Si on est capable de présenter une thèse en 180 secondes, on est alors en mesure de former un gouvernement en moins de 3 minutes top chrono. Enfin, avant de finir la lecture de cet article. Même au Liban! Avec un minimum de bonne volonté, bien entendu. Il ne s'agit pas dans ce défi politique de dresser une liste de personnalités ministrables, forcément subjective, sans tenir compte de la réalité politique, parlementaire, communautaire, sectaire, clanique et milicienne du Liban.
Qui observe l'échiquier libanais avec un peu de recul est frappé par deux constats. D'une part, par ce contraste saisissant entre l'image théorique que chaque protagoniste donne de lui-même et l'impression réelle qui laisse beaucoup à désirer. D'autre part, par cette immaturité politique désespérante. Un bon leader est un manager qui sait garder le cap en pleine tempête, mais c'est aussi quelqu'un qui sait mettre en route une solution adaptée à la problématique posée. Au Liban, nous n'avons rien de tout ça.
Cela fait six mois que les élections législatives ont eu lieu et qu'on essaie désespérément de former un nouveau gouvernement. En vain. On a entendu parler de toutes sortes de caprices, de nœuds et de blocages. Toujours rien. Mettons de côté nos penchants politiques et les jugements partisans. Il est normal que chaque parti politique libanais essaie d'obtenir la plus grande part du gâteau gouvernemental, Courant patriotique libre en tête. Il est tout aussi normal que chaque leader politique libanais tente de s'accaparer tel ou tel ministère, régalien ou de service, Nasrallah, Bassil et Hariri en tête. Mais il n'est absolument pas normal que ce marchandage pour la formation du nouveau gouvernement au Liban, auquel tout le monde participe et en rêve, Geagea, Joumblatt et Berri en tête, s'éternise.
Et comment croyez-vous que tout cela va se terminer? Pardon, par un meilleur encadrement législatif ou constitutionnel de la formation des prochains nouveaux gouvernements? Foutaises. Hélas au grand hélas, ça va se terminer par une prime politique aux plus actifs des bloqueurs, le Hezbollah et le Courant patriotique libre. Et qui donnera cette prime svp? Ceux qui dénoncent à longueur des mois, le blocage, le Courant du Futur, le Parti socialiste, le parti des Forces libanaises, et j'en passe et des meilleurs.
Passons maintenant à un autre problème récurrent majeur qui pourrit la vie démocratique libanaise, la prorogation du mandat du président de la République (Hraoui en 1995 et Lahoud en 2004) et la vacance du pouvoir présidentiel pour des raisons politiciennes (1952, 1988-1990, 2007-2008 et 2014-2016). La dernière fois, celle-ci a duré 29 mois, le record. Eh oui, près de deux ans et demi de boycott de 44 séances électorales au Parlement svp. Là aussi, les boycotteurs étaient non seulement connus, mais fiers de l'être. Et comment tout cela s'est terminé? Pardon, par un meilleur encadrement législatif ou constitutionnel de l'élection présidentielle? Foutaises. Hélas au grand hélas, ça s'est terminé par une prime politique aux bloqueurs, le Hezbollah et le Courant patriotique libre. Et qui a donné cette prime svp? Là aussi, ce sont ceux qui ont dénoncé le blocage à longueur d'années, principalement, Samir Geagea et Saad Hariri.
Et encore, c'est sans parler de ce fait, ignoré par la classe politique et médiatique ou pris pour un détail insignifiant de l'histoire, nous sommes à la 4e élection d'un militaire comme président de la République, la 3e successive : Emile Lahoud (1998-2004), Michel Sleimane (2008-2014) et Michel Aoun (2016-2022). Pour ceux qui étaient en orbite autour de Mars, les trous entre ces trois mandats sont dus à la vacance du pouvoir à Baabda et à rien d'autre. En tout et pour tout, 30 ans de « règne militaire », soit plus du tiers de la vie de la jeune République libanaise.
Et encore, le général Fouad Chehab qui fait partie du lot, est un homme à part. Sauf votre respect, il n'a absolument rien à voir avec les trois autres généraux. La vacance du pouvoir avec lui, en 1952, n'a duré que 5 jours. Sous Michel Aoun, en 1988-1990, elle a duré de facto, plus de deux ans. Et encore et encore, si le Liban a de quoi le faire passer aujourd'hui en 2018 pour un pays en voie de développement, sur le plan des infrastructures, comme au niveau des institutions et des administrations, les Libanais le doivent en partie à ce grand homme d'Etat, qui a réussi à sortir le Liban de la guerre et du sous-développement durant son mandat (1958-1964).
Dans ce sillage, on ne peut pas ne pas évoquer le problème démocratique récurrent des autoprorogations parlementaires. Les députés élus en 2009, ont régné jusqu'en 2018. Pour un mandat de 4 ans « acheté », ils ont eu droit à un mandat de 4 ans « offert », avec un bonus supplémentaire de 1 an. Au total, les 128 ont siégé 9 ans, payés gracieusement par les impôts des Libanais et la dette publique, soit au total plus de 800 000 dollars par député, pour un rendement législatif des plus médiocres au monde. Seule Bahia Hariri a eu la décence de rendre cet argent, enfin, de l'offrir à une association. On a prétendu que la situation sécuritaire à l'époque ne permettait pas d'organiser le scrutin comme prévu par la Constitution en 2013. Le recul permet de dire d'une manière incontestable que c'était bidon. Ce sont des raisons politiciennes qui ont motivé les protagonistes, notamment l'évolution de la guerre en Syrie.
Récapitulons. La vie démocratique au Liban souffre depuis longtemps de trois tares majeures:
. Primo, l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif, en temps de paix (2009-2018) comme en temps de guerre (1972-1992).
. Secundo, la vacance du pouvoir présidentiel, à défaut de l'élection d'un président de la République dans les temps (imposée par la Constitution) pour la seconde fois consécutive depuis la seconde indépendance de 2005 (en 2007, comme en 2014) ; avec une particularité néfaste pour une démocratie saine, l'impossibilité d'élire un président de République issu de la « société civile », depuis 20 ans (il y a une génération de Libanais qui n'a connu que des présidents militaires!).
. Tertio, l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif, à chaque constitution d'un nouveau gouvernement, une constante qui s'aggrave depuis la première indépendance de 1943 ; avec une hérésie contemporaine, la part de ministres réservée au président de la République.
Là encore, mettons de côté nos différends politiques. Personne ne peut renier ces trois constats ou se réjouir de cet état de fait, particulièrement néfaste pour le bon fonctionnement de l'Etat libanais et de la vie démocratique au Liban. Et pourtant, aucun leader d'aucun parti politique libanais ne propose une esquisse d'ébauche de procédure draconienne à ces trois problèmes récurrents. Ni Aoun, ni Hariri, ni Berri, ni Geagea, ni Bassil, ni Gemayel, ni Mikati, ni Joumblatt, ni Nasrallah, aucun c'est personne. Et vous savez pourquoi? Parce que tout le monde veut garder cette possibilité de profiter des failles du système démocratique libanais à son avantage quand les conditions politiques deviennent défavorables! Hélas, c'est la triste réalité.
Et le pire dans notre malheur c'est que le quatrième pouvoir au Liban, la presse et les médias, ne joue absolument pas son rôle de contre-pouvoir et de pression, pour obliger les dirigeants libanais à proposer des remèdes. Pas plus que la société civile. Exemple flagrant, « la rebelle » à la double casquette, Paula Yacoubian, reine des palabres le jour et belle au bois dormant la nuit. Politiciens, journalistes et activistes, sont omniprésents quand il s'agit de proses et d'envolées lyriques, mais aux abonnés absents pour ce qui est d'identifier les problèmes, d'élaborer des solutions et d'en faire des leitmotivs, jusqu'à la concrétisation. Mais enfin, on n'enfonce pas un clou, du premier coup!
Pour redonner vie à notre démocratie moribonde, je vois trois « mesures draconiennes » à introduire dans notre Constitution, un terme qui fait référence à Dracon, un législateur grec du 7e siècle avant JC, célèbre pour ses lois rigoureuses.
. Primo, l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif (parlement) doit être totalement interdite, sauf si le Liban est officiellement en état d'urgence ou dans un état de guerre. Afin de bien dissuader les vaillants représentants de la nation de passer à l'acte, toute autoprorogation du mandat parlementaire ne doit plus être rémunérée. C'est la seule garantie pour le peuple libanais de s'assurer que l'autoprorogation exceptionnelle sera la plus courte possible. Et qui, des politicards libanais, homme ou femme, est mécontent, il faudra lui signifier légalement que le placard est spacieux et il est grand ouvert!
. Secundo, pour la vacance du pouvoir présidentiel (présidence), nous devons imposer aux députés le principe du conclave présidentiel. On peut penser à d'autres solutions aussi, mais l'idée d'enfermer les députés libanais dans le Parlement place de l'Etoile (comme les cardinaux dans la chapelle Sixtine au Vatican), pour leur rappeler qu'élire un président est une obligation et non une option (comme le précise clairement la Constitution), indépendamment du bon vouloir et des caprices du président du Parlement (jusqu'à l'élection du président de la République), est non seulement efficace, mais jouissif de surcroit.
Là aussi, afin de rendre la vacance impossible ou la plus courte possible, les députés libanais ne doivent plus être rémunérés tant que durera la vacance présidentielle, ce qui est on ne peut plus normal, puisque toute vacance signifie qu'ils n'ont pas fait leur boulot! Je serai partisan d'introduire une amende par jour de vacance présidentielle, justifiée par le fait que le contrat entre les députés fautifs et le peuple libanais n'a pas été honoré complètement.
. Tertio, pour éviter désormais l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif (gouvernement), nous devons instaurer plusieurs procédés pour y remédier:
- interdire le cumul de mandat ; on ne doit plus avoir la possibilité d'être à la fois député et ministre ; en dehors du conflit d'intérêt, ce cumul est une arnaque démocratique car on ne peut pas être juge et parti, assumant ces deux fonctions convenablement ;
- institutionnaliser la norme 1 ministre pour 5 députés, avec un gouvernement de 25 ministres tout au plus ; les députés indépendants devront donc se réunir pour obtenir un ministre de leur choix ;
- tirer l'hérésie de la part du président au clair ; un président issu d'un parti politique ne doit pas avoir une part ministérielle, celle-ci se confond avec celle de son parti ; dans le cas de Michel Aoun c'est flagrant, personne n'est aussi politisé que l'actuel président de la République, « Chamel c'est moi et moi c'est Chamel » et le soutien indéfectible au Hezbollah prouvent à quel point Michel Aoun épouse les positions du CPL ;
- pour ce qui est de l'attribution des ministères, le cœur du problème, la solution est d'une simplicité déconcertante, elle se fait par tirage au sort ; du coup, ce casse-tête deviendra une procédure simplifiée, indépendante des répugnantes tractations communautaires et de l'appropriation abjecte de certains ministères (les Finances pour le Futur ou Amal ; les Affaires étrangères pour Amal ou le CPL ; l'Energie pour le CPL et ses alliés ; etc.).
Il faut se rendre à l'évidence, l'Etat libanais a un grave problème de fonctionnement. On ne peut pas s'offrir le luxe de proroger le mandat des parlementaires de cinq ans à chaque élection législative (tous les quatre ans). Non mais, on ne peut plus s'offrir le luxe d'avoir une vacance de la présidence de la République de deux ans et demi à chaque élection présidentielle (tous les six ans). Mais enfin, on ne peut pas non plus s'offrir le luxe de s'enliser six mois dans la formation d'un nouveau gouvernement (tous les deux ou trois ans).
La situation est surréaliste. Le Liban ne peut plus se le permettre, les Libanais ne doivent plus le permettre. La classe politique libanaise est défaillante. Aucun parti politique libanais ne propose quoi que ce soit pour éviter l'implosion politique du pays. Je ne parle même pas de l'implosion écologique ou économique. Les médias libanais ne font pas mieux. On s'en fout royalement de la dernière prose stérile du journaliste Marcel Ghanem et de toutes ces interminables introductions hypnotisantes des journaux télévisés, une spécialité orientale, qui n'a pas sa place dans les médias occidentaux! Ce qu'on demande aux Dima Sadek et à ses collègues, c'est de laisser la prose aux écrivains et la poésie aux poètes, afin de penser moins aux apparences et plus aux questions à poser, à chaque invité et à chaque émission politique : « qu'est-ce que vous comptez faire pour éviter une prochaine prorogation du mandant du Parlement, une prochaine vacance présidentielle et un prochain enlisement dans la formation du gouvernement? »
Il va de soi, qu'en introduisant de telles réformes, nous ne serons pas au bout de nos peines. Mais cela signifie que tous les Libanais s'entendent sur un minimum de choses, des valeurs démocratiques et les règles du jeu politique. Comment peut-on espérer avancer et sortir de la logique de la ferme et des tribus, avec autant d'aberrations politiques qui affectent les pouvoirs présidentiel, législatif et exécutif, et nuisent gravement au fonctionnement de l'Etat libanais? On ne pourra pas, faut pas rêver. La preuve, la situation ne fait qu'empirer.
Les avantages de ces réformes sont multiples :
- résoudre efficacement ces problèmes récurrents, une fois pour toutes! ;
- les résoudre d'une manière équitable, pour tous les protagonistes ;
- les résoudre loin des utopies, comme l'abolition du confessionnalisme ou la panacée de la gouvernance par les technocrates ou la société civile ;
- les résoudre sans passer par les croyances politiques naïves du moment des uns et des autres, toujours croire à ce « facteur externe » qui transformera la carcasse libanaise en une Rolls Royce : l'entrée en vigueur aujourd'hui même des nouvelles sanctions américaines contre l'Iran ; les élections de mi-mandat aux Etats-Unis ; les manigances de l'imposteur de la Turquie contre MBS ; l'exploitation de l'affaire Khashoggi contre l'Arabie saoudite ; la prolongation de l'espérance de vie du tyran de Damas ; les nouveaux mandats d'arrêt internationaux émis il y a quelques jours par la France contre trois hauts responsables de la sécurité et des renseignements de Syrie (dont Ali Mamelouk, l'homme qui voulait en 2012 replonger le Liban dans la guerre civile et communautaire sur ordre de Bachar el-Assad et via Michel Samaha) pour « complicité d’actes de tortures, complicité de disparitions forcées, complicité de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de délits de guerre » ; et j'en passe et des meilleures.
Pas de temps à perdre, politiques, journalistes et activistes doivent harceler les dirigeants libanais avec les mêmes questions, jusqu'à l'obtention de solutions satisfaisantes. Au niveau électrique comme au niveau politique. A défaut, il faut cesser de râler, accepter l'état de fait et attendre sereinement la banqueroute générale.
Qui observe l'échiquier libanais avec un peu de recul est frappé par deux constats. D'une part, par ce contraste saisissant entre l'image théorique que chaque protagoniste donne de lui-même et l'impression réelle qui laisse beaucoup à désirer. D'autre part, par cette immaturité politique désespérante. Un bon leader est un manager qui sait garder le cap en pleine tempête, mais c'est aussi quelqu'un qui sait mettre en route une solution adaptée à la problématique posée. Au Liban, nous n'avons rien de tout ça.
*
Cela fait six mois que les élections législatives ont eu lieu et qu'on essaie désespérément de former un nouveau gouvernement. En vain. On a entendu parler de toutes sortes de caprices, de nœuds et de blocages. Toujours rien. Mettons de côté nos penchants politiques et les jugements partisans. Il est normal que chaque parti politique libanais essaie d'obtenir la plus grande part du gâteau gouvernemental, Courant patriotique libre en tête. Il est tout aussi normal que chaque leader politique libanais tente de s'accaparer tel ou tel ministère, régalien ou de service, Nasrallah, Bassil et Hariri en tête. Mais il n'est absolument pas normal que ce marchandage pour la formation du nouveau gouvernement au Liban, auquel tout le monde participe et en rêve, Geagea, Joumblatt et Berri en tête, s'éternise.
Et comment croyez-vous que tout cela va se terminer? Pardon, par un meilleur encadrement législatif ou constitutionnel de la formation des prochains nouveaux gouvernements? Foutaises. Hélas au grand hélas, ça va se terminer par une prime politique aux plus actifs des bloqueurs, le Hezbollah et le Courant patriotique libre. Et qui donnera cette prime svp? Ceux qui dénoncent à longueur des mois, le blocage, le Courant du Futur, le Parti socialiste, le parti des Forces libanaises, et j'en passe et des meilleurs.
Passons maintenant à un autre problème récurrent majeur qui pourrit la vie démocratique libanaise, la prorogation du mandat du président de la République (Hraoui en 1995 et Lahoud en 2004) et la vacance du pouvoir présidentiel pour des raisons politiciennes (1952, 1988-1990, 2007-2008 et 2014-2016). La dernière fois, celle-ci a duré 29 mois, le record. Eh oui, près de deux ans et demi de boycott de 44 séances électorales au Parlement svp. Là aussi, les boycotteurs étaient non seulement connus, mais fiers de l'être. Et comment tout cela s'est terminé? Pardon, par un meilleur encadrement législatif ou constitutionnel de l'élection présidentielle? Foutaises. Hélas au grand hélas, ça s'est terminé par une prime politique aux bloqueurs, le Hezbollah et le Courant patriotique libre. Et qui a donné cette prime svp? Là aussi, ce sont ceux qui ont dénoncé le blocage à longueur d'années, principalement, Samir Geagea et Saad Hariri.
Et encore, c'est sans parler de ce fait, ignoré par la classe politique et médiatique ou pris pour un détail insignifiant de l'histoire, nous sommes à la 4e élection d'un militaire comme président de la République, la 3e successive : Emile Lahoud (1998-2004), Michel Sleimane (2008-2014) et Michel Aoun (2016-2022). Pour ceux qui étaient en orbite autour de Mars, les trous entre ces trois mandats sont dus à la vacance du pouvoir à Baabda et à rien d'autre. En tout et pour tout, 30 ans de « règne militaire », soit plus du tiers de la vie de la jeune République libanaise.
Et encore, le général Fouad Chehab qui fait partie du lot, est un homme à part. Sauf votre respect, il n'a absolument rien à voir avec les trois autres généraux. La vacance du pouvoir avec lui, en 1952, n'a duré que 5 jours. Sous Michel Aoun, en 1988-1990, elle a duré de facto, plus de deux ans. Et encore et encore, si le Liban a de quoi le faire passer aujourd'hui en 2018 pour un pays en voie de développement, sur le plan des infrastructures, comme au niveau des institutions et des administrations, les Libanais le doivent en partie à ce grand homme d'Etat, qui a réussi à sortir le Liban de la guerre et du sous-développement durant son mandat (1958-1964).
Dans ce sillage, on ne peut pas ne pas évoquer le problème démocratique récurrent des autoprorogations parlementaires. Les députés élus en 2009, ont régné jusqu'en 2018. Pour un mandat de 4 ans « acheté », ils ont eu droit à un mandat de 4 ans « offert », avec un bonus supplémentaire de 1 an. Au total, les 128 ont siégé 9 ans, payés gracieusement par les impôts des Libanais et la dette publique, soit au total plus de 800 000 dollars par député, pour un rendement législatif des plus médiocres au monde. Seule Bahia Hariri a eu la décence de rendre cet argent, enfin, de l'offrir à une association. On a prétendu que la situation sécuritaire à l'époque ne permettait pas d'organiser le scrutin comme prévu par la Constitution en 2013. Le recul permet de dire d'une manière incontestable que c'était bidon. Ce sont des raisons politiciennes qui ont motivé les protagonistes, notamment l'évolution de la guerre en Syrie.
*
Récapitulons. La vie démocratique au Liban souffre depuis longtemps de trois tares majeures:
. Primo, l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif, en temps de paix (2009-2018) comme en temps de guerre (1972-1992).
. Secundo, la vacance du pouvoir présidentiel, à défaut de l'élection d'un président de la République dans les temps (imposée par la Constitution) pour la seconde fois consécutive depuis la seconde indépendance de 2005 (en 2007, comme en 2014) ; avec une particularité néfaste pour une démocratie saine, l'impossibilité d'élire un président de République issu de la « société civile », depuis 20 ans (il y a une génération de Libanais qui n'a connu que des présidents militaires!).
. Tertio, l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif, à chaque constitution d'un nouveau gouvernement, une constante qui s'aggrave depuis la première indépendance de 1943 ; avec une hérésie contemporaine, la part de ministres réservée au président de la République.
Là encore, mettons de côté nos différends politiques. Personne ne peut renier ces trois constats ou se réjouir de cet état de fait, particulièrement néfaste pour le bon fonctionnement de l'Etat libanais et de la vie démocratique au Liban. Et pourtant, aucun leader d'aucun parti politique libanais ne propose une esquisse d'ébauche de procédure draconienne à ces trois problèmes récurrents. Ni Aoun, ni Hariri, ni Berri, ni Geagea, ni Bassil, ni Gemayel, ni Mikati, ni Joumblatt, ni Nasrallah, aucun c'est personne. Et vous savez pourquoi? Parce que tout le monde veut garder cette possibilité de profiter des failles du système démocratique libanais à son avantage quand les conditions politiques deviennent défavorables! Hélas, c'est la triste réalité.
Et le pire dans notre malheur c'est que le quatrième pouvoir au Liban, la presse et les médias, ne joue absolument pas son rôle de contre-pouvoir et de pression, pour obliger les dirigeants libanais à proposer des remèdes. Pas plus que la société civile. Exemple flagrant, « la rebelle » à la double casquette, Paula Yacoubian, reine des palabres le jour et belle au bois dormant la nuit. Politiciens, journalistes et activistes, sont omniprésents quand il s'agit de proses et d'envolées lyriques, mais aux abonnés absents pour ce qui est d'identifier les problèmes, d'élaborer des solutions et d'en faire des leitmotivs, jusqu'à la concrétisation. Mais enfin, on n'enfonce pas un clou, du premier coup!
Pour redonner vie à notre démocratie moribonde, je vois trois « mesures draconiennes » à introduire dans notre Constitution, un terme qui fait référence à Dracon, un législateur grec du 7e siècle avant JC, célèbre pour ses lois rigoureuses.
. Primo, l'autoprorogation du mandat du pouvoir législatif (parlement) doit être totalement interdite, sauf si le Liban est officiellement en état d'urgence ou dans un état de guerre. Afin de bien dissuader les vaillants représentants de la nation de passer à l'acte, toute autoprorogation du mandat parlementaire ne doit plus être rémunérée. C'est la seule garantie pour le peuple libanais de s'assurer que l'autoprorogation exceptionnelle sera la plus courte possible. Et qui, des politicards libanais, homme ou femme, est mécontent, il faudra lui signifier légalement que le placard est spacieux et il est grand ouvert!
. Secundo, pour la vacance du pouvoir présidentiel (présidence), nous devons imposer aux députés le principe du conclave présidentiel. On peut penser à d'autres solutions aussi, mais l'idée d'enfermer les députés libanais dans le Parlement place de l'Etoile (comme les cardinaux dans la chapelle Sixtine au Vatican), pour leur rappeler qu'élire un président est une obligation et non une option (comme le précise clairement la Constitution), indépendamment du bon vouloir et des caprices du président du Parlement (jusqu'à l'élection du président de la République), est non seulement efficace, mais jouissif de surcroit.
Là aussi, afin de rendre la vacance impossible ou la plus courte possible, les députés libanais ne doivent plus être rémunérés tant que durera la vacance présidentielle, ce qui est on ne peut plus normal, puisque toute vacance signifie qu'ils n'ont pas fait leur boulot! Je serai partisan d'introduire une amende par jour de vacance présidentielle, justifiée par le fait que le contrat entre les députés fautifs et le peuple libanais n'a pas été honoré complètement.
. Tertio, pour éviter désormais l'enlisement dans la formation du pouvoir exécutif (gouvernement), nous devons instaurer plusieurs procédés pour y remédier:
- interdire le cumul de mandat ; on ne doit plus avoir la possibilité d'être à la fois député et ministre ; en dehors du conflit d'intérêt, ce cumul est une arnaque démocratique car on ne peut pas être juge et parti, assumant ces deux fonctions convenablement ;
- institutionnaliser la norme 1 ministre pour 5 députés, avec un gouvernement de 25 ministres tout au plus ; les députés indépendants devront donc se réunir pour obtenir un ministre de leur choix ;
- tirer l'hérésie de la part du président au clair ; un président issu d'un parti politique ne doit pas avoir une part ministérielle, celle-ci se confond avec celle de son parti ; dans le cas de Michel Aoun c'est flagrant, personne n'est aussi politisé que l'actuel président de la République, « Chamel c'est moi et moi c'est Chamel » et le soutien indéfectible au Hezbollah prouvent à quel point Michel Aoun épouse les positions du CPL ;
- pour ce qui est de l'attribution des ministères, le cœur du problème, la solution est d'une simplicité déconcertante, elle se fait par tirage au sort ; du coup, ce casse-tête deviendra une procédure simplifiée, indépendante des répugnantes tractations communautaires et de l'appropriation abjecte de certains ministères (les Finances pour le Futur ou Amal ; les Affaires étrangères pour Amal ou le CPL ; l'Energie pour le CPL et ses alliés ; etc.).
*
Il faut se rendre à l'évidence, l'Etat libanais a un grave problème de fonctionnement. On ne peut pas s'offrir le luxe de proroger le mandat des parlementaires de cinq ans à chaque élection législative (tous les quatre ans). Non mais, on ne peut plus s'offrir le luxe d'avoir une vacance de la présidence de la République de deux ans et demi à chaque élection présidentielle (tous les six ans). Mais enfin, on ne peut pas non plus s'offrir le luxe de s'enliser six mois dans la formation d'un nouveau gouvernement (tous les deux ou trois ans).
La situation est surréaliste. Le Liban ne peut plus se le permettre, les Libanais ne doivent plus le permettre. La classe politique libanaise est défaillante. Aucun parti politique libanais ne propose quoi que ce soit pour éviter l'implosion politique du pays. Je ne parle même pas de l'implosion écologique ou économique. Les médias libanais ne font pas mieux. On s'en fout royalement de la dernière prose stérile du journaliste Marcel Ghanem et de toutes ces interminables introductions hypnotisantes des journaux télévisés, une spécialité orientale, qui n'a pas sa place dans les médias occidentaux! Ce qu'on demande aux Dima Sadek et à ses collègues, c'est de laisser la prose aux écrivains et la poésie aux poètes, afin de penser moins aux apparences et plus aux questions à poser, à chaque invité et à chaque émission politique : « qu'est-ce que vous comptez faire pour éviter une prochaine prorogation du mandant du Parlement, une prochaine vacance présidentielle et un prochain enlisement dans la formation du gouvernement? »
Il va de soi, qu'en introduisant de telles réformes, nous ne serons pas au bout de nos peines. Mais cela signifie que tous les Libanais s'entendent sur un minimum de choses, des valeurs démocratiques et les règles du jeu politique. Comment peut-on espérer avancer et sortir de la logique de la ferme et des tribus, avec autant d'aberrations politiques qui affectent les pouvoirs présidentiel, législatif et exécutif, et nuisent gravement au fonctionnement de l'Etat libanais? On ne pourra pas, faut pas rêver. La preuve, la situation ne fait qu'empirer.
Les avantages de ces réformes sont multiples :
- résoudre efficacement ces problèmes récurrents, une fois pour toutes! ;
- les résoudre d'une manière équitable, pour tous les protagonistes ;
- les résoudre loin des utopies, comme l'abolition du confessionnalisme ou la panacée de la gouvernance par les technocrates ou la société civile ;
- les résoudre sans passer par les croyances politiques naïves du moment des uns et des autres, toujours croire à ce « facteur externe » qui transformera la carcasse libanaise en une Rolls Royce : l'entrée en vigueur aujourd'hui même des nouvelles sanctions américaines contre l'Iran ; les élections de mi-mandat aux Etats-Unis ; les manigances de l'imposteur de la Turquie contre MBS ; l'exploitation de l'affaire Khashoggi contre l'Arabie saoudite ; la prolongation de l'espérance de vie du tyran de Damas ; les nouveaux mandats d'arrêt internationaux émis il y a quelques jours par la France contre trois hauts responsables de la sécurité et des renseignements de Syrie (dont Ali Mamelouk, l'homme qui voulait en 2012 replonger le Liban dans la guerre civile et communautaire sur ordre de Bachar el-Assad et via Michel Samaha) pour « complicité d’actes de tortures, complicité de disparitions forcées, complicité de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de délits de guerre » ; et j'en passe et des meilleures.
Pas de temps à perdre, politiques, journalistes et activistes doivent harceler les dirigeants libanais avec les mêmes questions, jusqu'à l'obtention de solutions satisfaisantes. Au niveau électrique comme au niveau politique. A défaut, il faut cesser de râler, accepter l'état de fait et attendre sereinement la banqueroute générale.