dans notre « pacte nationale » et de me faire ma petite idée sur cet élément fondateur de la République libanaise. Vous serez informer du court-métrage, en temps et en heure, restons sur le discours de Michel Aoun. « Ils ont oublié qu’il y a un pacte (nationale) et des droits communautaires. » Mais qui sont-ils au juste ? Toujours ces obscurs ennemis comploteurs qui se liguent contre le général. J’ai des réserves sur sa formulation, mais admettons. « Selon le Pacte, les postes du président de la République, du commandant de l’armée et tous les emplois de la première catégorie qui reviennent aux chrétiens est un droit pour nous. Nous représentons la majorité chrétienne, nous avons le droit de les nommer, au gouvernement de confirmer ces nominations. » Dans ce passage, Michel Aoun commet trois erreurs. Primo, il réduit le « Pacte national » établi entre les leaders libanais en 1943 à une distribution de postes entre les tribus libanaises, alors que ça lui a échappé, bien qu’il soit né avant le « Pacte », que l’objectif de cet arrangement national est de renforcer la confiance mutuelle entre les communautés libanaises islamo-chrétiennes, un élément qui ne semble pas préoccupé le général, comme le prouve magistralement le discours de ce weekend. Secundo, la notion de « majorité chrétienne » n’a strictement aucune valeur constitutionnelle. Tertio, l’accession à la présidence de la République libanaise ne se fait pas à travers une nomination que le gouvernement doit confirmer, mais bel et bien via une élection démocratique au suffrage parlementaire. Nuance et de taille.

Bien que le général Michel Aoun ne semble rien connaitre à l’esprit du « Pacte national libanais », cela ne l’a pas empêché en se basant sur une fausse interprétation du pacte, de hausser le ton et d’être menaçant. « Quiconque au pouvoir qui ne veut pas respecter les lois et les mérites, et qui ne souhaite pas travailler selon la conscience nationale libre, il sera en confrontation avec nous, et j’insiste sur le fait qu’il sera en confrontation avec nous (...) Nous ne permettrons jamais, à qui que ce soit, des pays ou des individus, qu’ils nous imposent ce qu’ils veulent. Nous en avons assez. J’accepterai une autre guerre sur nous, comme celle de 1990, s’ils ne respecteront pas la Constitution et le Pacte. » C’est grave. Et même très grave, pour au moins trois raisons, là aussi. Primo, personne ne lui impose rien, on lui demande de cesser cette paranoïa et de remplacer son jeu enfantin, qui consiste à bouder les séances électorales en violation de la Constitution libanaise, par le jeu démocratique. Secundo, le général est prêt à aller jusqu’à la guerre pour se faire introniser sur le fauteuil de Baabda. Il le dit avec une légèreté consternante. Tertio, quand on est directement à l’origine de deux guerres meurtrières et destructrices, dont celle de 1990 et qui s’est terminée par sa fuite à l’ambassade de France, on évite de faire la moindre référence à ce passé peu glorieux pour l’homme en question et pénibles pour l’ensemble de la population libanaise, notamment chrétienne.

En tout cas, quelques minutes plus tard, Michel Aoun se contredit en affirmant que « les leaderships qui sont basés sur le sectarisme et qui n’attribuent les postes (administratifs) qu’à ceux qui sont de leur doctrine politique, et pas seulement de leur communauté religieuse, doivent cessés. » Pire encore, le voilà à un autre moment contredisant sa contradiction. « Vous êtes ceux qui nomment le président et les chefs chrétiens. C’est à vous de choisir ce que vous souhaitez et non aux autres de vous imposer ce qu’ils veulent. » La suite est faite de populisme au ras des pâquerettes. « Nous sommes les gardiens de la patrie, son origine... Nous sommes les plus forts, parce que nous sommes le peuple ». Bassita, admettons. « Ils vous ont interdit de porter votre voix et vous ont empêché de voter, et ils ont prorogé leur mandat deux fois ». Wlak ya 3ammé, qui ça « ils » ? Mais bordel, tu fais partie de ce « ils »! Et dans le populisme, il y est et il y restera. « Quand on leur a proposé que ça soit vous qui choisissez le président de la République (le peuple), sans qu’ils aient besoin de demander l’avis des pays étrangers, ils ont refusé. Mais, c'est bien vous qui nommerez le président de la République contre leur gré. » Deux phrases et voilà deux violations de la Constitution libanaise et du Pacte national, dont le respect semble le préoccuper.

Dans ce discours, Michel Aoun dira tout et son contraire. Alors qu’il affirme par exemple que « nous voulons construire un Etat et des institutions, une armée et des forces de sécurité. Nous ne voulons pas les politiser comme ils le faisaient. Le commandant de l’armée est pour tous les Libanais », cela ne l’empêche pas d’affirmer à un autre moment que « personne ne peut nommer un président pour nous, personne ne peut nommer un commandant de l’armée pour nous. C’est nous qui les nommons, que ça plaise ou non ». Curieux personnage le général. Pour lui faire plaisir, voici à quoi devra ressembler le Liban de demain : Michel Aoun himself, président de la République ; Gebrane Bassil, son gendre et dauphin, ministre à vie (titre transmissible par héritage de préférence) ; Chamel Roukouz, militaire brillant mais pas de bol, gendre du général, commandant de l’armée libanaise. Rien de prévu pour le 3e gendre, au moins pour le moment.

Pour être le plus largement compris, le président du CPL aura recours à une métaphore qui était censée frappée les esprits. Elle a frappé le miens en tout cas. « Nous n’accepterons que le plus fort et le plus représentatif à la tête du pouvoir (...) Nous refusons qu’ils nous sortent chaque fois un lapin de leurs poches... nous avons fini avec le jeu des lapins (...) Voilà pourquoi nous souhaitons passer le pouvoir à des personnes qui ont une voix, une position, une éthique ». Je rejoins sans réserve Michel Aoun sur sa dernière revendication, même si nos avis divergeront sur le choix de celui qui répondra à nos exigences communes. Mais, mettons-nous d’accord au moins sur une chose, on ne sort pas les lapins des ‘poches’, mais des ‘chapeaux’, et ce n’est pas Louis Comte, le prestidigitateur de Louis XVIII, qui nous dirait le contraire. S’il fut le premier à accomplir une telle performance dans un caveau à Paris en 1814, le général de Rabié est en passe de devenir aujourd’hui, le roi incontesté de l’illusionnisme politique dans nos contrées d'Orient.

Cela fait près de 40 ans que Michel Aoun est dans le paysage politico-militaire libanais, depuis au moins cette réunion secrète à la fin de l’été 1981, où il s’est retrouvé dans un couvent avec une quinzaine d’hommes chrétiens, dont Samir Geagea, réunies autour de Bachir Gemayel afin d’établir un plan pour permettre au chef des Forces libanaises d’accéder au pouvoir l’année suivante. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Aujourd’hui, les deux compagnons de Bachir se retrouvent pratiquement à la même place, avec presque le même état d’esprit. Il ne sera pas possible de résumer dans cet article, qu’est-ce que Michel Aoun et Samir Geagea ont apporté au Liban ? L’histoire s’en chargera. Mes articles aussi. Mais, comme nous commémorons en ce jour le premier anniversaire de la vacance présidentielle, tout ce que retienne une partie des Libanais de la longue carrière mouvementée des deux hommes, c’est que Michel Aoun, à la différence de Samir Geagea, est impliqué directement dans trois des quatre périodes de vacance présidentielle que la jeune République libanaise ait connue. Comme le montre la 1re représentation graphique, al-joumhouriyat al-loubnaniyat a été sans président de la République, officiellement ou de facto, 1 304 jours au total, en 71 ans d’Indépendance. Wlak aya joumhouriyé, aya mozz, aya ballout.

Un petit calcul fait apparaitre que Michel Aoun est le seul dirigeant politique libanais à être impliqué dans 1 299 des 1 304 jours de vacance du pouvoir que nous avons connus, soit 96,62% des vacances du pouvoir au Liban, ce qui représente une violation très grave de la Constitution libanaise, et pose un problème éthique et moral quant à son élection. Indépendamment de nos divisions politiques et des programmes électoraux des uns et des autres, comment élire quelqu’un qui détient ce triste record sachant que tout président fraichement élu de par les articles 49 et 50 de la Constitution de la République libanaise « prête serment de fidélité à la Constitution, promet d'observer la Constitution et s'engage à veiller au respect de la Constitution »? Impossible. On ne pourra pas faire confiance à cet homme. Ainsi, il est grand temps de considérer qu'il existe une incompatibilité entre Michel Aoun et la Constitution libanaise. Le général doit donc être déclaré inapte à devenir le 13e président de la République libanaise et cet article considéré comme 3élm wou khabar.

Avant que je n’oublie et avant de violer une nouvelle fois la Constitution libanaise et le Pacte nationale, pour permettre d’élire le président de la République libanaise au suffrage universel, une mesure à laquelle je suis fondamentalement opposé dans le contexte actuel, le dernier discours du général Michel Aoun le plus sectaire et le plus décousu jamais prononcé, doit nous amener aujourd’hui à nous poser une question de bons sens : faut-il imposer une limite d’âge aux candidats à l’élection présidentielle libanaise ? La 2e représentation graphique apporte une réponse sans ambiguïté. La suite du feuilleton « Wlak aya joumhouriyé, aya mozz, aya ballout » le 3 juin, pour la 24e séance d’élection du président de la République libanaise, qui sera boycottée comme prévu par Michel Aoun et Hassan Nasrallah, comme les 22 qui l’ont précédé. Le peuple libanais est pour l'instant condamné à regarder cette libre adaptation du film Groundhog Day (Un jour sans fin), en attendant des jours meilleurs. Mais, que personne ne s'y trompe, ces jours viendront, comme dans le film avec Bill Murray et Andie MacDowell.

lundi 18 mai 2015

Dans la tête de Michel Samaha, l’homme qui a failli embraser le Liban à la demande de Bachar el-Assad (Art.288)


La condamnation disproportionnée de Michel ‪‎Samaha par le Tribunal militaire libanais, a de quoi susciter l’indignation. Les charges qui pèsent sur cet ancien ministre sont lourdes. La sentence s’apparente dans les faits à une libération anticipée. D’où la joie des uns et la colère des autres. Hasard du calendrier, celui qui a frôlé la peine de mort, pourra accompagner salatt 3id el milad, les prières de la naissance de Jésus, ainsi que salatt 3id mawalad el nabawi el charif, les prières de la naissance de Mahomet, que célébreront respectivement le même jour à la fin de cette année, le patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, Bechara Raï, et le mufti sunnite de Tripoli et du Liban-Nord, Malek Chaar, deux hommes que l’apprenti terroriste projetait pulvériser avec deux des 24 charges explosives ramenées dans sa voiture de Syrie, « la2enno heik baddo bachar », car c’est ce que souhaite Bachar el-Assad, comme il l’a avoué aux enquêteurs.

L’affaire Michel Samaha

Pour échapper au couperet de la justice libanaise, la stratégie de défense de Michel Samaha est allée dans trois directions: l’homme a été piégé par l’informateur des FSI (c’est un coup monté, yé3né belmchabra7 houwé ja7éch), il a agi à l’incitation d’un provocateur (ce qui le rendait pénalement non responsable de ses actes, yé3né bala mokh) et c’était pour protéger le Liban (en menant des attentats à la frontière syro-libanaise afin de provoquer sa fermeture, yé3né baddo yekoun el wa7ad ja7éch wou bala mokh ta yisad2o). Malgré cette défense, nase il faut le dire, l'homme a tout de même été reconnu coupable d’avoir projeté « mener des actions terroristes au Liban et d'appartenir à un groupe armé » et condamné à 4 ans et demi de prison, notez bien cette demi-année qui est censée refléter la haute précision de la justice libanaise, alors que quelques uns de ses amis du 8-Mars osaient imaginer un acquittement. Par ailleurs, il a été déchu de ses droits civiques et politiques.

Pour mieux comprendre les faits, il faut savoir une chose basique. Pour qu’un type du poids politique de Michel Samaha, conseiller de Bachar el-Assad mais de nationalité libanaise, se retrouve derrière les barreaux au Liban, c’est qu’il a été lâché par tout le monde. Et s’il a été lâché, notamment par son camp, le 8-Mars, c’est parce qu’il était indéfendable. Et s’il était indéfendable c’est parce qu’on l’a pris en flagrant délit et à cause de ses propres aveux. Ce flagrant délit se base sur plusieurs vidéos de conversations enregistrées à son insu avec un autre homme. L’affaire a débuté il y a près de trois ans. Elle a été conduite par le général Wissam el-Hassan, assassiné depuis. L’arrestation n’a pas pu avoir lieu que grâce à la dénonciation du projet terroriste en préparation au service libanais de renseignements des Forces de sécurité intérieure, par celui qui était censé exécuter le projet, le dénommé Milad Kfoury. Si nous avons connu des centaines d’attentats à la voiture piégée et des dizaines d’assassinats depuis 1975, c’est la première fois dans l’histoire du Liban que les Libanais ont accès à la « tête » d’un de ces terroristes qui ont ensanglanté le Liban et endeuillé ses citoyens 1001e fois en 40 ans de guerre. C’est pour dire le caractère exceptionnel de ces documents, qui font froid dans le dos, mais dont le visionnage est un devoir national car ils permettent de mieux éclairer les pages sombres de notre tragédie qui n’en finit pas avec la tyrannie syrienne des Assad, père et fils, et ses sbires libanais de toutes générations et de toutes confessions.

Pour une meilleure compréhension et pour bien cerner la gravité de cette affaire nationale, je transcrirai les passages les plus pertinents des enregistrements. Je regrouperai les infos concordantes de telle sorte que les dialogues ne seront pas mentionnés par ordre chronologique, mais par thème. Vous trouverez entre des guillemets français, « les paroles de Michel Samaha » (MS), entre des guillemets anglais, “les propos de Milad Kfoury” (MK) et entre des parenthèses (des précisions utiles).

Le flagrant délit des vidéos accablantes contre Michel Samaha, Ali Mamlouk et Bachar el-Assad

Tout en se goinfrant de figues de Barbarie, qui seraient bonnes pour le « transit intestinal », parole de constipé, le maitre d’œuvre du projet terroriste détaille la précieuse livraison qu’il a ramenée de Syrie au chef de projet dans un passage clé de l'une des vidéos. « Tu as 20 kg, 2, 2, 2... (des charges explosives de 2 kg). Et tu as peut-être 50 kg, ou même plus, 20 ou 30 kg (de TNT)... Quand je monterai (en Syrie), j’en ramènerai encore ». Dans une autre vidéo, Kfoury interpelle Samaha. “Tu n’as pas oublié de leur (Syriens) parler des revolvers?”. MS : « Bien sûr, il y aura deux revolvers, avec un silencieux, avec, avec, avec (pour signifier qu’il y aura beaucoup de choses d’autres). »

Sur les cibles et la mission, le maitre d’œuvre sera très clair. Le moment est grave, il pose sa fourchette, mais continue à ruminer la tonne de figues de Barbarie qu’il a ingurgitée. « Tous ceux qui entravent le régime et le commandement (syrien), ainsi que la sécurité des déplacements (Liban-Syrie), et qui menacent de frapper les stocks d’armes et de munitions, ainsi que les rassemblements des combattants... (à partir de là) c’est ouvert, et qui sera éliminé... (ce n’est pas grave). » MK : “Et les députés de la région?” MS : « Aussi, aussi, nous acceptons » MK : “Il y a des cheikhs sunnites qui assistent!” MS : « Tant pis pour eux, comme ça, ils n’assisteront plus. » Sourire digne d'un psychopathe qui n'a rien à envier à Daech & Co. MK : “Il était convenu qu’on cible des Alaouites au début ?” Signe de la tête de Michel Samaha, pour faire savoir qu’il faut oublier pour l’instant : « Restons sur ceux-là ». Milad Kfoury demande une confirmation sur les cibles : “Et si on tombe sur les cheikhs sunnites, on les élimine?” Hochement de la tête du roi de la Barbarie : « Surtout les voyous... Ali, Abdel Al... » MK : Khaled Daher et sa bande ?” Signe d’acquiescement de la tête et de la main du maitre d’œuvre terroriste.

Sur une autre vidéo, on voit Michel Samaha en peignoir, comme un Don Corleone à 5 piastres, scusa alla Corleone famiglia !, énumérer les cibles avec le sang-froid de toute racaille criminelle psychopathe de son rang. « Tu as des ‘iftars’ (repas de rupture du jeûne pendant le mois de ramadan), il y a des députés que tu peux liquider, tu peux liquider Daher (Khaled, député sunnite du Nord), son frère, quelqu’un du commandement de l’armée libre (syrienne), des Syriens, des rassemblements de combattants syriens, des stocks d’armes quelque part, les routes qu’ils empruntent. Qu’ils subissent deux ou trois coups, de quoi les déstabiliser, de telle sorte qu’ils n’osent plus marcher sur les routes. Voilà les objectifs. » L’informateur demande des précisions : “Et pour ce qui concerne les confessions (des cibles)?” Tout ce que Samaha trouve à dire c’est « qu’ils (la tyrannie alaouite des Assad) ne veulent pas des Alaouites (soient tués) ». Mais enfin, “Et si le mufti du Akkar est présent à un de ces iftars, qu’est-ce qu’on fait?” Délicate question, mais le maitre d’œuvre terroriste, de confession chrétienne grec-catholique au cas où, trouvera la fatwa. « Si ceux qui assistent sont des poids lourds qu’on peut éliminer... », signe acquiescement de la tête et de la main. Et une fois les détails macabres ont été réglés, le terroriste s’offusque de la politique générale et militaire du Liban. « Ici (au Liban), des fils de pute... De Mikati (Najib, Premier ministre), au président (libanais, Michel Sleiman), à la constitution de l’armée (libanaise)... Quoi, (on veut faire croire que) le trafic (d’armes entre le Liban et la Syrie) n’est pas couvert (par l'armée libanaise et les politiciens libanais) ? »

Devant l’ampleur de sa mission, Milad Kfoury a fini par montrer quelques inquiétudes sur cette sale besogne et sur d’éventuelles fuites qui pourraient mettre sa propre vie et celle de sa famille en danger. Pour ne pas compromettre le projet terroriste libano-syrien, Michel Samaha s’est vu donc obliger de le rassurer. « Personne, personne, personne... Personne n’est mêlé (à cette affaire)... Personne ne sait ça vient de chez qui, ni à quoi c’est destiné, ni comment... Il n’y a que deux personnes qui sont au courant : Ali (el-Mamlouk, chef de la sécurité nationale syrienne, sunnite) et le président (Bachar el-Assad, chef du régime syrien, alaouite). En dessous... (personne n’est au courant). » C'est clair comme l'eau de source.

Passons maintenant aux choses sérieuses. « Il y a un léger changement concernant la somme (la rémunération). Ils (les Syriens) l’ont baissé à 170 000 $ ». Milad Kfoury s’offusque : “Tu leur as dit que je n’ai rien prévu pour moi?” L’homme au peignoir le rassure : « Oui, oui, le président (Bachar el-Assad) et Ali (Mamlouk) m’ont dit qu’il (MK) aura quelque chose à part » L’échange peut paraitre surréaliste pour un Occidental, mais c’est dans la pure tradition libanaise. Sur une autre vidéo, on voit Milad Kfoury recevoir de Michel Samaha, 170 000 $ dans un sac en plastique. Si, si, c’est le moyen de transport de fonds le plus commun pour les grosses sommes d’argent au Liban, afin écarter les soupçons à ce qu'il parait.

Maintenant que tout a été réglé, il faut récupérer la marchandise criminelle. L’ancien ministre et député libanais établit le plan de livraison. « Nous allons descendre. Tu ramènes ta voiture. Je serai en bas, je t’ouvre la porte du parking. Tu rentres. On enlève les produits de ma voiture vers ta voiture. » Kfoury est surpris : “Tu les as amené dans ta voiture?” C’est sans compter sur la méfiance de Samaha : « Je veux être sûr, ne pas prendre de risques ». Un peu plus tard, les deux hommes descendent au parking. Tout en procédant au transfert de la sinistre marchandise de leurs propres mains svp, le fournisseur terroriste prend le temps d’expliquer : « Voici les grenades, les minuteries des explosifs, ces trucs sont comme des mines... ». En amont, il avait prévenu son interlocuteur : « Ils (les Syriens) avaient préparé une livraison qui demandait un van ! » Grand sourire d'autosatisfaction psychopathique. Kfoury est terrorisé à l’idée : “Comment ça un van ? Petit à petit... on prendra ce dont on en aura besoin”. L’homme de Barbarie (r)assure encore : « Personne n’en saura rien ». Détendu, Kfoury demande : “C’est parce que ça vient directement du président (syrien)?” Samaha répond par une double confirmation : « oui, oui ».

Malgré ces insoutenables et dramatiques échanges, je vous ai concocté un montage textuel consternant et ubuesque pour finir ma transcription. Rewinding. Nous sommes chez le maitre d’œuvre. Au fond de l’écran, on aperçoit trois arcades qui témoignent de l’architecture libanaise raffinée qui ne sied point à une racaille terroriste dans le genre de Michel Samaha. Le Corleone à 5 piastres a fini de donner ses directives à son homme de main. Le projet terroriste est bien ficelé. Milad Kfoury rassure son commanditaire. C’est une question de 72h. Je vais préparer la voiture et la moto (piégées) et voir où nous allons faire le premier (attentat), pour qu’il soit le plus convenable et bien ‘beurré’, un grand coup pour tuer beaucoup de monde. Je vais en parler avec ma clique. Et en fonction de tout cela, on s’en remet à Dieu (metel ma Allah be ridd). On n’a pas le choix (chou badna na3mil). C’est tombé sur moi (wa2’3it 3leiyé).”

Nu sous son peignoir, Michel Samaha écoutait son interlocuteur silencieusement. Sa forte corpulence et la chaleur méditerranéenne ne semblaient pas trop le gêner. Pas plus que des considérations humaines, religieuses, éthiques ou morales. Et voilà qu’un grand sourire illumine son visage à la prononciation de ces trois dernières phrases. Il a fallu deux mots en arabe, wa2’3it 3leiyé (c’est tombé sur moi), pour établir définitivement la hiérarchie des responsabilités dans cette entreprise terroriste : Assad/Mamelouk/Samaha/Kfoury et pour renvoyer la théorie du complot, qui n’a pas manqué d’accompagner cette affaire, à la poubelle de la propagande. Samaha sort de sa torpeur pour conclure. « Eh oui, c’est une question de confiance en la personne (qui exécutera le projet terroriste, Milad Kfoury) et dans son esprit, son secret, sa capacité d'action et sa bonne gestion. » Kfoury est aux anges, il en rajoute une couche, tragicomique : “On se remet à Dieu. Fais attention à toi.” Si Dieu n’en revenait pas d’être associé à ce projet odieux, il faut savoir que ça ne sera pas l’unique fois dans cette affaire. Lorsque le chargement des 100 kg de TNT se termine, Michel Samaha se nettoie les mains. Les deux hommes se quittent en s’embrassant. Le maitre d’œuvre terroriste de Bachar el-Assad dit à son interlocuteur : « Allah yiwaf2aq » (que Dieu t’aide à réussir). Le chef de projet terroriste lui répond alors : “On garde le contact”. La suite, ce sont les services de renseignements libanais des Forces de sécurité intérieure qui se sont chargées de l’écrire et d’éviter au Liban de replonger dans une terrible guerre confessionnelle, islamo-chrétienne et intermusulmane, « comme le souhaite Bachar el-Assad ».

Biographie de Michel Samaha

Michel Samaha était un proche d’Elie Hobeika, dans sa période israélienne comme dans sa période syrienne. Il a été expulsé des régions chrétiennes libres lorsque celles-ci sont entièrement passées sous le contrôle des « Forces libanaises » lors de la 2e intifada de Samir Geagea en 1986. Son exil n’a duré que cinq ans. Il est retourné en force avec les troupes d’occupation syriennes en 1990. Ministre à trois reprises, imposé par la Syrie dans les gouvernements de Rafic Hariri, dont la dernière fois remonte à 2004. C’est lui qui annonça en 1994, avec la délectation du pervers, la dissolution du parti des Forces libanaises, les poursuites judiciaires de son chef et le début de la persécution des militants. Il est interdit de séjour aux Etats-Unis depuis 2007, à cause de la déstabilisation du gouvernement libanais et déclaré officiellement terroriste à la fin de l’année 2012. Quelques mois auparavant, Michel Samaha a été pris en flagrant délit de préparation d’actes terroristes avec un arsenal impressionnant, comprenant des grenades, des mines et 24 charges explosives de TNT, 4 charges de 20 kg et 20 charges de 1 à 2 kg. Les premières étaient destinées à commettre des attentats publics meurtriers. On en a connu des centaines depuis 1975, dont le double attentat à la voiture piégée qui a frappé Tripoli il y a deux ans (c'est l'attaque la plus sanglante au Liban depuis la fin de la guerre en 1990; elle a eu lieu devant des mosquées sunnites de la ville, à la sortie de la prière du vendredi; elle a fait une cinquantaine de morts; les leaders alaouites libanais, Eid, père et fils, qui sont impliqués dans cet acte terroriste, et inculpés, se sont réfugiés, comme par hasard, chez le régime alaouite syrien). Les secondes devaient servir à l’élimination ciblée de personnes, par l’explosion de leurs propres voitures. On en a connu des dizaines, surtout depuis la seconde indépendance de la Syrie, ils n’ont touché que des personnalités souverainistes du 14-Mars (l’écrivain Samir Kassir, le politicien Georges Haoui, la journaliste May Chidiac, etc.). Pour résumer disons que Bachar el-Assad à donner l’ordre via Ali Mamelouk et Michel Samaha, de préparer 4 attentats terroristes à la voiture piégée et d’assassiner plus d’une vingtaine de personnalités libanaises.

Et si on jugeait Michel Samaha en France ?

Pour mieux lutter contre le terrorisme dans notre pays, il faut d’abord s’assurer que notre législation est adaptée à la menace. Le cas Samaha prouve qu’elle ne l’est pas, puisque malgré le fait d’être pris en flagrant délit et des aveux francs, on a une condamnation de délit mineur de droit commun et non d’un crime grave porté à la sécurité et à la concorde nationales. Pour se rendre compte de la légèreté de la condamnation et des failles de la lutte anti-terroriste au Liban, il suffit simplement de transposer le cas Samaha en France. Selon la législation française, ce que l’on reproche à Michel Samaha relève des « actes de terrorisme ». De ce fait, s’il était dans l’Hexagone, il aurait été jugé par une juridiction de droit commun, le Tribunal de grande instance. Mais, puisque son affaire relève du terrorisme, elle aurait été suivie par l’un des huit juges d’instruction qualifiés du pôle de lutte anti-terroriste qui se trouve au parquet de Paris. En se basant sur sa propre défense sans tenir compte de quoi que ce soit d’autre, Michel Samaha aurait été accusé de « faire l’apologie du terrorisme ». Ça lui aurait couté 5 ans d’emprisonnement, plus que la condamnation libanaise. En tenant compte du fait qu’il « participait à un groupement ou une entente en vue de préparer un acte terroriste » (‘Samaha Delivery’) ou « de financer un acte de terrorisme » (les 170 000 $ dans le sac plastique), sa condamnation aurait grimpé à 10 ans de réclusion criminelle, plus de 2 fois sa condamnation libanaise. Le fait de « diriger ou d’organiser le groupement ou l’entente » (comme le montrent les vidéos), sa peine serait passée à 20 ans de réclusion criminelle, plus de 4 fois sa condamnation libanaise. Et puisque plusieurs des crimes en préparation constituaient des « atteintes aux personnes » et prévoyaient des « destructions par des explosifs », il aurait pris 30 ans de réclusion criminelle, près de 7 fois sa condamnation libanaise. Pas de doute, le Tribunal militaire ne s’est pas montré assez sévère envers un grand terroriste qui n’est surement pas à ses premiers faits d’armes. Pour être juste, rappelons que le juge d’instruction militaire avait requis en février 2013 la peine de mort contre le maitre d’œuvre terroriste car « Michel Samaha avait l'intention de faire usage des explosifs saisis dans sa voiture (...) mais les attentats n'ont pas eu lieu pour des raisons indépendantes de sa volonté ».

Faut-il abolir le tribunal militaire libanais pour autant ?

La charge violente contre le tribunal militaire à la suite de cette faible condamnation -notamment de la part du 14 Mars, avec Achraf Rifi, le ministre libanais de la Justice, comme le fer de lance de cette bataille- est sans aucun doute justifiée comme on l’a vu précédemment, mais elle est aussi malhonnête, et ceci pour plusieurs raisons. D’abord, il est totalement faux d’ironiser, comme l’a fait par exemple le député Marwan Hamadé, que « si Michel Samaha était un delivery boy chez Kababji ou Boubouffe, et qu’il avait commis un excès de vitesse, il aurait été plus sévèrement condamné selon le nouveau code de la route ». C'est très drôle, mais cela relève de la désinformation. D’ailleurs, personne ne s'est donné la peine de rappeler que le juge d’instruction militaire avait réclamé la peine de mort contre Michel Samaha, mais il n'a pas été suivi. Donc, c’est la décision finale qui pose problème et non l’instruction militaire. Ensuite, il faut quand même avouer que si la détention de la drogue au Liban, au royaume de la Marijuana, est punie de 7 ans d’emprisonnement au minimum, plus que la détention d’explosifs, c’est bien la faute des politiques, des députés et des gouvernements, des civils, et non du Tribunal militaire. Ce n’est donc pas la peine de prendre les militaires pour des boucs-émissaires. Enfin, cette charge contre ce dernier, notamment de la part de députés connus pour leur hostilité à l'égard de l’institution militaire, comme les députés Khaled Daher et Mouin Merheby, occulte le fait qu’un tribunal civil aurait fait la même chose et probablement pire, une condamnation plus faible, étant plus influençable et plus sensible aux pressions de tous les partis politiques confondus.

Le problème n’est donc pas dans le caractère « militaire » de ce tribunal d’exception, ou dans le fait qu’il serait sous l’influence exclusive du Hezbollah, autant qu’il est dans les « pressions » exercées sur ceux qui sont censés rendre justice, qu’ils soient civils ou militaires. A un acte exceptionnel, il faut naturellement un tribunal exceptionnel qui soit compétent pour y faire face. Il ne faut pas se leurrer, on ne pourra pas juger un acte terroriste devant une cour de droit commun au Liban avant l’an de grâce 2345. Copier à l’aveugle le système judiciaire de la France, de la Suède ou des Etats-Unis, quand on est un pays comme le Liban qui n’arrive même pas à obliger ses citoyens à payer leurs factures électriques et à les empêcher de se raccorder illégalement au réseau public, est une erreur. Un Etat qui est totalement incapable d’étendre sa souveraineté sur tout son territoire, de déployer son armée le long de ses frontières, justement pour empêcher qu’on y introduit des explosifs, de contrôler convenablement son aéroport et ses ports, d’avoir le monopole du port d’armes, d’en finir avec les milices et les zones extraterritoriales (contrôlées par le Hezbollah, les groupes palestiniens, les islamistes, l’armée syrienne libre, l’armée syrienne, les rebelles syriens, Daech, Nosra...), n’est pas prêt pour abolir son tribunal militaire. Faut pas rêver.

Hélas, je n’ai pas fini mon réquisitoire. Compter sur le caractère « civil » pour espérer rendre une meilleure justice au Liban, est d’une grande naïveté. Et pour cause ! La Constitution libanaise interdit clairement au Parlement de légiférer en cas de vacance présidentielle. Et pourtant, les leaders politiques, des civils, se sont entendus pour violer la Constitution, avec la bénédiction du Conseil constitutionnel, en inventant la fatwa du « el techri3 el estesné2é wel darouré », l’exception et la nécessité de légiférer malgré la vacance présidentielle. Des foutaises. Qui s’en émeuve ? Personne. Le « civil », parlons-en. Nous sommes sans président depuis un an, par la faute des députés de la nation, des civils qui ont assassiné la République libanaise. Qui s’en émeuve ? Personne, enfin, quelques-uns sincèrement, l'écrasante majorité s'en accommode merveilleusement bien. Autre chose. Le Conseil constitutionnel a invalidé trois articles de la nouvelle loi sur la libéralisation des locations anciennes. Et pourtant, les juges civils ne sont toujours pas capables de dire aux citoyens libanais, si la loi est applicable ou pas. Hallucinant. En réalité, tout le monde le sait, la loi amputée est morte. Mais, des juges et des députés, des civils, veulent la ressusciter et la faire passer par la force. Pourquoi à votre avis ? Afin d’en finir avec la classe moyenne à Beyrouth et livrer la ville aux promoteurs sans vergogne. Comment est-ce possible ? Ah oui, les « pressions » font des miracles. Qui s’en émeuve ? Personne. Une dernière anecdote. Hasard du zapping, je tombe l’autre jour sur le témoignage de Joumblatt à La Haye. Le juge suppléant à la Chambre de première instance du TSL, Walid Akoum, prend la parole et s’adresse au leader libanais dans ces termes : « Walid beik... » Encore deux mots qui résume la fragilité du « civil libanais » face aux « pressions ». Comment un juge libanais de ce calibre peut-il utiliser ce titre féodal pour interpeller un leader politique libanais alors que les deux personnages se trouvent à 3 203 km de Beyrouth ? Walid beik, wlé ma3’2oul ?

J’ai continué mon zapping en me disant qu’après tout, la condamnation surprenante de Michel Samaha est à l’image de mon pays. Toute l’affaire Samaha est d’ailleurs à l’image de notre pays. Les révélations de ces vidéos vous glacent le sang. Et pourtant, une partie du peuple libanais continue sa vie comme si de rien n'était, à Cannes et ailleurs, pour soi-disant promouvoir le Liban de la mode, du cinéma et du tourisme, et une autre partie n’en a cure car pour elle, la fin justifie les moyens, même les plus odieux. L'islamophobie, notamment envers les communautés sunnites, n'est jamais trop loin pour expliquer le nauséabond m'en-foutisme de certains compatriotes. Néanmoins, puisque je n'ai pas l'habitude de terminer sur une note négative, disons que cette condamnation a l’immense mérite de souligner la difficulté de rendre ‪‎justice avec justesse dans nos contrées d'Orient et de clore définitivement le débat sur lutilité du Tribunal Spécial pour le Liban

Toujours est-il que je reste contre l’abolition du tribunal militaire au Liban jusqu’à nouvel ordre -ce n'est absolument pas le moment!- mais favorable à sa réforme, pour assurer une plus grande indépendance de cet appareil judiciaire, une meilleure défense des accusés et des recours équitables pour les deux bords. En ce qui concerne le jugement ridicule déjà prononcé, il est impératif qu'il soit cassé en appel afin que la sentence puisse être alourdie. Si ce n'est pas « au nom du peuple libanais », qu'on le fasse au moins au nom du principe de la vie dans une société civilisée où personne ne possède le vitae necisque potestas de la Rome antique, le « pouvoir de vie et de mort » sur ses semblables.

dimanche 10 mai 2015

J’ai testé le Hezbollah et voici ce qu’il en sort : « el-qalamoun, wa ba3da el-qalamoun, wa ma ba3da ba3da el-qalamoun » (Art.287)


Et si je testais le Hezbollah pour vous ? Non, ce n’est pas compliqué. Il n’y a rien de plus simple, il suffit de prendre le discours de sayyed Hassan Nasrallah du 5 mai 2015 et de le décortiquer. Avec de l’objectivité, on y arrivera. A ses marques, vous êtes prêts, partons.

Commençons donc ce test par le YEMEN, le sujet principal de cette dernière conférence de presse. Hassan Nasrallah a parfaitement raison de laisser entendre que lorsque la coalition arabe déclare que tous les buts de l’opération saoudienne au Yémen, ont été atteints, elle ment. L’attaquer en essayant de démontrer le contraire est vain. C’est un fait. Ceci dit, il n’avait pas besoin de consacrer 38% de ce discours à ce sujet pour le prouver. A moins qu’il ne cherchait à tout prix dans cette manœuvre de diversion à faire oublier à ses sympathisants, que tout ce qu’il dit sur les 40 jours d’intervention arabe au Yémen s’applique mot à mot sur l’intervention du duo chiite, Hezbollah-Iran, en Syrie depuis plus de 4 ans. En tout cas, il y a un but qui a été bel et bien atteint, et qu’il a zappé, l’Arabie saoudite et ses alliés ont porté un coup d’arrêt à l’expansionnisme iranien au Yémen, avec la bénédiction de la communauté internationale. C'est peut-être temporaire, mais c’est un fait aussi. Donc, globalement, ce n’est pas sur ce point que le chef du Hezbollah avait tort comme l’ont signalé ses détracteurs. Mais sur quelque chose de beaucoup plus basique : l’ordre du jour de sa conférence de presse. C’est quand même étrange qu’un leader libanais fasse une longue intervention à trois semaines du premier anniversaire de la vacance présidentielle, dans un pays au bord de la faillite à tous les niveaux, sans même se donner la peine d’aborder le sujet et pire encore, avec l’ordre du jour suivant : le Yémen, l’Irak, la Syrie et enfin, le Liban.

Pas la peine d’en tenir compte, sinon, vous décrocherez au bout de 55 s. « Nous sommes de nouveau devant une tromperie et une grande duperie... l’opération est un échec clair et net (...) A défaut de réussir, on procédera à la destruction du ‘pays’ sur la tête de son peuple... La situation humanitaire est grave et catastrophique... Au monde d’assumer ses responsabilités (...) Cette politique et cette stratégie... la pression sur les résistants et les combattants à la volonté libre, à travers l’assassinat de leurs familles et le bombardement de leurs femmes et leurs enfants, ainsi que par la destruction de leurs maisons, cette politique est vouée à l’échec. Elle n’a conduit nulle part dans le passé... Au Vietnam, à Gaza, au Liban... Est-ce qu’elle a affaiblit la résistance ou l’a poussé à faire marche arrière ? Pas du tout. Bien au contraire, cela l’a poussé à persister et à construire les victoires ». Poignant et plein de vérité. Toute personne qui prendrait le discours en cours de route, aura l’impression sans l’ombre d’un doute que Hassan Nasrallah parle de la Syrie et non du Yémen. La coïncidence ironique est extraordinaire.

Le meilleur de ce passage sur le Yémen, c’est le moment où le chef du Hezbollah a dénoncé « l’utilisation d’armes interdites sur le plan international, comme les bombes à fragmentation, ce qu’il y a de plus dangereux pour les populations civiles ». Là aussi, la diversion est intéressante. Hassan Nasrallah serait sans doute plus crédible, s’il s’était manifesté après les attaques chimiques de Damas par son allié le régime syrien, en août 2013 (1 429 morts en quelques minutes, dont plus de 426 enfants), après les attaques au chlore à Idlib le mois dernier par les troupes de Bachar el-Assad (pour empêcher la chute dramatique de la région entre les mains de l’opposition) et après chacune des 5 000 bombardements avec des barils explosifs par l’armée syrienne (ayant fait plus d’une douzaine de milliers de morts, 96% des victimes étant des civils).

Après le Yémen, j’ai testé le Hezbollah sur l’IRAK. D’emblée, sayyed Hassan nous met en garde. « Le véritable but des Etats-Unis est la partition des Etats de la région sur une base communautaire et ethnique... Irak, Syrie, Yémen, Libye ». Bizarrement, il exclut le Liban, mais cela n’enlève rien à la recevabilité de cette hypothèse. Il est clair pour le chef du Hezbollah que « nous nous acheminons dans la région, vers la légalisation des guerres civiles, qui pourraient durer des centaines d’années. C’est ce que souhaitent les Etats-Unis et Israël, pour nous ». Contrairement à ce que pensent certains cercles, cette hypothèse est loin d’être farfelue. L’idée d’un tel projet circule depuis plusieurs décennies. Ça serait même l’intime souhait d’Israël pour affaiblir ses ennemies arabes et la garantie d’une survie tranquille à long terme. L’invasion de l’Irak en 2003 par le plus grand imbécile de l’histoire contemporaine, George W. Bush, qui n’avait aucune raison d’avoir lieu, et le chaos qui l’accompagne depuis, le prouverait. Toutes les conséquences de cette invasion stupide étaient prévisibles, sans aucune exception. De la domination chiite sur l’Irak post-Saddam Hussein à l’ingérence iranienne dans les affaires irakiennes, en passant par l’hostilité sunnite et l’émancipation kurde. L’hypothèse tient la route.

Comme élément à charge, le chef du Hezbollah évoque un obscur projet de loi qui serait en cours d’étude au Congrès américain qui « ordonne, demande ou autorise au gouvernement américain d’armer des composantes irakiennes indépendamment du gouvernement irakien ». Là par contre, ça fait très court à plusieurs égards. Hassan Nasrallah a zappé par exemple le fait que les Etats-Unis ont déjà dépensé 25 milliards de dollars depuis 2003, pour recréer et armer les forces de sécurité irakienne ; que la loi annuelle sur la défense adoptée en fin d’année par le Congrès américain, à laquelle doit probablement faire référence le chef du Hezbollah, à accorder 5 milliards $ pour la guerre contre « l’Etat islamique / Daech », dont le tiers est réservé à un programme d'équipement et d'entraînement des forces irakiennes, kurdes et tribus sunnites, oui, mais qui doit être financé à hauteur de 40% par le gouvernement irakien ; que la glorieuse armée irakienne a été épurée des éléments sunnites par la politique stupide de Nouri al-Maliki, donc elle est aujourd’hui constituée en majorité de la communauté chiite irakienne, et que 25 000 soldats à Mossoul n’ont pas été fichus en juin dernier de faire face à 1 000 djihadistes de Daech ; que sans la coalition arabo-occidentale formée autour des Etats-Unis, Daech serait à Bagdad avant d’être à Jounieh, que Kobané n’aurait pas fait long feu face à l’Etat islamique d’Irak et de Syrie et que Tikrit serait encore entre les mains des djihadistes malgré la participation active dans cette bataille du général Qasem Soleimani, chef des forces spéciales des Gardiens iraniens de la Révolution islamique, Feilaq al-Qods. En tout cas, là aussi, le chef du Hezbollah serait plus crédible s’il s’offusquait de la même manière à propos de l’aide iranienne aux milices chiites irakiennes et yéménites, et s’il rejetait lui-même les aides que reçoivent son parti et sa milice, financièrement et militairement, de la République islamique d’Iran depuis près de 33 ans.

Hassan Nasrallah a évidemment omis d’évoquer, et c’est ce qui justifie en grande partie cette manœuvre de diversion sur Irak, l’annonce toute chaude faite par les Etats-Unis du lancement du programme de formation des rebelles syriens qui se battent à la fois contre le régime syrien et Daech. Ce programme pour lequel le Congrès américain a déjà alloué 500 millions de dollars, vient de commencer en Jordanie et doit s’étendre ultérieurement à la Turquie et l’Arabie saoudite. Il a aussi zappé l’info compromettante révélée il y a moins de deux mois par le Washington Post, qu’on a perdu la trace de l’équivalent de 500 millions de dollars d’armements, de munitions et de matériels militaires américains au Yémen, un arsenal qui pourrait être entre les mains des milices chiites des Houthis, d’où la détermination de la coalition arabe formée autour de l’Arabie saoudite de briser l’expansionnisme iranien à son flanc gauche.

Suite à cette allégation, sayyed Hassan Nasrallah a lancé un appel solennel. Puisque il me concernait, je l’ai écouté attentivement sans a priori. « Ô peuples de notre région, ô gouvernements de notre région, ô générations présentes qui accompagnent ces défis... nous nous acheminons vers la partition de l’Irak, suivra la partition de la Syrie, du Yémen et d’autres pays. » Bizarrement, là aussi, allez comprendre pourquoi, le Liban est exclu de la liste, mais l’Arabie saoudite y figure en bonne place. Je pourrais partager l’inquiétude du chef du Hezbollah pour l’Irak. Le pays est très mal barré, pas seulement par la faute des Américains mais aussi à cause de ces huit ans de politique communautaire stupide menée par le Premier sinistre irakien chiite, Nouri al-Maliki (la faute de frappe n’est pas fortuite), avec la bénédiction du Guide suprême de l’Iran, qui a conduit au plein épanouissement de Daech en Irak et qui a rendu les communautés irakiennes irréconciliables pour un très long moment. Pour la Syrie, j’ai beaucoup de mal à le rejoindre. Pas parce que le risque de partition n’existe pas, loin de là, mais parce que celui qui s’en inquiète n’est point crédible. Comment peut-on s’inquiéter sincèrement de la partition de la Syrie quand on dirige une milice chiite libanaise qui est enlisée aux côtés de la tyrannie alaouite syrienne des Assad (issue d’une communauté qui ne représente que 10% de la population) dans une guerre dirigée contre la composante sunnite syrienne (qui représente 70% de la population) et qui a déjà fait 220 000 morts et jetés sur les routes la moitié de la population du pays ? Invraisemblable.

A ce propos, testons maintenant le Hezbollah sur la SYRIE. Pendant une bonne dizaine de minutes, Hassan Nasrallah a mis en garde « les Syriens et les Libanais » contre « cette guerre psychologique » menée depuis la chute de Jisr el-Choughour et d’Idlib, « ces rumeurs et ces mensonges » sur la fin imminente du régime syrien, l’abandon de Bachar el-Assad par la Russie, le sacrifice de la Syrie sur l’autel du nucléaire iranien et l’exode alaouite vers le littoral syrien et libanais. « Gagner une bataille ne signifie pas qu’on a gagné la guerre ». Sur tout ce passage, il n’y a rien à redire. Enfin si, je l’ai dit maintes fois depuis le 15 mars 2011, même si je l’ai formulé différemment. « Cela fait 4 ans qu’au Liban il y a des gens pressés qui se félicitent et qui découvrent ensuite que leur mariage est faux, il n’y a pas de mariés ». C’était tous les vendredis d’ailleurs. Seul bémol, c’est que pour moi, ce raisonnement est tout aussi valable dans l’autre sens. Nuance et de taille. Dire que Bachar el-Assad et ses alliés auront fini avec la Révolution syrienne mardi prochain, relève aussi « des rumeurs et des mensonges », comme aussi le fait de faire croire que l’opposition au régime syrien n’est composée que d’étrangers à la Syrie.

En tout cas, le test a échoué lamentablement par la suite. « Nous au Hezbollah, nous serons là où nous devons être... Ce combat n’est pas celui du peuple syrien... Il s’agit ici de défendre la Syrie, le Liban, la Palestine et toute la région... Nous assumerons cette responsabilité quels qu’en soient les sacrifices ». Cette affirmation résume merveilleusement bien « l’anomalie » du Hezbollah au Liban, et le contentieux d’une grande partie des Libanais avec la milice chiite. Non seulement, que la majorité des Libanais, mais aussi des Syriens, des Palestiniens et des Moyen-Orientaux n’ont rien demandé au Hezbollah, et s’y opposent farouchement à ses aventures hasardeuses au quatre coin du monde arabe, mais en plus, et c’est un comble, les sacrifices évoqués ne se limiteront pas au Hezbollah, mais concerneront toutes les populations moyen-orientales, libanaise en tête.

Et puisqu’on y est, testons maintenant le Hezbollah sur le LIBAN. Non seulement 77% du discours de ce leader libanais a été consacré à des problèmes non-libanais, mais en plus, la partie consacrée au Liban ne l’était pas vraiment, puisqu’elle se limitait au Qalamoun. Mais, c’était sans compter sur la malice de Hassan Nasrallah. Pour ceux qui ont séché les cours de géo, le Qalamoun désigne une région montagneuse qui se situe entièrement en Syrie, parallèlement aux chaines de l’Anti-Liban. Et pour justifier une intervention d’une milice libanaise en Syrie, il fallait trouver une fatwa. « Nous étions au courant des intentions des groupes armés... nous évoquons des agressions concrètes... l’occupation de vastes territoires libanais, les assauts contre l’armée libanaise et les citoyens, la détention des militaires libanais avec la menace de les tuer, le bombardement de régions libanaises... Pour cela, cette question a besoin d’un traitement radical ». Difficile pour tout patriote libanais de ne pas être d’accord avec Hassan Nasrallah sur ce point et de condamner les violations de la souveraineté libanaise par des groupes terroristes syriens, et non des moindres, Jabhat al-Nosra et Daech, qui ont déjà exécuté quatre militaires libanais, deux abattus par balles et deux décapités, à chaque groupe djihadiste sa barbarie préférée. Précisons à tout hasard, que la violation de la souveraineté libanaise par des groupes syriens ne date pas d’hier et ne se limite pas aux djihadistes syriens, elle a concerné les rebelles syriens modérés aussi. En tout cas, jusqu’à là, aucun souci.

Ce qui pose problème c’est tout le délire qui a suivi. «  J’ai dit dans le passé qu’après la fonte de la neige, il y aura une échéance à laquelle devront faire face les Libanais, l’Etat, l’armée, la ‘résistance’ (auto-désignation du Hezbollah), les gens, le peuple... » Ah, c’est très gentil de nous prévenir, mais nous « Libanais, Etat, armée, gens et peuple » préférons faire confiance aux forces armées libanaises, plutôt qu’à une milice chiite qui a montré brillamment en juillet 2006, que non seulement elle est totalement incapable de protéger le Liban, mais qu’elle présente en plus un grand danger pour sa population. Mais, le Hezbollah n’a que faire « de l’Etat libanais, de l’armée libanaise et du peuple libanais ». Là aussi, Hassan Nasrallah a trouvé une fatwa pour mieux camoufler cette démarche totalitaire injustifiée. Tenez-vous bien, c’est le meilleur passage de la conférence : « l’Etat (libanais) est incapable de traiter cette question... Si l’Etat (libanais) était en mesure d’assumer ses responsabilités, nous serions tous avec lui... Pour qu’on n’attende pas le mirage, il est clair que l’Etat (libanais) est incapable de faire cela ». C’est non seulement consternant mais c’est en plus archifaux.
 
Jamais de l’histoire du Liban, passée et même à venir, l’armée libanaise n’a reçu et ne recevra autant d’aides militaires qu’en ce moment, notamment du camp arabo-occidental grâce à l’Arabie saoudite, la France et les Etats-Unis, les ennemis jurés de l’Iran, du Hezbollah et de la Syrie. L’armée libanaise a reçu, depuis la fin de l’occupation syrienne du Liban (2005), ou recevra à terme, pour 5 milliards de dollars d’armements et d’entrainement, 4 milliards $ assurés par le « royaume wahhabite » et 1 milliard $ par le « grand Satan ». Les forces armées libanaises reçoivent et recevront à terme, grâce à l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, des hélicoptères Gazelle, Puma et Cougar, qui peuvent tirer des missiles téléguidés, des avions Cessna armés de missiles antichars Hellfire, des drones, des véhicules blindés, avec des systèmes anti-explosifs, des véhicules de combats, des patrouilleurs, des dizaines de canons américains M198 Howitzer, le fameux « 155 » (aucun pays au monde, à part les USA, n'en auront autant que nous!), des centaines de missiles anti-char Tow2 et des millions de munitions de toutes tailles, enfin bref, que de mauvaises nouvelles pour le Hezbollah, le régime alaouite et le régime des mollahs.


Toute la propagande du Hezbollah qui consiste à présenter les « forces armées libanaises » comme étant des « incapables », magistralement exposée dans ce discours de Hassan Nasrallah, vise à reléguer cette grande armée libanaise au rôle de police d’intérieure, et à faire croire aux Libanais, que seule une petite « milice chiite » est « capable » de protéger le Liban. Foutaises. L’armée libanaise l’a prouvé ces dernières années, à Nahr el-Bared comme à Saïda, à Ersal et à Tripoli, que dans des régions sunnites soit dit au passage, qu’elle est capable de neutraliser les terroristes quand le feu vert politique lui est donné, notamment par les leaders sunnites, soit dit au passage aussi. Ce n’est absolument pas le cas du Hezbollah, qui ne fonctionne qu'avec des feux rouges (comme celui que Hassan Nasrrallah a fixé à l'armée libanaise durant la bataille anti-terroriste de Nahr el-Bared en 2007) et qui a crié au secours plus d’une fois ces dernières années, comme lors de la guerre de juillet (2006) et lors des incidents sécuritaires à Saïda et à Ersal justement (2013-2014).

Toujours est-il qu’avec ces deux fatwa taillées sur mesure pour justifier l’injustifiable, Hassan Nasrallah déclare que « Nous traiterons cette question... Il y a des préparatifs... Nous n’avons rien annoncé... Il ne faut pas nous astreindre à quoique ce soit... Il n’y a pas eu de déclarations officielles (du Hezbollah) pour que l’opinion publique nous juge ». Comme j’avais décidé de tester avec impartialité le Hezbollah, j’ai pris acte et je me suis dit, soyons patients, attendons donc cette déclaration officielle. Mon attente n’a duré que le temps nécessaire pour que le sayyed reprenne son souffle et se contredit aussitôt. « Je vous le dit afin de vous soulager, nous ne ferons pas de déclaration. Nous ne ferons pas de déclaration », prononcé à deux reprises pour ceux qui ont encore du mal à comprendre la politique du Hezbollah au Liban. Il rajoute comme justification à cette démarche totalitaire : « quand cette opération commencera, elle parlera d’elle-même et elle s’imposera aux médias. A ce moment-là, tout le monde saura que l’opération a commencé... Quant à savoir quel sera son but, ses limites, son lieu d’action, où elle ira et sa durée, nous laisserons tout cela au temps. Nous n’en parlerons pas dès maintenant ». Il n’y a pas à dire, Hassan Nasrallah se fout de la gueule du monde. Toujours est-il qu'il n'y a rien de bon à tirer de l’opération Qalamoun pour le Liban et pour son peuple. S'il y a des mesures qui devront, doivent ou auraient dû être prises depuis le retrait des troupes d'occupation syriennes du Liban le 26 avril 2005, c'est le déploiement de l'armée libanaise le long de la frontière syro-libanaise et son contrôle d'une main de fer dans les deux sens, une mesure à laquelle se sont toujours opposés le Hezbollah et le régime syrien. La bataille de Qalamoun s’impose à Hassan Nasrallah et à Bachar el-Assad afin de maintenir la continuité territoriale entre la communauté chiite libanaise et le régime alaouite syrien, par la sécurisation de l’axe Est-Ouest, et pour protéger l’option de secours de ces deux alliés sur les côtes méditerranéennes, « Etat des Alaouites », par la sécurisation de l’axe Nord-Sud. Voilà ce qu’il en est au juste. Tout le reste n’est que palabres.

J’étais vraiment sincère en voulant tester le Hezbollah. Hélas, il est impossible quand on ne fait pas partie de la communauté chiite d’adhérer vraiment à l’idéologie de ce parti. A la limite, je pourrais dépasser toutes les réserves exposées dans cet article et soutenir Hassan Nasrallah dans son combat dans le Qalamoun. Mais le problème avec la logique du Hezbollah, c’est que l’action de la milice chiite libanaise ne se limitera pas au Qalamoun. Il y aura le qalamoun, wa ba3da el-qalamoun, wa ma ba3da ba3da el-qalamoun, comme ce fut le cas avec Haïfa, Beyrouth, Saïda, Ersal, Qousseir, Quneitra et Chebaa. Il est clair que la « pulsion guerrière » de la milice chiite ne s’arrêtera jamais. Le discours du 5 mai 2015 le prouve magistralement. 

A force de tirer sur la corde, le Hezbollah pousse les Chiites libanais qui sont en accord avec sa politique générale et les Libanais de toutes confessions qui sont en désaccord profond avec sa dérive djihadiste transfrontalière et son isolationnisme communautaire intrafrontalier, vers l’une de ces trois catastrophes : accepter l’hégémonie hezbollahie, s’engager dans une nouvelle guerre civile ou œuvrer pour la partition du Liban. C’est inéluctable. A moins de rester dans le statu quo pourri actuel, en attendant un changement de cap radical, inespéré et miraculeux, sous l’impulsion d’un « Printemps perse », qui balaiera le « Croissant chiite » du Moyen-Orient, de Téhéran à Beyrouth.