jeudi 13 avril 2017

Le torpillage des élections législatives au Liban a commencé il y a bien longtemps (Art.426)


Il semble qu'un poisson a une mémoire de trois minutes. Pêché puis relâché dans l'eau, on peut le retrouver trois minutes plus tard au même endroit et dans le même filet. Nous autres bipèdes, nous sommes sortis de l'eau il y a un moment déjà. Nous avons eu largement le temps de nous sécher et d'évoluer, notre mémoire est devenue beaucoup plus performante. Et pourtant, on retombe encore et toujours dans le même filet tendu par cette classe politique dont la performance est inversement proportionnelle à l'insolence. Bienvenue au Liban.


Les députés libanais s'apprêtaient à s'autoproroger leur mandat pour la 3e fois, comble de l'ironie, un certain 13 avril, une date qui coïncide avec le 42e anniversaire du déclenchement de la guerre du Liban en 1975. En temps de guerre comme en temps de paix, les leaders libanais, pour la majorité ce sont les mêmes protagonistes, ne sont toujours pas capables de respecter la Constitution de la République libanaise, d'assurer la bonne marche des institutions et d'organiser des élections dans les temps, alors que c'est la base même de tout système démocratique. Ça ne sera pas le cas pour les élections législatives, le retard sera d'au moins 4 ans. Ce ne fut même pas le cas d'ailleurs pour l'élection présidentielle. Il faut peut-être ne pas oublier que Michel Aoun n'a été élu qu'après 900 jours de vacance du pouvoir présidentiel et le boycott de 44 séances électorales par les députés du Courant patriotique libre (CPL) et du Hezbollah. Qu'importe les raisons et les prétextes des uns et des autres pour justifier leur décision politique et la tare de la démocratie libanaise. Ce symptôme est révélateur d'une maladie chronique grave qui affecte notre pays : l'immaturité politique de la nation libanaise.

Dans le nouveau feuilleton, le rôle des « méchants autocrates » partisans de l'autoprorogation est attribué aux « partis musulmans ». Achtung aux guillemets. Personne n'ose parler aussi crûment, d'une manière confessionnelle, et pourtant, tout le monde n'en pense pas moins. Les acteurs principaux de cette « comédie » seraient Saad Hariri (Premier ministre et président du Courant du Futur), Walid Joumblatt (chef du Parti socialiste), Nabih Berri (président du Parlement et chef du mouvement Amal) et Hassan Nasrallah (chef du Hezbollah). Raison invoquée par ce camp, les partis politiques libanais ne parviennent pas à se mettre d'accord sur une loi électorale qui a l'approbation de tous. Allez, comme il faut avancer, admettons qu'il faut l'approbation de tous pour faire voter une loi électorale. C'est sans doute très noble de la part de ces leaders, sauf qu'on essaie d'y parvenir depuis 2009 déjà, en vain. Il faut tout de même rappeler que les deux prorogations parlementaires précédentes étaient censées donner du temps aux protagonistes pour réussir. Si le quatuor était donc sincère, il devait tenir compte des dates butoirs. Ne pas l'avoir fait sème le doute et soulève une question fondamentale. Comment peut-on blanchir ces quatre leaders de l'accusation qu'ils ont bel et bien cherché, soit à imposer « leur » loi électorale (celle qui leur sera le plus favorable), soit à torpiller les élections législatives (en attendant l'issue de la guerre en Syrie) ou à l'organiser selon la loi actuelle, dite loi de 1960 (qui leur est favorable, selon un mode de scrutin plurinominal majoritaire, dans une circonscription de taille moyenne, le qadaa)?

Dans le rôle des « gentils démocrates » opposés à l'autoprorogation, il y a les « partis chrétiens ». Là aussi, l'hypocrisie règne, le cru ne fait pas partie du menu. Les acteurs principaux de cette « tragédie » seraient Michel Aoun (président de la République, ancien chef du Courant patriotique libre), Gebrane Bassil (nouveau chef du CPL) et Samir Geagea (chef du parti des Forces libanaises). Raison invoquée par ce camp, la nécessité de remplacer la loi électorale actuelle, dite loi de 1960, par une loi plus représentative. C'est évidemment très louable de la part de ces leaders, sauf que tout report des élections législatives, quelle qu'en soit la raison, est une double violation de la Constitution et de la démocratie libanaises. Si ce trio était sincère, il devait lui aussi tenir compte des dates butoirs. Ne pas l'avoir fait sème le doute et soulève également une autre question fondamentale. Pourquoi avoir accepté, réellement ou de facto, les deux premières prorogations du Parlement libanais, et ce forcing pour faire élire Michel Aoun, comme 13e président de la République, avec une assemblée autoprorogée, légale mais illégitime, et avant les nouvelles élections législatives?

Les réponses aux deux questions précédentes sont claires. Les deux camps ne sont pas sincères. L'autoprorogation est une chose acquise d'ores et déjà. Elle s'impose à tous, y compris au trio protestataire, Aoun-Bassil-Geagea, puisque les élections législatives ne peuvent plus être tenues avant le 20 juin 2017. Manifester contre l'autoprorogation n'a donc aucun sens, ça frôle l'hypocrisie puisque ces leaders chrétiens font partie du gouvernement de Saad Hariri et sont largement représentés au Parlement libanais. Que faisaient-ils bon Dieu, les quatre derniers mois? Ce n'est absolument pas le cas d'un autre leader chrétien, Samy Gemayel, chef du parti des Kataeb, il est le seul à se payer le luxe de mettre les deux camps en porte-à-faux. Alors, autoprorogation oui, mais toute la question est de savoir, pour combien de temps encore? A ce stade, une chose est sûre et certaine, les « pour » et les « contre » l'autoprorogation, ont tous des arrières-pensées politiciennes pas si nobles que ça. La vérité est ailleurs.

Les leaders libanais ne veulent pas d'élections législatives que si, et seulement si, elles pourraient leur permettre de maintenir leur poids représentatif ou de l'augmenter. A défaut, s'il y a le moindre risque que ça ne soit pas le cas, ils sont prêts à tout pour torpiller ce rendez-vous électoral avec les Libanais. C'est ce qui explique pourquoi un mandat entier de quatre ans (2013-2017) n'a pas permis au quatuor Hariri-Joumblatt-Berri-Nasrallah de trouver une loi électorale acceptable par l'autre camp. C'est ce qui explique aussi pourquoi le trio Aoun-Bassil-Geagea préfère, officiellement ou officieusement, sincèrement ou hypocritement, une autoprorogation ou une vacance parlementaire, à des élections législatives sous la loi électorale actuelle, la loi de 1960. 

Hélas, le torpillage des élections législatives au Liban a commencé il y a bien longtemps. Le recul nous permet d'y voir clair et de se rendre compte à quel point toute la classe politique libanaise, sans aucune exception, kelloun ye3né kelloun, est d'une hypocrisie affligeante. La violation de la Constitution et de la démocratie libanaises s'est déroulée en trois actes.

Acte I. En mai 2013, lors de la 1re prorogation, et plus tard, en novembre 2014, lors de la 2e prorogation, avec comme motif principal, l'insécurité. La tenue des élections municipales libanaises en mai 2016 a largement démontré que les deux prorogations étaient bidon. Pour mieux faire passe la pilule, le Conseil constitutionnel, une institution influencée par les intérêts politiciens et communautaires des leaders libanais, a approuvé ces violations constitutionnelles comme il a approuvé les séances législatives alors qu'on était en pleine vacance présidentielle.

Acte II. En octobre 2015, par l'adoption officielle de la candidature de Sleimane Frangié par Saad Hariri, suivie de celle de Michel Aoun par Samir Geagea en janvier 2016. Les candidatures de ces deux hommes s'inscrivaient, quoi que les intéressés en disaient, dans des « transactions politiciennes » qui englobaient des stratégies claires pour aborder les prochaines élections législatives. Tout le monde savait que ce sont ces dernières qui allaient déterminer le poids politique des leaders libanais et leur part du gâteau.

Acte III. En décembre 2016, par la formation d'un gouvernement, à près de six mois de l'expiration du mandat des députés libanais, en juin 2017. Ce point est capital pour comprendre les dérives d'une classe politique libanaise impertinente qui ment au peuple libanais, et même à ses électeurs, comme elle respire. Je l'ai dit, je le redis, je persiste et je signe. « Former un gouvernement en décembre, sachant que des élections législatives doivent avoir lieu avant juin, est une duperie du peuple libanais »Je l'ai écrit en novembre 2016. Le gouvernement de Tammam Salam aurait très bien pu expédier les affaires courantes encore quelques semaines, le temps de voter une nouvelle loi électorale et d'organiser des élections législatives. Par conséquent, si les leaders politiques libanais se sont donné autant de peine pour former un nouveau gouvernement et de s'étriper pour se partager les postes ministériels, à quelques mois de la fin du mandat de leurs députés, c'est justement parce qu'ils savaient que le gouvernement de Saad Hariri devait rester au-delà du 20 juin 2017. Donc, soit ils se sont tous entendus sur la 3e autoprorogation, soit ils avaient chacun la 3e autoprorogation en tête.

Dans le cadre de ses prérogatives, Michel Aoun a fini par demander le report d'un mois de la séance parlementaire qui était prévue aujourd'hui pour officialiser cette 3e autoprorogation. Depuis hier soir, Gebrane Bassil, le patron du CPL, et Charles Jabbour, le responsable de la com' des FL, boivent du petit lait, et expliquent combien l'élection d'un « président chrétien fort » a permis de changer la donne. C'est sûr, la décision du général Aoun va rester en travers de la gorge de l'estèz Berri. Très joli en effet sauf que les deux frères de lait oublient de préciser que le président de la République ne pourra pas refaire son coup une deuxième fois, comme le précise la deuxième partie de l'article 59 de la Constitution ! Par conséquent, les leaders politiques libanais disposent de 30 jours top chrono pour faire ce qu'ils n'ont pas réussi à faire en 3 000 jours, s'entendre sur une nouvelle loi électorale. Elle n'est pas belle l'efficacité libanaise, hein? Soit. Et s'ils ne s'entendent pas, on peut quand même l'envisager un instant, quelle sera la suite des événements? Un nouveau recours à la rue, comme celui qui était prévu pour aujourd'hui par le duo CPL-FL, pour empêcher par la force les députés de se rendre au Parlement et d'autoproroger leur mandat, au risque de plonger le pays dans la vacance du pouvoir législatif cette fois? 

Les tractations ont commencé et les moulins à vent tournent à plein régime. On pourrait même en produire de l'électricité virtuelle. En tout cas, qui se soucie un tant soit peu du respect de la Constitution libanaise, du fonctionnement des institutions de la République et de l'expression de la démocratique au Liban, doit se fixer trois objectifs.

. Primo, le vote urgent d'une loi électorale qui permet une bonne représentation du peuple libanais au Parlement. Dans ce but, assez de palabres, de perte de temps, wou 2art 7aké à n'en plus finir, sur le projet de loi mixte majoritaire-proportionelle de Gebrane Bassil, soutenu par Samir Geagea, de la proportionnelle intégrale de Hassan Nasrallah, défendue par Michel Aoun un temps, un mode de scrutin inédit comme en Israël soit dit au passage, du projet Hariri-Joumblatt-Geagea de l'âge d'or du 14-Mars, du tour de passe-passe de Nabih Berri, le roi incontesté du genre, et j'en passe et des meilleurs. Stop, arrêtez les dégâts ! La seule loi dont l'efficacité a été prouvée dans les pays démocratiques et qui soit simple à appliquer et adaptée au Liban, est celle de la circonscription uninominale à deux tours : une voix par député et un député par circonscription, et basta cosi !

. Secundo, l'organisation rapide des élections législatives, cela va de soi. Il est indécent de proposer une 3e autoprorogation d'un an en 2017, après une 1re autoprorogation d'un an et demi en 2013, et une 2e autoprorogation de deux ans et demi en 2014, ce qui nous fait au total cinq ans d'autoprorogation parlementaire cumulée (2013-2018). Dans tous les cas, en attendant la nouvelle loi électorale, la législation libanaise doit interdire au Parlement autoprorogé de légiférer. Des députés qui prolongent eux-mêmes leur mandat parlementaire, n'ont absolument pas la légitimité d'agir au nom du peuple libanais. C'est une évidence démocratique.

. Tertio, une baisse du nombre total de députés. L'accord de Taëf a fixé le nombre de députés à 108. Les combines politiciennes à l'époque de l'occupation syrienne du Liban ont permis la violation de la Constitution, en portant le nombre à 128. Il faut donc oser diviser la taille de l'assemblée nationale libanaise par deux. Ça fera des économies pour l'Etat en plus. Une soixantaine de députés est largement suffisante pour gérer un pays comme le Liban. Ce point est de toute façon incontournable pour éviter l'achat de voix et les pressions communautaires sur les individus, deux pratiques courantes au pays du Cèdre.
Par ailleurs, il faut instaurer des quotas pour les femmes au niveau des candidatures (avec 4 députées pour 124 députés, le Liban est la risée du monde!), permettre enfin aux expatriés libanais de participer aux élections depuis l'étranger (en votant dans leurs circonscriptions respectives et non en créant une circonscription de l'étranger!), abaisser l'âge légal de vote (de 21 ans à 18 ans) et autoriser les militaires à voter (cette discrimination n'a aucune justification démocratique).
Rajoutons enfin que toute « autoprorogation technique » à l'avenir ne doit pas excéder trois mois et doit s'accompagner de l'arrêt total de la rémunération des députés. Hein, comme disait Poutou le magnifique, candidat à l'élection présidentielle en France, s'ils n'étaient pas gracieusement payés, smallah 3leiyoun, les députés et les ministres libanais seraient peut-être plus motivés à trouver rapidement une nouvelle loi électorale et à organiser au plus vite de nouvelles élections législatives.