Soit.
Mais, est-ce que la 46e séance parlementaire prévue le 31 octobre, pour élire le 13e
président de la République libanaise, sera la bonne ? Conduira-t-elle à l'intronisation de Michel Aoun après ces longues années de lutte ? Sortira-t-elle le Liban de son marasme ? Rien n'est
moins sûr. Mais encore, quelques réflexions à chaud après
l'adoption par Saad Hariri, le chef du Courant du Futur, de la
candidature de l'ancien chef du Courant patriotique libre, actuellement soutenu par Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises, et supposé l'être par Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah.
Affiche du 8-Mars datant de la période 2006-2008 |
1. Il faut commencer par admettre que les Libanais vivent une période surréaliste politique inouïe depuis l'été 2015. Jusqu'alors, le clivage politique au Liban était clair, binaire comme dans la plupart des pays du monde, 14-Mars vs. 8-Mars. Et voilà qu'après le changement de saison, tout s'est embrouillé. Les deux principaux opposants à l'élection de Michel Aoun, Samir Geagea et Saad Hariri, sont devenus des défenseurs de sa candidature, et les deux principaux alliés de Michel Aoun, Hassan Nasrallah et Nabih Berri, des opposants à son arrivée à Baabda. Entre les deux camps, Walid Joumblatt, l'homme au cul entre deux chaises. Il était et l'est toujours, opposé à tout candidat chrétien indépendant, ayant une assise populaire importante et un caractère affirmé, qu'il s'appelle Geagea ou Aoun. Son candidat, Henri Helou, est tout le contraire. En tout cas, je persiste et je signe, c'est le Beik de Moukhtara qui serait à l'origine du changement climatique politique récent au Liban, qui a pris place avec la candidature du Beik de Zgharta. Il voulait faire d'une pierre deux coups, se débarrasse du tandem maronite Geagea-Aoun, et ce n'était pas pour déplaire au tandem chiite, Berri-Nasrallah.
2. Depuis le retrait de Samir Geagea de la course présidentielle au profit de Michel Aoun, le 18 janvier 2016, tout indique sur le terrain et dans la pratique, que la greffe Forces libanaises-Courant Patriotique Libre n'a pas pris. La bataille municipale de Jounieh, entre autres, menée sans concession par un des gendres de Michel Aoun, Chemel Roukoz, qui veut verrouiller la région chrétienne du Kesrouan avant les prochaines élections législatives, l'a magistralement démontré. Certains défenseurs de la tactique saugrenue de Meerab nous ont expliqué que l'adoption de la candidature du Général par Hakim était censée barrer la route à l'élection du Beik grâce au Cheikh. Foutaises. A l'arrivée, Michel Aoun n'a jamais eu autant de chance dans sa vie d'être élu qu'aujourd'hui. D'autres défenseurs zélés ont justifié la tactique par la volonté de coincer le Hezbollah. Grotesque. Comme si on était dans un combat de boxe où il suffisait de marquer des points pour gagner le match. Pire encore, Aoun a réussi la prouesse politique d'obtenir le soutien de Geagea, et maintenant de Hariri, sans rompre son alliance avec Nasrallah, pour des raisons idéologiques et électorales. Plus grave encore, comme il y a de fortes chances qu'il n'y ait pas d'élections législatives sous une nouvelle loi électorale représentative, alors là, on peut le dire et sans l'ombre d'un doute, le grand perdant de toutes ces manœuvres politiques, si Michel Aoun est élu président de la République, est paradoxalement Samir Geagea, celui qui a rendu cette élection possible.
3.
Certes, le discours de Saad Hariri, annonçant l'adoption de
la candidature de Michel Aoun, est un discours responsable dans sa
globalité. Tout comme la conférence de presse de Samir Geagea
tenue au mois de janvier dans le même but. Ces deux personnalités
sont des hommes d'Etat, qui ont su montrer par leur action qu'ils
arrivent à contrôler leur ego et leur ambition, dans l'intérêt
du Liban, ce qui n'est pas le cas de leur candidat et tant d'autres. Toutefois, Samir
Geagea a commis une erreur politique et morale, en adoptant la
candidature de Michel Aoun, et Saad Hariri en a commis deux,
en adoptant successivement celles de Sleimane Frangié et de
Michel Aoun. Ces deux candidats ont violé la Constitution de
la République libanais, en boycottant les séances
parlementaires d'élection. Et ce n'est pas tout. Aux pires moments
de l'histoire contemporaine du Liban, lorsque des personnalités
souverainistes tombaient sur le champ d'honneur les unes après les
autres (de Rafic Hariri à Mohammad Chatah, en passant par Samir
Kassir et Pierre Gemayel), Aoun et Frangié se sont montrés
solidaires des présumés-coupables, le régime syrien de Bachar
el-Assad et le Hezbollah. Cela étant dit, le Courant du
Futur, à la différence des Forces libanaises, sauvera la
mise, d'une part, parce que la base sunnite lui reste massivement
acquise, et d'autre part, la loi électorale actuelle de 1960 (ou une
apparentée), lui permettra tout de même, de se tailler la part du
lion aux prochaines élections législatives.
4.
L'élection de Michel Aoun après 890 jours de boycott de 44 séances parlementaires -eh oui, 890 jours et 44 séances de boycott !- de la part des députés du Courant
patriotique libre et du Hezbollah, est le moins qu'on puisse dire, une
prime à tous ceux que la conscience politique, à tort ou à
raison qu'importe, autorise à bloquer le fonctionnement
démocratique au Liban. Et puisqu'on y est, que voudra le «
serment de fidélité, devant le Parlement, à la Nation
libanaise et à la Constitution » qui sera prêté
par un président comme Michel Aoun, ou même Sleimane
Frangié, avant la prise de ses fonctions, tel qu'il figure dans
l'article 50 de la Constitution libanaise, « Je jure par le Dieu
Tout-Puissant, d'observer la Constitution et les lois du Peuple
libanais », alors qu'en boycottant les séances parlementaires
électorales (les convocations pour élire le président) et en
assistant aux séances parlementaires législatives (les convocations
pour voter des lois), sachant que le poste présidentiel est vacant,
les deux candidats présidentiels du camp du 8-Mars (pro-Hezbollah
et pro-Assad), se sont rendus coupables d'une violation flagrante de la Constitution libanaise et de ses articles 74 et 75, qui
stipulent clairement et sans la moindre ambiguité ou interprétation
fantaisiste, « qu'en cas de vacance de la présidence...
l'Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire
un nouveau Président (...) La Chambre réunie pour élire le
Président de la République constitue un collège électoral et non
une assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans
délai ni débat, à l'élection du Chef de l'Etat » ? Tout serment dans de telles conditions est une
mascarade qui entache l'honneur de la République libanaise.
The Daily Star Juillet 2015 |
6.
Comme tout ce qui se fait sous le soleil n'est que « vanité
et poursuite de vent », comme nous dit la Bible, Michel Aoun est amené un jour,
après une longue vie heureuse, de bons et loyaux services, à nous
quitter afin de comparaitre devant Dieu pour le jugement dernier. Que
Dieu fasse en sorte que ce jour soit le plus lointain possible. En
attendant, on a beau faire des liftings du visage et cacher les
valises sous les yeux, en usant et en abusant de subterfuges
esthétiques, on a l'âge de ses artères et de son ADN. Aoun est
entré dans sa 84e année. S'il est élu, il sera de ce fait, un
des dirigeants les plus âgés du monde. Toutes mes félicitations mon général ! Alors, ce n'est pas pour dire, mais à cet âge, la sagesse des années aurait dû le pousser à être faiseur de roi que roi.
7.
Il est quand même curieux de constater le déchaînement sans
retenue de certaines politiciens et journalistes sur Michel Aoun, et
toutes les précautions d'usage dont ces personnes s'entourent
quand il s'agit d'évoquer les manœuvres politiciennes de Nabih
Berri. Le président de l'Assemblée nationale fait partie des
problèmes du Liban et non des solutions, comme d'autres politiciens
d'ailleurs. Qui ne l'a toujours pas compris, a la mémoire courte.
El-estèz a fermé le Parlement libanais, comme
si c'était beit beiyo, la maison de son père comme on dit,
et a occupé le centre-ville de Beyrouth, avec el-Sayyed et le
Général, du 1er décembre 2006 au 25 mai 2008, soit près d'un
an et demi de législature. Il l'a fait pour diverses raisons
dont une était justement en rapport avec l'élection
présidentielle, celle du 12e président de la République. Il
faudrait ne pas oublier si vite que baï el misé2iyé, le
père du pacte national comme on le surnomme parfois, n'a appelé à
aucune séance électorale après l'expiration du mandat d'Emile
Lahoud en novembre 2007. Il a fallu l'enlisement des milices du
8-Mars dans les rues de Beyrouth le 7 mai 2008, qui a conduit à
l'accord de Doha, pour permettre à Michel Sleimane d'être élu.
Pire encore, toutes les séances législatives qu'il a
organisées depuis le 25 mai 2014, à l'expiration du mandat de
Michel Sleimane, sont anticonstitutionnelles. Alors, mieux vaut garder l'encensoir dans la sacristie.
8. Cela étant dit, Nabih Berri est profondément opposé à l'élection de Michel
Aoun. Il l'a fait savoir urbi et orbi. Et puisqu'un renard comme
lui ne dit son dernier mot qu'avec le dernier souffle et comme ce
vieux rusé semble en pleine forme, il fera tout pour empêcher cette
éventualité. En tout cas, parce qu'il est prêt à battre son
propre record de longévité à la tête du Parlement libanais -since
1992 svp, soit depuis 24 ans- Nabih Berri n'aurait jamais pris le risque ne serait-ce que la moitié d'un quart de seconde, de
s'opposer publiquement à l'élection de Michel Aoun, s'il avait la
certitude que le Général possédait une chance sérieuse d'être
élu. Contrarier celui avec qui on va cohabiter pendant six ans,
manquerait singulièrement d'intelligence. Croire qu'il l'a fait pour
mieux négocier le prix de son approbation durant les dix jours qui
nous séparent de l'élection présidentielle prévue le 31 octobre,
est le moins qu'on puisse dire naïf. Comme le montre la photo ci-jointe, l'accueil glacial qu'il a réservé à Michel Aoun
qui lui a rendu visite, prouve que les deux hommes sont
irréconciliables.
LBC via L'Orient-le-Jour Octobre 2016 |
9.
Bien qu'il ait signé un document d'entente avec Michel Aoun en 2006,
Hassan Nasrallah ne veut pas voir son fidèle allié en pole
position dans la course présidentielle. La preuve ?
El-Sayyed, qui a mis beaucoup de temps avant d'admettre la
candidature de Michel Aoun il y a plus de deux ans, s'ingénie
aujourd'hui pour multiplier les obstacles sur la route de Baabda.
Et dire qu'il exige une entente entre Aoun et Frangié d'une part, et
entre Aoun et Berri d'autre part, sachant pertinemment que cette
double mission est impossible à accomplir. Et pourquoi il fait
cela ? Primo, parce qu'il ne fait pas confiance à son allier.
Secundo, parce que l'élection présidentielle est une carte
importante qu'il ne compte pas jouer, sans y être contraint et
forcé, sauf s'il a la certitude qu'elle renforcera l'hégémonie exercée par le Hezbollah
sur le Liban. Tertio, parce que sa priorité reste l'issue de
la guerre en Syrie. Et tout ce qui est en dehors de ça n'est
que palabres et poudre aux yeux.
10. Il faut admettre en dernier que certains Libanais sont encore moins enclin à accepter la
candidature de Michel Aoun que celle-ci apparaît aujourd'hui comme
le fruit d'une entente entre les principaux leaders des communautés
maronites et sunnites, soucieux de sortir du « blocage-chantage
présidentiel », alors que les principaux leaders des
communautés druzes et chiites, privilégient la piste du
« panier-fourre-tout », l'arrangement à la libanaise,
comme on a toujours fait, comme si de rien n'était et comme si la
présidence de la République libanaise -poste réservé selon le
Pacte national de 1943 à une personne de confession maronite, faisant du Liban le seul pays arabe présidé par un citoyen chrétien- n'avait plus aucune
utilité.
Par conséquent, aussi paradoxale que ça puisse paraître,
Michel Aoun n'a jamais eu autant de chance dans sa vie d'être élu
président de la République libanaise qu'aujourd'hui. Pourtant,
ses chances restent minimes. Et c'est en grande partie de sa
faute. Enfin bref, on n'est pas sorti de l'auberge.