samedi 22 octobre 2016

Michel Aoun, 13e président de la République libanaise ? Rien n'est moins sûr (Art.394)


Soit. Mais, est-ce que la 46e séance parlementaire prévue le 31 octobre, pour élire le 13e président de la République libanaise, sera la bonne ? Conduira-t-elle à l'intronisation de Michel Aoun après ces longues années de lutte ? Sortira-t-elle le Liban de son marasme ? Rien n'est moins sûr. Mais encore, quelques réflexions à chaud après l'adoption par Saad Hariri, le chef du Courant du Futur, de la candidature de l'ancien chef du Courant patriotique libre, actuellement soutenu par Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises, et supposé l'être par Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah.

Affiche du 8-Mars datant de la période 2006-2008 

1. Il faut commencer par admettre que les Libanais vivent une période surréaliste politique inouïe depuis l'été 2015. Jusqu'alors, le clivage politique au Liban était clair, binaire comme dans la plupart des pays du monde, 14-Mars vs. 8-Mars. Et voilà qu'après le changement de saison, tout s'est embrouillé. Les deux principaux opposants à l'élection de Michel Aoun, Samir Geagea et Saad Hariri, sont devenus des défenseurs de sa candidature, et les deux principaux alliés de Michel Aoun, Hassan Nasrallah et Nabih Berri, des opposants à son arrivée à Baabda. Entre les deux camps, Walid Joumblatt, l'homme au cul entre deux chaises. Il était et l'est toujours, opposé à tout candidat chrétien indépendant, ayant une assise populaire importante et un caractère affirmé, qu'il s'appelle Geagea ou Aoun. Son candidat, Henri Helou, est tout le contraire. En tout cas, je persiste et je signe, c'est le Beik de Moukhtara qui serait à l'origine du changement climatique politique récent au Liban, qui a pris place avec la candidature du Beik de Zgharta. Il voulait faire d'une pierre deux coups, se débarrasse du tandem maronite Geagea-Aoun, et ce n'était pas pour déplaire au tandem chiite, Berri-Nasrallah.

2. Depuis le retrait de Samir Geagea de la course présidentielle au profit de Michel Aoun, le 18 janvier 2016, tout indique sur le terrain et dans la pratique, que la greffe Forces libanaises-Courant Patriotique Libre n'a pas pris. La bataille municipale de Jounieh, entre autres, menée sans concession par un des gendres de Michel Aoun, Chemel Roukoz, qui veut verrouiller la région chrétienne du Kesrouan avant les prochaines élections législatives, l'a magistralement démontré. Certains défenseurs de la tactique saugrenue de Meerab nous ont expliqué que l'adoption de la candidature du Général par Hakim était censée barrer la route à l'élection du Beik grâce au Cheikh. Foutaises. A l'arrivée, Michel Aoun n'a jamais eu autant de chance dans sa vie d'être élu qu'aujourd'hui. D'autres défenseurs zélés ont justifié la tactique par la volonté de coincer le Hezbollah. Grotesque. Comme si on était dans un combat de boxe où il suffisait de marquer des points pour gagner le match. Pire encore, Aoun a réussi la prouesse politique d'obtenir le soutien de Geagea, et maintenant de Hariri, sans rompre son alliance avec Nasrallah, pour des raisons idéologiques et électorales. Plus grave encore, comme il y a de fortes chances qu'il n'y ait pas d'élections législatives sous une nouvelle loi électorale représentative, alors là, on peut le dire et sans l'ombre d'un doute, le grand perdant de toutes ces manœuvres politiques, si Michel Aoun est élu président de la République, est paradoxalement Samir Geagea, celui qui a rendu cette élection possible.

3. Certes, le discours de Saad Hariri, annonçant l'adoption de la candidature de Michel Aoun, est un discours responsable dans sa globalité. Tout comme la conférence de presse de Samir Geagea tenue au mois de janvier dans le même but. Ces deux personnalités sont des hommes d'Etat, qui ont su montrer par leur action qu'ils arrivent à contrôler leur ego et leur ambition, dans l'intérêt du Liban, ce qui n'est pas le cas de leur candidat et tant d'autres. Toutefois, Samir Geagea a commis une erreur politique et morale, en adoptant la candidature de Michel Aoun, et Saad Hariri en a commis deux, en adoptant successivement celles de Sleimane Frangié et de Michel Aoun. Ces deux candidats ont violé la Constitution de la République libanais, en boycottant les séances parlementaires d'élection. Et ce n'est pas tout. Aux pires moments de l'histoire contemporaine du Liban, lorsque des personnalités souverainistes tombaient sur le champ d'honneur les unes après les autres (de Rafic Hariri à Mohammad Chatah, en passant par Samir Kassir et Pierre Gemayel), Aoun et Frangié se sont montrés solidaires des présumés-coupables, le régime syrien de Bachar el-Assad et le Hezbollah. Cela étant dit, le Courant du Futur, à la différence des Forces libanaises, sauvera la mise, d'une part, parce que la base sunnite lui reste massivement acquise, et d'autre part, la loi électorale actuelle de 1960 (ou une apparentée), lui permettra tout de même, de se tailler la part du lion aux prochaines élections législatives.

4. L'élection de Michel Aoun après 890 jours de boycott de 44 séances parlementaires -eh oui, 890 jours et 44 séances de boycott !- de la part des députés du Courant patriotique libre et du Hezbollah, est le moins qu'on puisse dire, une prime à tous ceux que la conscience politique, à tort ou à raison qu'importe, autorise à bloquer le fonctionnement démocratique au Liban. Et puisqu'on y est, que voudra le « serment de fidélité, devant le Parlement, à la Nation libanaise et à la Constitution » qui sera prêté par un président comme Michel Aoun, ou même Sleimane Frangié, avant la prise de ses fonctions, tel qu'il figure dans l'article 50 de la Constitution libanaise, « Je jure par le Dieu Tout-Puissant, d'observer la Constitution et les lois du Peuple libanais », alors qu'en boycottant les séances parlementaires électorales (les convocations pour élire le président) et en assistant aux séances parlementaires législatives (les convocations pour voter des lois), sachant que le poste présidentiel est vacant, les deux candidats présidentiels du camp du 8-Mars (pro-Hezbollah et pro-Assad), se sont rendus coupables d'une violation flagrante de la Constitution libanaise et de ses articles 74 et 75, qui stipulent clairement et sans la moindre ambiguité ou interprétation fantaisiste, « qu'en cas de vacance de la présidence... l'Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau Président (...) La Chambre réunie pour élire le Président de la République constitue un collège électoral et non une assemblée délibérante. Elle doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à l'élection du Chef de l'Etat » ? Tout serment dans de telles conditions est une mascarade qui entache l'honneur de la République libanaise.

The Daily Star
Juillet 2015
5. Law badda tchaté ghaïyamitt. Michel Aoun a réussi un tour de passe-passe extraordinaire, celui de faire oublier aux Libanais qu'il est installé dans leur paysage militaro-politique depuis 1984. Eh oui, il a été respectivement, 6 ans commandant en chef de l'armée libanaise, 2 ans Premier ministre et multi-ministre, 14 ans opposant politique exilé et libre, 11 ans député et chef du plus grand bloc parlementaire chrétien, 11 ans au gouvernement et en opposition, et 10 ans allié du Hezbollah et des régimes syro-iraniens. Ainsi, il cumule 54 ans de fonctions et de positionnements au plus haut sommet du pouvoir et de toutes les influences au Liban. Alors, ya cha3eb lebnan el 3azim, mes chers compatriotes, comme on dit en Orient, s'il devait pleuvoir, le ciel se serait couvert de nuages il y a belle lurette ! Sans remonter à l'époque de Mathusalem, qu'ont fait Aoun et consorts, pour éviter au Liban le fardeau de deux millions de réfugiés syriens (alors qu'ils contrôlaient 1/3 du Conseil des ministres et 1/5 du Parlement libanais) ou pour ramener l'eau et l'électricité 24h/24 dans les foyers libanais comme ils l'ont promis (alors que le ministère de l'Energie et de l'Eau est entre les mains de leur bloc parlementaire depuis plus de huit ans) ? Rien, absolument rien d'efficace.

6. Comme tout ce qui se fait sous le soleil n'est que « vanité et poursuite de vent », comme nous dit la Bible, Michel Aoun est amené un jour, après une longue vie heureuse, de bons et loyaux services, à nous quitter afin de comparaitre devant Dieu pour le jugement dernier. Que Dieu fasse en sorte que ce jour soit le plus lointain possible. En attendant, on a beau faire des liftings du visage et cacher les valises sous les yeux, en usant et en abusant de subterfuges esthétiques, on a l'âge de ses artères et de son ADN. Aoun est entré dans sa 84e année. S'il est élu, il sera de ce fait, un des dirigeants les plus âgés du monde. Toutes mes félicitations mon général ! Alors, ce n'est pas pour dire, mais à cet âge, la sagesse des années aurait dû le pousser à être faiseur de roi que roi.

7. Il est quand même curieux de constater le déchaînement sans retenue de certaines politiciens et journalistes sur Michel Aoun, et toutes les précautions d'usage dont ces personnes s'entourent quand il s'agit d'évoquer les manœuvres politiciennes de Nabih Berri. Le président de l'Assemblée nationale fait partie des problèmes du Liban et non des solutions, comme d'autres politiciens d'ailleurs. Qui ne l'a toujours pas compris, a la mémoire courte. El-estèz a fermé le Parlement libanais, comme si c'était beit beiyo, la maison de son père comme on dit, et a occupé le centre-ville de Beyrouth, avec el-Sayyed et le Général, du 1er décembre 2006 au 25 mai 2008, soit près d'un an et demi de législature. Il l'a fait pour diverses raisons dont une était justement en rapport avec l'élection présidentielle, celle du 12e président de la République. Il faudrait ne pas oublier si vite que baï el misé2iyé, le père du pacte national comme on le surnomme parfois, n'a appelé à aucune séance électorale après l'expiration du mandat d'Emile Lahoud en novembre 2007. Il a fallu l'enlisement des milices du 8-Mars dans les rues de Beyrouth le 7 mai 2008, qui a conduit à l'accord de Doha, pour permettre à Michel Sleimane d'être élu. Pire encore, toutes les séances législatives qu'il a organisées depuis le 25 mai 2014, à l'expiration du mandat de Michel Sleimane, sont anticonstitutionnelles. Alors, mieux vaut garder l'encensoir dans la sacristie.
LBC via L'Orient-le-Jour
Octobre 2016
8. Cela étant dit, Nabih Berri est profondément opposé à l'élection de Michel Aoun. Il l'a fait savoir urbi et orbi. Et puisqu'un renard comme lui ne dit son dernier mot qu'avec le dernier souffle et comme ce vieux rusé semble en pleine forme, il fera tout pour empêcher cette éventualité. En tout cas, parce qu'il est prêt à battre son propre record de longévité à la tête du Parlement libanais -since 1992 svp, soit depuis 24 ans- Nabih Berri n'aurait jamais pris le risque ne serait-ce que la moitié d'un quart de seconde, de s'opposer publiquement à l'élection de Michel Aoun, s'il avait la certitude que le Général possédait une chance sérieuse d'être élu. Contrarier celui avec qui on va cohabiter pendant six ans, manquerait singulièrement d'intelligence. Croire qu'il l'a fait pour mieux négocier le prix de son approbation durant les dix jours qui nous séparent de l'élection présidentielle prévue le 31 octobre, est le moins qu'on puisse dire naïf. Comme le montre la photo ci-jointe, l'accueil glacial qu'il a réservé à Michel Aoun qui lui a rendu visite, prouve que les deux hommes sont irréconciliables.

9. Bien qu'il ait signé un document d'entente avec Michel Aoun en 2006, Hassan Nasrallah ne veut pas voir son fidèle allié en pole position dans la course présidentielle. La preuve ? El-Sayyed, qui a mis beaucoup de temps avant d'admettre la candidature de Michel Aoun il y a plus de deux ans, s'ingénie aujourd'hui pour multiplier les obstacles sur la route de Baabda. Et dire qu'il exige une entente entre Aoun et Frangié d'une part, et entre Aoun et Berri d'autre part, sachant pertinemment que cette double mission est impossible à accomplir. Et pourquoi il fait cela ? Primo, parce qu'il ne fait pas confiance à son allier. Secundo, parce que l'élection présidentielle est une carte importante qu'il ne compte pas jouer, sans y être contraint et forcé, sauf s'il a la certitude qu'elle renforcera l'hégémonie exercée par le Hezbollah sur le Liban. Tertio, parce que sa priorité reste l'issue de la guerre en Syrie. Et tout ce qui est en dehors de ça n'est que palabres et poudre aux yeux.

10. Il faut admettre en dernier que certains Libanais sont encore moins enclin à accepter la candidature de Michel Aoun que celle-ci apparaît aujourd'hui comme le fruit d'une entente entre les principaux leaders des communautés maronites et sunnites, soucieux de sortir du « blocage-chantage présidentiel », alors que les principaux leaders des communautés druzes et chiites, privilégient la piste du « panier-fourre-tout », l'arrangement à la libanaise, comme on a toujours fait, comme si de rien n'était et comme si la présidence de la République libanaise -poste réservé selon le Pacte national de 1943 à une personne de confession maronite, faisant du Liban le seul pays arabe présidé par un citoyen chrétien- n'avait plus aucune utilité.

Par conséquent, aussi paradoxale que ça puisse paraître, Michel Aoun n'a jamais eu autant de chance dans sa vie d'être élu président de la République libanaise qu'aujourd'hui. Pourtant, ses chances restent minimes. Et c'est en grande partie de sa faute. Enfin bref, on n'est pas sorti de l'auberge.