La condamnation disproportionnée de Michel Samaha par le Tribunal militaire libanais, a de quoi susciter l’indignation. Les charges qui pèsent
sur cet ancien ministre sont lourdes. La sentence s’apparente
dans les faits à une libération anticipée. D’où
la joie des uns et la colère des autres. Hasard du calendrier, celui qui a frôlé
la peine de mort, pourra accompagner salatt
3id el milad, les prières de la naissance de Jésus, ainsi que salatt 3id mawalad el nabawi el charif, les
prières de la naissance de Mahomet, que célébreront respectivement le même jour
à la fin de cette année, le patriarche
maronite d’Antioche et de tout l’Orient, Bechara Raï, et le mufti sunnite de Tripoli et du Liban-Nord,
Malek Chaar, deux hommes que l’apprenti terroriste projetait pulvériser avec deux
des 24 charges explosives ramenées dans sa voiture de Syrie, « la2enno heik baddo bachar », car c’est
ce que souhaite Bachar el-Assad, comme il l’a avoué aux enquêteurs.
L’affaire Michel Samaha
Pour échapper au couperet de la justice
libanaise, la stratégie de défense de Michel Samaha est allée dans trois
directions: l’homme a été piégé par l’informateur des FSI (c’est un coup monté,
yé3né belmchabra7 houwé ja7éch), il a
agi à l’incitation d’un provocateur (ce qui le rendait pénalement non responsable
de ses actes, yé3né bala mokh) et
c’était pour protéger le Liban (en menant des attentats à la frontière
syro-libanaise afin de provoquer sa fermeture, yé3né baddo yekoun el wa7ad ja7éch wou bala mokh ta yisad2o).
Malgré cette défense, nase il faut le dire, l'homme a tout de même été reconnu coupable d’avoir projeté « mener
des actions terroristes au Liban et d'appartenir à un groupe armé » et
condamné à 4 ans et demi de prison, notez bien cette demi-année qui est censée refléter la haute précision de la justice libanaise, alors que quelques uns de ses amis du 8-Mars osaient
imaginer un acquittement. Par ailleurs, il a été déchu de ses droits civiques
et politiques.
Pour mieux comprendre les faits, il faut
savoir une chose basique. Pour qu’un type du poids politique de Michel Samaha, conseiller
de Bachar el-Assad mais de nationalité libanaise, se retrouve derrière les barreaux au Liban, c’est qu’il a été lâché
par tout le monde. Et s’il a été lâché, notamment par son camp, le 8-Mars,
c’est parce qu’il était indéfendable. Et
s’il était indéfendable c’est parce qu’on l’a pris en flagrant délit et à cause
de ses propres aveux. Ce flagrant délit se base sur plusieurs vidéos de conversations enregistrées à son insu avec un autre homme. L’affaire a débuté il y a près de trois ans. Elle
a été conduite par le général Wissam el-Hassan, assassiné depuis. L’arrestation n’a pas pu
avoir lieu que grâce à la dénonciation
du projet terroriste en préparation au service libanais de renseignements des
Forces de sécurité intérieure, par celui qui était censé exécuter le
projet, le dénommé Milad Kfoury. Si
nous avons connu des centaines d’attentats à la voiture piégée et des dizaines
d’assassinats depuis 1975, c’est la première fois dans l’histoire du Liban que les Libanais ont accès à la « tête » d’un de
ces terroristes qui ont ensanglanté le Liban et endeuillé ses citoyens 1001e fois en 40 ans de guerre. C’est pour dire le caractère exceptionnel de ces documents, qui font
froid dans le dos, mais dont le visionnage est un devoir national car ils
permettent de mieux éclairer les pages
sombres de notre tragédie qui n’en finit pas avec la tyrannie syrienne des
Assad, père et fils, et ses sbires libanais de toutes générations et de toutes confessions.
Pour une meilleure compréhension et pour bien
cerner la gravité de cette affaire nationale, je transcrirai les passages les
plus pertinents des enregistrements. Je regrouperai les infos concordantes de
telle sorte que les dialogues ne seront pas mentionnés par ordre chronologique,
mais par thème. Vous trouverez entre des guillemets
français, « les paroles de Michel Samaha » (MS), entre des guillemets anglais, “les propos de
Milad Kfoury” (MK) et entre des parenthèses
(des précisions utiles).
Le flagrant délit des vidéos accablantes contre Michel Samaha,
Ali Mamlouk et Bachar el-Assad
Tout en se goinfrant de figues de Barbarie,
qui seraient bonnes pour le « transit
intestinal », parole de constipé, le maitre d’œuvre du projet terroriste détaille la précieuse livraison qu’il a ramenée
de Syrie au chef de projet dans un passage clé de l'une des vidéos. « Tu as 20 kg, 2, 2, 2... (des charges explosives
de 2 kg). Et tu as peut-être 50 kg,
ou même plus, 20 ou 30 kg (de TNT)... Quand je monterai (en Syrie), j’en ramènerai encore ». Dans une
autre vidéo, Kfoury interpelle Samaha. “Tu n’as pas oublié de leur
(Syriens) parler des revolvers?”. MS : « Bien
sûr, il y aura deux revolvers, avec un
silencieux, avec, avec, avec (pour signifier qu’il y aura beaucoup de
choses d’autres). »
Sur
les cibles et la mission, le maitre d’œuvre sera très clair. Le moment est grave, il
pose sa fourchette, mais continue à ruminer la tonne de figues de Barbarie
qu’il a ingurgitée. « Tous ceux qui entravent le régime et le
commandement (syrien), ainsi que la sécurité des déplacements (Liban-Syrie), et
qui menacent de frapper les stocks d’armes et de munitions, ainsi que les
rassemblements des combattants... (à partir de là) c’est ouvert, et qui sera éliminé...
(ce n’est pas grave). » MK : “Et les députés de la région?” MS :
« Aussi, aussi, nous acceptons » MK : “Il y
a des cheikhs sunnites qui assistent!” MS : « Tant pis pour eux,
comme ça, ils n’assisteront plus. » Sourire digne d'un psychopathe qui n'a rien à envier à Daech & Co. MK : “Il était convenu qu’on cible des Alaouites
au début ?” Signe de la tête de Michel Samaha, pour faire savoir qu’il
faut oublier pour l’instant : « Restons
sur ceux-là ». Milad Kfoury demande une confirmation sur les cibles :
“Et si on tombe sur les cheikhs sunnites,
on les élimine?” Hochement de la tête du roi de la Barbarie : « Surtout les voyous... Ali, Abdel Al... »
MK : “Khaled Daher et sa bande ?” Signe d’acquiescement de la tête et de la main du maitre d’œuvre
terroriste.
Sur une autre vidéo, on voit Michel Samaha
en peignoir, comme un Don Corleone à 5
piastres, scusa alla Corleone
famiglia !, énumérer les cibles avec le sang-froid de toute racaille
criminelle psychopathe de son rang. « Tu as des ‘iftars’ (repas de rupture du
jeûne pendant le mois de ramadan), il y
a des députés que tu peux liquider, tu peux liquider Daher (Khaled, député
sunnite du Nord), son frère,
quelqu’un du commandement de l’armée libre (syrienne), des Syriens, des rassemblements de combattants syriens, des stocks
d’armes quelque part, les routes qu’ils empruntent. Qu’ils subissent deux ou
trois coups, de quoi les déstabiliser, de telle sorte qu’ils n’osent plus
marcher sur les routes. Voilà les objectifs. » L’informateur demande
des précisions : “Et pour ce qui concerne
les confessions (des cibles)?” Tout ce que Samaha trouve à dire c’est « qu’ils (la tyrannie alaouite des
Assad) ne veulent pas des Alaouites (soient tués) ». Mais enfin, “Et
si le mufti du Akkar est présent à un de ces iftars, qu’est-ce qu’on fait?”
Délicate question, mais le maitre d’œuvre terroriste, de confession chrétienne
grec-catholique au cas où, trouvera la fatwa.
« Si ceux qui assistent sont des
poids lourds qu’on peut éliminer... », signe acquiescement de la tête et de la main. Et une fois les
détails macabres ont été réglés, le terroriste s’offusque de la politique
générale et militaire du Liban. « Ici (au Liban), des fils de pute... De Mikati (Najib, Premier ministre), au
président (libanais, Michel Sleiman),
à la constitution de l’armée (libanaise)...
Quoi, (on veut faire croire que) le trafic (d’armes entre le Liban et la Syrie)
n’est pas couvert (par l'armée libanaise et les politiciens libanais) ? »
Devant l’ampleur de sa mission, Milad Kfoury
a fini par montrer quelques inquiétudes sur cette sale besogne et sur
d’éventuelles fuites qui pourraient mettre sa propre vie et celle de sa famille
en danger. Pour ne pas compromettre le projet terroriste libano-syrien, Michel
Samaha s’est vu donc obliger de le rassurer. « Personne, personne, personne... Personne n’est mêlé (à cette
affaire)... Personne ne sait ça vient de chez qui, ni à quoi c’est destiné, ni
comment... Il n’y a que deux personnes
qui sont au courant : Ali (el-Mamlouk, chef de la sécurité nationale
syrienne, sunnite) et le président (Bachar el-Assad, chef du régime syrien,
alaouite). En dessous... (personne n’est au courant). » C'est clair comme l'eau de source.
Passons maintenant aux choses sérieuses. « Il y a un léger changement concernant
la somme (la rémunération). Ils (les Syriens) l’ont baissé à 170 000 $ ». Milad Kfoury
s’offusque : “Tu leur as dit que je
n’ai rien prévu pour moi?” L’homme au peignoir le rassure : « Oui, oui, le président (Bachar
el-Assad) et Ali (Mamlouk) m’ont dit qu’il (MK) aura quelque chose à
part » L’échange peut paraitre surréaliste pour un Occidental, mais
c’est dans la pure tradition libanaise. Sur une autre vidéo, on
voit Milad Kfoury recevoir de Michel Samaha, 170 000 $ dans un sac en
plastique. Si, si, c’est le moyen de transport de fonds le plus commun pour les
grosses sommes d’argent au Liban, afin écarter les soupçons à ce qu'il parait.
Maintenant que tout a été réglé, il faut
récupérer la marchandise criminelle. L’ancien ministre et député libanais
établit le plan de livraison. « Nous
allons descendre. Tu ramènes ta voiture. Je serai en bas, je t’ouvre la porte
du parking. Tu rentres. On enlève les
produits de ma voiture vers ta voiture. » Kfoury est
surpris : “Tu les as amené dans ta
voiture?” C’est sans compter sur la méfiance de Samaha : « Je veux être sûr, ne pas prendre de
risques ». Un peu plus tard, les deux hommes descendent au parking.
Tout en procédant au transfert de la sinistre marchandise de leurs propres
mains svp, le fournisseur terroriste prend le temps d’expliquer : « Voici les grenades, les minuteries des
explosifs, ces trucs sont comme des mines... ». En amont, il avait
prévenu son interlocuteur : « Ils (les Syriens) avaient préparé une
livraison qui demandait un van ! » Grand sourire d'autosatisfaction psychopathique. Kfoury est
terrorisé à l’idée : “Comment ça un van ?
Petit à petit... on prendra ce dont on en aura besoin”. L’homme de Barbarie
(r)assure encore : « Personne
n’en saura rien ». Détendu, Kfoury demande : “C’est parce que ça vient directement du président (syrien)?” Samaha
répond par une double confirmation : « oui, oui ».
Malgré ces insoutenables et dramatiques
échanges, je vous ai concocté un montage
textuel consternant et ubuesque pour finir ma transcription. Rewinding. Nous sommes chez le
maitre d’œuvre. Au fond de l’écran, on aperçoit trois arcades qui témoignent de
l’architecture libanaise raffinée qui ne sied point à une racaille terroriste
dans le genre de Michel Samaha. Le Corleone à 5 piastres a fini de donner ses
directives à son homme de main. Le projet terroriste est bien ficelé. Milad Kfoury rassure son commanditaire.
“C’est
une question de 72h. Je vais préparer la voiture et la moto (piégées) et voir
où nous allons faire le premier (attentat), pour qu’il soit le plus
convenable et bien ‘beurré’, un grand coup pour
tuer beaucoup de monde. Je vais en parler avec ma clique. Et en fonction de
tout cela, on s’en remet à Dieu
(metel ma Allah be ridd). On n’a pas le choix (chou badna na3mil). C’est tombé sur moi (wa2’3it 3leiyé).”
Nu sous son peignoir, Michel Samaha
écoutait son interlocuteur silencieusement. Sa forte corpulence et la chaleur
méditerranéenne ne semblaient pas trop le gêner. Pas plus que des
considérations humaines, religieuses, éthiques ou morales. Et voilà qu’un grand
sourire illumine son visage à la prononciation de ces trois dernières phrases. Il a fallu deux mots en arabe, wa2’3it 3leiyé (c’est tombé sur moi), pour
établir définitivement la hiérarchie des responsabilités dans cette entreprise
terroriste : Assad/Mamelouk/Samaha/Kfoury et pour renvoyer la théorie
du complot, qui n’a pas manqué d’accompagner cette affaire, à la poubelle de la
propagande. Samaha sort de sa torpeur pour conclure. « Eh oui, c’est une question de confiance en la personne (qui exécutera le projet terroriste, Milad Kfoury) et dans
son esprit, son secret, sa capacité d'action et sa bonne gestion. » Kfoury est
aux anges, il en rajoute une couche, tragicomique : “On se remet à Dieu. Fais
attention à toi.” Si Dieu n’en revenait pas d’être associé à ce projet
odieux, il faut savoir que ça ne sera pas l’unique fois dans cette affaire. Lorsque
le chargement des 100 kg de TNT se termine, Michel Samaha se nettoie les mains.
Les deux hommes se quittent en s’embrassant. Le maitre d’œuvre terroriste de Bachar el-Assad dit à son interlocuteur :
« Allah yiwaf2aq » (que
Dieu t’aide à réussir). Le chef de projet terroriste lui répond alors :
“On garde le contact”. La suite, ce sont les services de
renseignements libanais des Forces de sécurité intérieure qui se sont chargées
de l’écrire et d’éviter au Liban de replonger dans une terrible guerre confessionnelle, islamo-chrétienne et intermusulmane, « comme le souhaite Bachar
el-Assad ».
Biographie de Michel Samaha
Michel Samaha était un proche d’Elie Hobeika, dans sa période
israélienne comme dans sa période syrienne. Il a été expulsé des régions chrétiennes libres lorsque celles-ci sont entièrement passées sous le
contrôle des « Forces libanaises » lors de la 2e intifada de Samir Geagea
en 1986. Son exil n’a duré que cinq ans. Il est retourné en force avec les
troupes d’occupation syriennes en 1990. Ministre
à trois reprises, imposé par la Syrie dans les gouvernements de Rafic Hariri, dont la dernière fois
remonte à 2004. C’est lui qui annonça en 1994, avec la délectation du pervers,
la dissolution du parti des Forces libanaises, les poursuites judiciaires de
son chef et le début de la persécution des militants. Il est interdit de séjour
aux Etats-Unis depuis 2007, à cause de la déstabilisation du gouvernement
libanais et déclaré officiellement terroriste
à la fin de l’année 2012. Quelques mois auparavant, Michel Samaha a été pris en flagrant délit de préparation d’actes
terroristes avec un arsenal impressionnant, comprenant des grenades, des mines et 24 charges explosives de
TNT, 4 charges de 20 kg et 20 charges de 1 à 2 kg. Les premières étaient
destinées à commettre des attentats publics
meurtriers. On en a connu des centaines depuis 1975, dont le double attentat à la voiture piégée qui a frappé Tripoli il y a deux ans (c'est l'attaque la plus sanglante au Liban depuis la fin de la guerre en 1990; elle a eu lieu devant des mosquées sunnites de la ville, à la sortie de la prière du vendredi; elle a fait une cinquantaine de morts; les leaders alaouites libanais, Eid, père et fils, qui sont impliqués dans cet acte terroriste, et inculpés, se sont réfugiés, comme par hasard, chez le régime alaouite syrien). Les secondes devaient
servir à l’élimination ciblée de
personnes, par l’explosion de leurs propres voitures. On en a connu des
dizaines, surtout depuis la seconde indépendance de la Syrie, ils n’ont touché
que des personnalités souverainistes du 14-Mars (l’écrivain Samir Kassir, le politicien Georges
Haoui, la journaliste May Chidiac,
etc.). Pour résumer disons que Bachar
el-Assad à donner l’ordre via Ali Mamelouk et Michel Samaha, de préparer 4
attentats terroristes à la voiture piégée et d’assassiner plus d’une vingtaine
de personnalités libanaises.
Et si on jugeait Michel Samaha en France ?
Pour mieux lutter contre le terrorisme dans
notre pays, il faut d’abord s’assurer
que notre législation est adaptée à la menace. Le cas Samaha prouve qu’elle
ne l’est pas, puisque malgré le fait d’être pris en flagrant délit et des aveux
francs, on a une condamnation de délit
mineur de droit commun et non d’un crime grave porté à la sécurité
et à la concorde nationales. Pour se rendre compte de la légèreté de la condamnation et des
failles de la lutte anti-terroriste au Liban, il suffit simplement de transposer le cas Samaha en France.
Selon la législation française, ce que l’on reproche à Michel Samaha relève des
« actes
de terrorisme ». De ce fait, s’il était dans l’Hexagone, il aurait
été jugé par une juridiction de droit commun, le Tribunal de grande instance.
Mais, puisque son affaire relève du terrorisme, elle aurait été suivie par l’un
des huit juges d’instruction qualifiés du pôle de lutte anti-terroriste qui se
trouve au parquet de Paris. En se basant sur sa propre défense sans tenir
compte de quoi que ce soit d’autre, Michel Samaha aurait été accusé de « faire l’apologie du terrorisme ».
Ça lui aurait couté 5 ans d’emprisonnement, plus que la condamnation libanaise. En
tenant compte du fait qu’il « participait
à un groupement ou une entente en vue de préparer un acte terroriste »
(‘Samaha Delivery’) ou « de financer
un acte de terrorisme » (les 170 000 $ dans le sac plastique), sa
condamnation aurait grimpé à 10 ans de réclusion criminelle, plus de 2 fois sa
condamnation libanaise. Le fait de « diriger
ou d’organiser le groupement ou l’entente » (comme le montrent les
vidéos), sa peine serait passée à 20 ans de réclusion criminelle, plus de 4
fois sa condamnation libanaise. Et puisque
plusieurs des crimes en préparation constituaient des « atteintes aux personnes » et prévoyaient des « destructions par des explosifs »,
il aurait pris 30 ans de réclusion
criminelle, près de 7 fois sa condamnation libanaise. Pas de doute, le Tribunal militaire ne s’est pas montré assez
sévère envers un grand terroriste qui n’est surement pas à ses premiers faits
d’armes. Pour être juste, rappelons que le juge d’instruction militaire avait requis en février 2013 la peine
de mort contre le maitre d’œuvre terroriste car « Michel Samaha avait l'intention de faire usage des explosifs
saisis dans sa voiture (...) mais les attentats n'ont pas eu lieu pour des
raisons indépendantes de sa volonté ».
Faut-il abolir le tribunal militaire libanais pour autant ?
La
charge violente contre le tribunal militaire à la suite de cette faible
condamnation -notamment de la part du 14 Mars, avec Achraf Rifi, le ministre libanais de la Justice, comme le fer de
lance de cette bataille- est sans aucun doute justifiée
comme on l’a vu précédemment, mais elle
est aussi malhonnête, et ceci pour plusieurs raisons. D’abord, il est
totalement faux d’ironiser, comme l’a fait par exemple le député Marwan Hamadé,
que « si Michel Samaha était un
delivery boy chez Kababji ou Boubouffe, et qu’il avait commis un excès de
vitesse, il aurait été plus sévèrement condamné selon le nouveau code de la
route ». C'est très drôle, mais cela relève de la désinformation. D’ailleurs, personne ne
s'est donné la peine de rappeler que le juge d’instruction militaire avait
réclamé la peine de mort contre Michel Samaha, mais il n'a pas été suivi. Donc, c’est la décision finale
qui pose problème et non l’instruction militaire. Ensuite, il faut quand même avouer
que si la détention de la drogue au Liban, au royaume de la Marijuana, est punie
de 7 ans d’emprisonnement au minimum, plus que la détention d’explosifs, c’est
bien la faute des politiques, des députés et des gouvernements, des civils, et
non du Tribunal militaire. Ce n’est donc pas la peine de prendre les militaires
pour des boucs-émissaires. Enfin, cette charge contre ce dernier, notamment de
la part de députés connus pour leur hostilité à l'égard de l’institution militaire, comme les députés Khaled
Daher et Mouin Merheby, occulte le fait qu’un
tribunal civil aurait fait la même chose et probablement pire, une
condamnation plus faible, étant plus
influençable et plus sensible aux pressions de tous les partis politiques
confondus.
Le
problème n’est donc pas dans le caractère « militaire » de ce tribunal
d’exception, ou dans le fait qu’il serait sous l’influence exclusive du
Hezbollah, autant qu’il est dans les « pressions » exercées sur ceux qui sont
censés rendre justice, qu’ils soient civils ou militaires. A un acte
exceptionnel, il faut naturellement un tribunal exceptionnel qui soit compétent
pour y faire face. Il ne faut pas se leurrer, on ne pourra pas juger un acte
terroriste devant une cour de droit commun au Liban avant l’an de grâce 2345. Copier
à l’aveugle le système judiciaire de la France, de la Suède ou des Etats-Unis, quand on est un pays comme le Liban qui
n’arrive même pas à obliger ses citoyens à payer leurs factures électriques
et à les empêcher de se raccorder illégalement au réseau public, est une erreur. Un Etat qui est totalement incapable
d’étendre sa souveraineté sur tout son territoire, de déployer son armée le long de ses frontières, justement pour
empêcher qu’on y introduit des explosifs, de
contrôler convenablement son aéroport et ses ports, d’avoir le monopole du port d’armes, d’en finir avec les milices et les zones extraterritoriales (contrôlées
par le Hezbollah, les groupes palestiniens, les islamistes, l’armée syrienne
libre, l’armée syrienne, les rebelles syriens, Daech, Nosra...), n’est pas prêt pour abolir son tribunal
militaire. Faut pas rêver.
Hélas, je n’ai pas fini mon réquisitoire. Compter sur le caractère « civil »
pour espérer rendre une meilleure justice au Liban, est d’une grande naïveté.
Et pour cause ! La Constitution libanaise interdit clairement au Parlement
de légiférer en cas de vacance présidentielle. Et pourtant, les leaders politiques, des civils, se sont
entendus pour violer la Constitution, avec la bénédiction du Conseil
constitutionnel, en inventant la fatwa
du « el techri3 el estesné2é wel
darouré », l’exception et la nécessité de légiférer malgré la vacance présidentielle. Des foutaises. Qui
s’en émeuve ? Personne. Le « civil », parlons-en. Nous sommes sans président depuis un an,
par la faute des députés de la nation, des civils qui ont assassiné la République
libanaise. Qui s’en émeuve ? Personne, enfin, quelques-uns sincèrement, l'écrasante majorité s'en accommode merveilleusement bien. Autre chose. Le Conseil
constitutionnel a invalidé trois articles de la nouvelle loi sur la libéralisation des locations anciennes. Et
pourtant, les juges civils ne sont toujours
pas capables de dire aux citoyens libanais, si la loi est applicable ou pas.
Hallucinant. En réalité, tout le monde le sait, la loi amputée est morte. Mais,
des juges et des députés, des civils, veulent la ressusciter et la faire passer par la
force. Pourquoi à votre avis ? Afin d’en finir avec la classe moyenne à
Beyrouth et livrer la ville aux promoteurs sans vergogne. Comment est-ce
possible ? Ah oui, les
« pressions » font des miracles. Qui s’en émeuve ? Personne.
Une dernière anecdote. Hasard du zapping, je tombe l’autre jour sur le témoignage
de Joumblatt à La Haye. Le juge
suppléant à la Chambre de première instance du TSL, Walid Akoum, prend la
parole et s’adresse au leader libanais dans ces termes : « Walid
beik... » Encore
deux mots qui résume la fragilité du « civil libanais » face aux « pressions ».
Comment un juge libanais de ce calibre peut-il utiliser ce titre féodal pour
interpeller un leader politique libanais alors que les deux personnages se trouvent à 3 203 km
de Beyrouth ? Walid beik, wlé ma3’2oul ?
J’ai continué mon zapping en me disant qu’après tout, la condamnation surprenante de Michel
Samaha est à l’image de mon pays. Toute l’affaire
Samaha est d’ailleurs à l’image de notre pays. Les révélations de ces vidéos vous glacent le sang. Et pourtant, une
partie du peuple libanais continue sa vie comme si de rien n'était, à Cannes et ailleurs, pour soi-disant promouvoir le Liban de la mode, du cinéma et du tourisme, et une autre partie n’en a cure car pour elle, la fin justifie les moyens, même
les plus odieux. L'islamophobie, notamment envers les communautés sunnites, n'est jamais trop loin pour expliquer le nauséabond m'en-foutisme de certains compatriotes. Néanmoins, puisque je n'ai pas l'habitude de terminer sur une note négative, disons que cette condamnation a l’immense mérite de souligner
la difficulté de rendre justice avec justesse dans
nos contrées d'Orient et de
clore définitivement le débat sur l’utilité du Tribunal Spécial
pour le Liban.
Toujours est-il que je reste contre l’abolition du tribunal militaire au Liban jusqu’à nouvel ordre -ce n'est absolument pas le moment!- mais favorable à sa réforme, pour assurer une plus grande indépendance de cet appareil judiciaire, une meilleure défense des accusés et des recours équitables pour les deux bords. En ce qui concerne le jugement ridicule déjà prononcé, il est impératif qu'il soit cassé en appel afin que la sentence puisse être alourdie. Si ce n'est pas « au nom du peuple libanais », qu'on le fasse au moins au nom du principe de la vie dans une société civilisée où personne ne possède le vitae necisque potestas de la Rome antique, le « pouvoir de vie et de mort » sur ses semblables.
Toujours est-il que je reste contre l’abolition du tribunal militaire au Liban jusqu’à nouvel ordre -ce n'est absolument pas le moment!- mais favorable à sa réforme, pour assurer une plus grande indépendance de cet appareil judiciaire, une meilleure défense des accusés et des recours équitables pour les deux bords. En ce qui concerne le jugement ridicule déjà prononcé, il est impératif qu'il soit cassé en appel afin que la sentence puisse être alourdie. Si ce n'est pas « au nom du peuple libanais », qu'on le fasse au moins au nom du principe de la vie dans une société civilisée où personne ne possède le vitae necisque potestas de la Rome antique, le « pouvoir de vie et de mort » sur ses semblables.