jeudi 22 mars 2018

Le Hezbollah lance la mère de toutes les batailles législatives du temple de Bacchus, le dieu romain du vin! Et c'est de très mauvais augure (Art.517)


Ah, mais j'avais juré de ne pas me mêler de la mascarade électorale libanaise! Seulement voilà, j'ai des bonnes et des mauvaises nouvelles. 


Le Hezbollah lance la mère de toutes les batailles législatives du temple de Bacchus


Sans plus attendre, je vous propose de commencer par une bonne. L'anecdote vaut le détour et le détournement! Dans un show d'inspiration américaine et devant une marre de têtes à casquettes, jaunes bien entendu, quelques vertes et des pas mûres (dénudées pour assumer), le Hezbollah a annoncé le 18 mars 2018, la liste de ses candidats aux prochaines élections législatives pour la circonscription de Baalbek-Hermel, « al-amal wal-wafaa » (l'espoir et la fidélité). Rien d'extraordinaire à part le fait que l'écrasante majorité des photos de l'événement qui circulent évite un certain angle de vue, celui où l'on voit clairement que le lancement de la mère de toutes les batailles électorales de 2018 s'est fait du haut de l'escalier archéologique qui mène au temple de Bacchus à Baalbek.


Le Hezb aurait pu choisir le temple d'à côté qui est dédié au père de Bacchus, Jupiter, Dieu des dieux pour les Romains, Dieu du ciel, de la lumière, du tonnerre et de la foudre, dispensateur des biens terrestres et protecteur de la Cité et de l’Empire romain ! C'est pour dire, c'est l'équivalent de Zeus des Grecs et de Baal des Phéniciens. Eh bien non, le Hezbollah a préféré lancer ce qui sera sans doute la mère de toutes les batailles législatives, de ce qui fut jadis, Héliopolis, la ville du soleil, et devant « maabad bakhos », le dieu romain du vin, une merveille construite au IIe siècle, un des temples romains les mieux conservés au monde.

C'est d'autant plus surprenant que l'autoproclamé « parti d'Allah », autodésigné « vainqueurs », qui est dirigé par des hommes religieux -certains Libanais y sont tellement habitués et conditionnés qu'ils l'oublient et ils voudraient qu'on fasse de même!- a précisé à plusieurs reprises, la dernière il n'y a pas si longtemps que ça, que son projet idéologique demeure l'établissement d'une république islamique chiite au Liban, où le vin n'aura plus droit de cité. C'est fâcheux, déjà que le lait et le miel ne coulent plus de source au pays du Cèdre depuis belle lurette !

La première mauvaise nouvelle c'est qu'il est clairement interdit par la loi électorale, sans la moindre ambiguité à ce sujet, d'utiliser les sites de l'Etat pour faire campagne. Oui ça commence mal, sauf qu'à Baalbek, le Hezbollah fait sa loi, l'Etat libanais n'a qu'à balayer devant les portes des gentils candidats de Beyrouth et des environs, en évitant soigneusement la Banlieue Sud, cela va sans dire.

La deuxième mauvaise nouvelle est la présence sur cette liste d'une figure qui est, le moins qu'on puisse dire, controversée, un dénommé Albert Mansour. Elu député de Baalbek-Hermel en 1972 déjà! Il est resté 20 ans, faute de nouvelles élections législatives à cause de la guerre. A partir de 1992, il essaiera à cinq reprises de retrouver son siège, en vain. Inutile de vous dire que son repêchage sur la liste du Hezb en 2018 pour le siège grec-catholique est une aubaine pour l'octogénaire.

Question détails, Albert Mansour fut un moment le trésorier du Mouvement national libanais, el-harakat al-wataniyat, une coalition de partis politiques de gauche (fondée en 1969), puis de milices armées (à partir 1973), présidée par Kamal Joumblatt et regroupant le Parti socialiste progressiste, le Parti communiste, le Parti social nationaliste syrien, les deux partis Baath libanais et les deux partis nassériens (indépendants « mourabitounes » d'Ibrahim Kleilat et populaires de Maarouf Saad). Le MNL s'était allié au début de la guerre à l'OLP, la milice palestinienne au Liban, et a combattu les milices du Front libanais (Kataeb, Ahrar, etc.). En 1982, Albert Mansour fut l'un des opposants les plus farouches à l'élection de Bachir Gemayel, chef de la milice des Forces libanaises, comme président de la République.

Et encore, ce n'est pas ce passé qui rend le personnage infréquentable. Albert Mansour était ministre de la Défense le jour de l'invasion du « réduit chrétien » par l'armée d'occupation syrienne le sinistre 13 octobre 1990, afin de déloger le général Michel Aoun, ex-Premier ministre du gouvernement intérimaire. Encore pour l'histoire, profitant de l'aubaine, les miliciens du Hezbollah s'étaient engouffrés dans les régions limitrophes chiites-chrétiennes, derrière les troupes syriennes d'occupation et les troupes libanaises d'Emile Lahoud. Ce jour-là, ils avaient été arrêtés par les miliciens d'Elie Hobeika, alors qu'ils étaient tous les deux des alliés des Syriens.

Sur la liste figure aussi Jamil el-Sayyed. Son CV est plus court et encore moins reluisant. Major de promotion à l'Académie militaire, ah si! Mais ce n'est pas cette anecdote de l'avant-guerre qui effacera le reste. S'il n'y a qu'un symbole de la Pax Syriana, la période de terreur et de répression qu'ont fait régnaient les forces d'occupation syriennes au Liban entre 1991 et 2005, directement ou via des intermédiaires libanais, à l'encontre des opposants à l'occupation syrienne du Liban, particulièrement les militants des partis des Forces libanaises et du Courant patriotique libre, c'est lui.

Il était numéro deux des services de Renseignements de l'armée libanaise, puis directeur général de la Sûreté générale. Il sera emprisonné le 30 août 2005 et pour quatre ans, dans le cadre de l'enquête portant sur l'attentat terroriste du 14 février 2005 qui a couté la vie à l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et à 21 autres personnes, et dans lequel cinq membres du Hezbollah sont accusés et jugés actuellement par le Tribunal Spécial pour le Liban.  C'est seulement parce que « le Procureur a estimé ne pas disposer, à l’heure actuelle, d’éléments de preuve suffisants pour mettre en accusation les quatre généraux (dont Jamil el-Sayyed) », nuance!, que le Juge de la mise en état du TSL a ordonné la mise en liberté de ces derniers le 29 avril 2009. Après sa libération, il a tenté de redorer son blason et se forger une immunité diplomatique qui le met définitivement à l'abri du filet des juges de La Haye, en briguant le poste d'ambassadeur à l'Unesco, pas du Liban vous pensez bien, mais des îles Marshall! Là aussi, inutile de vous dire que son repêchage sur la liste du Hezb en 2018 pour le siège chiite constitue une aubaine pour le septuagénaire.

Sur la liste du Hezbollah également Emile Rahmé, un moulin à vent qui n'est là que pour combler le trou communautaire réservé par la loi électorale à un candidat maronite. Le Hezb a tenu à ne pas annoncer le nom du candidat à ce siège, lorsque Naïm Kassem son numéro deux avait révélé la liste du parti le 23 février, laissant à son allié le Courant patriotique libre comme il l'a dit, le soin de le désigner plus tard. Ça y est, ça sera lui, comme l'aurait décidé Gebran Bassil, le chef du CPL, sans trop le crier sur les toits, d'autant plus qu'officiellement cet ex-FL, originaire de Deir el-Ahmar, est membre du bloc des Marada de Sleimane Frangié, le candidat du Futur à la présidence de la République. Chuttttttt, on cuisine.

L'enjeu de la bataille électorale de la circonscription Baalbek-Hermel


Voilà pour le décor. Tout cela nous conduit vers une question fondamentale: quelle sera l'attitude des 309 342 électeurs de Baalbek-Hermel le 6 mai prochain? L'enjeu est important car il s'agit de l'une des plus grandes circonscriptions au Liban, avec 10 sièges à pourvoir. C'est pour la théorie. En pratique, 6 sièges sont déjà réservés au parti chiite du Hezbollah. Sans opposition de poids et avec un esprit communautaire bien ancré, partagé par toutes les communautés sans exception, le plébiscite des forces électorales chiites (67% des électeurs dans le caza de Baalbek, 95% du caza de Hermel ; au total, il y a plus de 223 115 électeurs chiites, soit 72% de la circonscription) pour le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ne sera pas remis en cause cette fois. On parle de Hussein el-Husseini entre autres, surtout qu'une minorité de la rue chiite gronde contre l'aventure du Hezbollah en Syrie, qui a couté à la communauté plus de 1 500 morts et des milliers de blessés. Peut être pour les autres fois. Peut être quand les poules auront des dents ! En réalité, l'enjeu de cette circonscription se concentre sur les 4 sièges qui restent, dans une région considérée par le Hezbollah, à tort, comme son fief : 2 sunnites, 1 grec-catholique et 1 maronite. Avec la dose de proportionnelle de la nouvelle loi électorale, l'hégémonie du Hezbollah peut être brisée.

Passons maintenant au champ de bataille. Les forces électorales sunnites (43 363 électeurs, soit 14% du total, essentiellement dans le caza de Baalbek), se concentrent dans les villes de Baalbek, Fakeha et surtout, Aarsal, l'épine plantée dans le flanc droit du Hezbollah. Elles sont menées par le chef du Courant du Futur, Saad Hariri. Les forces électorales chrétiennes (même topo, 41 555 électeurs, soit 13,4% du total, essentiellement dans le caza de Baalbek), se concentrent à Qaa, Ras-Baalbek et surtout, Deir el-Ahmar, l'autre épine plantée dans le flanc gauche du Hezbollah. Elles sont menées par le chef du parti des Forces libanaises, Samir Geagea. Alors que le Hezbollah a bouclé et a annoncé sa liste dans la circonscription de Baalbek-Hermel, les négociations sont encore en cours entre les ex-piliers du 14-Mars, le camp de « la Syrie dehors », pour se mettre au diapason, former une liste commune et se décider à combattre le pilier principal du 8-Mars, le camp de « Merci la Syrie des Assad ». Toujours en cours! Rien ne presse peut-être, sauf que la date limite du dépôt des listes est fixée au 26 mars, lundi prochaine à minuit. Plus grave encore, pour qu'une liste soit valide il faut qu'elle soit composée de 40% des sièges, soit 4 sièges sur les 10 à pourvoir, et qu'elle contient au moins un siège par caza. Par conséquent, Saad Hariri et Samir Geagea n'ont pas le choix, ensemble ils peuvent constituer une liste et arracher des sièges à Hassan Nasrallah, séparés, ils ne pourront pas constituer de listes et le Hezbollah emportera toute la mise électorale à Baalbek-Hermel. Le siège maronite d'Antoine Habchi, FL, dont on parle beaucoup, n'est absolument pas garanti si le candidat ne s'inscrit pas dans une liste validée par la commission électorale.

Enfin, pour allez plus loin, soyons optimistes et supposons que les deux formations sont suffisamment mûres pour surmonter leurs différends. Dans tous les cas de figures, elles ne pourront probablement pas former une liste complète, étant donné la difficulté de trouver des candidats chiites ayant une assise populaire. Mais grâce à la proportionnelle et la voix préférentielle des électeurs, qui ne peut se porter que sur le candidat du caza, les chances de briser l'hégémonie du Hezbollah sur la circonscription Baalbek sont importantes.

Voilà ce qui nous amène à une autre question, celle de savoir que feront précisément les électeurs qui ne sont ni Hezb ni Futur ni FL, les trois poids lourds de cette bataille électorale, dans le cas d'une confrontation Hezb vs Futur-FL.

Commençons par l'évidence, ceux du parti chiite d'Amal voteront pour la liste du Hezbollah, même si le candidat du parti de Nabih Berri ne fait que de la figuration. Passons au moins évident, les électeurs chrétiens du Courant patriotique libre. Ils sont au centre de cette bataille. D'une part, le parti de Gebrane Bassil a donné son accord pour placer un candidat sur la liste du Hezbollah, Emile Rahmé, comme aux dernières élections, comme si de rien n'était et comme si l'accord de Meerab entre Michel Aoun et Samir Geagea n'a jamais existé. D'autre part, les fidèles électeurs de Michel Aoun se trouvent face à Albert Mansour et Jamil el-Sayyed, les pires symboles de la période de répression et de terreur syriennes, s'étendant du 13 octobre 1990, date de l'expulsion de Michel Aoun du palais de Baabda, au 7 mai 2005, date de son retour d'exil. Eh oui, quel dilemme pour les « Aounistes », n'est-ce pas? 

Dans tous les cas de figure, les dirigeants du parti-milicien chiite sont de plus en plus fébriles à l'approche de l'échéance électorale. L'arrestation d'Abbas el-Jaouhari par la Sûreté générale dans des circonstances très louches, en est une preuve. Comme par hasard, le cheikh est candidat à un siège chiite dans la circonscription, il est opposant notoire au Hezbollah et il était en discussion avec le Courant du Futur et le parti des Forces libanaises pour former une liste commune. Son arrestation vise à neutraliser un opposant sérieux et à empêcher la formation d'une liste concurrente chiite-sunnite-chrétienne.

Et ce n'est pas par hasard non plus, si Hassan Nasrallah n'a évoqué que la bataille de Baalbek-Hermel lors d'une apparition télévisuelle il y a moins d'un mois, en la plaçant dans le cadre délirant de la lutte des « Américains et de certaines forces politiques libanaises » contre le Hezbollah. Il sait que la propagande sur la défense du Liban, des jihadistes de Daech et d'al-Nosra, ne fonctionne que dans la communauté chiite et chez certains de ses alliés chrétiens. Chez les autres, tout le monde sait que la milice chiite a poussé le Liban dans une guerre civile qui ne le regarde pas, aux côtés de la tyrannie alaouite des Assad, et qu'elle a tout fait pour empêcher de tracer la frontière syro-libanaise et de la faire garder d'une main de fer par l'armée libanaise, en la fermant au trafic des hommes et des armes, dans les deux sens.

Par conséquent, Hassan Nasrallah est conscient que la mobilisation de ceux qui sont tentés par l'abstention, au moins un tiers des électeurs, pourrait infliger au Hezbollah une lourde défaite, en lui arrachant les 4 sièges non-chiites de Baalbek-Hermel. Yes we can! Et comment, lancer la mère des batailles électorales du temple de Bacchus, on ne peut pas faire plus mauvais. Comme le pense Corneille, « j'en accepte l'augure et j'ose l'espérer ».