mardi 28 juin 2016

Huit attentats-suicides au Liban et un objectif : porter un coup fatal à la lutte contre l'infiltration des camps de réfugiés syriens de Qaa par Daech (Art.370)


Ce qui s’est passé au fin fond du Liban et aux confins de la Syrie, dans le village de Qaa, est grave et même très grave, pour diverses raisons. Cinq morts et vingt-huit blessés innocents, c’est un drame indéniable indépendamment du contexte. Qu’ils aient été tués et blessés lors d’attaques-suicides, est inquiétant. D’autant plus inquiétant qu’à ce stade, l’enquête criminelle ne permet de dégager que des éléments chronologiques : les terroristes se sont fait exploser successivement en deux vagues de huit attentats-suicides, la première, peu de temps avant l’aube du 27 juin et la seconde, tard le soir de la même journée. Même si on admet que la dégénérescence cérébrale doit être à un stade bien avancé pour amener un bipède à décider d'abandonner les plaisirs terrestres et de se faire sauter, mais quand même, quatre attaques-suicides à 4h du mat, c’est du crétinisme de la haute voltige. A moins que nos apprentis terroristes aient décidé, après avoir consulté AccuWeather, de profiter de la fraicheur matinale dans cette région semi-désertique du Liban où le thermomètre devait grimper jusqu’à 37° l’après-midi, pour accomplir leur lâche besogne, d’autant plus, qu’un indice UV de 10 dans la journée les auraient obligés à mettre des lunettes de soleil, pour protéger leurs yeux, ce qui auraient pu les faire repérer ? Tout crétinisme mis de côté, on ne peut tirer qu’une seule et unique conclusion de la vague matinale des attaques : les terroristes ont actionné leurs ceintures explosives prématurément. Ce qui corrobore cette thèse c’est l’information selon laquelle le premier terroriste s’est fait exploser à 3h50 du matin car il aurait été découvert, interrogé et coincé par une famille musulmane qui célébrait Leilat el-Qadar (La nuit du destin Mahomet a reçu les cinq premiers verts du Coran de l'ange Gabriel) et prenait son petit déjeuner après la prière du Fajr de 3h42 (avant d’entamer leur journée de jeûne en cette fin du mois de ramadan). Quant à la vague nocturne des attaques, qui ont eu lieu vers 22h30, l’amateurisme qui les caractérise prouve que celles-ci ne relevaient pas d’une riposte terroriste réfléchie mais d'un comportement désorienté.

Qaa pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler est connu pour plusieurs faits marquants.

Le premier fait marquant est lié à l’histoire de Qaa et à la guerre libanaise. Nous sommes dans la nuit du 27-28 juin 1978, il y a 38 ans jour pour jour. Selon les témoignages des habitants de l'époque (il n'y a jamais eu d'enquête), des membres des unités spéciales et des renseignements de l’armée d’occupation syrienne, portant des vêtements civils, aidés par des miliciens libanais, procèdent à l’arrestation puis à l’exécution sommaire de 26 hommes de Qaa et d’autres villages aux alentours, dans la pure tradition nazie. Comme dans les nombreux massacres que nous avons connus, on a trouvé du beau monde pour fermer les yeux, expliquer, justifier, diluer et tenter d’effacer de nos mémoires la barbarie de la tyrannie des Assad. Les victimes étaient ici toutes de confession chrétienne, le village était considéré comme ayant une affinité pour le « Front libanais », notamment les Kataeb, dont le bras armé donnera naissance quelque temps plus tard aux « Forces libanaises ». Deux jours après, embrasement général de tous les fronts autour du « réduit chrétien ». Achrafieh sera soumise à un déluge de fer et de feu par les troupes syriennes de Hafez el-Assad et ses alliés libanais de l’époque. Le massacre de Qaa a conduit une partie des habitants chrétiens à fuir leurs terres et à se réfugier dans d’autres régions libanaises. Ceux qui sont restés, étaient obligés de faire profil bas ou allégeance aux principaux alliés des troupes syriennes au Liban.

Le deuxième fait marquant à propos de Qaa résulte d’une équation complexe liée à la situation géographique de ce village, à ses activités économiques et à la guerre civile en Syrie. Qaa est un village libanais chrétien qui se situe dans une région à majorité chiite (Hermel), non loin d'une région libanaise à majorité sunnite (Ersal) et à quelques kilomètres de la frontière de la Syrie (à majorité sunnite). Qaa est aussi une région agricole. Une partie des fruits et légumes que nous mangeons au Liban vient de ce coin du pays. Le village a la chance de se situer à plus de 600 m d’altitude, dans la plaine fertile de la Bekaa et à un jet de pierre de la Syrie. C’est ce qui lui permet de bénéficier d’un climat et d’un terroir convenables à une certaine agriculture, et d’avoir par ailleurs, une main d’œuvre bon marché, très appréciée et vitale. Mais sur d’autres points, ce qui aurait dû être de la chance, s’est transformé en malchance. Primo, étant dans une région à majorité chiite et pro-régime syrien, Qaa fait l’objet d’un bras de fer entre les partisans des Forces libanaises, la force politique dominante à Kaa, et ceux du Hezbollah, la force politico-milicienne dominante dans la Bekaa. Secundo, étant donné sa proximité avec le drame syrien, le village et les alentours subissent encore plus que le reste du Liban, l’afflux des réfugiés, qui sont dans l’écrasante majorité de confession sunnite. On parle de plusieurs dizaines de milliers de ressortissants syriens pour une dizaine de milliers d’habitants libanais. Une partie des réfugiés sont des ouvriers agricoles qui résident dans la région depuis des années et qui ont fait venir leurs familles après le déclenchement de la guerre civile en Syrie. Tertio, étant à quelques kilomètres de la frontière syro-libanaise, le village se trouve à la fois, à la portée des djihadistes et du régime syriens.

Du coup, la situation des citoyens libanais oubliés de ce village est préoccupante depuis des années déjà. Des réfugiés syriens plantent leurs tentes ici et là, même sur les bords de la route internationale. Celles-ci sont déménagées sur décision administrative du gouverneur de la région Baalbek-Hermel, Bachir Khodr, officiellement, afin de garantir le déplacement de l’armée libanaise, mais officieusement, c’est pour assurer la sécurité des convois de la milice chiite libanaise de Baalbek à Homs, en passant par Qousseir. Pas de souci, on va les planter ailleurs. Sur le domaine public mais aussi privé. Vu l’urgence humanitaire, pourquoi pas. Sauf que les cadastres datent de l’époque ottomane et le traçage des limites des propriétés remontent à l’époque de Fakherddine. J’exagère mais on n’est pas loin de cette situation dans cette contrée négligée par l’Etat libanais, le Hermel. Les habitants ne cessent de demander à l’Etat d’assurer la sécurité des citoyens et la défense de leurs droits. En vain. Rajouter à cela, qu’après le massacre de 1978 et l’insécurité qui y règne depuis le déclenchement de la guerre civile syrienne en 2011, nombreux habitants du village ont fui, parti pour un temps ou vendu leurs bien pour de bon, notamment ceux de confession chrétienne. Et ce n’est pas tout. Sous les tentes improvisées, les forces de sécurité se sont aperçues que les parpaings poussaient comme des champignons. Surtout avec la précieuse aide internationale. On y construit des habitations, des magasins, des garages, etc. Et pas seulement sous les tentes. Et il n’y a pas que des réfugiés syriens. Et pas que des constructions. Il a des infractions et des irrégularités. Et tout le monde sait, au Liban et ailleurs, ce qui est temporaire a une fichue tendance à devenir définitif. On y vient des régions avoisinantes. Comme dit le proverbe libanais, « reze2 el séyib, be3allim el ness el 7aram » (les biens délaissés, apprennent aux gens les actes répréhensibles). Justement, en parlant de constructions illégales, l’information est passée totalement inaperçue, et pourtant, les attaques lui sont peut-être liées. La municipalité de Qaa a procédé à la démolition de certaines d’entre elles, pas plus tard que ce weekend figurez-vous, soit la veille des attentats, comme par hasard !

A Qaa, il n’y a pas que le souci des réfugiés syriens. Le régime syrien fait des incursions quand bon lui semble et envoie des obus comme bon lui semble. La terreur y règne depuis 2012 (et même depuis 1978 !), comme le montre cette vidéo d’Al-Jazeera. Des islamistes et des djihadistes sont arrêtés régulièrement. D’autres pas. On sait que des cellules terroristes dorment sur place ou passent la frontière syro-libanaise sans trop de difficultés. Elles se livrent à des actes terroristes et des trafics de toutes sortes, d’armes comme de voitures, volées et piégées. De nos jours, il ne fait bon de vivre à Qaa, et pourtant la région est magnifique. Il ne fait même bon de s’y rendre, et pourtant Qaa est connu du grand cercle des chasseurs. Alors là, pour une fois, tant mieux s’ils ne viennent pas ! L’alimentation électrique est massivement volée. Mais ce n’est pas une nouveauté. Des enquêtes anciennes, avant l’afflux des réfugiés syriens, révélaient déjà un taux de vol du courant de 70%.

Et comme s’il n’y avait pas assez d’ennuis comme ça, il y a des problèmes d’eau dans la région. Bienvenue au Moyen-Orient. Attention, la région ne manque d’eau, bien au contraire. Le problème est ailleurs. Il est dans cette fichue incapacité de l’homme de partager la richesse d’une manière équitable, alors que celle-ci ne lui appartient pas, le comble. Kaa est agricole et vit de l’agriculture, comme beaucoup de villages de la Bekaa. Tout ce beau monde à Kaa et dans la Bekaa a un besoin criant l’été de l’eau des sources des chaines montagneuses du Mont-Liban et de l’Anti-Liban. Sauf que le village de Kaa est chrétien et il est mis sur le plan politique sur le compte du parti des Forces libanaises, alors que les villages environnants de la Bekaa-Hermel sont chiites et ils sont mis sur le compte du Hezbollah. Et au lieu que tout le monde s’entende pour partager cette eau bénite des cieux et des dieux, d’une manière équitable, et que l’Etat libanais veille aux intérêts de tous les citoyens sans discrimination, c’est la guéguerre, sous l’œil de ceux qui sont censés assurer la distribution équitable.

Sur le plan politique, aux dernières élections, l’entente chrétienne entre Samir Geagea et Michel Aoun, s’est arrêtée aux portes de la ville, comme à Jounieh. Mais la grande bataille électorale n’a pas eu lieu. Les partisans des deux leaders chrétiens, comme les indépendants, se sont rangées derrière la liste soutenue par les Forces libanaises, qui a remporté 14 des 15 sièges municipaux, le siège restant est allé à une tête de liste soutenue par le Courant patriotique libre.

Maintenant que le décor géopolitique est planté, la question est de savoir que s’est-il passé hier à Qaa ? Les huit attaques-suicides de ce lundi soulèvent trois interrogations principales.

Primo, qui sont les huit terroristes ? Le modus operandi, attentat-suicide, laisse penser spécialement à des djihadistes de l’Etat islamique (EI) ou à des apparentés. Du fait de l’accent de certains, il est très probable qu’ils soient de nationalité syrienne. Leur nombre élevé, écarte d’autres possibilités, seule l’organisation terroriste Daech est capable d’avoir un tel réservoir de kamikazes. En tout cas, les premiers éléments de l'enquête confirment que sept des huit terroristes sont Syriens.

Secundo, d’où viennent-ils ? Selon les témoignages des habitants, qui avaient repéré certains terroristes, ces derniers n’avaient pas l’air de bien connaitre les lieux. Le premier terroriste a été surpris dans un jardin ! Donc, ils viendraient de Syrie ou d'une autre région du Liban, principalement d'Ersal. Cela étant, ils pouvaient très bien venir des camps de réfugiés situés dans les faubourgs de la ville. Les ceintures (qui auraient été utilisées dans la vague matinale) et les sacs à dos d'explosifs (qui auraient été aperçus dans la vague nocturne) ont probablement été fabriquées et ramenées de Syrie (on ne trouve pas de la TNT dans les champs quand même) et stockées en sécurité n'importe où, dans les camps de réfugiés par exemple. En tout cas, ce genre d’opérations criminelles impliquant une dizaine de terroristes, n’aurait pas pu se faire sans complicité avec des gens des camps de réfugiés à proximité. Il y a déjà un moment que les responsables et les habitants de la région, comme Bachir Matar, le nouveau président de la municipalité de Qaa (dont le père a été exécuté en 1978), mettent en garde les autorités libanaises sur la mue dangereuse des camps de réfugiés syriens de Qaa en « Ain el-Heloui » (camp de réfugiés palestiniens au Sud-Liban qui échappe totalement à la souveraineté libanaise depuis sa création en 1948) et en « Nahr el-Bared » (camp de réfugiés palestiniens au Nord-Liban, créé en 1949 ; il fut transformé en forteresse terroriste par le groupe syro-libano-palestinien Fatah el-Islam, dont la neutralisation en 2007 a coûté la vie à 168 militaires libanais). Est-ce qu'il y aurait de l'exagération ? En tout cas, une chose est hautement probable, si l’équipe matinale est venue de Syrie, celle du soir était a priori sur place car elle n’avait pas le temps et la possibilité de faire le trajet.

Tertio, qu’est-ce qu’ils voulaient faire au juste ? Difficile d’y répondre sauf si on procède par logique et par élimination. Est-ce que les terroristes visaient vraiment les habitants chrétiens ? Non catégorique. Ça n’a aucun sens. On a vu que tout laisse à penser que l’actionnement des explosives lors de la vague matinale s’est fait prématurément. La vague du soir est plus le résultat d’un vent de panique, après le fiasco du matin, la chasse à l’homme-terroriste par les habitants et le passage de la région au peigne fin par l’armée libanaise. Pour effrayer la population, il aurait suffi de cacher des engins explosifs dans les poubelles ou sous les voitures, piéger des mobylettes, attendre les rassemblements populaires pour la fête de Saint-Elie dans quelques semaines, etc. Est-ce que les terroristes visaient Dahiyé ou d’autres régions chiites ? Non encore plus catégorique. Ces criminels ne sont pas venus par mobylette dans la ville de Qaa, pour prendre le bus à la première heure du matin pour se rendre à Beyrouth ou à Baalbek, et se faire sauter. Ça n’a aucun sens, non plus.

Mais alors, ils visaient qui et quoi ? Les terroristes devaient viser principalement les forces armées libanaises, l’armée libanaise et les forces de sécurité intérieure, et secondairement le nouveau conseil municipal, affilié au parti des Forces libanaises. Ils avaient l’intention de leur infliger de lourdes pertes humaines. C'est ce que laisse penser par exemple l'insistance du premier terroriste de l'aube, qui s'est fait passer pour un membre des services de renseignements libanais, pour que son interlocuteur appelle l'armée libanaise afin de venir et vérifier son identité. Il est possible que les terroristes envisageaient un remake des attaques d’Ersal en août 2014, avec enlèvement de personnes. Est-ce que les attentats-suicides devaient être suivies d’attaques armées ? Possible. Les terroristes qui ont mené celles d'Ersal justement, il y a deux ans, étaient partis des camps de réfugiés syriens de la région. Le fait que les terroristes possédaient des grenades corrobore cette hypothèse. Idem, pour le déploiement de Daech à la frontière syro-libanaise qui a été aperçu dans la nuit. En tout cas, il est hautement probablement que l’objectif principal des vagues d’attaques-suicides d’hier serait de porter un coup fatal à tous ceux qui luttent contre les constructions illégales, les trafics en tout genre, l’expansionnisme des camps de réfugiés syriens dans la région de Kaa, leur infiltration par Daech & Co et leur dérive extraterritoriale, qu’ils soient du nouveau Conseil municipal de Kaa, du gouvernorat de la région de Baalbek-Hermel, des Forces de sécurité intérieure ou de l’armée libanaise. En somme, ce sont les représentants de l’Etat libanais à Kaa et aux environs qui étaient visés.

Il est évident que la réponse doit être ferme. Elle passe d’une part, par l’application stricte des lois libanaises sur les camps de réfugiés syriens, dans le respect des droits de l’homme svp. Elle passe d’autre part, par un contrôle hermétique de la frontière syro-libanaise par l’armée libanaise, dans les deux sens svp !

mardi 7 juin 2016

A vos zygomatiques, prêts, partez : selon Nouhad Machnouk, des diplomates anglo-américano-saoudiens ont proposé la candidature de Sleimane Frangié afin de rassurer un Hezbollah vaincu à son retour de Syrie dans deux ans, pour qu'il ne se comporte pas au Liban comme un éléphant dans un magasin de verreries ! (Art.364)


C’est une grande gueule. Mais, pour ses dernières révélations, c’est comme s’il avait pissé dans le cairn. C'est raté, metel el chkhakha bel rejmé, comme on dit au Liban, bala mouwékhazé. Soit elles sont passées inaperçues, soit elles n’ont convaincues personne. Et pourtant, l’interview accordée par Nouhad Machnouk à Marcel Ghanem -Kalam Elnass, LBC, 2 juin 2016- est un petit monticule de pierre qui peut être considéré comme un point de repère de la politique désorientée du Courant du Futur depuis un moment.

Inutile de nous perdre sur les bavardages qui caractérisent ces émissions. Il n’empêche que le ministre libanais de l’Intérieur a abordé divers sujets jeudi dernier, avec un franc-parler remarqué, comme à l'accoutumée. Il nous a gâté avec une déclaration stupéfiante (16:30-20:30), ce dernier mot ne doit évidemment pas sa présence linguistique au hasard, qui mérite qu’on s’y arrête un moment. Yalla, à vos zygomatiques, prêts, partez.

« La candidature de Sleimane Frangié, que je respecte et j’estime... (blablabla)... n’est pas venue de (Saad) Hariri. » L’excuse typiquement libanaise : c’est pas moi, c’est pas ma faute, c’est pas ce je voulais faire, faut pas faire de faux pas, etc. Mais encore, tenez-vous bien, « cette candidature est venue du ministère britannique des Affaires étrangères. » Holl el inglizz, ah ces Anglais, ils nous posent des problèmes depuis cette promesse de Balfour il y a 99 ans. « Elle est passée par les Américains, puis les Saoudiens, pour arriver jusqu’à Saad Hariri. » Hehehe, quelle course de relais, on croirait écouter al-Manar pour qui tout le bordel moyen-oriental n’est que l’œuvre du ricain Obama et du wahhabite Salmane ! « Ce n’est pas une erreur, celle-ci a une justification politique. » Ah, nous sommes rassurés. A ce stade, le spectateur est censé comprendre que le chef d’un des plus grands partis politiques libanais, fait de la figuration au Liban et attend qu’on lui souffle à l'oreille ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Nouhad Machnouk ne s'est pas rendu compte du sous-entendu peu flatteur de ces propos ! En tout cas, admettons, comme si cela change quoi que ce soit à l’adoption de cette candidature par le Courant du Futur.

Pour la suite, il va falloir vous concentrez pour suivre le raisonnement. « La justification politique réside dans cette vision internationale qui dit que le Hezbollah (finira par) revenir de Syrie, demain ou après-demain, dans un an ou deux, mais il ne sera pas victorieux. Et par conséquent, il sera comme un éléphant dans un magasin de verreries. » C’est de la porcelaine à Paris, alors que c’est de la verrerie à Beyrouth. En tout cas, moi aussi j’aime bien cette métaphore, mais là, n'est pas le sujet. Admettons encore. A écouter le ministre de l’Intérieur, c’est comme si le Hezbollah a toujours avancé comme un escargot dans le magasin de verreries libanaises ! A croire même Nouhad Machnouk, les diplomates anglo-américano-saoudiens pensent que seulement lorsque le Hezbollah rentrera de Syrie, que l’escargot se muera en éléphant ! Eh bien, il semble que les Libanais et Nouhad Machnouk ne vivent pas sur la même planète et dans la même contrée.

De son implication dans l’assassinat de Rafic Hariri (2005) au blocage de l’élection présidentielle (depuis 2014), en passant par le déclenchement de la guerre de Juillet (2006), la paralysie politico-économique (2006-2008), l’invasion de Beyrouth et du Mont-Liban (2008), la chute du gouvernement de Saad Hariri (2011), l’implication massive dans la guerre civile syrienne (depuis 2012), les pressions sur les villes à dominante sunnite (Ersal, Saïda et Tripoli, depuis 2011) et les soupçons qui pèsent sur la milice chiite dans les assassinats de Wissam el-Hassan (2012) et de Mohammad Chatah (2013), Nouhad Machnouk et les diplomates anglo-américano-saoudiens devraient savoir que le Hezbollah a toujours joué à l’éléphant dans le magasin libanais de porcelaine et de verreries !

Admettons toujours pour pouvoir continuer à écouter cet éléphant du Courant du Futur. « (Dans ce cas) il est préférable qu’il y ait un président (de la République) pour le (Hezbollah) rassurer, pour le mettre à l’aise et le rendre plus en harmonie et en accord avec le régime libanais, sans aller vers des idées de Constituante, de réforme de la Constitution et de guerres civiles. » A ce niveau du développement du raisonnement de Nouhad Machnouk, tout d'un coup, la piste américano-saoudienne s'écroule. On a là une confirmation qu’elle relève de la fabulation pure et simple. Pathétique. Alors voyons un peu, au moment où les Saoudiens mènent des offensives tous azimuts pour mettre un terme à l’hégémonie irano-chiite dans le monde arabo-sunnite, dire que des hauts diplomates saoudiens veulent « rassurer » le Hezbollah, en lui offrant la Présidence de la République libanaise, fait partie des foutaises politiques. Idem, au moment où les Américains mènent des offensives tous azimuts pour asphyxier financièrement la milice chiite, dire que des diplomates américains veulent « mettre à l’aise » le Hezbollah, en lui offrant la Présidence de la République libanaise, fait partie des balivernes politiques. Il faut vraiment prendre les Libanais pour des cons pour leur faire avaler cette couleuvre que les Etats-Unis, les pays d’Europe et les pays du Golfe, qui considèrent le Hezbollah comme une organisation terroriste, soient schizophrènes au point de vouloir rassurer une milice chiite libanaise vaincue, à son retour de Syrie dans peut-être deux ans, en lui offrant dès à présent la présidence de la République libanaise. Non mais, c'est le grand délire !

Je l’ai dit, je le redis, je persiste et je signe. Le ministre de l’Intérieur a raison, ce n’est pas Saad Hariri qui est à l’origine de cette idée farfelue. Cependant, rien ne pourrait excuser le chef du Futur puisqu’il l’a quand même adopté et semble y tenir. Il y aurait essentiellement deux hommes derrière la mascarade de la candidature de Sleimane Frangié : Walid Joumblatt et Nouhad Machnouk. On pourrait y rajouter Ahmad Hariri et Ghattas Khoury, comme followers. La manœuvre politique vise surtout à parvenir à un compromis avec le Hezbollah et à compliquer la donne politique au Liban, pour torpiller la recherche d’une nouvelle loi électorale afin de se partager les pouvoirs législatif et exécutif entre les partis musulmans, Hezbollah (chiite), Amal (chiite), le Parti socialiste (druze) et le Futur (multi-communautaire à dominante sunnite). C’est ce qui a motivé le parti chrétien des Forces libanaises (FL) à se rapprocher des chrétiens du Courant patriotique libanais (CPL). Toutefois, je reste persuader plus que jamais, que même dans ces conditions difficiles, Samir Geagea aurait dû faire un autre choix et éviter à tout prix de commettre cette double erreur politique et stratégique du 18 janvier 2016, en dilapidant un important capital de sympathie qu’il avait dans les communautés sunnites libanaise et arabe, par l’adoption de la candidature de Michel Aoun. Et le plus regrettable, c'est que non seulement il y tient lui aussi, mais que tout cet effort semble avoir été fourni pour rien, comme je l’ai expliqué dans un long article récemment.  

Ce qui me permet de me prononcer avec assurance, c’est la fin de cette séquence inouïe. « Oui c’est comme ça que Sleimane Frangié a été nommé. Et comme ça qu’il a été candidat. Sachant que si j’avais le choix aujourd’hui, je le porterai candidat encore une fois. Mais, c’est un autre sujet. Voilà ce qui s’est passé exactement. » Foutaises politiques. « C’est le résultat d’une décision internationale, un ‘président garant’ vaut mieux qu’un ‘régime garant’... Tout ça résulte d’importantes ententes internationales et arabes et non de choix personnels. » Balivernes politiques.

Nouhad Machnouk est aujourd’hui doublement coincé. D’une part, son réseau d’influence politique et médiatique, qui comprend des journalistes bien établis comme Nadim Koteich (Futur TV), n’a pas réussi en plusieurs mois à donner un brin de vie à ce projet mort-né. Pire encore, et c’est là où intervient l’autre part. Les conséquences de la candidature de Sleimane Frangié est catastrophique pour le Courant du Futur.

Primo, elle a précipité le solide allié Samir Geagea, dans les bras de l’adversaire farouche du Futur, Michel Aoun. Et du coup, elle a creusé un fossé entre les Forces libanaises et le Courant du Futur, que le temps et ses complications ne parviennent plus à combler. Et comble de l’absurde, elle isole le Futur, qui perd son allié chrétien, les FL, pas le Hezbollah, qui garde son allié chrétien, le CPL. C'est le comble.

Secundo, elle a poussé l’Arabie saoudite à revoir sa stratégie au Liban, en considérant les composantes du 14-Mars comme des entités essoufflées, au bord de la faillite politique, après le soutien du Futur de la candidature de celui qui se considère comme le « frère de Bachar el-Assad », ne formant « qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah » qui est selon lui le « souverain de tous », puis le soutien des FL de la candidature de Michel Aoun, le très fidèle allié du Hezbollah, depuis 2006, qui considère lui aussi Hassan Nasrallah comme un « chef exceptionnel » avec qui il ne forme « qu'une seule personne », et qui s’offre le luxe de clamer son alliance haut et fort, quelques jours seulement après le show de Meerab il y a plus de cinq mois. Dans de telles conditions, l’Arabie saoudite, le grand soutien des Hariri père et fils, a jugé que son aide financière aux forces armées libanaises, 4 milliards $ au total, n’a plus de raison d’être. C'est encore le comble.

Tertio, elle a coupé le Futur d'une partie de sa base sunnite. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et là encore, c'est le comble. Deux cas l’illustrent merveilleusement bien, ils sont issus des élections municipales. Le premier vient de Beyrouth, où la liste composée par Saad Hariri, Lei7it el Biyerté, n’a obtenu en tout et pour tout que 9% des électeurs inscrits, face aux outsiders de Beirut Madinati, qui ont réussi à séduire près de 6% des électeurs beyrouthins de toutes les communautés. Le second vient de Tripoli où le Futur a reçu une claque électorale sans précédent. Malgré l’alliance des milliardaires, Saad Hariri et Najib Mikati, l’homme du peuple, le ministre libanais de la Justice, Achraf Rifi, triomphe de ses adversaires. Contrairement à ce que Nouhad Machnouk voudrait faire croire, les Tripolitains ont souhaité non seulement sanctionner le Futur, mais aussi récompenser le dernier cèdre du Liban qui ne fléchit pas devant le vent irano-syro-hezbollahi, cet ancien chef des Forces de sécurité intérieure à qui les Libanais doivent le démantèlement de nombreux réseaux d’espionnage au profit d’Israël, la mise hors d’état de nuire de la cellule terroriste libano-syrienne (Michel) Samaha- (Ali) Mamelouk et la découverte de la piste de télécommunication qui a conduit à l’accusation de cinq membres du Hezbollah de l’assassinat de Rafic Hariri et de 21 autres personnes.

Les révélations bidon de Nouhad Machnouk ont été démenties par les ambassadeurs d’Arabie saoudite et du Royaume Uni au Liban. Ce n’était même pas nécessaire, son raisonnement est illogique. Quel hasard que le ministre de l’Intérieur ait utilisé cette métaphore de l’éléphant dans une verrerie. Sauf qu'il a raté ses objectifs. Une autre convient mieux à la situation. Et si Nouhad Machnouk n’était qu’un « faïyill » comme on dit au Liban, un des nombreux lanceurs d’éléphants roses qui encombrent le ciel libanais ? Nase comme qu’elle est, l’idée de la candidature de Sleimane Frangié est forcément « Made in Lebanon ». A mon avis, ce qui s’est passé est exactement l’inverse : Joumblatt, Machnouk et consorts ont tenté de la vendre aux diplomates anglo-américano-saoudiens, en vain.

Alors franchement, au lieu de s’offusquer qu’un homme intègre comme Achraf Rifi reste fidèle et attaché à la mémoire des martyrs de la « Révolution du Cèdre », notamment à celle de Rafic Hariri et de Wissam el-Hassan, et de minimiser le triomphe du ministre de la Justice dans sa ville natale et le fiasco du Futur à Tripoli, Nouhad Machnouk et son réseau feraient mieux de comprendre ce désaveu de la rue sunnite concernant la politique de compromission et de concession suivie par le Courant du Futur depuis l’assassinat de Rafic Hariri. Celle-ci a culminé avec l’adoption de la candidature de Sleimane Frangié, l’ex-ministre de l’Intérieur, qui de l’avis de Walid Joumblatt, exprimé sous serment devant le Tribunal Spécial pour le Liban en mai 2015 (avant que la girouette de Moukhtara ne change d’avis quelques semaines plus tard), s’est comporté le 14 février 2005 et les jours suivants, comme un « chef de gang... menaçant ». Pour cause. Et l'on s'étonne encore du grondement de la rue sunnite !

Toujours est-il qu'aujourd'hui Saad Hariri, le président du Courant du Futur, se trouve devant trois choix : tout faire pour reporter le jugement des électeurs, en s'accrochant à la loi électorale de 1960 pour empêcher les élections d'avoir lieu ; aller vers les élections législatives à ses risques et périls, en se taillant au préalable une loi électorale favorable ; ou changer de cap, en prenant ses distances avec ceux qui l'ont mis dans ce sale pétrin avec sa communauté et ses alliés.