lundi 19 décembre 2016

Le Liban pouvait très bien se passer du nouveau gouvernement : ce n'est pas ça qui était demandé ! (Art.407)


Il a fallu 45 jours pour que la montagne accouche d'une souris. Ce qui frappe dans la formation du nouveau gouvernement de Michel Aoun et de Saad Hariri ce sont les éléments suivants:

1. Le partage du fromage gouvernemental par la quasi totalité des partis politiques traditionnels est frappant. Comme quoi, les leaders libanais peuvent s'entendre quand ils le souhaitent. Ainsi, ils seront tous tenus responsables, kelloun ye3né kelloun, de ce qui sera fait ou ne sera pas fait au Liban dans les prochains mois.

2. Tous les grands partis politiques libanais ou presque, ont eu au moins un ministère dit de service, bien connu au Liban pour être très utile avant les élections législatives!

3. La part du lion revient à deux partis, le Courant patriotique libre (CPL, contrôlé de facto par le président de la République, Michel Aoun ; Défense, Affaires étrangères, Energie, Justice, Economie, etc.) et le Courant du Futur (contrôlé par le Premier ministre Saad Hariri ; Intérieur, Télécom, Travail, Culture, etc.). C'est normal, les deux formations ont les deux plus importants blocs parlementaires. Toutefois et par conséquent, ces deux partis devront être tenus responsables plus que les autres de la situation au Liban.

4. La faible présence de femmes dans ce gouvernement est une honte. Avec 29 hommes pour une seule femme, ministre d'Etat sans ministère en plus, ce gouvernement est carrément une insulte pour au moins la moitié de la population libanaise. Ceci montre à quel point les leaders politiques libanais sont déconnectés de la réalité, machistes dans leur esprit et gonflés dans l'exercice du pouvoir. Que Michel Aoun et Saad Hariri aient commis cette aberration, est grave, que les 28 hommes l'acceptent est encore plus grave. Par dignité, par respect et par solidarité, par rapport aux femmes du Liban, ils devraient démissionner tous.

5. Confier les « Affaires de la femme » à un homme, est le moins qu'on puisse dire grotesque. Par dignité, par respect et par solidarité, par rapport aux femmes du pays du Cèdre, Jean Oghassabian devrait démissionner illico presto.

6. Il est remarquable avec quelle désinvolture certains leaders politiques libanais ont réussi à imposer de nouvelles règles personnelles, communautaires et non constitutionnelles, dans la formation des gouvernements au Liban. Chapeau les gars ! Très chers compatriotes, apparemment et jusqu'à nouvel ordre, les « Affaires étrangères » appartiennent à Gebrane Bassil (CPL ou au moins aux Chrétiens et aux Chiites, pro-syrien/pro-Hezb de préférence), les « Finances » à Ali Hassan Khalil (Amal ou au moins aux Musulmans, comme le Futur), l'Intérieur à Nouhad Machnouk (Futur), Energie au CPL (ou à un Arménien du Tachnag ou à quelqu'un du 8-Mars/pro-Hezb/pro-syrien, since 1992 svp !), les « Déplacés » à un Druze (Erslann aujourd'hui, pro-Joumblatt hier), l'Agriculture à un Chiite (Amal ou Hezbollah, en alternance) et la Réforme administrative à un chiite (Amal ou Hezbollah), etc. Bienvenue au Liban, un patwork de pays de 18 communautés enlisé et sclérosé dans le communautarisme.

7. L'absence notable du parti politique des Kataeb de ce gouvernement aurait pu être saluée, si elle n'était pas dû à la non obtention d'un ministère en bonne et due forme et à la place d'un « ministre d'Etat » sans ministère. Nuance !

8. Malgré un appétit faible dans le partage du fromage gouvernemental (il n'a que les ministères de l'Industrie, ainsi que la Jeunesse et le Sport!), le Hezbollah reste une "anomalie" qui affecte gravement le bon fonctionnement des institutions au Liban à cause de son idéologique politique (instauration d'une République islamique au Liban et reconnaissance de la légitimité de l'ingérence de Wali el-Fakih, Guide suprême de la République islamique d'Iran, dans les affaires libanaises) et de la possession d'armes légères et lourdes (en violation de la Constitution libanaise et des résolutions du Conseil de sécurité).

9. Le parti des Forces libanaises qui visait un ministère régalien, celui des Finances précisément, et espérait naïvement l'obtenir grâce à sa nouvelle alliance avec Michel Aoun, doit se consoler avec trois ministères de service (Santé, Information, Affaires sociales, en plus de la vice-présidence du Conseil des ministres). Les veto étaient nombreux !

10. Au moins deux noms dans ce gouvernement peuvent étonner certaines oreilles : Ali Kanso (du Parti national syrien, ministre d'Etat, ardent défenseur de la tyrannie des Assad depuis toujours), Mouine Meraabé (Futur, ministre d'Etat, à qui on a confié la charge des Réfugiés syriens, poste créé sur mesure, pour une personnalité connue pour ses nombreuses critiques de la stratégie de l'armée libanaise dans la région d'Ersal/Bekaa).

11. Il est clair que le Courant patriotique libre, le parti du président libanais, a tenu à récupérer le ministère de l'Environnement pour tenter de se targuer plus tard d'avoir résolu la « crise des déchets » au Liban. C'est très joli sauf que, si ça va se passer comme pour l'Electricité et pour l'Eau, un ministère que le CPL a tenu entre 2008 et 2014, les Libanais feraient mieux d'attendre que les poules aient des dents et que les éléphants roses franchissent le mur du son. Le CPL a tenu par ailleurs, à se présenter comme un parti qui combat la corruption au Liban, le seul comme il voudrait faire croire aux Libanais, en créant et en prenant en charge un poste sur mesure, « Ministre d'Etat chargé de combattre la corruption ». Magnifique sauf que là aussi, qui veut combattre sérieusement la corruption aurait justement refusé la formation politicienne d'un gouvernement qui n'a aucune justification constitutionnelle ou politique et n'aurait pas bloqué l'élection présidentielle libanaise pendant 900 jours et 44 séances électorales. Allons bon, heureusement qu'il y a encore des Libanais qui ne sont pas nés de la dernière pluie !

Je l'ai dit, je le redis, je persiste et je signe, la formation d'un nouveau gouvernement au Liban n'était pas nécessaire en ce moment. Mais enfin, ce n'est pas ça qui est demandé ! Les leaders politiques libanais s'activent, s'agitent et pourtant, tout ce beau monde est censé faire deux choses et non trois : voter une nouvelle loi électorale, depuis huit ans déjà !, permettant une bonne représentation du peuple libanais au Parlement, et organiser des élections législatives, depuis trois ans et demi et avant le 20 juin 2017 !, afin de congédier des parlementaires qui n'ont pas vraiment brillé par leur compétence et leur rendement politique. Le gouvernement de Tammam Salam aurait très bien pu expédier les affaires courantes encore quelques semaines, le temps d'atteindre ces deux objectifs, sachant surtout que toute nouvelle loi électorale, s'il y en aura une !, avec un nouveau gouvernement en place ou pas, devra être votée par le Parlement autoprorogé élu en 2009. Le Liban pouvait très bien se passer du nouveau gouvernement. En tout cas, ce dernier sait très bien aujourd'hui ce que le peuple libanais attend précisément de lui. 

samedi 19 novembre 2016

Regretter la mort de Ghazi Aad est incompatible avec la moindre indulgence pour Bachar el-Assad (Art.402) !


Enfin, il repose en paix. C'est vraiment le cas de le dire ! Ses obsèques ont eu lieu hier. Ghazi Aad n'est plus parmi nous. Cet infatigable activiste s'est battu au cours des 30 dernières années pour que les Libanais n'oublient pas les laissés-pour-compte des guerres du Liban, nos compatriotes « disparus ou absents ». Mais dans un pays brouillon comme le Liban où on fait et contrefait tout, beaucoup de mots n'ont hélas plus aucun sens. N'en parlons pas des sigles.

Ghazi Aad est le fondateur de SOLIDE. Oui Solide, mais pas au sens ferme, résistant, durable, vigoureux, sérieux ou substantiel. Certes, l'homme méritait tous ces adjectifs. Mais, SOLIDE est l'acronyme de l'ONG « Soutien aux Libanais en détention et en exil ». Disons d'emblée qu'il n'est pas difficile de comprendre que cette appellation renvoie à des compatriotes qui sont encore en vie et non considérés comme morts. Autre remarque intéressante, plus difficile à comprendre par les adeptes de larmes de crocodile, l'acronyme renvoie aujourd'hui, qu'on le veuille ou pas et n'en déplaise à certains, aux Libanais placés « en détention » en Syrie, dans les geôles du régime de Bachar el-Assad et aux Libanais partis « en exil » en Israël, après le retrait de l'armée israélienne du Sud-Liban. Les premiers, qui sont des opposants à la Syrie, ont été kidnappés et jetés en prison durant la période d'occupation syrienne du Liban (1976-2005). On y trouve des compatriotes musulmans sunnites et des chrétiens. Les seconds, qui ont collaboré avec l'Etat hébreux durant la période d'occupation israélienne (1978-2000), ont fui vers Israël, pour échapper à la vindicte du Hezbollah. On y trouve des compatriotes musulmans chiites et des chrétiens.

Cela étant dit, il faut savoir que le champ d'action de SOLIDE ne s'est jamais limité à ces deux cas de figure, loin de là. Depuis 1990, l'ONG défend le droit des familles des 17 000 Libanais victimes de disparition forcée au Liban, de connaître le sort de leurs proches, même s'il faut passer par « l'exhumation de toutes les fosses communes au Liban ». On peut disserter longtemps sur la question, mais une chose est sûre, les représentants de l'Etat libanais - qui se sont succédés au pouvoir depuis la fin de la guerre et qui bataillent dure de nos jours pour se partager le fromage gouvernemental, alors qu'ils n'ont pas été capables de ramener l'eau et l'électricité 24h/24 plus de 26 ans après la fin de la guerre - n'ont jamais été prêts sérieusement pour se tourner vers le passé et faire la lumière une fois pour toutes sur ces pratiques odieuses durant la guerre civile libanaise. Il y a eu des commissions et des déclarations. Elles sont tombées rapidement dans les oubliettes.



A décharge des leaders libanais, il faut reconnaître tout de même qu'il n'est pas aisé d'ouvrir un chapitre aussi douloureux de la guerre civile libanaise. Je l'ai fait une fois. C'était à travers un article sur « ammo Joseph », le catalyseur du « Samedi noir ». Mal m'a pris, comme le prouve un résumé du débat passionné qui s'est déroulé sur mon mur. L'amnésie est la panacée d'une frange de nos chers leaders et compatriotes.

Il faut aussi reconnaître avec tristesse et colère, qu'on se doute bien du sort des Libanais victimes de ces sinistres « disparitions forcées », provoquées en grande partie par les milices libanaises (toutes appartenances communautaires confondues, aussi bien chrétiennes que musulmanes), et les forces d'occupation étrangère, palestiniennes, syriennes et israéliennes : ils ont pratiquement tous été exécutés sommairement, avec ou sans actes de tortures au préalable. Le seul cas de disparition forcée contemporaine est celle de Joseph Sader. Alors qu'il se rendait à son travail à l'aéroport Rafic Hariri, en février 2009, l'ingénieur de la Middle East Airlines est sorti du radar de l'Etat libanais dans une zone de sécurité étroitement contrôlée par la milice du Hezbollah. Et depuis, la vie continue comme si de rien n'était.

L'histoire des Libanais réfugiés en Israël, qui n'osent pas revenir au Liban, par crainte d'être poursuivis pour collaboration avec l'ennemi par le même Etat libanais qui ne fait pas grand-chose pour les détenus libanais en Syrie, est certes touchante. Mais, elle n'a rien de dramatique, comparé au cas de ceux qui ont été tués parce qu'ils étaient soit des civils musulmans ou chrétiens, soit des miliciens de telle ou telle faction, et qu'ils avaient la malchance de se trouver à tel ou tel endroit.

Il reste le cas le plus odieux, celui des Libanais détenus dans les geôles en Syrie. Il y en aurait quelques centaines. On ne se fait pas d'illusions, certains sont probablement morts depuis longtemps. Mais, des informations solides justement, attestent que plusieurs d'entre eux seraient encore en vie. En tout cas, le cas des Libanais torturés, exécutés, disparus ou emprisonnés en Syrie et par la Syrie, est au centre du combat de SOLIDE et de Ghazi Aad, un point plutôt gênant pour certains compatriotes et personnalités politiques, éplorés par la mort du fondateur de l'ONG, mais qui se montrent assez bienveillants avec le régime de Bachar el-Assad. « Le travail de SOLIDE est de mettre en évidence ces violations en général, celles de l'armée syrienne en particulier. » SOLIDE a même voulu allé beaucoup plus loin. C'est dans ce cadre qu'elle a créé le projet SOAL, le 26 avril 2012, au 7e anniversaire du retrait des troupes d'occupation syrienne du Liban. C'est pour vous dire !



Soal est l'acronyme de « Syrian Occupation Archives in Lebanon ». Ce projet ambitieux, qui était co-dirigé par l'activiste Ghazi Aad et une universitaire, Roschanack Shaery, prévoit la création d'un musée, d'une bibliothèque, d'un réseau universitaire, des bourses d'études, des conférences, des publications et des bases de données, avec comme principal objectif, « produire des connaissances sur l'occupation syrienne et ses conséquences au Liban ». SOLIDE envisageait même « d'établir un dialogue avec les institutions traitant de l'occupation israélienne du Liban et discuter des similitudes et des différences entre ces deux types d'occupation ». De quoi enrager beaucoup de monde au Liban, alliés déclarés ou tacites du régime de Damas.

Toujours est-il que d'après ce qui précède, il est clair qu'on ne peut pas pleurer et regretter sincèrement la disparition de Ghazi Aad et avoir la moindre sympathie pour les Assad, père et fils, et montrer la moindre indulgence à l'égard de cette tyrannie responsable de l'occupation syrienne du Liban pendant 29 ans et de ses désastreuses conséquences, dont les « disparitions forcées », nonobstant les crimes contre l'humanité qu'elle commet en Syrie depuis près de 6 ans.

L'ancien président de la République libanaise, ancien commandant de l'armée libanaise, le général Michel Sleiman, avait promis lors de son discours d'investiture de « travailler dur pour libérer les prisonniers et détenus, et révéler le sort des personnes disparues » en Syrie. En vain. L'actuel président de la République libanaise, ancien commandant de l'armée libanaise et ancien chef du Courant patriotique libre (CPL), le général Michel Aoun, a fait savoir que «  (Malgré sa disparition physique) Ghazi Aad restera présent dans sa défense des droits de tout être humain et dans sa lutte pour chaque personne disparue et absente ». Soit. Parmi ces disparus et ces absents, figurent entre autres, des soldats de l'armée libanaise qui ont fait face à l'invasion syrienne du 13 octobre 1990 du Palais présidentiel et du ministère de la Défense, avec une extraordinaire bravoure. A supposer même qu'il était déplacé de la part du président libanais d'évoquer ce sujet épineux dès le premier entretien téléphonique avec le chef du régime syrien, qui l'appelait pour le féliciter, ou lors de ses visites à Damas au cours des dix dernières années, les Libanais attendent de Michel Aoun qu'il aborde cette tragédie avec détermination au prochain coup de fil de Bachar el-Assad.

De son côté, le ministre libanais des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a lui aussi tenu à faire une promesse solennelle dans un tweet de circonstance : « Ghazi Aad, ta cause, la nôtre, ne disparaîtra pas avec ton départ ». Voilà qui est bien dit. Quant à la suite, elle laisse beaucoup à désirer. « 'Connaitre le sort' demeurera inhérent à notre esprit, à notre mémoire et à notre demande ». Le sort de qui, quand et pourquoi ? Il faut déjà oser le dire aux Libanais avant même de prétendre avoir le courage de le dire aux Syriens ! Il s'agit entre autres, du sort de nos compatriotes détenus dans les geôles du régime syrien. Et puis combien même, on veut bien le croire, mais enfin, on ne peut pas s'empêcher de nous demander, pourquoi n'a-t-il rien fait en pratique pour soutenir le « combat » de Ghazi Aad, et pour connaître le sort des Libanais qui croupissent au fond des prisons de Bachar el-Assad, sachant que depuis dix ans, son parti est positionné aux côtés du tyran de Damas ? Et puis, si Gebran Bassil est aussi sincère qu'il veut le faire croire à ses compatriotes, en évoquant « La cause qui ne mourra pas », il faudra bien qu'il explique aux Libanais pourquoi il ne soutient pas le projet SOAL qui vise à créer « Les archives de l'occupation syrienne au Liban ». Eh oui, les mots et les combats des hommes ont encore un sens pour certains.

vendredi 4 novembre 2016

Former un gouvernement en décembre, sachant que des élections législatives doivent avoir lieu avant juin, est une duperie du peuple libanais et un gaspillage de l'argent public (Art.399)


Ra7et el sakra wou ejit el fekra. Il est de coutume d'accorder à tout nouveau pouvoir, un délai de grâce de 100 jours. Hehehe, ça, c'est dans un pays normal où le pouvoir est élu démocratiquement et non désigné lors d'une entente comme c'est le cas au pays du Cèdre. Après le boycott de 44 séances électorales et 890 jours de vacance du pouvoir présidentiel au Liban, orchestrés par le trio Hassan Nasrallah, Sleimane Frangié et Michel Aoun, vous pensez bien que c'est une « transaction politicienne » entre les leaders politiques libanais qui a débloqué la situation. En toute logique, si ces dealers étaient sincères, l'embellie avec laquelle on bassine ce peuple depuis la nuit des temps, devrait apparaître comme un éclair. Accordons donc au nouveau pouvoir, un délai de grâce de sept jours qui permettra de renvoyer les mythologies des uns et autres, des ex-14Mars et des ex-8Mars, aux calendes grecques. C'est un délai plus que suffisant pour que les « tarattatta-général » et les « attendons-de-voir » dessoûlent et retrouvent la gueule de bois, afin que nous puissions tous nous mettre au travail et passer aux choses sérieuses.

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Pour savoir où nous en sommes, à l'aube de cette nouvelle ère, si prometteuse pour les uns et si décevante pour les autres, je vous propose un regard externe sur les événements via une revue de la presse internationale de la semaine écoulée.

- « Michel Aoun élu à la présidence, une victoire par défaut du camp pro-iranien », Le Monde (France)
- « Liban: Michel Aoun, l’allié du Hezbollah, élu président de la République », RFI (France)
- « Liban : Aoun président au prix de concessions au Hezbollah », Le Figaro (France)
« Michel Aoun, un ex-général controversé à la présidence libanaise », L'Express (France)
« Liban: le nouveau président Michel Aoun, retour d'un général disgracié », BFM (France)
- « Michel Aoun, ex-général controversé et nouveau président du Liban », Paris Match (France)
- « Liban: Washington salue du bout des lèvres le président Aoun soutenu par le Hezbollah », Libération (France)

« L'élection de Michel Aoun ou le succès de la diplomatie iranienne », Les lettres persanes (France-Iran)

- « Iran ally Michel Aoun elected as president of Lebanon », The Guardian (UK)
- « Here are some facts about Lebanon's new president and Hezbollah ally Michel Aoun », Business Insider (UK)
- « Lebanese lawmakers pick Hezbollah ally Michel Aoun to end presidential logjam », The Washington Post (USA)
« Lebanon elects christian Hezbollah ally Michel Aoun to help end political vacuum », Newsweek (USA)
« Can newly elected 81-year old Michel Aoun invigorate Lebanon?
 », RT (Russia)
- « Lebanon's new president Michel Aoun does not signal start of a new era », ABC (Australia)
- « Hezbollah Ally Michel Aoun Elected President of Lebanon After Two-year Political Deadlock », Haaretz (Israel)
« Assad et Rouhani félicitent Michel Aoun pour son élection au Liban », The Times of Israël (Israël)
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Avant que quelques exaltés ne pètent une durite, je tiens à le rappeler encore une fois, pour qu'il n'y ait pas de malentendus. J'étais la première personne au Liban en dehors du camp du Général, à suggérer dans un article publié la veille de la longue vacance, le 24 mai 2014, il y a deux ans et demi, « Et si le 14-Mars remplaçait Samir Geagea par Michel Aoun ? » A la différence de Samir Geagea et de Saad Hariri, j'avais conditionné cette proposition au détachement de Michel Aoun de son alignement sur l'axe Hezbollah/régime d'Assad/régime des mollahs, justement dans le but d'éviter de tels titres de presse aussi handicapants pour un nouveau pouvoir. Tant pis pour ceux qui n'ont rien voulu entendre, ils les ont bien cherché.

Si je me suis donné la peine de publier cette revue de presse, c'est pour bien montrer aux Libanais que l'estampille « Président fabriqué au Liban » apposée par Samir Geagea sur l'élection de Michel Aoun, est déconnectée de la réalité et ne veut absolument rien dire étant donné le passif de son encombrant et nouveau allié, depuis son alliance avec le Hezbollah en 2006 et son obstination inouïe à défendre la milice chiite en toutes circonstances. Et combien même, être fabriqué au Liban n'est pas un gage de qualité. Les actions et les paroles dans la vie sont parfois indélébiles. Certains Libanais ont peut-être pardonné au président élu, le blocage du fonctionnement de la démocratie libanaise (183 jours en 2007-2008 et 890 jours en 2014-2016) et ses réflexions déplacées sur les martyrs de la Révolution du Cèdre (une quinzaine de personnalités souverainistes qu'on a assassinées ou tentées d'assassiner entre 2004 et 2013) -pour se limiter à ces deux exemples- mais beaucoup ne les ont pas oublié.

Les protagonistes du nouveau pouvoir libanais, qui se met en place pour quelque temps sont a priori connus, sauf grande surprise. Celui-ci inclura tout l'échiquier politique libanais, à l'exclusion de quelques personnalités politiques souverainistes indépendantes, comme Achraf Rifi, Boutros Harb et Dory Chamoun. A ce stade de la mascarade, une frange de Libanais comme moi, qui n'est pas née de la dernière pluie, n'a que faire des nuances qui peut réellement exister entre les uns et les autres. Aoun, Hariri, Berri, Geagea, Joumblatt, Frangié, Gemayel et Nasrallah, sont solidairement responsables de ce nouveau pouvoir qui se met en place, et ceci de plusieurs manières: en votant pour Michel Aoun comme président de la République (83 voix/127 députés), en désignant Saad Hariri comme Premier ministre (110 voix/127 députés), en acceptant de faire partie de son gouvernement (Hezbollah et Kataeb compris), en reconduisant Nabih Berri au perchoir ad vitam aeternam (de 1992 à 2017 et c'est bien parti jusqu'en 2021) et en faisant partie des grands blocs parlementaires. En d'autres termes, qui ne veut pas être associé au nouveau pouvoir doit se placer clairement dans l'opposition aux trois majorités formées autour de Michel Aoun, Saad Hariri et Nabih Berri. Qu'il y ait un gouvernement d'union nationale ou pas, cela ne change rien à l'équation : qui appartient à l'une de ces trois majorités, fait partie du nouveau pouvoir et devra répondre de ses actes devant le peuple libanais.

Cela étant dit, qui suit l'actualité libanaise depuis une semaine, ne peut qu'être frappé par le dynamisme aussi subit que suspect de la classe politique libanaise. Décoration des fenêtres du palais présidentiel le weekend dernier (avec des guirlandes oranges), élection présidentielle lundi (au grand complet, avec la participation exceptionnelle, comme on dit au cinéma, d'Okab Sakr), emménagement de Michel Aoun à Baabda mardi (avec toutes ses affaires, les vêtements, les sur-vêtements et les sous-vêtements), consultations parlementaires mercredi (seul le Hezbollah n'a pas nommé Saad Hariri), désignation officielle du Premier ministre jeudi (qui revient au pouvoir près de six ans après le coup de force du Hezbollah en janvier 2011). Ah non, pas de formation du gouvernement vendredi , ni ce weekend, ni la semaine prochaine d'ailleurs. Avant Noël peut-être. Et encore, ça sera un miracle. Et en y réfléchissant bien, c'est là que réside le premier faux pas du nouveau pouvoir.

Allez, suivez-moi un peu et vous vous rendrez compte vous-même du surréalisme de la situation politique au Liban. Toute la classe politique libanaise, sans une seule voix dissonante, s'est lancée dès le 1er novembre 2016 dans la formation d'un nouveau gouvernement, sachant que : primo, une élection présidentielle n'impose pas un changement de gouvernement sur le plan constitutionnel ; secundo, la formation d'un gouvernement s'éternise toujours au Liban; et tertio, des élections législatives doivent impérativement avoir lieu avant le 20 juin 2017. Hallucinant ! Former un gouvernement maintenant, alors que la Constitution ne l'exige pas, sachant qu'on aura à refaire la même chose dans quelques mois, comme l'exige la Constitution, est complètement absurde. Mais alors, pourquoi ils le font ?

Je ne vois que deux explications aussi consternantes l'une que l'autre :

- soit la classe politique libanaise veut se partager le nouveau gâteau en nommant de nouveaux ministres, en plaçant de nouveaux copains et de nouveaux fidèles, sans oublier de les accompagner de hordes de nouveaux fonctionnaires et de nouveaux conseillers, ainsi que de nouveaux glandeurs et de nouvelles glandeuses, mais aussi de nouveaux glandouilleurs et de nouvelles glandouilleuses, sachant qu'anciens et nouveaux ministres, pourraient bénéficier d'une retraite à vie selon les cas et la législation grotesque d'un pays endetté à hauteur de 74 milliards de dollars (146% du PIB) et dont les dépenses publiques dépassent les recettes de 263 millions de dollars (déficit public);

- soit la « transaction politicien » que j'ai évoquée il y a quelques jours, qui a permis cette entente inattendue autour de Michel Aoun, prévoit vraiment comme je l'ai déjà dit, une 3e prorogation du mandat du Parlement autoprorogé actuel, et que le gouvernement en formation aurait une espérance de vie supérieure à neuf mois.

L'une n'empêchant pas l'autre, cela va sans dire. Non mais, ils sont vraiment gonflés ! Mais enfin, voilà ce qui arrive lorsqu'un peuple se laisse faire sans protester. C'est tout simplement scandaleux.

Et comment peut-il en être autrement sachant que le gouvernement de Tammam Salam peut très bien expédier les affaires courantes encore six mois, après deux ans et demi de vacance du pouvoir présidentiel. Mais diable! si les leaders-dealers politiques libanais étaient sincères avec le peuple libanais, et se préoccupaient tellement des intérêts du Liban, comme ils le prétendent, ils procéderaient par trois étapes: le vote d'une nouvelle électorale, la dissolution de l'Assemblée autoprorogée et l'organisation de nouvelles élections législatives. Tout ce qui est en dehors de ça, n'est que poudre aux yeux, gaspillage de l'argent public, violation de la démocratie et duperie du peuple libanais.

Par conséquent, je demande solennellement au Président de la République et au Premier ministre, Michel Aoun et Saad Hariri, dans l'intérêt suprême de la nation, d'une part, de renoncer à la formation d'un nouveau gouvernement dans l'immédiat, avant les élections législatives, et d'autre part, de mettre tout leur poids pour que celles-ci aient lieu le plus rapidement possible et sous la meilleure loi électorale qui soit. A défaut, ils perdront de leur crédibilité aux yeux d'une frange de la population libanaise. A bon entendeur, salut !

dimanche 30 octobre 2016

Qui veut barrer la route à Michel Aoun, peut tout faire SAUF « voter blanc » (Art.397)


Avouez que l'imminence d'une éventuelle élection de Michel Aoun comme 13e président de la République libanaise mérite bien une trilogie. Cet article est le 3e et le dernier volet sur la question. Je le justifie par le fait qu'il me semble que certains députés libanais méconnaissent gravement la Constitution du pays du Cèdre. Je vais donc prendre un peu de temps à quelques heures du scrutin, pour leur expliquer quelques points importants qui y figurent, avant qu'ils ne s'engagent avec leur voix à la légère et n'engagent le Liban sur une voie hasardeuse.

D'abord, un mot sur le boycott. Il n'y a aucune référence dans la Constitution libanaise ni sur la mythologie du « droit de boycott » des séances parlementaires de l'élection présidentielle, ni sur le quorum nécessaire pour les valider. Yi ma3'2oul et pourquoi? Eh bien, parce que les Pères fondateurs n'ont pas imaginé la moitié d'un quart de seconde que 88 ans après la mise en place des fondations de la République libanaise, que des enfants de la patrie, décideront heik 3azaw2oun arbitrairement, de ne pas participer à l'élection du chef de l'Etat. Wou mech enno marra aw tnein, 44 fois svp ! A l'arrivée, nous avons eu deux ans et demi de boycott, ainsi que 890 jours de vacance du pouvoir présidentiel. Et comble du surréalisme politique, des ex-souverainistes, qu'ils le veuillent ou pas, ont fini par leur donner raison indirectement. Et ce qui me dérange au plus haut degré dans cette histoire absurde, ce n'est pas seulement cette méprisable prime au boycott qu'ils ont accordée, c'est le fait que les boycotteurs attitrés de la République libanaise, les députés de Michel Aoun et de Hassan Nasrallah, ne semblent rien regretter et sont naturellement disposés à recommencer. Politique pathétique, bienvenue au Liban.

Passons ensuite sur le quorum. Le Parlement libanais compte au grand complet 128 députés. Le quorum de l'élection présidentielle est fixé arbitrairement à 2/3. Ceci signifie que 86 députés doivent être présents dans l'hémicycle pour déclarer la séance électorale ouverte. Cette question a fait couler beaucoup d'encre au Liban depuis la vacance de 2007-2008. Il n'empêche que je suis plutôt d'accord avec Nabih Berri sur son approche constitutionnelle à ce sujet et ceci pour diverses raisons. D'une part, parce que l'élection du président de la République n'est pas un acte parlementaire ordinaire dans un pays ordinaire et qu'on peut faire passer à la majorité ordinaire. C'est discutable, je l'avoue. D'autre part, à mon humble avis, le chef de l'Etat libanais doit bénéficier d'une légitimité islamo-chrétienne pour exercer ses fonctions au Liban. Celle-ci ne peut être acquise que par la présence des 2/3 des députés libanais, au moment de l'élection, toutes appartenances communautaires et tendances politiques confondues. Les Pères fondateurs étaient bien conscients qu'à une époque où les communautés chrétiennes dominaient sur le plan démographique et parlementaire, cette disposition devait permettre aussi d'éviter que les députés chrétiens ne puissent élire un président sans le consentement des députés musulmans et contre leur gré. Aujourd'hui, nous sommes exactement dans une situation inversée. C'est entièrement dans l'esprit du Pacte national de 1943. Tout est imaginé pour renforcer la confiance mutuelle, la cohabitation communautaire et l'entente entre les Chrétiens et les Musulmans. C'était ainsi et ça doit le rester, ad vitam aeternam.

Abordons enfin, l'élection présidentielle proprement dite. Pour que Michel Aoun soit élu dès le 1er tour, il faut qu'il obtient « la majorité des 2/3 des suffrages ». Aux tours suivants, « la majorité absolue suffit » pour obtenir le Graal. Dans tous les cas de figure, ce que certains députés et même des journalistes ne savent pas, c'est que les deux notions de "suffrages" et de "majorité absolue" renvoient plutôt aux suffrages exprimés et qu'au nombre total de députés, présents et absents. Il y a là une nuance aux nombreuses conséquences. 

D'une part, les bulletins doivent être valides. Pas de gribouillage sur le papier évidemment. On ne peut pas noter par exemple la liste des courses, la recette des brownies ou le numéro de téléphone du coiffeur du collègue de gauche. Il faut inscrire le nom du candidat sans fioritures. Pas de petits cœurs de circonstance et je ne sais quoi d'autres. Pas de noms de défunts non plus, comme l'auraient fait des députés du parti de Michel Aoun lors de la 1re séance électorale en avril 2014, qui ont inscrit les noms de Rachid Karamé et Tony Sleimane Frangié (deux personnalités dont l'assassinat est attribué par les intéressés à Samir Geagea). Montrez par ailleurs, son vote à la caméra, comme l'a souhaité le chef du Hezbollah, pour prouver que ses députés veulent vraiment Michel Aoun, est impossible. Une telle imprudence invalide les bulletins. Ni les fatwa de Nabih Berri, comme la « législation de nécessité » (techri3 el daroura), ni même le « règlement du Parlement » (qanoun el majliss), comme l'a affirmé Hassan Nasrallah dimanche dernier dans son discours, ne peuvent rendre l'astuce possible. Ce n'est pas parce que Bakhos Baalbaki et ses friends veulent installer le doute dans les esprits des sympathisants de Michel Aoun (sur le fait qu'au fond, cela fait deux ans et demi que le Hezb ne veut ni de président ni du Général et ce n'est que récemment après la "transaction politicienne" qu'il a changé d'avis), mais tout simplement parce que l'action est anti-constitutionnelle puisque l'élection présidentielle libanaise se déroule selon un mode de « scrutin secret », comme le précise l'article 49 de la Constitution.

D'autre part, et là je prie les députés frondeurs d'ouvrir bien leurs pupilles. Les bulletins blancs ne peuvent pas être comptabilisés dans l'élection présidentielle, au Liban comme ailleurs. C'est comme s'ils n'ont jamais existé. Les députés qui voteront blancs sont donc pour une grande partie hypocrites. C'est le cas de Sleimane Frangié et ses friends. Les autres, les sincères, ignorent les conséquences désastreuses de ce qu'ils s'apprêtent à faire. Non seulement leur vote n'y changera rien, mais pire encore, il permettra à Michel Aoun d'avoir de bonnes chances d'être élu dès le 2e tour, voire même le 1re tour. Eh oui ! Mais pourquoi donc ? Explications.

Comme je l'ai précisé plus haut, une fois qu'on a passé le 1er tour, où il faut recueillir 2/3 des suffrages pour aller décorer la route de Baabda avec des guirlandes oranges, Michel Aoun peut être élu dès le 2e tour à la majorité absolue, soit la moitié des bulletins conformes plus un, à l'exclusion de tous les votes blancs et non validés. Cela étant dit, pour mieux comprendre le piège du vote blanc, deux exemples concrets et réalistes.

Premier cas de figure. Allez, supposons que les 127 députés seront présents au Parlement ce lundi et imaginons un 2e tour dont le dépouillement donnera les résultats suivants : 0 bulletins « Vote blanc », 51 bulletins « Michel Aoun »29 bulletins « Samir Geagea », 24 bulletins « Dory Chamoun », 19 bulletins « Sleimane Frangié », 3 bulletins « Henri Helou » et 1 bulletin « Bakhos Baalbaki ». La majorité absolue étant fixée d'après la Constitution à (127 bulletins valides ÷ 2) + 1 = 65 voix, Michel Aoun n'est pas élu. Bon, il piquera une grave crise de nerfs et dira aux députés ce qu'il a déjà asséné à maintes reprises dans le passé, comme au cours de cette conférence de presse agitée du 7 juillet 2015 : « Si vous (les députés autoprorogés) aviez une once de dignité, vous démissionneriez et vous rentreriez chez vous... La majorité actuelle n'a pas le droit d'élire le président... Tout le Parlement est illégal... Nous devons élire de nouveaux députés et c'est à eux qu'il reviendra d'élire le nouveau président de la République... Qui leur (les députés actuels, càd ceux qui se rendront place de l'Etoile ce lundi à midi pour l'élire!) a donné le droit de dire qu'il faut élire le président d'abord? C'est une honte. » Eh oui, c'est le Général dans toute sa splendeur !

Prenons maintenant un autre exemple, un 3e tour avec un dépouillement donnent les résultats suivants : 22 bulletins « Vote blanc », 51 bulletins « Michel Aoun »29 bulletins « Samir Geagea », 19 bulletins « Sleimane Frangié », 4 bulletins « el-Général », 2 bulletins « Tarattatta », 1 bulletin « La liste de courses de lundi soir de Gilberte Zoueine » et 1 bulletin « Qu'est-ce que je me suis manqué au cours de ces six dernières années? Okab Sakr ». Les bulletins blancs et les bulletins non conformes, soit au total 30 papiers, seront mis à la poubelle comme le veut la Constitution. La majorité absolue étant alors déterminée par la moitié des votes exprimés et valides plus un, soit (97 ÷ 2) + 1 = 50, Michel Aoun est élu président de la République libanaise, avec le même nombre de voix que le premier exemple, grâce aux génies du vote blanc, qui ont rendu l'impossible possible.

Par conséquent, qui veut sérieusement barrer la route à Michel Aoun, peut tout faire SAUF voter blanc ou gribouiller sur son bulletin de vote. Théoriquement, c'est possible. Mais en pratique, est-ce qu'il y a encore des députés qui veulent le faire ? Tant pis, chacun assumera son vote et à bon entendeur, salut ! Et avant que je n'oublie, mes salutations distinguées à ces députés à l'hypocrisie débordante, qui veulent sauver la face avec le subterfuge politique grotesque du « vote blanc ». 

Post-scriptum

Nulle part dans la Constitution libanaise qui établit le cadre légal de l'élection présidentielle au Liban, notamment l'article 49, il n'est écrit qu'on doit tenir compte du « nombre total des membres du parlement » pour valider l'élection au 1er tour et aux tours suivants. Qu'elle fut grand ma surprise, de découvrir qu'il s'agit des usages et non du texte constitutionnel.

Voici l'alinéa de l'article 49 qui aborde le sujet et qui remonte à la Constitution de 1926 et que l'on retrouve naturellement sur le site internet de la Présidence de la République libanaise. « Le Président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours de scrutins suivants, la majorité absolue suffit. » Donc, au 1er tour on parle de « suffrages ». Or, les suffrages ce sont des votes exprimés, respectant les règles, et non les députés, présents et absents. Au 2e tour, on parle de « majorité absolue ». Or, il est communément admis dans toutes les législations du monde, que la majorité absolue se réfère à 50%+1 des suffrages exprimés, càd des votes valides, qui ne tiennent pas compte des votes blancs.

Ainsi, une question s'impose et nous laisse dans le désarroi le plus total : est-ce que les dirigeants libanais interprètent mal la Constitution libanaise depuis que celle-ci existe? Dans tous les cas, la conclusion est évidente : on a encore un problème d'interprétation arbitraire de la Constitution libanaise, qu'il va falloir tirer au clair et au plus vite.

jeudi 27 octobre 2016

Michel Aoun n'a aucune chance d'être élu sauf dans le cadre d'une « transaction politicienne » qui n'est pas dans l'intérêt du peuple libanais (Art.395)


 1  Précisons d'emblée, Michel Aoun n'a aucune chance sérieuse d'accéder à la présidence de la République libanaise par la voie de la compétition démocratique. Cela fait 26 ans qu'il essaie, en vain. Il ne pourra y parvenir que par la voie d'une « transaction politicienne » dont voici les grandes lignes.

 2  Le seul véritable pouvoir entre les mains du président de la République libanaise est celui que lui confère trois alinéas de l'article 53 de la Constitution : « Le Président de la République nomme le Chef du gouvernement (...) Il promulgue seul le décret de nomination du Président du Conseil des ministres (...) Il promulgue, en accord avec le Président du Conseil des ministres, le décret de formation du Gouvernement ». Ainsi, Michel Aoun président contrôlera dans les moindres détails la formation et la composition de son prochain gouvernement. Rien dans ce bas monde, à moins d'un usage de la force, ne l'empêchera de bloquer ad vitam aeternam le fonctionnement démocratique des institutions libanaises de nouveau, si le vent ne souffle pas comme le voudraient ses navires.

 3  S'il y a vraiment un consensus pour élire Michel Aoun le 31 octobre, nous pouvons être sûrs qu'il y a eu forcément un « deal » entre les protagonistes sur le court terme de l'après-élection. Oubliez le gouvernement de transition, le gouvernement de Tammam Salam pourrait rester en place jusqu'aux prochaines élections législatives censées avoir lieu avant le 20 juin 2017. Donc, le court terme après l'élection de Michel Aoun concernera essentiellement le gouvernement post-Salam.

 4  Le gouvernement post-Salam qui prendra place entre novembre 2016, au lendemain de l'élection d'Aoun, et juin 2017, à la fin du mandat de l'actuel Parlement, dépendra des résultats des élections législatives. Et encore, il faut bien que ces élections aient lieu. Mais encore, si elles ont lieu, il faut bien savoir selon quelle loi électorale elles se dérouleront. Depuis 2009 svp, les 128 prodiges représentants du peuple libanais sont penchés sur la question. Il est donc illusoire de croire encore que le peu de temps qui reste permettra de se débarrasser de la loi électorale archaïque de 1960 et de bénéficier enfin d'une loi électorale qui assure une bonne représentativité du peuple libanais.

 5  Par conséquent, les Libanais doivent savoir que la « transaction politicienne » à court terme, qui conduira Michel Aoun à Baabda, engloberait une de ces trois options.

A. Prorogation du mandat des députés de 2009, déjà autoprorogés, avec aucune modification du rapport de force en attendant l'évolution de la situation en Syrie, ce qui arrangera les blocs formés autour du Courant patriotique libre (CPL), du Futur, du Hezb, d'Amal et du Parti socialiste progressiste (PSP).

B. Elections législatives sous la loi de 1960, qui convient à tous les grands partis politiques libanais, à l'exception des Forces libanaises (FL), des Kataeb et des candidats indépendants ou opposants aux grands partis cités précédemment, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues.

C. Elections législatives sous une loi électorale apparentée à la loi de 1960, donnant l'illusion du changement aux Libanais, mais assurant le statu quo dans le rapport de force entre les grands partis.

 6  Eh oui, j'ai l'intime conviction qu'il n'y aura pas d'élections législatives sous une loi permettant une bonne représentativité au Parlement et ceci pour diverses raisons.

A. Les résultats des élections municipales du printemps. Les grands partis politiques savent très bien que le désaveu des Libanais pour toute la classe politique sans exception, aux élections municipales -notamment à Beyrouth avec le mouvement civil « Beirut Madinati » et à Tripoli avec Achraf Rifi, l'ancien chef des Forces de sécurité intérieur- a toutes les chances de se répéter. D'où leur peu d'empressement pour abroger la loi électorale de 1960 qui leur est plutôt favorable.

B. Les déclarations de Nabih Berri dimanche de Genève. « On dit qu'il y a un accord non déclaré pour garder la loi de 1960, sans (voter) une nouvelle loi électorale ». Dans son apparition sur la chaine LBCI lundi, Sleimane Frangié, qui a décidé de rester dans la course présidentielle, a révélé que Saad Hariri lui aurait assuré au cours des négociations préalables au soutien de sa candidature, que « la loi électorale de 1960 lui convient ». Du côté de Michel Aoun, il est utile de rappeler à ceux qui ont la mémoire courte, que le Général a pavoisé pendant 7 jours et 7 nuits au printemps 2008, car il aurait soi-disant récupéré les droits des chrétiens, en imposant la loi électorale archaïque de 1960 dans l'accord de Doha. Walid Joumblatt est comme tout le monde le sait, un fervent défenseur de la loi de 1960, qui lui donne plus de poids politique qu'il n'a de poids populaire. Quant à Hassan Nasrallah et Nabih Berri, ils n'en ont cure de la loi de 1960 car les régions chiites sont plus homogènes et bien verrouillées sur les plans démographique et politique. Ainsi, le grand perdant de cette transaction politicienne sera Samir Geagea, l'initiateur de l'idée de l'élection de Michel Aoun. La loi de 1960 lui donne un poids politique inférieur au poids populaire de son parti. Samy Gemayel, dont le parti est aussi lésé par la loi de 1960, s'est placé de toute façon en dehors de la transaction. 


C. La conférence de presse de Hassan Nasrallah dimanche aussi, le jour où il a rencontré Michel Aoun et Gebrane Bassil. « Qui dit que nous ne voulons pas de l'élection du général Aoun ? Qui dit que le Hezb ne veut pas de président ? » S'il était sincère, il n'avait même pas besoin d'évoquer la question. Dire que Hassan Nasrallah se préoccupe tellement de la vacance présidentielle et veut tellement Aoun président, qu'il a consacré la longue première partie de sa conférence de presse du 23 octobre, plus de 45 minutes, à Hatem Hamadé, un combattant du Hezbollah mort en Syrie, au cours de la « guerre fatidique » de la « grande bataille » d'Alep. Le sujet « Michel Aoun » était relégué à la 2e partie et n'a occupé Hassan Nasrallah que 33 minutes. Comprenne qui voudra.


 7  Certes, le chef du Hezbollah a affirmé que « nous élirons le général Aoun président ». Mais bizarrement, il a tenu à s'adresser aux sympathisants du CPL : « Ne permettez à personne de déformer la relation qui existe entre nous ». Et comment pourrions-nous le faire si tout était au beau fixe ? Là aussi, si el-Sayyed est obligé d'en parler, c'est qu'en réalité, le doute existe, et qu'il n'a besoin de personne d'autre que le chef du Hezbollah pour gagner les esprits. La surenchère a franchi le seuil du grotesque avec la demande de Hassan Nasrallah d'autoriser les députés du Hezbollah à « dévoiler leur bulletin de vote aux caméras, afin de prouver la présence du nom 'Michel Aoun'». On aurait rit à gorge déployée si cela ne constituerait pas une énième violation de la Constitution libanaise, dont l'article 49 stipule que l'élection présidentielle libanais se déroule selon un « scrutin secret ».


 8  Une grande partie de la conférence de presse de Hassan Nasrallah dimanche était consacrée à la guerre en Syrie. « La seule situation qui nous ramènera au Liban, c'est notre victoire en Syrie, c'est-à-dire quand notre projet gagnera et quand l'autre projet finira ». Les politiciens libanais étaient tellement occupés à pavoiser la route de Baabda et à accrocher les guirlandes sur les fenêtres du palais présidentiel, qu'ils n'ont eu le temps ni de relever la phrase ni de commenter la gravité de sa portée : le chef du Hezbollah a signifié clairement aux Libanais que la frontière syro-libanaise ne sera jamais fermée dans les deux sens.

Et comme si de rien n'était, les dirigeants des Forces libanaises et du Courant du Futur, ex-piliers du mouvement souverainiste du 14-Mars, ont continué de rassurer le peuple libanais en lui expliquant que « lorsqu'Aoun le pragmatique accédera à la présidence de la République, sa principale préoccupation sera d'assurer le succès de son mandat » (Samir Geagea) et que « Michel Aoun sera le président de tous les Libanais » (Saad Hariri). Mais voyons ! Nous tâcherons de nous en souvenir et de vous le rappeler. Pour ce qui est des convertis zélés à la candidature de Michel Aoun, ils se sont ingéniés pour expliquer des nuances subliminales qui auraient échappées aux Libanais : « Les bulletins blancs ne seront pas comptabilisés pour déterminer le rapport de force entre Frangié et Aoun » (Georges Adwan, n°2 des FL) ; « Par l'élection d'Aoun le 31 octobre, le Hezbollah aura largement contribué à mettre fin aux marques d'influence syrienne au Liban » (Charles Jabbour, journaliste gravitant autour des FL). Mieux vaut en rire.

 9  Bien avant Samir Geagea et Saad Hariri, j'avais suggéré dans un article publié le 24 mai 2014, « Et si le 14-Mars remplaçait Samir Geagea par Michel Aoun ? Les trois options du général : la grande porte, la petite porte ou la trappe ». En voici un résumé. « Soyons pour la suite surréalistes... je ne vois qu’une issue à court terme... un deal national que Samir Geagea proposerait à Michel Aoun... El-hakim annonce de Meerab le retrait de sa candidature à l’élection présidentielle, au cours d’une conférence de presse solennelle, entouré de Gebrane Bassil, le gendre du général... À la fin de la conférence, el-hakim passe chercher el-général en voiture à Rabieh... Les deux hommes se rendent à l’église Mar Mikhael dans la même voiture... Elle est conduite par le général Chamel Roukouz. Ils discutent de la prochaine nomination de ce brave militaire, gendre du général, comme commandant de l’armée libanaise... Sous les applaudissements, les tzolghout et les jets de riz, avec une transmission directe commentée par la députée du Kesrouan, Gilberte Zouein, qui ne croit pas ses yeux et reste sans voix, Michel Aoun déchire devant les caméras le fameux 'Document d’entente' qu’il a signé huit ans auparavant avec Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. »



 10  A la grande différence de Samir Geagea et de Saad Hariri, j'ai conditionné ma proposition. Pas de chèque en blanc pour Michel Aoun ou pour n'importe qui d'autre ! Ce n’est pas parce que le « Document d'entente » a une quelconque importance politique en soi, mais uniquement pour le côté symbolique du geste, qui aurait signifié urbi et orbi, la rupture de l’alignement du général Michel Aoun sur l’axe Dahiyé-Damas-Téhéran. Saperlotte, mais qu'on dise au peuple libanais, sur quoi Michel Aoun s'est-il engagé sérieusement pour qu'on l'élise ? L'accord Geagea-Aoun conclu à Meerab peut-être ? Il ne s'est même pas donné la peine de le lire lui-même et avant même d'être élu, il n'a pas respecté le point 2 où il est clairement dit qu'Aoun-candidat-soutenu-par-Geagea doit « respecter la Constitution sans sélectivité, loin des considérations politiques et des interprétations erronées ». Le boycott de toutes les séances électorales depuis le 18 janvier 2016 sont des violations à la fois de la Constitution et l'accord de Meerab.

 11  Cette malheureuse phrase qui s'est glissée dans le discours de Hassan Nasrallah (point 8), résume bien la position de la milice chiite depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie, le 15 mars 2011 et tout le danger de l'élection d'un Michel Aoun comme président de la République libanaise, qui s'est révélé au cours des dix dernières années, comme un soutien infaillible du Hezbollah. Pire encore, c'est un élément de plus qui montre à quel point Samir Geagea et Saad Hariri sont inconsistants en soutenant deux candidats du 8-Mars, Michel Aoun et Sleimane Frangié, qui n'ont jamais raté une occasion depuis la seconde indépendance, pour prouver leur alignement politique sur les positions du Hezbollah et leur soutien à ses projets. A une période où les pays arabes, européens et américains durcissent de plus en plus leur législation à l'égard du Hezbollah, chapeau les gars ! Soit, mais de grâce, épargnez-nous à l'avenir, les critiques de la présence du Hezbollah en Syrie. Vous soutenez des candidats qui ont toujours justifié l'intervention de la milice chiite libanaise dans la guerre civile syrienne, l'élément déclencheur de la décompensation du Liban et la détérioration de son état aux niveaux politique, économique, touristique, social, écologique, sécuritaire et vie quotidienne, dues notamment à l'afflux de deux millions de ressortissants syriens dans un pays de quatre millions d'habitants.

 12  L'élection de Michel Aoun, ou même de Sleimane Frangié, comme 13e président de la République libanaise comporte trois risques majeurs pour le peuple libanais. Primo, l'enlisement du Liban dans la formation des gouvernements pour des raisons partisanes, politiciennes et populistes (point 2). Secundo, le sabotage de la démocratie libanaise par la prorogation du mandat du Parlement actuel, voire la tenue des prochaines élections législatives sous la loi électorale de 1960 ou une loi apparentée (point 5). Tertio, la défense d'une ligne politique pro-Hezbollah, pro-Assad et pro-iranienne, notamment en ce qui concerne l'intervention de la milice chiite libanaise dans la guerre civile syrienne, avec toutes les conséquences qui en découleront (point 11). Etant donné que ces trois risques sont parfaitement identifiés et prévisibles, les citoyens devront tenir tous ceux qui ont soutenu cette transaction politicienne, entièrement responsables des complications qu'ils font courir au Liban et au peuple libanais. Il faut faire savoir aux députés qui sont sur le point de la conclure, qu'ils seront sanctionnés dans les urnes le moment venu.

 13  Tout député qui veut se faire réélire par la frange du peuple libanais soucieuse des intérêts suprêmes de la nation, devrait transformer la séance parlementaire du 31 octobre en un guet-apens tendu aux boycotteurs attitrés, qui auront à leur actif 890 jours de vacance du pouvoir et jusqu'à 44 séances électorales de boycott -les députés de Hassan Nasrallah, de Sleimane Frangié et de Michel Aoun- pour élire un homme compétent et digne de la République libanaise, de la trempe de Riad Salameh, le gouverneur de la Banque du Liban. Et quitte à élire un homme du quatrième âge, je propose les noms de Dory Chamoun, chef du Parti national libéral, et même du cardinal-patriarche maronite Mar Nasrallah Boutros Sfeir, deux des derniers défenseurs acharnés de la souveraineté et de l'Etat libanais qui n'ont jamais transigé sur les grands principes.

samedi 22 octobre 2016

Michel Aoun, 13e président de la République libanaise ? Rien n'est moins sûr (Art.394)


Soit. Mais, est-ce que la 46e séance parlementaire prévue le 31 octobre, pour élire le 13e président de la République libanaise, sera la bonne ? Conduira-t-elle à l'intronisation de Michel Aoun après ces longues années de lutte ? Sortira-t-elle le Liban de son marasme ? Rien n'est moins sûr. Mais encore, quelques réflexions à chaud après l'adoption par Saad Hariri, le chef du Courant du Futur, de la candidature de l'ancien chef du Courant patriotique libre, actuellement soutenu par Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises, et supposé l'être par Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah.

Affiche du 8-Mars datant de la période 2006-2008 

1. Il faut commencer par admettre que les Libanais vivent une période surréaliste politique inouïe depuis l'été 2015. Jusqu'alors, le clivage politique au Liban était clair, binaire comme dans la plupart des pays du monde, 14-Mars vs. 8-Mars. Et voilà qu'après le changement de saison, tout s'est embrouillé. Les deux principaux opposants à l'élection de Michel Aoun, Samir Geagea et Saad Hariri, sont devenus des défenseurs de sa candidature, et les deux principaux alliés de Michel Aoun, Hassan Nasrallah et Nabih Berri, des opposants à son arrivée à Baabda. Entre les deux camps, Walid Joumblatt, l'homme au cul entre deux chaises. Il était et l'est toujours, opposé à tout candidat chrétien indépendant, ayant une assise populaire importante et un caractère affirmé, qu'il s'appelle Geagea ou Aoun. Son candidat, Henri Helou, est tout le contraire. En tout cas, je persiste et je signe, c'est le Beik de Moukhtara qui serait à l'origine du changement climatique politique récent au Liban, qui a pris place avec la candidature du Beik de Zgharta. Il voulait faire d'une pierre deux coups, se débarrasse du tandem maronite Geagea-Aoun, et ce n'était pas pour déplaire au tandem chiite, Berri-Nasrallah.

2. Depuis le retrait de Samir Geagea de la course présidentielle au profit de Michel Aoun, le 18 janvier 2016, tout indique sur le terrain et dans la pratique, que la greffe Forces libanaises-Courant Patriotique Libre n'a pas pris. La bataille municipale de Jounieh, entre autres, menée sans concession par un des gendres de Michel Aoun, Chemel Roukoz, qui veut verrouiller la région chrétienne du Kesrouan avant les prochaines élections législatives, l'a magistralement démontré. Certains défenseurs de la tactique saugrenue de Meerab nous ont expliqué que l'adoption de la candidature du Général par Hakim était censée barrer la route à l'élection du Beik grâce au Cheikh. Foutaises. A l'arrivée, Michel Aoun n'a jamais eu autant de chance dans sa vie d'être élu qu'aujourd'hui. D'autres défenseurs zélés ont justifié la tactique par la volonté de coincer le Hezbollah. Grotesque. Comme si on était dans un combat de boxe où il suffisait de marquer des points pour gagner le match. Pire encore, Aoun a réussi la prouesse politique d'obtenir le soutien de Geagea, et maintenant de Hariri, sans rompre son alliance avec Nasrallah, pour des raisons idéologiques et électorales. Plus grave encore, comme il y a de fortes chances qu'il n'y ait pas d'élections législatives sous une nouvelle loi électorale représentative, alors là, on peut le dire et sans l'ombre d'un doute, le grand perdant de toutes ces manœuvres politiques, si Michel Aoun est élu président de la République, est paradoxalement Samir Geagea, celui qui a rendu cette élection possible.

3. Certes, le discours de Saad Hariri, annonçant l'adoption de la candidature de Michel Aoun, est un discours responsable dans sa globalité. Tout comme la conférence de presse de Samir Geagea tenue au mois de janvier dans le même but. Ces deux personnalités sont des hommes d'Etat, qui ont su montrer par leur action qu'ils arrivent à contrôler leur ego et leur ambition, dans l'intérêt du Liban, ce qui n'est pas le cas de leur candidat et tant d'autres. Toutefois, Samir Geagea a commis une erreur politique et morale, en adoptant la candidature de Michel Aoun, et Saad Hariri en a commis deux, en adoptant successivement celles de Sleimane Frangié et de Michel Aoun. Ces deux candidats ont violé la Constitution de la République libanais, en boycottant les séances parlementaires d'élection. Et ce n'est pas tout. Aux pires moments de l'histoire contemporaine du Liban, lorsque des personnalités souverainistes tombaient sur le champ d'honneur les unes après les autres (de Rafic Hariri à Mohammad Chatah, en passant par Samir Kassir et Pierre Gemayel), Aoun et Frangié se sont montrés solidaires des présumés-coupables, le régime syrien de Bachar el-Assad et le Hezbollah. Cela étant dit, le Courant du Futur, à la différence des Forces libanaises, sauvera la mise, d'une part, parce que la base sunnite lui reste massivement acquise, et d'autre part, la loi électorale actuelle de 1960 (ou une apparentée), lui permettra tout de même, de se tailler la part du lion aux prochaines élections législatives.

4. L'élection de Michel Aoun après 890 jours de boycott de 44 séances parlementaires -eh oui, 890 jours et 44 séances de boycott !- de la part des députés du Courant patriotique libre et du Hezbollah, est le moins qu'on puisse dire, une prime à tous ceux que la conscience politique, à tort ou à raison qu'importe, autorise à bloquer le fonctionnement démocratique au Liban. Et puisqu'on y est, que voudra le « serment de fidélité, devant le Parlement, à la Nation libanaise et à la Constitution » qui sera prêté par un président comme Michel Aoun, ou même Sleimane Frangié, avant la prise de ses fonctions, tel qu'il figure dans l'article 50 de la Constitution libanaise, « Je jure par le Dieu Tout-Puissant, d'observer la Constitution et les lois du Peuple libanais », alors qu'en boycottant les séances parlementaires électorales (les convocations pour élire le président) et en assistant aux séances parlementaires législatives (les convocations pour voter des lois), sachant que le poste présidentiel est vacant, les deux candidats présidentiels du camp du 8-Mars (pro-Hezbollah et pro-Assad), se sont rendus coupables d'une violation flagrante de la Constitution libanaise et de ses articles 74 et 75, qui stipulent clairement et sans la moindre ambiguité ou interprétation fantaisiste, « qu'en cas de vacance de la présidence... l'Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau Président (...) La Chambre réunie pour élire le Président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l'élection du Chef de l'Etat » ? Tout serment dans de telles conditions est une mascarade qui entache l'honneur de la République libanaise.

The Daily Star
Juillet 2015
5. Law badda tchaté ghaïyamitt. Michel Aoun a réussi un tour de passe-passe extraordinaire, celui de faire oublier aux Libanais qu'il est installé dans leur paysage militaro-politique depuis 1984. Eh oui, il a été respectivement, 6 ans commandant en chef de l'armée libanaise, 2 ans Premier ministre et multi-ministre, 14 ans opposant politique exilé et libre, 11 ans député et chef du plus grand bloc parlementaire chrétien, 11 ans au gouvernement et en opposition, et 10 ans allié du Hezbollah et des régimes syro-iraniens. Ainsi, il cumule 54 ans de fonctions et de positionnements au plus haut sommet du pouvoir et de toutes les influences au Liban. Alors, ya cha3eb lebnan el 3azim, mes chers compatriotes, comme on dit en Orient, s'il devait pleuvoir, le ciel se serait couvert de nuages il y a belle lurette ! Sans remonter à l'époque de Mathusalem, qu'ont fait Aoun et consorts, pour éviter au Liban le fardeau de deux millions de réfugiés syriens (alors qu'ils contrôlaient 1/3 du Conseil des ministres et 1/5 du Parlement libanais) ou pour ramener l'eau et l'électricité 24h/24 dans les foyers libanais comme ils l'ont promis (alors que le ministère de l'Energie et de l'Eau est entre les mains de leur bloc parlementaire depuis plus de huit ans) ? Rien, absolument rien d'efficace.

6. Comme tout ce qui se fait sous le soleil n'est que « vanité et poursuite de vent », comme nous dit la Bible, Michel Aoun est amené un jour, après une longue vie heureuse, de bons et loyaux services, à nous quitter afin de comparaitre devant Dieu pour le jugement dernier. Que Dieu fasse en sorte que ce jour soit le plus lointain possible. En attendant, on a beau faire des liftings du visage et cacher les valises sous les yeux, en usant et en abusant de subterfuges esthétiques, on a l'âge de ses artères et de son ADN. Aoun est entré dans sa 84e année. S'il est élu, il sera de ce fait, un des dirigeants les plus âgés du monde. Toutes mes félicitations mon général ! Alors, ce n'est pas pour dire, mais à cet âge, la sagesse des années aurait dû le pousser à être faiseur de roi que roi.

7. Il est quand même curieux de constater le déchaînement sans retenue de certaines politiciens et journalistes sur Michel Aoun, et toutes les précautions d'usage dont ces personnes s'entourent quand il s'agit d'évoquer les manœuvres politiciennes de Nabih Berri. Le président de l'Assemblée nationale fait partie des problèmes du Liban et non des solutions, comme d'autres politiciens d'ailleurs. Qui ne l'a toujours pas compris, a la mémoire courte. El-estèz a fermé le Parlement libanais, comme si c'était beit beiyo, la maison de son père comme on dit, et a occupé le centre-ville de Beyrouth, avec el-Sayyed et le Général, du 1er décembre 2006 au 25 mai 2008, soit près d'un an et demi de législature. Il l'a fait pour diverses raisons dont une était justement en rapport avec l'élection présidentielle, celle du 12e président de la République. Il faudrait ne pas oublier si vite que baï el misé2iyé, le père du pacte national comme on le surnomme parfois, n'a appelé à aucune séance électorale après l'expiration du mandat d'Emile Lahoud en novembre 2007. Il a fallu l'enlisement des milices du 8-Mars dans les rues de Beyrouth le 7 mai 2008, qui a conduit à l'accord de Doha, pour permettre à Michel Sleimane d'être élu. Pire encore, toutes les séances législatives qu'il a organisées depuis le 25 mai 2014, à l'expiration du mandat de Michel Sleimane, sont anticonstitutionnelles. Alors, mieux vaut garder l'encensoir dans la sacristie.
LBC via L'Orient-le-Jour
Octobre 2016
8. Cela étant dit, Nabih Berri est profondément opposé à l'élection de Michel Aoun. Il l'a fait savoir urbi et orbi. Et puisqu'un renard comme lui ne dit son dernier mot qu'avec le dernier souffle et comme ce vieux rusé semble en pleine forme, il fera tout pour empêcher cette éventualité. En tout cas, parce qu'il est prêt à battre son propre record de longévité à la tête du Parlement libanais -since 1992 svp, soit depuis 24 ans- Nabih Berri n'aurait jamais pris le risque ne serait-ce que la moitié d'un quart de seconde, de s'opposer publiquement à l'élection de Michel Aoun, s'il avait la certitude que le Général possédait une chance sérieuse d'être élu. Contrarier celui avec qui on va cohabiter pendant six ans, manquerait singulièrement d'intelligence. Croire qu'il l'a fait pour mieux négocier le prix de son approbation durant les dix jours qui nous séparent de l'élection présidentielle prévue le 31 octobre, est le moins qu'on puisse dire naïf. Comme le montre la photo ci-jointe, l'accueil glacial qu'il a réservé à Michel Aoun qui lui a rendu visite, prouve que les deux hommes sont irréconciliables.

9. Bien qu'il ait signé un document d'entente avec Michel Aoun en 2006, Hassan Nasrallah ne veut pas voir son fidèle allié en pole position dans la course présidentielle. La preuve ? El-Sayyed, qui a mis beaucoup de temps avant d'admettre la candidature de Michel Aoun il y a plus de deux ans, s'ingénie aujourd'hui pour multiplier les obstacles sur la route de Baabda. Et dire qu'il exige une entente entre Aoun et Frangié d'une part, et entre Aoun et Berri d'autre part, sachant pertinemment que cette double mission est impossible à accomplir. Et pourquoi il fait cela ? Primo, parce qu'il ne fait pas confiance à son allier. Secundo, parce que l'élection présidentielle est une carte importante qu'il ne compte pas jouer, sans y être contraint et forcé, sauf s'il a la certitude qu'elle renforcera l'hégémonie exercée par le Hezbollah sur le Liban. Tertio, parce que sa priorité reste l'issue de la guerre en Syrie. Et tout ce qui est en dehors de ça n'est que palabres et poudre aux yeux.

10. Il faut admettre en dernier que certains Libanais sont encore moins enclin à accepter la candidature de Michel Aoun que celle-ci apparaît aujourd'hui comme le fruit d'une entente entre les principaux leaders des communautés maronites et sunnites, soucieux de sortir du « blocage-chantage présidentiel », alors que les principaux leaders des communautés druzes et chiites, privilégient la piste du « panier-fourre-tout », l'arrangement à la libanaise, comme on a toujours fait, comme si de rien n'était et comme si la présidence de la République libanaise -poste réservé selon le Pacte national de 1943 à une personne de confession maronite, faisant du Liban le seul pays arabe présidé par un citoyen chrétien- n'avait plus aucune utilité.

Par conséquent, aussi paradoxale que ça puisse paraître, Michel Aoun n'a jamais eu autant de chance dans sa vie d'être élu président de la République libanaise qu'aujourd'hui. Pourtant, ses chances restent minimes. Et c'est en grande partie de sa faute. Enfin bref, on n'est pas sorti de l'auberge.