lundi 9 avril 2018

Trilogie électorale, premier volet : que penser du millésime 2018 ? Au sujet des 976 candidats aux élections législatives au Liban et des alliances politiques (Art.519)


C'est un peu comme la saga Star Wars. J'ai commencé par la mère des batailles électorales, celle de Baalbek-Hermel. Aujourd'hui, je vous propose avec cette trilogie des zoom in and out sur les élections législatives libanaises du 27 avril (vote dans les pays arabes), du 29 avril (vote dans le reste du monde) et du 6 mai (vote au Liban). Celle-ci nous permettra d'aborder quelques aspects du millésime 2018. Premier volet. 


1. Le premier résultat de l'application de la nouvelle loi électorale est déjà tombé : 1/3 des candidats n'ont pas voulu ou pu constituer une liste, nuance!


Au début de la course législative, ils étaient 976 candidats à croire qu'ils pouvaient se disputer les 128 sièges parlementaires à pourvoir. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 597 candidats à continuer le combat. Ainsi, 379 personnes ont déjà jeté l'éponge, soit parce qu'il ont surestimé leurs forces, soit parce qu'ils ont sous-estimé la difficulté à former une liste. Déposer sa candidature est une chose, faire campagne, être sur une liste et livrer bataille, c'est tout autre. On ne s'est pas rendus compte, mais nous avons là, le premier résultat issu de l'application de la nouvelle loi électorale: plus d'un tiers des candidats furent contraints d'abandonner. Le système des listes est plus favorable aux candidats des partis traditionnels aguerris et bien implantés, qu'aux outsiders et aux novices. Il y a au total 77 listes en lice dans les 15 circonscriptions.


2. Les candidatures opportunistes dominent, de loin, les candidatures démocratiques


Indépendamment des idées et des programmes des uns et des autres, les candidatures peuvent être classées en deux grandes catégories.
. D'une part, il y a celles qu'on pourra appeler les « candidatures démocratiques ». Elles couvrent un spectre allant des candidatures politiciennes aux candidatures idéalistes, en passant par les candidatures politiques, au sens noble du terme, voire même extrémistes, au sens péjoratif bien entendu.
. D'autre part, il y a celle qu'on pourra désigner par les « candidatures opportunistes ». Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, il faut savoir que l'opportunisme désigne « la ligne de conduite politique dans laquelle la tactique se détermine d'après les circonstances, en transigeant, si nécessaire, avec les principes ». Aucun mot du dictionnaire, ne pourra résumer aussi bien notre millésime 2018 au Liban que celui-là.

On trouve de tout parmi les candidatures opportunistes, surtout qu'au Liban où beaucoup de gens semblent n'avoir aucun mal à se voir discourir en long en large et de travers dans l'hémicycle de la place de l'Etoile. Et ce ne sont pas les raisons qui manquent : soif du pouvoir, perspectives pécuniaires, aubaine financière, intérêts personnels, prestige et salamalecs, positionnement social, narcissisme, féodalisme, snobisme, naïveté, élitisme, et j'en passe et des meilleures. Dans tous les cas de figure, l'opportunisme en politique n'est pas de nature à améliorer l'expression démocratique au Liban et à rendre service au peuple libanais.

3. La féminisation des candidatures touche toutes les communautés libanaises à des degrés différents


Avant les retraits de candidatures, on a enregistré 111 candidatures féminines (70 après les retraits) pour 865 candidatures masculines, soit 11,4% du total (11,7% après les retraits). Par comparaison, on était à 42,4% aux dernières législatives en France, grâce à une loi qui impose la parité aux partis politiques, point non abordé au Liban.

Contrairement à ce que pourraient penser certains, les candidatures féminines dans les communautés musulmanes et chrétiennes étaient du même ordre, respectivement, 52 et 59. Néanmoins, on note une différence significative entre les 11 communautés qui ont légalement accès à la députation. Si on se base sur les chiffres des listes électorales libanaises de 2017 (d'après l'étude de Youssef Chahid el-Doueihy) et en partant du sex-ratio au Liban (95 hommes pour 100 femmes entre 15 et 64 ans), proportionnellement, ce sont les Protestants qui sont le plus portés à la féminisation des candidatures : une candidate pour 4 846 électrices. En dehors des Arméniens catholiques, la seule communauté sans candidate, c'est bien chez les Chiites où l'on note le plus de résistance à la féminisation des candidatures : une candidate pour 41 252 électrices. Il faut préciser dans ce sillage que le Hezbollah fait savoir régulièrement que la place de la femme n'est pas au Parlement, mais au foyer! Donc il est difficile pour les femmes chiites au Liban de faire acte de candidature dans un environnement aussi défavorable.


Par comparaison, chez les Sunnites nous avons une candidate pour 18 138 électrices, plus de la moitié, et chez les Druzes, une candidate pour 13 092 électrices, près du tiers (du même ordre que les minorités chrétiennes). Côté chrétien où la féminisation des candidatures est en général plus importante que du côté musulman, il existe de grandes disparités. Les communautés orthodoxes présentent plus de candidates que les communautés catholiques: chez les Arméniens orthodoxes, on note une candidate pour 6 418 électrices; chez les Grecs orthodoxes, une candidate pour 9 367 électrices ; chez les Maronites, une candidate pour 12 304 électrices ; chez les Grecs catholiques, une candidate pour 21 906 électrices.

Rappelons enfin, qu'avec seulement 4 femmes au Parlement, le Liban est à la 184e place au niveau mondial. Il ne fait mieux que le Yémen, Oman, Haiti et les îles du Pacifique. Et désolé, mais Michelle Gebrane Tuéni ne pourra pas compter pour deux, même si elle projette remplacer sa soeur Nayla, une députée effacée que peu de gens d'Achrafieh regrettent son départ anticipé à la retraite.

4. L'appétit insatiable de la gent masculine pour la députation est évidente, mais il existe des disparités importantes entre les communautés


Du côté des hommes, les deux extrêmes, bas et haut, sont tenus par les Alaouites et les Chiites, où l'on dénombre respectivement un candidat pour 517 et 4 109 électeurs (hommes seuls). Sacrés Alaouites, tous les 500 hommes, il y en a un qui veut devenir député ! Il serait intéressant de s'arrêter sur ces deux chiffres.

Chez les Alaouites, de deux choses: soit c'est la marque d'un dynamisme démocratique particulièrement supérieur à toutes les communautés libanaises, soit il y a une détermination dans la communauté alaouite libanaise à envoyer deux députés pro-régime alaouite syrien au Parlement libanais. Chez les Chiites, là aussi, de deux choses l'une : soit il y a un manque d'intérêt chez la communauté chiite par rapport aux autres communautés libanaises pour la chose politique, soit le tandem chiite Hezb-Amal (Nasrallah-Berri) fait tout ce qui imaginable pour ne pas laisser de place à la concurrence, voire pour intimider ceux qui s'y aventurent, l'un n'empêchant pas l'autre. Preuve s'il en faut, l'affaire du cheikh Abbas el-Jaouhari à Baalbek-Hermel récemment.


A part ça, on note aussi que les Protestants et les Grecs orthodoxes se distinguent des autres communautés libanaises par un certain dynamisme politique ou par un plus grand appétit pour la députation (respectivement un candidat pour 1 315 et 1 325 électeurs). Pour le reste, disons qu'il y a deux catégories qui se situent en dessous de la moyenne nationale : d'une part, les Grecs catholiques et les Arméniens catholiques avec un candidat pour 1 435 et 1 584 électeurs par candidat, et d'autre part, les Maronites et les Sunnites, avec un candidat pour 1 753 et 1 887 électeurs. On note par ailleurs que les Druzes se situent au niveau de la moyenne nationale, à 2 073 électeurs par candidat, alors que les Arméniens orthodoxes et les minorités chrétiennes sont bien au-dessus, respectivement à 2 371 et 3 615 électeurs par candidat.

5. Le doyen des candidats à la députation a 90 ans et toutes ses dents : c'est Mikhael el-Daher, le candidat d'outre-tombe de Hafez el-Assad


Autre aspect intéressant à étudier c'est l'âge des candidats au Liban. La loi fixe une limite inférieure. Ce n'est pas 18 ans ni même 21 ans. Selon la législation libanaise, l'âge légale pour déposer sa candidature est de 25 ans. Donc, nous avons la certitude, Joumana Haddad (Salloum) et Jessica Azar ont plus de 25 ans. En tout cas, le législateur libanais estime qu'il faut un minimum de maturité pour devenir représentant de la nation. Le problème c'est qu'il ne fixe pas de limite supérieure, estimant que ce n'est pas nécessaire. Dans un pays raisonnable peut être, mais pas au Liban.

Le doyen des candidats à la députation est âgé de 90 ans. C'est Mikhael el-Daher, qui se présente sérieusement pour le siège maronite dans le Akkar. « Mikhael el-Daher ou le chaos », c'était lui, ce candidat maronite de mauvais augure à la présidence de la République en 1988, qui fut désigné par l'occupant syrien, Hafez el-Assad, et le sous-secrétaire d'Etat américain, Richard Murphy. Le benjamin des octogénaires du millésime 2018, est le célèbre estèz Nabih Berri, l'inamovible président chiite du Parlement libanais, since 1992. Et comme il sera élu, nous pouvons dire, qu'il restera au perchoir jusqu'en 2022, soit un règne total de 30 ans au moins. Autre célébrité scotché au siège grec-orthodoxe du Metn depuis 1991, Michel el-Murr, 86 ans. Et bientôt dans le club des octogénaires, Albert Mansour, ex-ministre de la Défense lors de l'invasion syrienne du « réduit chrétien » le 13 octobre 1990, qui se présente pour le siège grec-catholique sur la liste du Hezbollah.

Enfin bref, la vitalité des hommes politiques libanais est impressionnante, surtout pour les proHezb-proAssad !

6. Les arrangements électoraux au Liban : même le diable y perdrait son latin et son âme


S'il faut résumer l'appréciation du millésime 2018 en une phrase, on peut dire qu'il est caractérisé par une certaine confusion des genres jamais observée auparavant, même sous occupation syrienne. Dans cette confusion, on peut noter trois tendances.

Primo, tout le monde s'est engagé dans des discussions ou des alliances avec tout le monde ou presque, grâce à la loi électorale bizarroïde que les leaders libanais avaient concoctée. Ils ne savaient vraiment pas ce qu'ils faisaient ! Chaque parti politique libanais prétend être resté fidèle à ses principes. Il n'empêche que sur le terrain, ils l'ont tous fait officiellement ou officieusement, d'une manière déclarée ou camouflée, en public ou en catimini, au niveau national ou local, dans le caza ou la circonscription, avec des partis considérés comme étant infréquentables peu de temps auparavant. On a donc tout vu et tout connu dans le millésime 2018 : Futur (moustaqbal)-CPL (3aouniyé), FL (qouwett)-Marada, CPL-Frères musulmans (jamaat islamiya), Michel Mouawad-CPL, PS (ichtiraqiyé)-Hezbollah, Hezbollah-Ahbach (sénniyé), CPL-PSNS (qawmiyé), PSNS-Boutros Harb, Hezbollah-Anciens FL (qoudama), etc.

Secundo, les discussions n'ont pas toujours abouti à des accords, FL-Marada par exemple, mais elles ont bel et bien eu lieu. Ainsi, à quelques semaines du rendez-vous électoral, si on interroge les Libanais, il ne faut pas être surpris d'apprendre que les électeurs estiment que l'écrasante majorité des candidatures libanaises sont opportunistes, y compris celles de la dite société civile ou féminine.

Tertio, le clivage 8-Mars / 14-Mars, qui a marqué les deux dernières élections, n'est plus qu'un lointain souvenir dans ces législatives. Il n'empêche qu'il n'est pas mort, loin de là, contrairement à ce que voudraient faire croire les « idiots utiles » du régime syrien et du Hezbollah. En tout cas, tant que ce parti-milicien ne se décidera pas à devenir un parti politique comme un autre, toute élection au Liban revêt forcément le caractère d'un référendum sur l'anomalie constitutionnelle qu'il constitue pour une partie des Libanais.


7. Les alliances législatives des principaux partis politiques : ce n'est pas très beau à voir


. Le Courant du Futur (Saad Hariri) a établi des ententes électorales avec ces alliés traditionnels, du camp du 14-Mars, les Forces libanaises, les Kataeb et le Parti socialiste progressiste. Toutefois, dans le millésime 2018, il a réussi aussi à s'entendre avec ceux qui le critiquaient sévèrement autrefois, notamment le Courant patriotique libre (dans trois circonscriptions). Par contre, c'est le service minimum avec les FL depuis un certain temps. C'est un secret de Polichinelle. Mais on peut dire d'ores et déjà que l'alliance stratégique née de l'intifada du 14 mars 2005 perdure, comme le prouve l'entente entre les deux formations dans 1/3 des circonscriptions, notamment à Baalbek-Hermel et à Zahlé (face au duo Hezbollah-Amal), sachant que le Futur n'a aucun rôle à jouer dans certaines circonscriptions, comme Kesrouane-Jbeil par exemple. Toutefois, on peut relever que l'entente entre le Futur et le CPL, qui se fait au détriment des FL évidemment, dans des régions considérées comme des fiefs des FL, comme Achrafieh et Bcharré-Batroun, est une faute politique de la part du Futur. On y reviendra dans le second volet de cette trilogie électorale.

. Le parti des Forces libanaises (Samir Geagea) n'a établi des ententes électorales qu'avec le Courant du Futur, les Kataeb et le Parti socialiste progressiste, les composantes originels du 14-Mars (2005-2009), ainsi qu'avec des personnalités indépendantes. Idem pour les Kataeb (Samy Gemayel).

. La relation entre le parti des Forces libanaises et les Kataeb, n'est pas aussi mal que ne voudraient faire croire ceux qui pêchent en eau trouble, comme le prouvent leur entente dans les grandes batailles qui se dérouleront dans certains fiefs de la « résistance libanaise », Beyrouth I, Zahlé, Bécharré-Koura-Zgharta-Batroune et Baalbek-Hermel. Toutefois, l'entente des Kataeb dans le Kesrouane avec Farès Souaïd et Farid Heikal el-Khazen, un néo-idiot-utile du Hezbollah, est un faux pas dont on pouvait se passer.

. Le Parti socialiste progressiste (PSP, Teymour & Walid Joumblatt) a conclu des ententes avec le Futur, le parti des Forces libanaises, le mouvement Amal et le Hezbollah, tout en évitant, le Courant patriotique libre et les Kataeb, de « mauvaises graines » peut-être, comme l'a pensé le beik la veille des élections législatives de 2009. En tout cas, dans le millésime 2018, la girouette s'est montrée toujours fidèle à elle-même.

. Le duo Hezbollah (Hassan Nasrallah) et Amal (Nabih Berri) ont établi des alliances électorales entre eux dans toutes les circonscriptions où ils ont un poids politique significatif, et avec d'autres formations du 8-Mars dans certaines circonscriptions, comme le Parti social nationaliste syrien (co-responsable des événements du 7-Mai), et le Courant patriotique libre (son fidèle allié depuis 2006). Les deux formations chiites ont réussi également à s'entendre avec des mouvements sunnites, les Ahbach (Beyrouth II) et les Nassériens (Saïda), et Nkoula Fattouch (Zahlé), l'homme qui oeuvre à la défiguration des paysages du Liban avec ses odieuses carrières.

. Les Marada (Sleimane Frangié) ont réussi l'exploit à s'entendre avec le Parti social nationaliste syrien d'une part, et avec Boutros Harb d'autre part, dans la circonscription Zgharta-Koura-Batroun.

. Le Courant patriotique libre (Gebrane Bassil, ex-présidé par Michel Aoun) a tissé des alliances avec presque toutes les parties en compétition, y compris ceux qu'il combattait farouchement, comme le Futur. Mais attention, tout est dans ce « presque » sélectif. Avec le Tachnag et le Hezbollah, rien de nouveau, ça a toujours été le cas. Avec le mouvement Amal, c'est un peu plus étonnant déjà, après la qualification de Nabih Berri par Gebrane Bassil de « baltajé », il n'y a pas si longtemps que ça. Idem pour l'entente avec Michel Mouawad à Zgharta. Les ententes les plus étonnantes sont établies avec el-Qawmiyé (PSNS), les Ahbach et al-Jamaat el-Islamiyé, ah si, et dans plusieurs circonscriptions svp! Par contre, il a évité soigneusement tous les partis chrétiens, les Marada, les Kataeb et même les Forces libanaises, comme si de rien n'était et comme si l'accord de Meerab n'a jamais existé. Nous y reviendrons dans le prochain volet de la trilogie.

. La relation entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre, les piliers du camp 8-Mars (2006-2016), est à son plus bas niveau, comme le prouve leur maigre entente dans les élections 2018 (Beyrouth II et Baabda seulement). Mais là aussi, l'alliance stratégique conclue le 6 février 2006 perdure, comme le prouve la défense du parti-milicien par le président de la République, Michel Aoun, à plusieurs occasions depuis son élection il y a un an et demi.

Post-scriptum


Dans les prochains volets de la trilogie électorale, nous aborderons entre autres, les relations tièdes entre le Courant du Futur et le parti des Forces libanaises, les alliances tous azimuts du Courant patriotique libre et l'irruption de la société civile dans l'arène politique au Liban.

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Réf.
Au sujet des tactiques du Futur, du CPL et des FL, et d'une autre « mère de toutes les batailles législatives », celle de Batroun-Zgharta-Koura-Bcharré. Trilogie électorale, deuxième volet (Art.521)