jeudi 15 novembre 2018

Les réconciliations interchrétiennes: Geagea-Frangié vs. Aoun-Geagea (Art.576)


Ce qui est fascinant dans un événement de la vie personnelle ou politique, c'est son effet papillon. Le battement des ailes d'un papillon à Paris, peut déclencher un ouragan à Washington. Quelques mots peuvent avoir les mêmes effets d'ailleurs. Toute similitude avec une situation existante ou ayant existé n'est surement pas fortuite et nécessite un article à part. J'y reviendrai. En attendant, vous l'avez déjà constaté surement, il suffit parfois de changer un paramètre d'un événement, pour réécrire la fin de toute l'histoire.


Flashback. Beyrouth, aéroport Rafic Hariri, le 26 juillet 2005. Si Samir Geagea avait pris le téléphone portable qu'on lui avait tendu pour répondre au coup de fil de Sleimane Frangié, avant de monter dans l'avion qui l'emmenait à Paris pour effectuer des examens médicaux, la réconciliation bein el hakim wil beik aurait eu lieu il y a plus de 13 ans. C'est une certitude. Le positionnement politique de l'un et de l'autre n'aurait pas changé, c'est clair aussi. Jusqu'ici, fastoche.

Si la mousala7a hakim-beik avait eu lieu en 2005, tout se serait probablement passé de la même manière par la suite, à l'exception d'un point, un seul et c'est beaucoup pour certains. L'accord de Meerab conclu en 2016, entre Samir Geagea et Michel Aoun, n'aurait probablement pas vu le jour. Disons qu'il serait au moins différent.

Lorsqu'on a commencé à entendre parler du soutien de Saad Hariri à la candidature de Frangié à l'automne 2015, beaucoup de partisans du 14-Mars en général et du parti des Forces libanaises en particulier, ont vécu l'épisode comme un drame et une trahison, et ont bizarrement conseillé à Geagea d'annoncer sur le champ son désistement au profit d'Aoun, afin de barrer la route de Baabda à ce candidat pro-Hezbollah et pro-Assad. Le délire! Comme si ce dernier était anti-Hezb et anti-régime, enfin, comme s'il n'avait pas signé un document d'entente avec le premier et comme s'il n'était pas en très bon terme avec le second ! On croyaient d'abord se limiter aux manœuvres politiciennes pour faire tomber les deux. Que dalle. On a cru ensuite que l'habit présidentiel ferait vraiment du général le président du « Changement et de la réforme », l'étendard de son bloc parlementaire. Erreur sur toute la ligne.

Le soutien de hakim au général, annoncé en grande pompe au début de l'année 2016, était en partie motivé par le soutien du cheikh à la candidature du beik, avec qui il avait un contentieux politique et personnel non soldé. Si Geagea et Frangié étaient en paix de l'automne 2005 à l'automne 2015, nous aurions connu moins de brouilles politiques entre Hariri et Geagea, les négociations de ce dernier avec Aoun n'auraient probablement pas inclus le volet présidentiel, justement pour ne pas se brouiller avec Frangié, l'autre présidentiable, ce qui aurait poussé Aoun à rejeter tout accord avec Geagea. Ainsi, les négociations entre Meerab et Rabieh n'auraient pas débouché sur un accord politique.

Oh, nous aurions certainement assisté à une réconciliation bein el hakim wil général, comme celle que nous avons connu hier. Mais celle-ci n'aurait pas inclus un accord politique global, sur le soutien de Samir Geagea à Michel Aoun dans sa course présidentielle, et un volet secret, portant sur le partage du pouvoir entre le CPL et les FL. Au mieux, les deux hommes se seraient limités à ce dernier point.


Reste à savoir, si la réconciliation Geagea-Frangié avait précédé celle de Aoun-Geagea, est-ce que Frangié aurait eu plus de chance d'être élu président de la République? A mon avis, non. D'ailleurs rappelez-vous, à l'annonce de sa candidature fin 2015, le Hezbollah buvait du petit lait, en se cachant derrière son doigt, prétextant qu'il ne pouvait pas choisir entre ses deux alliés. En réalité, il ne voulait ni l'un ni l'autre. Il leur préférait Fantômas à l'époque. Aoun pouvait être élu début janvier 2016. Il ne l'a été que fin octobre 2016. Plus de neuf mois de gestation pour que le Courant du Futur, et surtout le Hezbollah, le voient comme président de la République, quand le vent régional venant de Damas rendait cette élection bénéfique pour le parti-milicien chiite.

La réconciliation entre Samir Geagea et Sleimane Frangié est une bonne nouvelle. Elle referme une blessure de guerre vieille de 40 ans. Elle a comme effet indésirable de compliquer la route de Baabda à beaucoup de prétendants, Gebrane Bassil en tête, qui y pense pas seulement devant son miroir en se rasant le matin. Entre Sleimane Frangié et Gebrane Bassil, le Hezb n'hésitera pas, il choisira le premier au second, qui enchaine les bourdes. Entre Sleimane Frangié et Chamel Roukouz, là ça se complique. Frangié est en pole position. Roukoz fait du zèle pour augmenter ses chances. Il ne sait plus quoi dire pour se faire adopter par le maitre de Dahiyé. Ce chrétien maronite ne rate plus une Aachoura et s'ingénie d'année en année pour expliquer la portée universelle de la bataille de Kerbala. Mais bon, il y a le poids du bloc parlementaire qui va peser dans la balance. Le Hezb ne peut pas se permettre de s'aliéner le Courant patriotique libre. Frangié est un poids plume, Roukoz est un poids lourd, à condition que les deux gendres s'entendent. A défaut, Frangié deviendra le candidat providentiel pour succéder à Aoun. Et Geagea dans tout cela? Ahhh c'est beaucoup plus compliqué pour lui. Mais bon, au Liban, mieux vaut être faiseur de roi que roi. La preuve? Aoun le président fort! On rigole dans les chaumières.


Toujours est-il que la réconciliation Geagea-Frangié est une vraie réconciliation, parce qu'elle est personnelle et non politique. Elle a des chances de perdurer (je ne dirai ni bonnes ni toutes les chances!), parce qu'elle est sincère et non intéressée. Les deux leaders sont des hommes de parole et des personnes reconnaissantes. La réconciliation Aoun-Geagea, avec Bassil caché dans le placard, était une fausse réconciliation, une fake, parce qu'elle était politique et non personnelle. Elle a échoué justement parce qu'elle n'était pas authentique, les trois hommes étaient intéressés et motivés principalement par le partage du pouvoir.

Enfin, terminons sur une réflexion tragi-comique.
المصالحة المسيحية، بيّ الكل، أوعا خيّك، ورقة التفاهم، الفتنة السنية الشيعية، التعايش الاسلامي المسيحي، الوحدة الوطنية، إلخ وإلى آخره
La réconciliation interchrétienne, le père de tous, attention à ton frère, le document d'entente, la discorde entre les sunnites et les chiites, la cohabitation islamo-chrétienne, l'union nationale, etcetera, etc. Wlak, si avec tout ça, ils n'arrivent ni à choisir un président dans les temps, ni à élire des députés dans les temps, ni à former un gouvernement dans les temps, ni même à proposer ne serait qu'une esquisse d'ébauche de procédure draconienne à ces trois problèmes récurrents, enno, qu'est-ce qu'il leur faut de plus ? A moins que tout cela ne soit que
كذبة كبيرة، تبويس لحي وضحك عل الدقون
gros mensonge, embrassade et tromperie ! 

lundi 5 novembre 2018

Elisez-moi président de la République et je donnerai au Liban un gouvernement en 180 secondes! Les réformes constitutionnelles d'urgence pour faire fonctionner l'Etat libanais (Art.572)


Si on est capable de présenter une thèse en 180 secondes, on est alors en mesure de former un gouvernement en moins de 3 minutes top chrono. Enfin, avant de finir la lecture de cet article. Même au Liban! Avec un minimum de bonne volonté, bien entendu. Il ne s'agit pas dans ce défi politique de dresser une liste de personnalités ministrables, forcément subjective, sans tenir compte de la réalité politique, parlementaire, communautaire, sectaire, clanique et milicienne du Liban.


Qui observe l'échiquier libanais avec un peu de recul est frappé par deux constats. D'une part, par ce contraste saisissant entre l'image théorique que chaque protagoniste donne de lui-même et l'impression réelle qui laisse beaucoup à désirer. D'autre part, par cette immaturité politique désespérante. Un bon leader est un manager qui sait garder le cap en pleine tempête, mais c'est aussi quelqu'un qui sait mettre en route une solution adaptée à la problématique posée. Au Liban, nous n'avons rien de tout ça.

*

Cela fait six mois que les élections législatives ont eu lieu et qu'on essaie désespérément de former un nouveau gouvernement. En vain. On a entendu parler de toutes sortes de caprices, de nœuds et de blocages. Toujours rien. Mettons de côté nos penchants politiques et les jugements partisans. Il est normal que chaque parti politique libanais essaie d'obtenir la plus grande part du gâteau gouvernemental, Courant patriotique libre en tête. Il est tout aussi normal que chaque leader politique libanais tente de s'accaparer tel ou tel ministère, régalien ou de service, Nasrallah, Bassil et Hariri en tête. Mais il n'est absolument pas normal que ce marchandage pour la formation du nouveau gouvernement au Liban, auquel tout le monde participe et en rêve, Geagea, Joumblatt et Berri en tête, s'éternise.

Et comment croyez-vous que tout cela va se terminer? Pardon, par un meilleur encadrement législatif ou constitutionnel de la formation des prochains nouveaux gouvernements? Foutaises. Hélas au grand hélas, ça va se terminer par une prime politique aux plus actifs des bloqueurs, le Hezbollah et le Courant patriotique libre. Et qui donnera cette prime svp? Ceux qui dénoncent à longueur des mois, le blocage, le Courant du Futur, le Parti socialiste, le parti des Forces libanaises, et j'en passe et des meilleurs.

Passons maintenant à un autre problème récurrent majeur qui pourrit la vie démocratique libanaise, la prorogation du mandat du président de la République (Hraoui en 1995 et Lahoud en 2004) et la vacance du pouvoir présidentiel pour des raisons politiciennes (1952, 1988-1990, 2007-2008 et 2014-2016). La dernière fois, celle-ci a duré 29 mois, le record. Eh oui, près de deux ans et demi de boycott de 44 séances électorales au Parlement svp. Là aussi, les boycotteurs étaient non seulement connus, mais fiers de l'être. Et comment tout cela s'est terminé? Pardon, par un meilleur encadrement législatif ou constitutionnel de l'élection présidentielle? Foutaises. Hélas au grand hélas, ça s'est terminé par une prime politique aux bloqueurs, le Hezbollah et le Courant patriotique libre. Et qui a donné cette prime svp? Là aussi, ce sont ceux qui ont dénoncé le blocage à longueur d'années, principalement, Samir Geagea et Saad Hariri.

Et encore, c'est sans parler de ce fait, ignoré par la classe politique et médiatique ou pris pour un détail insignifiant de l'histoire, nous sommes à la 4e élection d'un militaire comme président de la République, la 3e successive : Emile Lahoud (1998-2004), Michel Sleimane (2008-2014) et Michel Aoun (2016-2022). Pour ceux qui étaient en orbite autour de Mars, les trous entre ces trois mandats sont dus à la vacance du pouvoir à Baabda et à rien d'autre. En tout et pour tout, 30 ans de « règne militaire », soit plus du tiers de la vie de la jeune République libanaise.

Et encore, le général Fouad Chehab qui fait partie du lot, est un homme à part. Sauf votre respect, il n'a absolument rien à voir avec les trois autres généraux. La vacance du pouvoir avec lui, en 1952, n'a duré que 5 jours. Sous Michel Aoun, en 1988-1990, elle a duré de facto, plus de deux ans. Et encore et encore, si le Liban a de quoi le faire passer aujourd'hui en 2018 pour un pays en voie de développement, sur le plan des infrastructures, comme au niveau des institutions et des administrations, les Libanais le doivent en partie à ce grand homme d'Etat, qui a réussi à sortir le Liban de la guerre et du sous-développement durant son mandat (1958-1964).

Dans ce sillage, on ne peut pas ne pas évoquer le problème démocratique récurrent des autoprorogations parlementaires. Les députés élus en 2009, ont régné jusqu'en 2018. Pour un mandat de 4 ans « acheté », ils ont eu droit à un mandat de 4 ans « offert », avec un bonus supplémentaire de 1 an. Au total, les 128 ont siégé 9 ans, payés gracieusement par les impôts des Libanais et la dette publique, soit au total plus de 800 000 dollars par député, pour un rendement législatif des plus médiocres au monde. Seule Bahia Hariri a eu la décence de rendre cet argent, enfin, de l'offrir à une association. On a prétendu que la situation sécuritaire à l'époque ne permettait pas d'organiser le scrutin comme prévu par la Constitution en 2013. Le recul permet de dire d'une manière incontestable que c'était bidon. Ce sont des raisons politiciennes qui ont motivé les protagonistes, notamment l'évolution de la guerre en Syrie.

*

Récapitulons. La vie démocratique au Liban souffre depuis longtemps de trois tares majeures:

. Primo, l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif, en temps de paix (2009-2018) comme en temps de guerre (1972-1992).

. Secundo, la vacance du pouvoir présidentiel, à défaut de l'élection d'un président de la République dans les temps (imposée par la Constitution) pour la seconde fois consécutive depuis la seconde indépendance de 2005 (en 2007, comme en 2014) ; avec une particularité néfaste pour une démocratie saine, l'impossibilité d'élire un président de République issu de la « société civile », depuis 20 ans (il y a une génération de Libanais qui n'a connu que des présidents militaires!).

. Tertio, l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif, à chaque constitution d'un nouveau gouvernement, une constante qui s'aggrave depuis la première indépendance de 1943 ; avec une hérésie contemporaine, la part de ministres réservée au président de la République.

Là encore, mettons de côté nos différends politiques. Personne ne peut renier ces trois constats ou se réjouir de cet état de fait, particulièrement néfaste pour le bon fonctionnement de l'Etat libanais et de la vie démocratique au Liban. Et pourtant, aucun leader d'aucun parti politique libanais ne propose une esquisse d'ébauche de procédure draconienne à ces trois problèmes récurrents. Ni Aoun, ni Hariri, ni Berri, ni Geagea, ni Bassil, ni Gemayel, ni Mikati, ni Joumblatt, ni Nasrallah, aucun c'est personne. Et vous savez pourquoi? Parce que tout le monde veut garder cette possibilité de profiter des failles du système démocratique libanais à son avantage quand les conditions politiques deviennent défavorables! Hélas, c'est la triste réalité.

Et le pire dans notre malheur c'est que le quatrième pouvoir au Liban, la presse et les médias, ne joue absolument pas son rôle de contre-pouvoir et de pression, pour obliger les dirigeants libanais à proposer des remèdes. Pas plus que la société civile. Exemple flagrant, « la rebelle » à la double casquette, Paula Yacoubian, reine des palabres le jour et belle au bois dormant la nuit. Politiciens, journalistes et activistes, sont omniprésents quand il s'agit de proses et d'envolées lyriques, mais aux abonnés absents pour ce qui est d'identifier les problèmes, d'élaborer des solutions et d'en faire des leitmotivs, jusqu'à la concrétisation. Mais enfin, on n'enfonce pas un clou, du premier coup!

Pour redonner vie à notre démocratie moribonde, je vois trois « mesures draconiennes » à introduire dans notre Constitution, un terme qui fait référence à Dracon, un législateur grec du 7e siècle avant JC, célèbre pour ses lois rigoureuses.

. Primo, l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif (parlement) doit être totalement interdite, sauf si le Liban est officiellement en état d'urgence ou dans un état de guerre. Afin de bien dissuader les vaillants représentants de la nation de passer à l'acte, toute autoprorogation du mandat parlementaire ne doit plus être rémunérée. C'est la seule garantie pour le peuple libanais de s'assurer que l'autoprorogation exceptionnelle sera la plus courte possible. Et qui, des politicards libanais, homme ou femme, est mécontent, il faudra lui signifier légalement que le placard est spacieux et il est grand ouvert!

. Secundo, pour la vacance du pouvoir présidentiel (présidence), nous devons imposer aux députés le principe du conclave présidentiel. On peut penser à d'autres solutions aussi, mais l'idée d'enfermer les députés libanais dans le Parlement place de l'Etoile (comme les cardinaux dans la chapelle Sixtine au Vatican), pour leur rappeler qu'élire un président est une obligation et non une option (comme le précise clairement la Constitution), indépendamment du bon vouloir et des caprices du président du Parlement (jusqu'à l'élection du président de la République), est non seulement efficace, mais jouissif de surcroit.

Là aussi, afin de rendre la vacance impossible ou la plus courte possible, les députés libanais ne doivent plus être rémunérés tant que durera la vacance présidentielle, ce qui est on ne peut plus normal, puisque toute vacance signifie qu'ils n'ont pas fait leur boulot! Je serai partisan d'introduire une amende par jour de vacance présidentielle, justifiée par le fait que le contrat entre les députés fautifs et le peuple libanais n'a pas été honoré complètement.

. Tertio, pour éviter désormais l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif (gouvernement), nous devons instaurer plusieurs procédés pour y remédier:
- interdire le cumul de mandat ; on ne doit plus avoir la possibilité d'être à la fois député et ministre ; en dehors du conflit d'intérêt, ce cumul est une arnaque démocratique car on ne peut pas être juge et parti, assumant ces deux fonctions convenablement ;
- institutionnaliser la norme 1 ministre pour 5 députés, avec un gouvernement de 25 ministres tout au plus ; les députés indépendants devront donc se réunir pour obtenir un ministre de leur choix ;
- tirer l'hérésie de la part du président au clair ; un président issu d'un parti politique ne doit pas avoir une part ministérielle, celle-ci se confond avec celle de son parti ; dans le cas de Michel Aoun c'est flagrant, personne n'est aussi politisé que l'actuel président de la République, « Chamel c'est moi et moi c'est Chamel » et le soutien indéfectible au Hezbollah prouvent à quel point Michel Aoun épouse les positions du CPL ;
- pour ce qui est de l'attribution des ministères, le cœur du problème, la solution est d'une simplicité déconcertante,  elle se fait par tirage au sort ; du coup, ce casse-tête deviendra une procédure simplifiée, indépendante des répugnantes tractations communautaires et de l'appropriation abjecte de certains ministères (les Finances pour le Futur ou Amal ; les Affaires étrangères pour Amal ou le CPL ; l'Energie pour le CPL et ses alliés ; etc.).

*

Il faut se rendre à l'évidence, l'Etat libanais a un grave problème de fonctionnement. On ne peut pas s'offrir le luxe de proroger le mandat des parlementaires de cinq ans à chaque élection législative (tous les quatre ans). Non mais, on ne peut plus s'offrir le luxe d'avoir une vacance de la présidence de la République de deux ans et demi à chaque élection présidentielle (tous les six ans). Mais enfin, on ne peut pas non plus s'offrir le luxe de s'enliser six mois dans la formation d'un nouveau gouvernement (tous les deux ou trois ans).

La situation est surréaliste. Le Liban ne peut plus se le permettre, les Libanais ne doivent plus le permettre. La classe politique libanaise est défaillante. Aucun parti politique libanais ne propose quoi que ce soit pour éviter l'implosion politique du pays. Je ne parle même pas de l'implosion écologique ou économique. Les médias libanais ne font pas mieux. On s'en fout royalement de la dernière prose stérile du journaliste Marcel Ghanem et de toutes ces interminables introductions hypnotisantes des journaux télévisés, une spécialité orientale, qui n'a pas sa place dans les médias occidentaux! Ce qu'on demande aux Dima Sadek et à ses collègues, c'est de laisser la prose aux écrivains et la poésie aux poètes, afin de penser moins aux apparences et plus aux questions à poser, à chaque invité et à chaque émission politique : « qu'est-ce que vous comptez faire pour éviter une prochaine prorogation du mandant du Parlement, une prochaine vacance présidentielle et un prochain enlisement dans la formation du gouvernement? »

Il va de soi, qu'en introduisant de telles réformes, nous ne serons pas au bout de nos peines. Mais cela signifie que tous les Libanais s'entendent sur un minimum de choses, des valeurs démocratiques et les règles du jeu politique. Comment peut-on espérer avancer et sortir de la logique de la ferme et des tribus, avec autant d'aberrations politiques qui affectent les pouvoirs présidentiel, législatif et exécutif, et nuisent gravement au fonctionnement de l'Etat libanais? On ne pourra pas, faut pas rêver. La preuve, la situation ne fait qu'empirer.

Les avantages de ces réformes sont multiples :
- résoudre efficacement ces problèmes récurrents, une fois pour toutes! ;
- les résoudre d'une manière équitable, pour tous les protagonistes ;
- les résoudre loin des utopies, comme l'abolition du confessionnalisme ou la panacée de la gouvernance par les technocrates ou la société civile ;
- les résoudre sans passer par les croyances politiques naïves du moment des uns et des autres, toujours croire à ce « facteur externe » qui transformera la carcasse libanaise en une Rolls Royce : l'entrée en vigueur aujourd'hui même des nouvelles sanctions américaines contre l'Iran ; les élections de mi-mandat aux Etats-Unis ; les manigances de l'imposteur de la Turquie contre MBS ; l'exploitation de l'affaire Khashoggi contre l'Arabie saoudite ; la prolongation de l'espérance de vie du tyran de Damas ; les nouveaux mandats d'arrêt internationaux émis il y a quelques jours par la France contre trois hauts responsables de la sécurité et des renseignements de Syrie (dont Ali Mamelouk, l'homme qui voulait en 2012 replonger le Liban dans la guerre civile et communautaire sur ordre de Bachar el-Assad et via Michel Samaha) pour « complicité d’actes de tortures, complicité de disparitions forcées, complicité de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de délits de guerre » ; et j'en passe et des meilleures.

Pas de temps à perdre, politiques, journalistes et activistes doivent harceler les dirigeants libanais avec les mêmes questions, jusqu'à l'obtention de solutions satisfaisantes. Au niveau électrique comme au niveau politique. A défaut, il faut cesser de râler, accepter l'état de fait et attendre sereinement la banqueroute générale.  

mardi 25 septembre 2018

« Terroriste » pour les uns, « martyr » pour les autres : Moustapha Badreddine et les deux Liban irréconciliables. Tribunal Spécial pour le Liban, trilogie 1/3 (Art.560)


Rue du martyr Moustapha Badreddine dans la banlieue sud de Beyrouth : comment en est-on arrivé là ?



 1  Tribunal Spécial pour le Liban : une trilogie s'impose


Vu l'effervescence populaire en cette journée du 14 mars 2005, il était évident pour tous que nous commencions l'écriture d'un nouveau chapitre de l'histoire du Liban. Le Hezbollah et ses alliés avaient remercié la Syrie des Assad place Riyad el-Solh le 8 mars, nous venons de montrer la porte à la tyrannie des Assad. Et pourtant, personne du million de Libanais présents ce jour-là place des Martyrs, n'avait imaginé le retrait des troupes d'occupation syriennes six semaines plus tard et la condamnation des auteurs libanais de l'attaque terroriste du 14 février 2005 treize ans après leur crime. Enfin, c'est en cours.

Etant donné le caractère exceptionnel du Tribunal Spécial pour le Liban et de mon goût pour les trilogies, cet article sera le premier d'une série de trois que je consacrerai à ce sujet. Il évoquera l'attribution du nom de Moustapha Badreddine à une rue de la localité de Ghobeiri située dans la banlieue sud de Beyrouth. Le second article abordera les passionnantes plaidoiries qui accablent les cinq membres du Hezbollah. Dans le troisième article, nous tenterons de noircir la page blanche du nouveau chapitre de notre histoire, le Liban après le verdict. En parallèle, je serai amené à rédiger au moins une note en sus sur un détail concernant une décision du TSL prise après l'annonce de la mort de Moustapha Badreddine le 13 mai 2016, où le diable s'est caché.


 2  Si Badreddine était cinéphile, il aurait pu s'assurer une fin de vie plus sereine dans sa tombe


Et il serait encore respectable aujourd'hui. Au pire, la plaque à son nom ne susciterait que l'indifférence, pas le dégoût. Deux films auraient pu le sauver du filet du Tribunal Spécial pour le Liban, pour lui assurer une fin de vie plus sereine dans sa tombe et une réputation moins souillée pour l'éternité.

En effet, si dans la matinée du 14 février 2005, celui qui fait partie des premières recrues de la milice chiite libanaise avait décidé de visionner « Le crime était presque parfait », le film d'Alfred Hitchcock (1954), il aurait compris justement qu'aucun meurtre ne peut l'être et qu'il ferait mieux de renoncer à prendre en charge l'organisation de cet attentat terroriste qui a secoué Beyrouth ce jour-là, peu de temps après midi.

Et si dans la soirée du 14 février 2005, celui qui est devenu un haut responsable du Hezbollah avait décidé de visionner « Heat », le film de Michael Mann (1995), il aurait compris que la suite sera chaude pour lui aussi. La scène fait partie des moments d'anthologie du 7e art. C'était la première fois de l'histoire que ces deux monstres sacrés du cinéma se trouvaient face à face dans un film. Après l'avoir écouté parler de sa vie, présentée comme un désastre, Robert De Niro, le bad boy, fixe du regard Al Pacino, le good guy, et lui balance sur un ton sarcastique : « Un gars m'a dit une fois, ne t'attache pas à quoi que ce soit que tu n'es pas prêt à quitter en trente secondes, si tu sens le feu au coin de la rue. »

Alors que le feu couvait encore sous la cendre au milieu de ce qui restait de la chaussée devant le Saint-Georges, peu de temps après minuit, Moustapha Badreddine commet l'erreur fatale d'envoyer un SMS à sa dulcinée : « Si tu savais où j'étais, alors tu serais très attristée ». Il venait non seulement de faire l'aveu de sa culpabilité dans l'assassinat de Rafic Hariri, mais en plus, de mettre Wissam Eid, un officier des services de renseignement des Forces de sécurité interne, cha3bit el-ma3loumett, sur sa piste. C'est à 2h31 du matin précises que la traque des assassins de l'ancien Premier ministre libanais et de 21 autres personnes avaient réellement commencé. Elle conduira rapidement à l'identification d'une cellule terroriste composée de cinq membres du Hezbollah, dirigée par Moustapha Badreddine. Wissam Eid sera assassiné le 25 janvier 2008, dans l'espoir d'arrêter l'enquête criminelle. En vain.

 3  Qui est au juste Moustapha Badreddine, alias Elias Fouad Saab ?


Il est connu sous divers pseudonymes, notamment Sami Issa et Elias Fouad Saab. Son nom et son parcours sont indissociables de ceux d'Imad Moughniyeh. Les deux hommes sont considérés comme de grandes figures du Hezbollah. Ils ont participé à la création de la milice chiite en 1982. Ils ont pris part à la guerre civile interchiite contre le mouvement Amal entre 1988 et 1990. Ils occupaient les plus hautes fonctions sécuritaires au sein du parti-milicien au moment des faits en 2005. Ceux qui sont cousins et beau-frères, étaient alors âgés respectivement de 44 et 43 ans.

On les soupçonne, ensemble ou séparément, d'être impliqués dans les principales actions terroristes du Hezbollah. A ce propos, c'est bel et bien le trio Nasrallah-Badreddine-Moughniyéh, qui a fait des attentats-suicides un mode opératoire courant au Moyen-Orient, alors que les futurs extrémistes sunnites d'al-Qaeda et de Daech jouaient encore aux billes. L'année 1983 fut particulièrement active pour le Hezbollah et sanglante pour le Liban:
. avril : attentat-suicide contre l'ambassade des Etats-Unis à Beyrouth (63 morts);
. octobre : deux attentats-suicides aux QG des marines américains et des parachutistes français à Beyrouth en octobre (305 morts) ;
. décembre : six attaques terroristes simultanées au Koweit, visant l'aéroport, une usine pétrochimique et les ambassades de France et des Etats-Unis (attentat-suicide pour ce dernier ; 6 morts au total).

Arrêté et jugé au Koweit, il sera condamné à mort en 1984. Sa libération faisait partie des revendications constantes formulées lors des enlèvements de ressortissants occidentaux au Liban et certains détournements d'avion dans les années 1980. Il ne retrouvera la liberté qu'au cours du chaos provoqué par l'invasion du pays par Saddam Hussein en 1990.

Autre point commun entre ces deux piliers du Hezbollah, Badreddine et Moughniyéh sont tous les deux morts à Damas, respectivement en 2008 et en 2016. Le Hezb accuse officiellement Israël d'avoir tué le premier et les rebelles syriens d'avoir tué le second (sa mort n'a pas été revendiquée). Il n'empêche que dans les deux cas, la piste israélienne exclusive ou celle du régime syrien seul n'est pas à exclure. Dans le premier cas, la raison est évidente, éliminer des ennemis. Dans ce dernier cas, il pourrait s'agir pour Bachar el-Assad d'une action préventive pour se protéger du TSL en éliminant deux organisateurs-témoins-clés de l'attentat terroriste du 14 février 2005, après avoir cramé un de ses propres fusibles, Ghazi Kenaan, chef des services de renseignements syriens au Liban (1982-2002), soupçonné de faire partie des organisateurs de l'attentat de Beyrouth, éliminé via un suicide douteux commis peu de temps après les faits, le 12 octobre 2005.

 4  Attentat terroriste du 14 février 2005 : de quoi Moustapha Badreddine est-il accusé ?


Moustapha Badreddine, principal suspect du Tribunal Spécial pour le Liban, était le chef de la cellule terroriste qui a organisé l'attentat du 14 février 2005, qui a tué 22 personnes, dont l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et blessé 226 autres personnes. Sous ses ordres, on retrouve Salim Ayyash, le coordinateur de l'attentat, dans le box des accusés du TSL aussi. Comme tout laisse à croire que le référent opérationnel de Badreddine n'était personne d'autre qu'Imad Moughniyéh, il est probable que si ce dernier n'avait pas été tué en 2008, il figurerait dans l'acte d'accusation (2011) et dans le box des accusés également (2014).

Moustapha Badreddine était poursuivi par le TSL pour les cinq chefs d'accusation suivants :
- complot en vue de commettre un acte de terrorisme ;
- perpétration d’un acte de terrorisme au moyen d’un engin explosif ;
- homicide intentionnel de Rafic Hariri avec préméditation au moyen de matières explosives ;
- homicide intentionnel de 21 personnes avec préméditation au moyen de matières explosives ;
- tentative d’homicide intentionnel de 226 personnes avec préméditation au moyen de matières explosives.


 5  Comment a-t-on osé nommer une rue de Beyrouth au nom de quelqu'un dont le casier judiciaire est aussi chargé ?


Difficile d'imaginer une situation plus surréaliste que celle dans laquelle on se trouve actuellement. Au même moment où une haute autorité judiciaire internationale juge les auteurs de l'attentat du 14 février 2005, qui a couté la vie à un ancien Premier ministre libanais et à 21 autres personnes innocentes, les dernières plaidoiries!, une petite autorité nationale municipale, de la localité d'al-Ghobeiri (caza de Baabda), décide d'attribuer une des rues du Grand Beyrouth, au principal accusé dans cette affaire terroriste.

Etant donné la sensibilité du sujet, il est évident que la municipalité chiite a pris sa décision sur une initiative ou après avoir obtenu le feu vert du parti chiite du Hezbollah. Les intérêts du Hezb sont évidents, tenter de sauver la réputation d'un de ses lieutenants, surtout, auprès de ses sympathisants, et défier l'Etat libanais sur ce dossier explosif. Du côté du Hezbollah et de la municipalité, on est dans une certaine cohérence. Le problème c'est de l'autre côté.

La décision municipale date du 17 juin 2017. Comme l'exige la loi, la municipalité de Ghobeiry en a informé le ministère de l'intérieur, le 7 août 2017. Allez savoir pourquoi, le ministère n'a pas jugé utile de réagir. Il ne l'a fait que lorsque la municipalité a décidé d'accrocher la plaque officielle il y a quelques jours, en septembre 2018 svp. Quand on a demandé à Nouhad Machnouk les raisons de la léthargie de ses services, il a cru se sauver par une pirouette : la non-réponse signifiait que la décision municipale n'avait pas été éprouvée. Impeccable sauf que la loi dit exactement l'inverse! Sur le plan légal, la municipalité de Ghobeiri n'a commis aucune erreur de procédure.

Le Hezbollah tente par tous les moyens d'imposer sa loi au Liban, il n'est nullement besoin de s'étaler là-dessus. Il n'empêche qu'aussi puissant qu'il se croit, le parti-milicien n'oserait pas affronter l'Etat libanais que si et seulement si, il est assuré de la faiblesse des représentants de ce dernier, pour ne pas dire de leur complaisance tacite, voire explicite.

Le député du Hezb, Naouwaf el-Moussawi s'est fait photographier récemment, devant un portrait du meurtrier présumé de Rafic Hariri, dans son bureau au sein du Parlement libanais svp, portrait annoté par le surnom « saïf el mouqawamat » (le sabre du Hezbollah), dans l'indifférence générale des autorités parlementaires, judiciaires et policières. Oh, mais dans le passé, ce représentation de la nation a déjà terminé une de ses interventions au Parlement en rendant hommage à Moustapha Badreddine, là aussi, dans l'indifférence générale du chef du Parlement, Nabih Berri, qui trônait au perchoir devant lui et qui a fait la sourde oreille.

Du côté du Premier ministre, fils de Rafic Hariri et pilier du 14-Mars, on est conscient de la gravité de la situation. Après la première séance de plaidoiries de clôture à La Haye il y a deux semaines, Saad Hariri a tenté d'apaiser les esprits et de rassurer tous ses compatriotes, malgré le double litige personnel et national qui l'oppose eu Hezbollah : « Nous avons réclamer la justice... jamais nous avons eu recours à la vengeance (…) Le plus important pour moi, c'est le pays car au final, nous vivons tous ensemble et nous voulons vivre ensemble ». Paroles responsables sauf que pour un parti-milicien hégémonique, qui ne comprend que le langage de la force et ne fonctionne que par domination idéologique, les propos du Premier ministre sont considérés comme un aveu de résignation.

 6  Le blackout du président de la République, Michel Aoun, sur le Tribunal Spécial pour le Liban


Du côté du chef de l'Etat, la situation est nettement plus compliquée. Michel Aoun est également conscient de la gravité de la situation, sauf qu'à la différence de Saad Hariri, l'ancien chef du Courant patriotique libre a signé un « Document d'entente » avec le Hezbollah en 2006, jamais dénoncé à ce jour, même pas par son successeur, Gebrane Bassil. Au contraire, depuis que Michel Aoun a été élu en octobre 2016, il ne rate pas une occasion pour rassurer le Hezbollah et inquiéter ses adversaires, comme il vient tout juste de le faire dans une interview accordée au Figaro et publiée le 23 septembre 2018, aussitôt saluée par le numéro deux du Hezbollah, Naïm Kassem.

« Les pressions internationales sur le Hezbollah ne sont pas récentes. Elles vont crescendo. Certains cherchent à lui régler son compte politique, faute d’avoir réussi à lui régler son compte militaire, parce qu’il a défait Israël en 1993, puis en 1996 et surtout, en 2006. Le Hezbollah représente plus d’un tiers de la population libanaise. Malheureusement, une certaine opinion publique étrangère est déterminée à en faire un ennemi. » Zappons surtout le délire sur la défaite d'Israël en 2006, qui nous a couté 1 500 morts, 5 000 blessés, 750 000 déplacés et une dizaine de milliards de dollars de dégâts et de pertes économiques, soit l'équivalent de 50% de notre PIB de l'époque. Avec 4% côté israélien, la défaite est historique. A croire le président libanais, le Hezbollah n'a que des amis au Liban, qui jure par son nom, ce sont les pays étrangers, arabes et occidentaux pour être précis, qui font de la question du Hezb un problème.

Oh, c'était rien, le pire c'est la suite. « Actuellement, certains lui reprochent son implication dans la guerre contre Daech et al-Nosra en Syrie. Mais les faits sont là : les terroristes jihadistes attaquaient notre territoire, le Hezbollah le défendait. Il ne joue aucun rôle militaire à l’intérieur du Liban et n’intervient pas aux frontières avec Israël. Il est désormais lié à la question du Moyen-Orient et à la résolution du conflit en Syrie ». On croit halluciner!

Michel Aoun s'exprime comme si le Liban n'a pas d'armée, comme s'il n'était pas lui-même dans le passé commandant de cette armée, comme si actuellement il n'est pas commandant en chef de ces forces armées. Non seulement Michel Aoun pérennise par ces déclarations déplacées l'anomalie que constitue le parti-milicien au Liban, en liant son sort au conflit en Syrie et à la question du Moyen-Orient, mais en plus, il délivre à l'intéressé un casier judiciaire vierge : aucun rôle militaire à l'intérieur, du scoutisme depuis 1982! La désastreuse guerre de juillet 2006? Où ai-je la tête, c'était une « victoire divine » bien sûr. L'invasion de Beyrouth et d'une partie du Mont-Liban le 7 mai 2008? Oh, c'est la faute à Fouad Siniora. Et puis faut pas oublier, c'était un « jour glorieux ». Et l'attentat terroriste du 14 février 2005? Et le procès en cours à La Haye? Et les plaidoiries finales du TSL? Et le jugement imminent des cinq membres du Hezbollah? Pas un mot, rien, que dalle, jamais entendu parler.

Ah si, Michel Aoun voit sans doute dans l'attitude exemplaire du Hezbollah une raison de plus pour « intégrer » ses miliciens dans l'armée libanaise. C'est c'là oui mon général, afin de parfaire le phagocytage de l'Etat libanais par la milice chiite. Et après on s'étonne qu'une petite municipalité ose défier l'Etat et son autorité? Encore une preuve de l'erreur d'appréciation commise par les piliers du 14-Mars, Samir Geagea et Saad Hariri, élisant Michel Aoun comme président de la République libanaise, sans aucune contrepartie sérieuse en ce qui concerne son positionnement par rapport au Hezbollah. Affligeant.

 7  « Rue du martyr Moustapha Badreddine » vs. « Place du terroriste Moustapha Badreddine » ? Seuls Hassan Nasrallah et Michel Aoun peuvent faire en sorte qu'il en soit autrement


Michel Aoun, enfin ses services, peut réquisitionner toute la flotte de la MEA pour y installer cinquante délégations de cinquante personnes et les emmener toutes avec lui à New York, son discours devant l'Assemblée générale de l'ONU ne sera pas pris au sérieux tant qu'il représente une république bananière et un pays divisé.

On ne peut pas prétendre construire un Etat et continuer à justifier l'anomalie que constitue la situation du Hezbollah au Liban à chaque fois que l'occasion se présente (comme ce fut le cas dans Le Figaro avant-hier) et fermer les yeux sur ceux qui défient l'autorité de l'Etat avec autant d'insolence que le parti-milicien chiite libanais (comme c'est le cas à Ghobeiri aujourd'hui).

La plaque à la mémoire du « martyr Moustapha Badreddine » est controversée. C'est le moins qu'on puisse dire. Elle doit donc être retirée. Sinon, il faudra renommer le périmètre de l'explosion du 14 février 2005 devant le Saint-Georges, « Place du martyr Rafic Hariri, surnommée Place du terroriste Moustapha Badreddine ». On peut imaginer la suite des événements et les conséquences. Pour les éviter, de deux choses l'une : soit Hassan Nasrallah ordonne ce retrait, soit il revient à Michel Aoun de le faire en personne, en se déplaçant sur les lieux et en veillant personnellement sur son démantèlement. Seuls ces deux hommes ont l'autorité de le faire: le premier en tant que chef du Hezbollah, le second parce que « le Président de la République est le Chef de l’Etat et le symbole de l’unité de la Patrie », comme le précise la Constitution.

Cette plaque de rue est abjecte pour la moitié des Libanais. Elle est infecte pour celles et ceux qui ont perdu quelqu'un au cours de cette période de terreur que le Liban a vécu entre le 1er octobre 2004 et le 27 décembre 2013. Elle est infâme pour les fidèles de Samir Kassir, Georges Haoui, Gebrane Tuéni, Pierre Gemayel, Antoine Ghanem, Wissam Eid, Wissam el-Hassan, Mohammad Chatah et tous les autres martyrs de la Révolution du Cèdre. Elle est ignoble pour les survivants des attentats terroristes, comme Marwan Hamadé, Elias el-Murr, May Chidiac et tous les autres martyrs vivants. Michel Aoun doit prendre acte. Il préside deux Liban irréconciliables et une république qui a l'air bananière de plus en plus.

En conséquence, le président de la République ne peut pas continuer à faire le black-out sur le Tribunal Spécial pour le Liban, et un scandale comme celui-là, et espérer être écouté et pris au sérieux par la communauté internationale. 

mercredi 19 septembre 2018

Michel Aoun, Gebrane Bassil et Chamel Roukoz : de grandes manoeuvres politiques en famille (Art.559)


A peine la circulation sur la route de Baabda était rétablie, en octobre 2016, l'axe est déjà bien encombré deux ans plus tard. C'est l'une des raisons du blocage politique actuel.

Le président de la République libanaise, Michel Aoun, et ses deux gendres, Gebrane Bassil et Chamel Roukoz, deux présidentiables qui y pensent pas uniquement en se rasant le matin 

Dimanche dernier, le jour du Seigneur, l'ex-général, gendre du président-général, député général de la nation, Chamel Roukoz, a choisi de passer la journée dans la montagne, à Zeitoun. Pas pour assister à la messe incognito, ni pour participer à un barbecue amical, encore moins pour faire la cueillette de khébbaïzéh en famille. Il est allé célébrer Aachoura avec la communauté chiite de cette contrée dominée par la communauté maronite.

Dans ce petit village de 550 électeurs perdu au fin fond du Kesrouane, situé entre dans la belle vallée de Nahr Ibrahim-Yahchouch, Chamel Roukouz a longuement parlé de cet événement à double portée historique et religieuse. Voici l'essentiel de ce qu'il a dit en 14 tweets.

إنَّ قيم عاشوراء لا تَنحصر بِالمسلمين فقط ولا بِالشّيعة بِالأخصّ، فإنَّ الثّورة الحسينيّة خالدةً، عابرةً لكلِّ الأديان والطّوائفِ والشّعوب والأعراق، عابرةً لكلِّ الأزمان والأماكن
بلغ عدد أصحاب الحسين في أحداث معركة كربلاء العشرات، يُقابِله عشرات آلاف الجنود ومن خبرتي العسكرية أؤكد لكم انه لا يمكن خوض معركة في هذه الطريقة ولكن من منطلق المَنطِق والإيمان والكرامة والشرف والثبات، فهذهِ هي أسمى ثورات التاريخ
...
نحن بِحاجة اليوم أكثر من أيّ وقت مضى إلى هذا المنطقِ وهذا النّهجِ، نهجُ الثّبات على الموقفِ مع الحقِّ حتّى ولو أدّى هذا الثّبات إلى الموت والتّضحية بالحياة
...
وما أحوَجُنا اليومَ إلى ثوراتٍ كتلك، في لبنان وسوريا والعراق واليمن وفلسطين المحتلة
...
نُواجه اليومَ خطراً عربياً داهماً يتمثّل بِصفقةِ القرن
...
دورُكم أيها العربُ اليومَ قبل فواتِ الأوانِ، أن تتصدّوا لِهذهِ القراراتِ المُجحفةِ بِحقِّ القضيةِ الفلسطينيةِ والأرضِ المقدّسةِ، فإن لم نُطالبُ نحنُ بِأرضِنا، فمَن سيفعل؟

Une révolution husseinienne, au Liban et même, en Syrie, hein? Toujours est-il que ces propos suscitent diverses interprétations. J'en vois trois.

Par ce geste désintéressé et ces paroles sincères, Chamel Roukoz a voulu positiver un événement tragique qui n'en finit pas de diviser les communautés musulmanes, renforcer la cohabitation fraternelle islamo-chrétienne et fédérer tous les Libanais autour de certaines valeurs. C'est l'angle de vue de l'authenticité. Je crois réellement que cette triple volonté était présente dans la tête de Chamel Roukoz. Le problème c'est qu'on y trouvait aussi des arrière-pensées.

Puisqu'il avait fêté Aachoura 2017 à Zeitoun justement, s'il était désintéressé et sincère, Chamel Roukoz aurait dû passer Aachoura 2018 avec la communauté sunnite, afin de renforcer la cohabitation fraternelle islamo-chrétienne au sens large du terme, et ne pas la limiter au volet chiito-maronite uniquement. C'est une triste réalité qui ternit un peu le tableau de l'authenticité.

Mais bon, peut-être que l'Aachoura-sunnite n'intéresse pas cet ancien militaire. Il faut dire qu'elle commémore la libération divine de Moïse et de son peuple des griffes du Pharaon vers 1 400 av. JC. En plus, il faut jeûner avant ou après la commémoration! Ce qui semble plus intéresser Roukoz c'est l'Aachoura-chiite, qui commémore la mort du petit-fils du prophète de l'islam, Mahomet, le dernier des prophètes pour les musulmans, au cours de la bataille qui s'est déroulée à Kerbala en Irak le 10 octobre 680, où 72 fidèles de Hussein ibn Ali ont affronté près de 30 000 hommes de Yazid ibn Mu'awiya, le deuxième calife omeyyade, l'événement qui a officialisé et pérennisé le schisme musulman. Le problème c'est que derrière ce choix, il y a une volonté à peine camouflée d'exploiter l'événement à des fins personnelles.

Chamel Roukoz à l'occasion des célébrations d'Aachoura à Zeitoun au Kesrouane, en septembre 2017 déjà 

Ce qui frappe quand on lit et relit Chamel Roukoz c'est cet excès de zèle qu'il manifeste devant la communauté chiite, sur l'Aachoura, Hussein et la Palestine. Est-ce que c'était vraiment opportun? Beaucoup de Libanais se le demandent. Déjà qu'on murmure ici et là, aux quatre coins du Liban, que le Hezbollah en fait trop pendant l'Aachoura, de plus en plus au fil des années, surtout en ce temps où une juridiction internationale, le Tribunal Spécial pour le Liban, doit rendre son verdict dans l'assassinat du plus important Premier ministre de l'Histoire du Liban, Rafic Hariri, le plus grand dirigeant sunnite de l'Histoire de la communauté sunnite libanaise, par cinq membres de confession chiite appartenant au Hezb, élevés par Hassan Nasrallah lui-même au rang de « saints ». Etait-il nécessaire dans ce contexte explosif qu'un chrétien maronite y vienne pour mettre son grain de sel et donner un coup de main au parti-milicien chiite pour transformer Aachoura, un événement historique censé être religieux, en une démonstration essentiellement politique et d'actualité? Non évidemment, à moins que l'homme en question n'ait des visées politiciennes à peine voilées. Et c'est le cas, hélas.

Chamel Roukoz voudrait court-circuiter son rival, le gendre-prodige, le multi-pluri-totipotent Gebrane Bassil, l'homme qui se croit capable comme les cellules souches, de se transformer en n'importe quel ministre de la République libanaise. Dans la ligne de mire de Roukoz à court-terme, tant qu'Aoun est président, le ministère de la Défense. A long-terme, le gendre-général vise à augmenter ses chances de succéder à Michel Aoun, comme président de la République, à terme en 2022 ou lors d'élections présidentielles anticipées.

Voici le tweet le plus énigmatique de cet ex-général de l'armée libanaise, aujourd'hui député de la nation libanaise et un des principaux prétendants à la présidence de la République libanaise, qui soulève à lui seul trois questions. Qui sont ces "ennemis" d'aujourd'hui qui, plus de 1 000 ans après la mort de Hussein, sont tombés? Qui sont ces "vainqueurs" qui les ont fait tomber? De quelle "victoire éternelle" il parle? Aussi déconcertant que préoccupant.

Dans les deux cas, il est clair que Chamel Roukoz voudrait se démarquer de Gebrane Bassil pour booster sa propre carrière politique, afin de ne pas passer le reste de sa retraite dans l'ombre du chef du Courant patriotique libre. S'ils sont dans la même tranchée pour l'essentiel, la rivalité entre les deux hommes n'est qu'un secret de Polichinelle. Ce n'est pas par hasard si l'ex-militaire ne fait toujours pas partie officiellement du CPL. Cette rivalité s'est manifestée au grand jour au cours des dernières élections législatives. N'ayant pas réussi à obtenir un bon score au Kesrouane (quatrième sur cinq sièges!), Roukoz tente de mettre à profit les relations conflictuelles de son rival avec la communauté chiite.

Bassil est initiateur du rapprochement électoral avec le camp Hariri, Premier ministre sortant et leader de la communauté sunnite, qui a amené ce dernier à appeler explicitement à voter pour « son ami » dans le caza de Batroun.  Il a osé critiquer dans le passé les deux leaders chiites, Hassan Nasrallah et Nabih Berri, et les choix milicien et politique des deux partis chiites, le Hezbollah et le mouvement Amal. Ce n'est absolument pas le cas de Chamel Roukoz, qui tente de faire le contraire et ne rate pas une occasion pour bien se faire voir par la communauté chiite, comme le montre le pèlerinage annuel de Zeitoun ou le témoignage de respect à l'égard du président du Parlement, après la bourde de Bassil sur baltajét Berri.

Tout cela nous conduit vers une question fondamentale : que veut au juste le « pater familias » Michel Aoun, président de la République, et comment envisage-t-il le reste de son mandat ?

Dans un premier temps, il faut parer à l'urgence. Michel Aoun voudrait qu'un gouvernement voit le jour rapidement. Pas à n'importe quel prix cela va sans dire. Or actuellement, il est dans une situation peu enviable. Il doit se contenter d'un gouvernement expédiant les affaires courantes pour le cinquième mois. Il a tenté de fixer une date butoir au Premier ministre désigné, Saad Hariri, mais s'est vite rétracté.

Le blocage dans la formation d'un nouveau gouvernement au Liban s'explique principalement par trois éléments.

. Primo, le désaccord profond sur le partage du fromage par les « fromagistes » de l'échiquier politique libanais, comme disait l'ancien et dernier président bâtisseur de la République libanaise, le général Fouad Chehab, toutes tendances politiques confondues. La taille da la part de chacun, mais aussi la nature du fromage, posent problème. Par exemple, le CPL voudrait à tout prix garder le ministère de l'Energie et de l'Eau. De ce fait, je propose qu'on rajoute désormais au logo officiel une précision fort utile pour bien éclairer les Libanais, à défaut de leur fournir le courant électrique 24h/24 : « In our hands since 2008 ».

. Secundo, les conséquences particulièrement gênantes du verdict du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) concernant l'attentat terroriste du 14 février 2005 où le Hezbollah se trouve de facto, quoiqu'en disent et fassent désespérément ses partisans, sur le banc des accusés, et des coupables en conséquence. Impossible d'avancer sans trouver une sortie de secours pour et avec le parti-milicien chiite, afin qu'il soit fréquentable sur le plan politique et intégrable dans un gouvernement présidé de surcroit par le fils de l'ex-Premier ministre assassiné, Saad Rafic Hariri. Pour cela, on pourrait être tenté par une solution à la libanaise, à travers une honorable amnésie, à défaut d'une honteuse amnistie.

. Tertio, l'issue de la longue bataille d'Idlib qui doit clore un chapitre important de la guerre en Syrie. Le camp pro-syrien et pro-hezb au Liban, qui comprend le Courant patriotique libre, voudrait tirer profit de la victoire définitive de Bachar el-Assad dans ce premier round du conflit syrien, pour tenter d'obtenir une plus grande part de fromage.

Ainsi, les tiraillements sont clairs. L'ex-camp du 14-Mars veut profiter du verdict du TSL pour dégonfler le Hezbollah au maximum, tandis que l'ex-camp du 8-Mars souhaite profiter de la victoire du régime syrien pour gonfler le Hezbollah à bloc. La solution là aussi pourrait être à la libanaise. Elle passerait par l'hérésie de « la ghalib wou la maghloub », pas de vainqueurs ni de vaincus, qui serait agrémentée par des proses hypnotisantes sur la cohabitation, la réconciliation et l'union nationales. On allécherait les plus récalcitrants par les 400 milliards de dollars de perspective pour la reconstruction de la Syrie et le retour des deux millions de déplacés syriens réfugiés au Liban dans leur pays.

Mais il n'y a pas que cela qui préoccupe le président de la République et qui bloque la formation du nouveau gouvernement. Michel Aoun pense déjà à son successeur. Cela fait près de deux ans qu'il est au pouvoir. Il lui reste quatre. A 83 ans, il pourra ne pas les terminer pour diverses raisons. Longue vie au « père de tous », sauf qu'un bon dirigeant est censé tout prévoir, même que la nation devrait se passer de lui un jour. Le prochain gouvernement pourrait être amené à exercer les prérogatives présidentielles en cas de vacance du pouvoir, à la fin de son mandat, mais aussi en cas de maladie grave ou de décès de Michel Aoun. Il y a trois noms qui trottent dans la tête du locataire de Baabda : d'une part, ceux avec qui il est lié par un lien familial, Chamel Roukoz et Gebrane Bassil, et d'autre part, celui avec qui il a établi un accord politique, Samir Geagea.

A ce propos, le deal politique conclu entre Aoun, Bassil et Geagea, avait un volet secret manuscrit sur le partage des pouvoirs ministériel et administratif entre les deux partis chrétiens, le Courant patriotique libre (CPL) et les Forces libanaises (FL). L'accord comprenait surement un volet secret oral, voire tacite, sur le partage du pouvoir présidentiel également : Michel Aoun d'abord, Samir Geagea ensuite. Un ordre d'arrivée dicté par les circonstances politiques et l'âge des prétendants. Un vœu pieux sachant que les promesses n'engagent que ceux qui les croient. Avec le recul, il est de plus en plus clair que Michel Aoun a fait d'autres calculs. En donnant quelques ministères aux FL dans le premier gouvernement de son mandat et quelques miettes au niveau des nominations administratives, le général considère qu'il a soldé ses comptes avec le hakim. En tout cas, soyez-en sûr, c'est comme ça que Bassil voit les choses. C'est ce qui explique cette hargne depuis les élections législatives. Aoun et Bassil savaient que le scrutin de mai 2018 allaient remettre les compteurs à zéro et les affranchir d'un accord encombrant et stérile, par rapport à leur ancienne coalition avec le Hezbollah et leur nouvelle alliance avec le Futur. Depuis, ils se répartissent les rôles. Bassil joue au turbulent qui aimerait rapetisser les parts de Geagea et de Joumblatt, Geagea fait bonne figure sans céder sur la juste représentation des FL comme l'impose le score électoral de son parti et Aoun assure le rôle du conciliateur entre les uns et les autres.

Toujours est-il que cette mascarade n'a que trop duré. Il faut être sacrément naïf en politique pour croire que Gebrane Bassil a la capacité de bloquer la formation du gouvernement de Saad Hariri sans le feu vert de son beau-père à qui il doit tout sur le plan politique. On voudrait faire croire que Bassil cherche à limiter les parts des FL et du PSP, mais Aoun y est farouchement opposé. Ça, c'est pour la mythologie. En réalité, le blocage est « général », dans tous les sens du terme, toutes les parties, Michel Aoun compris. Le président de la République s'est fixé comme objectif principal, d'obtenir la part du lion, plus d'un tiers des ministres. Pour y parvenir, il voudrait mettre en œuvre cette hérésie contemporaine qui ne trouve aucun justification ni dans le Pacte national ni dans la Constitution ni dans la logique politique, qui consiste à attribuer une part du fromage gouvernemental au président de la République. Ah, s'il se contentait que de cela! Il voudrait donner à son ex-parti, le CPL, une double part, afin de parvenir en cumulant ses propres ministres et les ministres du CPL, à franchir le cap des 10 ministres, sur 30, afin de pouvoir bloquer n'importe quelle décision du Conseil des ministres qui ne lui convient pas. Pleinement conscient de cette contrainte, Saad Hariri y oppose une fin de non recevoir.

Il a fallu l'arrivée du mois de septembre enfin, pour en finir avec la langue de bois et les surenchères grotesques autour de l'accord mort-né conclu en janvier 2016 entre les deux frères ennemis. Résumé de la revue de presse des derniers jours : Geagea presse Aoun de sauver son mandat, pendant qu'Aoun laisse entendre que Geagea combat son mandat. Ce qui se passe en réalité, c'est que Michel Aoun et Gebrane Bassil avaient adopté dès le départ la stratégie du « good cop, bad cop ». Leurs actions étaient cordonnées, cela va sans dire.

Il est évident qu'à long terme, Michel Aoun voudrait faire parvenir ses gendres à la magistrature suprême. Mais contrairement à ce que beaucoup pensent, c'est Roukoz d'abord, Bassil ensuite. Voilà pourquoi le président de la République n'a pas hésité à se mouiller dans la bataille législative au Kesrouane et taper sur la table pour faire taire les voix dissonantes des partisans de Bassil qui protestaient contre le choix de Roukoz, faire figurer des hommes d'affaires sur la liste du CPL, au détriment des membres du parti : « ana chamel wou chamel ana », le débat est clos. Un ordre d'arrivée dicté là aussi ironiquement, par les circonstances politiques et l'âge des prétendants. On n'en a certainement pas fini avec la République des généraux. Déjà quatre sur treize. Pendant que Bassil est concentré à doubler Geagea, Roukoz est en train de doubler tout le monde, Bassil en tête. Dans tous les cas de figure, qu'importe qui de Bassil ou de Roukoz voudra passer en premier, cela prouve que leur beau-père Michel Aoun, président de la République, ne peut toujours pas être dissocié du Courant patriotique libre, comment on ne peut dissocier Saad Hariri du Futur et Nabih Berri d'Amal. Par conséquent, sa part du fromage gouvernemental doit être confondue avec celle du CPL, elle ne pourra en aucun cas représenter le tiers de blocage. Le Premier ministre désigné ne doit pas céder sur ce point, qui n'est rien d'autre qu'un caprice politique injustifié.

mercredi 29 août 2018

Faut-il voter une loi qui interdit à Gebrane Bassil tout ministère public et d'inscrire dans la Constitution l'impossibilité de l'élire comme présidence de la République? (Art.555)


Enfin, quelqu'un dit tout haut, ce que beaucoup pensent tout bas. Et puisque la question est posée, essayons d'apporter une réponse sérieuse et argumentée. 



 1  Titre provocateur, mais n'est-il pas légitime après tout ce qu'il a fait? 


Comment en est-on arrivé là? Où ça? A se poser ce genre de question farfelue, dans une démocratie pardi! Titre provocateur, j'en conviens, mais légitime après la dislocation de l'accord de Meerab, une aberration originelle dont certains viennent juste d'en faire le constat. Pourquoi la réconciliation entre Michel Aoun et Samir Geagea devait comporter un volet secret? Pourquoi ce volet secret n'a été révélé aux citoyens libanais en général et aux électeurs des deux partis en particulier que deux ans et demi plus tard? Pourquoi le partage du pouvoir qu'il prévoit impliquait un tiers? Trois questions qui nous conduisent au cœur du problème: fallait-il faire confiance à Gebrane Bassil?

Gebrane Bassil a promis la lune aux Libanais. A maintes reprises me diriez-vous. Comme le courant électrique 24h/24 pour la fin de l'année 2014, via la fameuse campagne d'affichage « Leban-on-off » de 2011, réalisée par l'agence de com' de sa femme (la fille de Michel Aoun) et payée par les contribuables svp. Zappons quand même, j'ai déjà consacré un long article sur le sujet, un réquisitoire accablant pour Gebrane Bassil. Je vous propose dans le présent un autre retour spécial vers le futur.


 2  « Rêve d'une nation » : une BD signée Gebrane Bassil


Flash-back. Nous sommes en l'an de grâce 2013. C'est l'année des échéances et de tous les espoirs, une période propice aux promesses et au « charlatanisme » comme disait l'écrivain français Ernest Renan. Des élections législatives doivent avoir lieu avant le 20 juin 2013 et des élections présidentielles avant le 25 mai 2014. Le gendre, Gebrane Bassil, bataille depuis un moment pour être député, après deux échecs successifs (2005 et 2009). Le beau-père, Michel Aoun, guerroie depuis un bail pour devenir président, après une longue histoire marquée par deux guerres successives, un exil, des alliances contre-nature et deux échecs également (1988 et 2007). Il faut frapper les esprits. C'est dans ce contexte que « Le rêve d'une nation » est né. Il est passé complètement inaperçu à l'époque. Et pourtant, il est très intéressant de revenir dessus aujourd'hui en 2018, avec un recul de cinq ans.

 3  Le point en 2018 sur ce que Gebrane Bassil a promis en 2013 pour l'année 2020


Rêves ou promesses, on ne va pas jouer sur les mots, pour l'opération com' de 2013, le ministre de l'Energie et de l'Eau avait opté pour la bande dessinée. C'était sans doute plus adapté que les affiches 4x3, où l'on risque d'être poursuivi pour publicité mensongère. Gebrane Bassil a beau se mettre en scène sous un beau jour et se présenter comme un homme moderne, le résultat global est très kitch. Pour ceux qui ont raté le lancement, « 7elm watan » peut être classée entre la caricature et le roman-photo.

A Nation's Dreamحلم وطن 
Reportage complaisant de la LBCI, datant de 2013. Pas de critique du document ! Le journaliste, Bassam Abou Zaïd, se contente de décrire la BD de Gebrane Bassil, la trouvant au passage "amusante" (moumti3at) et va jusqu'à émettre le souhait de la voir adapter en un "dessin animé" pour que tout le monde puisse en profiter. 

« Le rêve d'une nation » raconte l'histoire fictive d'un Gebrane Bassil lifté par le-la dessinateur-trice, qui montre à son fils le Liban de 2020. Les dessins sont sous-titrés en arabe et en anglais. D'entrée en matière, deux belles erreurs. Dans un pays où plus de la moitié de la population est de sexe féminin, la moindre des choses était d'emmener sa fille Yara en voyage, plutôt que son fils, pour avoir un générique équilibré. Et puis, dans un pays de tradition francophone, la moindre des choses également était d'accompagner l'anglais par le français! Pour le reste, rien ne vaut les détails, pour comprendre à quel point « les promesses n'engagent que ceux qui les croient ». Attachez vos ceintures, pour ne pas être bousculés, et mettez vos lunettes noires, pour éviter l'éblouissement, c'est parti.

 4  En 2020, le train sera le meilleur moyen de transport des Libanais


Le rêve de Bassil commence à Batroun, où père et fils prennent « le train qui est devenu le meilleur moyen de transport » des Libanais. Si si, le train, vous savez c'est cet ensemble de wagons tractés par une locomotrice qui circule sur des rails, que les Libanais ne voient plus depuis belle lurette, à part dans les films et à l'étranger. Des trains alors que ce qui reste des 408 km du chemin de fer libanais construit aux époques ottomane et française, est enseveli par le bitume ou volé, pour être vendu, et qu'on est toujours pas foutu en 2018 de bien distinguer les taxis du reste du parc automobile.


 5  En 2020, les plages seront toutes publiques et les infractions impossibles


Dans les rêves de Bassil, toutes « les plages du Liban » ont été nationalisées et « les infractions à la loi du littoral sont devenues impossibles ». Heik khabet lazé2, un littoral rendu au peuple libanais comme on l'a constaté le 25 juin 2018 précisément, avec la pendaison de la crémaillère des hôtes du Lancaster Eden Bay à Ramlet el-Baïda, un complexe hôtelier érigé en un temps record sur une des plus belles plages de la côte orientale de la Méditerranée, malgré une invalidation du permis de construire par le Conseil d'Etat, malgré l'absence de permis d'exploitation, malgré plusieurs demandes judiciaires pour l'arrêt immédiat des travaux et malgré de nombreuses violations.

Non seulement, il n'y a eu ni arrêt des travaux ni démolition de cette laideur environnementale, mais l'inauguration a eu lieu en grande pompe, au nez et à la barbe de tous les hauts responsables et représentants de l'Etat libanais, du gouverneur de Beyrouth Ziad Chbib au ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk, en passant par le ministre chargé de la Lutte contre la corruption, Nicolas Tuéni. Santé à tous.

 6  En 2020, le Liban fournira de l'eau à Chypre


Dans les rêves de Bassil, « le barrage de Jannet est devenu une importante destination touristique, qui fournit de l'eau potable aux Libanais et aux Chypriotes » svp.

C'est c'là Gebrane, de l'eau partout, à tous les étages et toute l'année, que nous exporterons à Chypre et même aux pays arabes, alors qu'il n'y a aucun projet national pour limiter le gaspillage hallucinant de l'or bleu au Liban : fuites, consommation à outrance, population peu regardante, agriculteurs déconnectés de la réalité, caprices (pelouses et piscines en Orient!), obsessions diverses (faire tourner les machines à laver cinq fois par jour, rincer les terrasses tous jours, etc.), et j'en passe et des meilleures. Gebrane Bassil ose balancer le chiffre de « 55 barrages construits » au Liban en 2020. Non seulement, nous sommes très très très loin du compte, mais certains de ces barrages sont construits dans des zones sismiques, ce qui a été fortement déconseillé par les experts.

Dans le secteur de l'eau, tout est fait en dépit du bon sens là aussi. Comment peut-on imaginer subvenir aux besoins de 6,5 millions d'habitants actuellement (réfugiés syriens compris), dans une contrée où il ne pleut pratiquement pas entre mai et septembre, menacée durement par le réchauffement climatique, sans limiter la consommation, le gaspillage et le vol? Impossible. Si on ne le fait pas, ce n'est pas 55 barrages qu'il nous faudra mais 155.

 7  En 2020, la décharge de Borj Hammoud deviendra un parc d'attraction possédant un port de plaisance


En parcourant les rêves du ministre de l'Energie et de l'Eau de l'époque, on découvre qu'en 2020, « les oiseaux » pullulent autour de l'usine électrique de Zouk, alors que c'est le génocide toute l'année comme en témoignent les photos lugubres des chasseurs en herbe publiées régulièrement sur les réseaux sociaux (j'ai cru apercevoir des cigognes nichant en haut des cheminées, qui crachaient de la fumée noire il y a peu de temps!), les habitants de cette région hautement polluée du Kesrouane sont en « meilleure santé maintenant » puisque « les émissions polluantes ont diminué de 90% », un « pipeline de gaz » longe le littoral et « la décharge de Borj Hammoud a été réhabilitée pour devenir un port touristique et un parc d'attraction ». Ya yésou3 el malek dakhil esmak! Peut-être que Gebrane Bassil n'est pas au courant, mais aux dernières nouvelles, trois ans après la crise des déchets, les rois des poubelles, avec la complicité des (ir)responsables libanais, voudraient installer à Beyrouth justement, un incinérateur d'ordures ménagères, pour produire à la fois de l'électricité et de nouveaux cancers.

 8  En 2020, les Beyrouthins posséderont enfin leur métro et Fatmagul Sultan n'y sera plus depuis longtemps


D'après les rêves de Gebrane, Beyrouth, ses alentours et son large, dispose d'une superbe « station d'épuration pour la capitale et le Metn », d'une grande « plateforme gazière », d'une « centrale solaire photovoltaïque de 7 km qui fournit de l'électricité à 10 000 foyers » au-dessus du fleuve de la ville et surtout des lignes de « métro », dont une station installée non loin de l'ancienne décharge. Cerise sur le gâteau, « (la centrale électrique flottante) Fatmagül est partie il y a longtemps, après l'achèvement de sa mission ». La 7awla wala qouwata ella bellah. Non seulement Fatmagul Sultan est toujours au large des côtes libanaises, depuis février 2013, mais pour ne pas la laisser seule, l'ex-conseiller de Gebrane Bassil, Cesar Abi Khalil, ministre de l'Energie et de l'Eau depuis 2016 (CPL), a décidé de louer deux autres navires-générateurs, Orhan Bey et Esra Sultan. Le fioul est facturé à l'Etat libanais à un prix élevé et le contrat court jusqu'en 2021 pour certains navires. Tout ce cirque coûte aux contribuables libanais, enfin à la dette publique de l'Etat libanais, près de 850 millions de dollars par an!


Quant à la construction de centrales électriques sur le sol libanais pour le compte d'EDL, c'est la même chanson depuis la fin de la guerre civile, « work in progress ». Wou ntorr ya kdich ta yénboutt el 7achich. Le 'kdich' est celui ou celle qui croit encore ces partis politiques qui contrôlent ce ministère vache à lait depuis 1990 (CPL, Hezbollah, Tachnag, Amal, Hobeika, etc.), qu'ils lui assureront de son vivant l'électricité 24h/24. Malgré la facture globale exorbitante du secteur électrique au Liban, près de 5 milliards de dollars par an (production libanaise d'EDL, production des centrales flottantes turques vendue à EDL et production des générateurs privés libanais), la situation électrique des Libanais est l'une des plus archaïques au monde. Et cela dure depuis trente ans. Cherchez l'erreur.

Dans le secteur électrique, la chasse-gardée du CPL et de ses alliés depuis 10 ans (où Gebrane Bassil a passé plus de 4 ans), les Libanais doivent se contenter de la location hors de prix de centrales flottantes, de la prochaine installation de compteurs sur l'alimentation électrique privée (après trente ans de pratiques sauvages des rapaces des moteurs), de poulets produits par « Le poulailler d'EDL » et des tours de passe-passe  temporaires ou permanents pour faire croire que tout va très bien Madame la Marquise (ex. donner au Kesrouane au cours de l'été l'électricité qui est destinée à Tyr et à Saïda ou priver la Békaa et le Hermel du courant électrique toute l'année afin de nourrir Beyrouth!).

 9  Des rêves et des promesses en l'air qui n'empêchent pas Gebrane Bassil de continuer sa carrière comme si de rien n'était, cherchez l'erreur


L'ironie de toute cette histoire, c'est que nous n'avions rien de tout cela en 2013, nous n'avons rien de tout cela en 2018 et nous n'aurons rien de tout cela en 2020. Il est là le génie méconnu de cet homme. Il réside dans une faculté extraordinaire de transformer la réalité en chimères, comme lorsqu'il promet en 2011 l'électricité 24h/24 pour 2015, et une capacité inouïe de faire passer les chimères pour la réalité, comme lorsqu'il promet en 2013 un métro à Beyrouth pour 2020. Et comme si de rien n'était, Gebrane Bassil continue sa carrière politique parce que l'amnésie des citoyens libanais est un formidable processus qui permet d'amnistier les politiques au Liban. Que demande le peuple de plus !

Dans cette BD qui baigne dans le grotesque et le ridicule, on apprend à la fin que le fiston a été « privé de son papa durant ces longues années (2013-2020) », et pour cause, Gebrane Bassil était justement très occupé à mettre en œuvre tous ces projets, avec « de nombreux citoyens » (et non de responsables politiques, nuance, sous-entendant qu'il est le seul dirigeant qui travaille pour le Liban et les Libanais), et « une profonde fierté », afin de « faire du Liban un pays stable et prospère ». Et s'il n'a qu'un conseil à transmettre au petit, c'est de lui rappeler que la vie est basée sur « la foi et les actes ». Mais bordel de quels acte, foi, prospérité et stabilité il parle? Ya 2ard ncha2é wou bla3iné... aw bla3i!

N'allez surtout pas croire que depuis 2013, Gebrane Bassil a mûri et il est maintenant gêné par toutes ses promesses farfelues non tenues. Non, hélas! Il y a quelques mois seulement, il a encore fait des affiches publicitaires mensongères 4x3 sous le slogan bidon « aqwalouna af3al » (« nos dires sont des actes », campagne électorale pour les législatives de mai 2018), et il a encore parlé de « ramener le train et le métro à Beyrouth » (janvier 2018). Le comble, c'est que certains naïfs l'ont cru et l'ont élu, et des militants CPL le défendent bec et ongles!



 10  Gebrane Bassil dans « Rêve d'une nation » ou l'insoutenable légèreté de l'être


Ce qui frappe dans les rêves illustrés et non illustrés de Gebrane Bassil, à part le populisme qu'ils dégagent, ce sont deux éléments : l'absence du moindre chiffrage sur le coût de ces projets pharaoniques et l'absence de toute référence à la dette publique abyssale du Liban! Je vous laisse imaginer le coût d'un métro à Beyrouth, sans parler de sa faisabilité! Quant à la dette publique, Gebrane Bassil a oublié de dire à son fils, qu'en 2020, notre dette aura franchi le cap des 100 milliards de dollars et peut être les 200% de notre PIB. Que faut-il de plus pour prouver ce grand amateurisme dans la gestion des affaires publiques? Un trait partagé par d'autres éminences de la classe politique libanaise, bien évidemment.

Personne n'a jamais su ni pourquoi ni de quel droit Gebrane Bassil avait produit « 7elm watan » en 2013. Dans quelle contrée de ce monde, un ministre d'un gouvernement démissionnaire censé expédier les affaires courantes (après la démission de Najib Mikati en mars 2013), dépense l'argent public pour annoncer aux citoyens ce qu'il a l'intention de faire, ne fait pas ce qu'il a promis (avec cinq ans de recul), est élu en grande pompe et prend part activement depuis quatre mois au blocage dans la formation du gouvernement pour des raisons bassement politiciennes? Nulle part, à l'exception de certains pays sous-développés.

 11  Gebrane Bassil : homme providentiel, ministre prodige ou Don Quichotte de la République libanaise ? 


Cinq ans sont passés. Aucun objectif fixé par Gebrane Bassil en 2013 n'a été réalisé à ce jour. Et pourtant, c'est pour 2020. Pour être juste, il faut avouer qu'il y a bel et bien un objectif qui a été atteint. Il ne figure pas dans la BD, mais dans un tweet passé inaperçu, aimé par une malheureuse personne!, publié quelques jours après la sortie officielle de cette BD éditée au frais de la princesse, l'Etat libanais. « 'Le rêve d'une nation' est une vision positive de notre bien-aimé pays, qui ne se réalisera que lorsque nous déciderons de nous débarrasser de notre négativité. » C'était donc annoncé d'avance qu'il n'allait pas tenir ses promesses et réaliser ce rêve. Objectif atteint! C'est plus qu'une pirouette, c'est de l'illusionnisme, c'est même de la haute voltige. En fait, Gebrane Bassil fait croire que si ça ne tenait qu'à lui, il aurait fait tout cela, pas les autres, mais c'est notre négativité bande d'ingrats qui l'en empêche !


Ainsi, ce qui nous empêche de réaliser tous ces rêves, ce n'est ni la volonté politique ni les pieds sur terre. Non, pas du tout! Pas la hausse vertigineuse de notre dette abyssale, pas le gaspillage de l'argent public, pas la corruption endémique, pas le vol massif du courant électrique, pas la dilapidation effarante de l'or bleu, pas les fromagistes qui se disputent leur part, pas une démocratie bananière, pas le sabotage de la République, et j'en passe et des meilleures. Non, rien de tout cela, c'est « notre négativité » qui empêche ce ministre prodige et providentiel d'avoir un train qui relie Tripoli à Tyr, et le métro et un port de plaisance près de la décharge de Bourj Hammoud. Je rappelle à celles et ceux qui faisaient le tour du monde à cloche-pied ces treize dernières années que le Bloc parlementaire formé par le Courant patriotique libre, le parti politique de Gebrane Bassil de Michel Aoun, a possédé jusqu'à 1/5 du Parlement et 1/3 du gouvernement (à certaines périodes) et a gouverné le Liban seul avec ses alliés un moment (2011-2014), et que Gebrane Bassil lui-même est dans tous les gouvernements depuis 10 ans (Affaires étrangères, Energie et Eau, et Télécoms).

Il y a plus de cinq ans, c'était donc le « Rêve d'une nation » soi-disant pour 2020. Il lui reste moins de deux ans pour y parvenir. Pas pour décrocher le satellite de la Terre, vous pensez bien ! Un marche-pied, bien caché derrière une tribune, peut faire gagner de précieux centimètres pour tromper un petit auditoire, mais pas de prendre de la hauteur et impressionner un peuple tout entier. Pas plus qu'une BD. Cher-e-s compatriotes nous devons nous rendre à l'évidence, il faut envisager sérieusement de faire voter une loi qui interdit à Gebrane Bassil d'être ministre d'Etat et d'inscrire dans la Constitution l'impossibilité de l'élire comme président de République. Bon, soyons honnêtes, ça ne va absolument pas résoudre nos problèmes, mais un problème en moins, c'est déjà ça de gagner.

Je termine cet article sur Gebrane Bassil comme j'ai commencé le dernier article sur Gebrane Bassil, avec beaucoup de sincérité. Gebrane Bassil n'est pas pire que d'autres hommes politiques au Liban. Son problème c'est qu'il se croit non seulement mieux que les autres, mais qu'il est le meilleur de tous, alors qu'il est le champion du lâcher d'éléphants roses qui commencent à encombrer l'espace aérien libanais. Il est toujours prêt à se battre seul contre tous, et même s'il le faut, contre ces géants qui lui mettent des bâtons dans les roues, les moulins à vent. Il mérite de ce fait le titre que je lui ai décerné il y a quelques mois, Don Quichotte de la République libanaise