jeudi 22 mars 2018

Le Hezbollah lance la mère de toutes les batailles législatives du temple de Bacchus, le dieu romain du vin! Et c'est de très mauvais augure (Art.517)


Ah, mais j'avais juré de ne pas me mêler de la mascarade électorale libanaise! Seulement voilà, j'ai des bonnes et des mauvaises nouvelles. 


Le Hezbollah lance la mère de toutes les batailles législatives du temple de Bacchus


Sans plus attendre, je vous propose de commencer par une bonne. L'anecdote vaut le détour et le détournement! Dans un show d'inspiration américaine et devant une marre de têtes à casquettes, jaunes bien entendu, quelques vertes et des pas mûres (dénudées pour assumer), le Hezbollah a annoncé le 18 mars 2018, la liste de ses candidats aux prochaines élections législatives pour la circonscription de Baalbek-Hermel, « al-amal wal-wafaa » (l'espoir et la fidélité). Rien d'extraordinaire à part le fait que l'écrasante majorité des photos de l'événement qui circulent évite un certain angle de vue, celui où l'on voit clairement que le lancement de la mère de toutes les batailles électorales de 2018 s'est fait du haut de l'escalier archéologique qui mène au temple de Bacchus à Baalbek.


Le Hezb aurait pu choisir le temple d'à côté qui est dédié au père de Bacchus, Jupiter, Dieu des dieux pour les Romains, Dieu du ciel, de la lumière, du tonnerre et de la foudre, dispensateur des biens terrestres et protecteur de la Cité et de l’Empire romain ! C'est pour dire, c'est l'équivalent de Zeus des Grecs et de Baal des Phéniciens. Eh bien non, le Hezbollah a préféré lancer ce qui sera sans doute la mère de toutes les batailles législatives, de ce qui fut jadis, Héliopolis, la ville du soleil, et devant « maabad bakhos », le dieu romain du vin, une merveille construite au IIe siècle, un des temples romains les mieux conservés au monde.

C'est d'autant plus surprenant que l'autoproclamé « parti d'Allah », autodésigné « vainqueurs », qui est dirigé par des hommes religieux -certains Libanais y sont tellement habitués et conditionnés qu'ils l'oublient et ils voudraient qu'on fasse de même!- a précisé à plusieurs reprises, la dernière il n'y a pas si longtemps que ça, que son projet idéologique demeure l'établissement d'une république islamique chiite au Liban, où le vin n'aura plus droit de cité. C'est fâcheux, déjà que le lait et le miel ne coulent plus de source au pays du Cèdre depuis belle lurette !

La première mauvaise nouvelle c'est qu'il est clairement interdit par la loi électorale, sans la moindre ambiguité à ce sujet, d'utiliser les sites de l'Etat pour faire campagne. Oui ça commence mal, sauf qu'à Baalbek, le Hezbollah fait sa loi, l'Etat libanais n'a qu'à balayer devant les portes des gentils candidats de Beyrouth et des environs, en évitant soigneusement la Banlieue Sud, cela va sans dire.

La deuxième mauvaise nouvelle est la présence sur cette liste d'une figure qui est, le moins qu'on puisse dire, controversée, un dénommé Albert Mansour. Elu député de Baalbek-Hermel en 1972 déjà! Il est resté 20 ans, faute de nouvelles élections législatives à cause de la guerre. A partir de 1992, il essaiera à cinq reprises de retrouver son siège, en vain. Inutile de vous dire que son repêchage sur la liste du Hezb en 2018 pour le siège grec-catholique est une aubaine pour l'octogénaire.

Question détails, Albert Mansour fut un moment le trésorier du Mouvement national libanais, el-harakat al-wataniyat, une coalition de partis politiques de gauche (fondée en 1969), puis de milices armées (à partir 1973), présidée par Kamal Joumblatt et regroupant le Parti socialiste progressiste, le Parti communiste, le Parti social nationaliste syrien, les deux partis Baath libanais et les deux partis nassériens (indépendants « mourabitounes » d'Ibrahim Kleilat et populaires de Maarouf Saad). Le MNL s'était allié au début de la guerre à l'OLP, la milice palestinienne au Liban, et a combattu les milices du Front libanais (Kataeb, Ahrar, etc.). En 1982, Albert Mansour fut l'un des opposants les plus farouches à l'élection de Bachir Gemayel, chef de la milice des Forces libanaises, comme président de la République.

Et encore, ce n'est pas ce passé qui rend le personnage infréquentable. Albert Mansour était ministre de la Défense le jour de l'invasion du « réduit chrétien » par l'armée d'occupation syrienne le sinistre 13 octobre 1990, afin de déloger le général Michel Aoun, ex-Premier ministre du gouvernement intérimaire. Encore pour l'histoire, profitant de l'aubaine, les miliciens du Hezbollah s'étaient engouffrés dans les régions limitrophes chiites-chrétiennes, derrière les troupes syriennes d'occupation et les troupes libanaises d'Emile Lahoud. Ce jour-là, ils avaient été arrêtés par les miliciens d'Elie Hobeika, alors qu'ils étaient tous les deux des alliés des Syriens.

Sur la liste figure aussi Jamil el-Sayyed. Son CV est plus court et encore moins reluisant. Major de promotion à l'Académie militaire, ah si! Mais ce n'est pas cette anecdote de l'avant-guerre qui effacera le reste. S'il n'y a qu'un symbole de la Pax Syriana, la période de terreur et de répression qu'ont fait régnaient les forces d'occupation syriennes au Liban entre 1991 et 2005, directement ou via des intermédiaires libanais, à l'encontre des opposants à l'occupation syrienne du Liban, particulièrement les militants des partis des Forces libanaises et du Courant patriotique libre, c'est lui.

Il était numéro deux des services de Renseignements de l'armée libanaise, puis directeur général de la Sûreté générale. Il sera emprisonné le 30 août 2005 et pour quatre ans, dans le cadre de l'enquête portant sur l'attentat terroriste du 14 février 2005 qui a couté la vie à l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et à 21 autres personnes, et dans lequel cinq membres du Hezbollah sont accusés et jugés actuellement par le Tribunal Spécial pour le Liban.  C'est seulement parce que « le Procureur a estimé ne pas disposer, à l’heure actuelle, d’éléments de preuve suffisants pour mettre en accusation les quatre généraux (dont Jamil el-Sayyed) », nuance!, que le Juge de la mise en état du TSL a ordonné la mise en liberté de ces derniers le 29 avril 2009. Après sa libération, il a tenté de redorer son blason et se forger une immunité diplomatique qui le met définitivement à l'abri du filet des juges de La Haye, en briguant le poste d'ambassadeur à l'Unesco, pas du Liban vous pensez bien, mais des îles Marshall! Là aussi, inutile de vous dire que son repêchage sur la liste du Hezb en 2018 pour le siège chiite constitue une aubaine pour le septuagénaire.

Sur la liste du Hezbollah également Emile Rahmé, un moulin à vent qui n'est là que pour combler le trou communautaire réservé par la loi électorale à un candidat maronite. Le Hezb a tenu à ne pas annoncer le nom du candidat à ce siège, lorsque Naïm Kassem son numéro deux avait révélé la liste du parti le 23 février, laissant à son allié le Courant patriotique libre comme il l'a dit, le soin de le désigner plus tard. Ça y est, ça sera lui, comme l'aurait décidé Gebran Bassil, le chef du CPL, sans trop le crier sur les toits, d'autant plus qu'officiellement cet ex-FL, originaire de Deir el-Ahmar, est membre du bloc des Marada de Sleimane Frangié, le candidat du Futur à la présidence de la République. Chuttttttt, on cuisine.

L'enjeu de la bataille électorale de la circonscription Baalbek-Hermel


Voilà pour le décor. Tout cela nous conduit vers une question fondamentale: quelle sera l'attitude des 309 342 électeurs de Baalbek-Hermel le 6 mai prochain? L'enjeu est important car il s'agit de l'une des plus grandes circonscriptions au Liban, avec 10 sièges à pourvoir. C'est pour la théorie. En pratique, 6 sièges sont déjà réservés au parti chiite du Hezbollah. Sans opposition de poids et avec un esprit communautaire bien ancré, partagé par toutes les communautés sans exception, le plébiscite des forces électorales chiites (67% des électeurs dans le caza de Baalbek, 95% du caza de Hermel ; au total, il y a plus de 223 115 électeurs chiites, soit 72% de la circonscription) pour le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ne sera pas remis en cause cette fois. On parle de Hussein el-Husseini entre autres, surtout qu'une minorité de la rue chiite gronde contre l'aventure du Hezbollah en Syrie, qui a couté à la communauté plus de 1 500 morts et des milliers de blessés. Peut être pour les autres fois. Peut être quand les poules auront des dents ! En réalité, l'enjeu de cette circonscription se concentre sur les 4 sièges qui restent, dans une région considérée par le Hezbollah, à tort, comme son fief : 2 sunnites, 1 grec-catholique et 1 maronite. Avec la dose de proportionnelle de la nouvelle loi électorale, l'hégémonie du Hezbollah peut être brisée.

Passons maintenant au champ de bataille. Les forces électorales sunnites (43 363 électeurs, soit 14% du total, essentiellement dans le caza de Baalbek), se concentrent dans les villes de Baalbek, Fakeha et surtout, Aarsal, l'épine plantée dans le flanc droit du Hezbollah. Elles sont menées par le chef du Courant du Futur, Saad Hariri. Les forces électorales chrétiennes (même topo, 41 555 électeurs, soit 13,4% du total, essentiellement dans le caza de Baalbek), se concentrent à Qaa, Ras-Baalbek et surtout, Deir el-Ahmar, l'autre épine plantée dans le flanc gauche du Hezbollah. Elles sont menées par le chef du parti des Forces libanaises, Samir Geagea. Alors que le Hezbollah a bouclé et a annoncé sa liste dans la circonscription de Baalbek-Hermel, les négociations sont encore en cours entre les ex-piliers du 14-Mars, le camp de « la Syrie dehors », pour se mettre au diapason, former une liste commune et se décider à combattre le pilier principal du 8-Mars, le camp de « Merci la Syrie des Assad ». Toujours en cours! Rien ne presse peut-être, sauf que la date limite du dépôt des listes est fixée au 26 mars, lundi prochaine à minuit. Plus grave encore, pour qu'une liste soit valide il faut qu'elle soit composée de 40% des sièges, soit 4 sièges sur les 10 à pourvoir, et qu'elle contient au moins un siège par caza. Par conséquent, Saad Hariri et Samir Geagea n'ont pas le choix, ensemble ils peuvent constituer une liste et arracher des sièges à Hassan Nasrallah, séparés, ils ne pourront pas constituer de listes et le Hezbollah emportera toute la mise électorale à Baalbek-Hermel. Le siège maronite d'Antoine Habchi, FL, dont on parle beaucoup, n'est absolument pas garanti si le candidat ne s'inscrit pas dans une liste validée par la commission électorale.

Enfin, pour allez plus loin, soyons optimistes et supposons que les deux formations sont suffisamment mûres pour surmonter leurs différends. Dans tous les cas de figures, elles ne pourront probablement pas former une liste complète, étant donné la difficulté de trouver des candidats chiites ayant une assise populaire. Mais grâce à la proportionnelle et la voix préférentielle des électeurs, qui ne peut se porter que sur le candidat du caza, les chances de briser l'hégémonie du Hezbollah sur la circonscription Baalbek sont importantes.

Voilà ce qui nous amène à une autre question, celle de savoir que feront précisément les électeurs qui ne sont ni Hezb ni Futur ni FL, les trois poids lourds de cette bataille électorale, dans le cas d'une confrontation Hezb vs Futur-FL.

Commençons par l'évidence, ceux du parti chiite d'Amal voteront pour la liste du Hezbollah, même si le candidat du parti de Nabih Berri ne fait que de la figuration. Passons au moins évident, les électeurs chrétiens du Courant patriotique libre. Ils sont au centre de cette bataille. D'une part, le parti de Gebrane Bassil a donné son accord pour placer un candidat sur la liste du Hezbollah, Emile Rahmé, comme aux dernières élections, comme si de rien n'était et comme si l'accord de Meerab entre Michel Aoun et Samir Geagea n'a jamais existé. D'autre part, les fidèles électeurs de Michel Aoun se trouvent face à Albert Mansour et Jamil el-Sayyed, les pires symboles de la période de répression et de terreur syriennes, s'étendant du 13 octobre 1990, date de l'expulsion de Michel Aoun du palais de Baabda, au 7 mai 2005, date de son retour d'exil. Eh oui, quel dilemme pour les « Aounistes », n'est-ce pas? 

Dans tous les cas de figure, les dirigeants du parti-milicien chiite sont de plus en plus fébriles à l'approche de l'échéance électorale. L'arrestation d'Abbas el-Jaouhari par la Sûreté générale dans des circonstances très louches, en est une preuve. Comme par hasard, le cheikh est candidat à un siège chiite dans la circonscription, il est opposant notoire au Hezbollah et il était en discussion avec le Courant du Futur et le parti des Forces libanaises pour former une liste commune. Son arrestation vise à neutraliser un opposant sérieux et à empêcher la formation d'une liste concurrente chiite-sunnite-chrétienne.

Et ce n'est pas par hasard non plus, si Hassan Nasrallah n'a évoqué que la bataille de Baalbek-Hermel lors d'une apparition télévisuelle il y a moins d'un mois, en la plaçant dans le cadre délirant de la lutte des « Américains et de certaines forces politiques libanaises » contre le Hezbollah. Il sait que la propagande sur la défense du Liban, des jihadistes de Daech et d'al-Nosra, ne fonctionne que dans la communauté chiite et chez certains de ses alliés chrétiens. Chez les autres, tout le monde sait que la milice chiite a poussé le Liban dans une guerre civile qui ne le regarde pas, aux côtés de la tyrannie alaouite des Assad, et qu'elle a tout fait pour empêcher de tracer la frontière syro-libanaise et de la faire garder d'une main de fer par l'armée libanaise, en la fermant au trafic des hommes et des armes, dans les deux sens.

Par conséquent, Hassan Nasrallah est conscient que la mobilisation de ceux qui sont tentés par l'abstention, au moins un tiers des électeurs, pourrait infliger au Hezbollah une lourde défaite, en lui arrachant les 4 sièges non-chiites de Baalbek-Hermel. Yes we can! Et comment, lancer la mère des batailles électorales du temple de Bacchus, on ne peut pas faire plus mauvais. Comme le pense Corneille, « j'en accepte l'augure et j'ose l'espérer ».

lundi 12 mars 2018

L'histoire rocambolesque de Suzanne el-Hajj et Ziad Itani (Art.515)


C'est une de ces histoires vraies et invraisemblables à dormir debout, s'écrouler de rire et s'arracher les cheveux au réveil. Une tragi-comédie en onze actes, digne d'un scénario hollywoodien.



 1  Suzanne el-Hajj, la femme la plus belle et la puissante au Liban


Pour être belle, elle est belle! Enfin, pour certains et selon les angles de vue. Elle faisait partie des Forces de sécurité intérieure, la police libanaise. Elle a décroché un poste qui ferait crever de jalousie n'importe quel homme à la testostéronémie supérieure à 10 nmol/l. La lieutenant-colonel était cheffe du Bureau de la lutte contre la cybercriminalité et de la protection de la propriété intellectuelle, depuis 2012 svp. Beaucoup d'hommes auraient dit et fait n'importe quoi sur les réseaux sociaux pour se retrouver entre ses mains et être cuisiné par ses soins. Oui mais, bon, ils n'ont pas besoin d'elle pour dire et faire n'importe quoi d'ailleurs et elle n'a pas besoin d'eux pour se mettre à cuisiner les autres non plus.

Suzanne el-Hajj est originaire de Koura et diplômée de l'Université de Balamande. Elle a réussi à entrer dans les FSI, gravir les échelons et s'imposer comme première femme officier supérieur dans une institution où le sexe ratio était il y a une quinzaine d'années seulement, de 24 998 hommes pour 2 femmes. A son actif, la supervision du recrutement par les FSI d'un millier de femmes. A ses heures perdues, elle militait pour donner à la femme plus de place dans la société libanaise. Officier le jour, mondaine la nuit, ferme et décontractée, elle représentait l'archétype de celle qui a pleinement réussi et est devenue à un jeune âge « la femme la plus puissante au Liban ».

 2  Le faux pas du « like » du tweet du bouffon Charbel Khalil


Hélas, la deuxième fois que tous les Libanais ont entendu parler d'elle ce n'était pas en de si bons termes. Malgré la réserve due à ses fonctions, le 27 septembre 2017, Suzanne el-Hajj like en moins de 48 minutes (c'est qu'elle était en alerte!), un tweet du bouffon Charbel Khalil.


« La nouvelle de permettre aux femmes de conduire des voitures en Arabie saoudite est incomplète car elles ne sont autorisées à conduire que les voitures qui sont piégées », avec deux points d'exclamation et le hashtag « #clarification ». Et comme « les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait », il a fait suivre son ânerie par un autre tweet: « Vas-y, saute ».

Suzanne el-Hajj ne pouvait pas ignorer le sous-entendu de ce tweet, ni où se situe Charbel Khalil politiquement, pro-Courant patriotique libre, pro-Assad, anti-Arabie Saoudite, etc., et professionnellement, un abruti de première qui vaut son pesant de lourdeur, de vulgarité et de stupidité (ta2elit dam, satlané wou kharyané).

Autre contexte, la Syrie, et toujours le même humour : stupide, misanthrope et raciste. Jamais inquiété par la justice. Les chaines libanaises LBCI et Al-Jadeed (New TV) continuent à lui accorder l'antenne comme si de rien n'était!

Alors, comment une femme de son rang, de son élégance et de son intelligence, qui milite pour renforcer les droits de la femme et son émancipation, pouvait-elle apprécier un humour stupide, de mauvais goût, arabophobe, raciste et misogyne? Mystère et boule de gomme.

 3  La « capture d'écran » du journaliste Ziad Itani et la mise à l'écart de Suzanne el-Hajj


Le pot aux roses est découvert par Assaad Bechara, un conseiller d'Achraf Rifi, l'ancien directeur des Forces de sécurité intérieure (2005-2013). Une capture d'écran est faite et envoyée aux services de renseignement des FSI et au ministère de l'Intérieur, mais aussi au journaliste Ziad Itani, un proche de l'ex-directeur des FSI. Aussitôt, le journaliste procède à sa diffusion sur son site Ayoub News. Rapidement l'affaire prend de d'ampleur.

Au début, l'experte en cybercriminalité prétend que con compte a été hacké pendant un très court laps de temps, puis elle retire son like dans un second temps. Dans un troisième temps, elle publie un tweet en faveur de la femme saoudienne.


« Félicitations aux femmes saoudiennes qui ont obtenu le droit de conduire la voiture, même si ce droit arrive avec retard. Le secret est de continuer à leur permettre de conduire d'autres missions car il n'y a pas de réforme économique sans les femmes. » Excellent, mais enfin, elle aurait dû commencer et s'arrêter là, au lieu d'encourager l'autre bouffon. Trop tard, ses ennemis sont nombreux et la direction des FSI se voit obliger de réagir. Suzanne el-Hajj est mise à l'écart pour faute grave.

Beaucoup de gens se sont émus à l'époque de ce traitement dégradant, crachant sur l'Etat libanais et s'offusquant de la manière dont il punit ses officiers émérites pour faire plaisir à l'Arabie saoudite. Ils ignoraient que la cheffe du Bureau de la cybercriminalité n'était pas à sa première maladresse et qu'elle avait déjà reçu des remarques de sa hiérarchie concernant la publication de messages politiques et l'étalement de sa vie privée sur Instagram.

 4  La vengeance est un plat qui se mange froid


Les jours passèrent et Suzanne el-Hajj continua à ruminer cette histoire. Elle ne digère pas qu'elle soit tombée de son piédestal par un vulgum pecus et à cause d'un tweet. Elle en a gros sur la patate, sauf que la vengeance est un plat qui se mange froid. Réflexion faite, elle décide de contacter un pirate informatique et de lui confier la mission de monter un dossier contre Ziad Itani, le bouc émissaire responsable de son malheur et de sa chute professionnelle. Au Liban, l'accusation la plus facile et la plus grave à la fois reste la collaboration avec Israël. Selon le scénario qu'elle aurait écrit, Ziad Itani aurait eu des conversations avec une jeune femme israélienne.

En parallèle, la brillante officier prévoit même un scénario pour sa réintégration dans les rangs des FSI avec tous les honneurs. Pour ce faire, elle charge le pirate de hacker tant qu'il y est les comptes d'institutions libanaises, d'Ogéro et du ministère de la culture, et même ceux de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Le but de ces manœuvres frauduleuses étant de faire croire que son éviction a conduit au chaos cybernétique au Liban et qu'elle est par conséquent, irremplaçable.

 5  L'entrée en scène du comédien Ziad Itani, homonyme du journaliste, dans le rôle d'un espion israélien


Le jour J, c'est la mise à feu. Les graves accusations tombent entre les mains des services de la Sûreté de l'Etat. Elles conduisent à l'interpellation de Ziad Itani, le 23 novembre 2017. Le comédien passe aux aveux, obtenus sous la torture selon certains, et précise au passage qu'il a été chargé par les Israéliens de surveiller des personnalités politiques libanaises.

Tout se passe comme prévu à un détail près, le pirate de l'experte en cybercriminalité s'est trompé de cible. Il a bel et bien piégé un Ziad Itani, mais ce n'est pas celui qui a diffusé la capture d'écran de Suzanne el-Hajj, c'est un homonyme. Emir Kusturica n'en reviendrait pas! Il a confondu le comédien avec le journaliste, ya aréd nchakké wou bla3inéh.

 6  La récupération politicienne de la double affaire Itani-Hajj dans la perspective des élections législatives à Beyrouth et dans le Akkar, par Nouhad Machnouk et Hadi Hobeich


Maintenant qu'il y a une affaire dans l'affaire, comment freiner le processus d'amplification? Il y a eu plusieurs tentatives de toutes parts, deux d'une manière trop évidente. La première est venue de la part de sources anonymes qui ont affirmé que Ziad Itani, le comédien accusé d'avoir communiqué et collaboré avec Israël depuis 2014, était de toute façon sous surveillance depuis l'été 2017 et qu'il a selon ses propres aveux donné des informations confidentielles sur des personnalités libanaises. La deuxième tentative est venue de la part du milieu politique. C'est que Suzanne el-Hajj est mariée à un Hobeich, qui n'est autre que le frère du député de la région d'Akkar et membre du Courant du Futur, Hadi Hobeich. Au lieu de condamner les actes infâmes de sa belle-sœur, le député a le culot de demander à l'opinion publique, aux médias et aux activistes sur les réseaux sociaux, de « retirer ce dossier du débat médiatique, surtout que nous sommes dans une course électorale et que certains essaient d'exploiter ce dossier à des fins électorales étroites ». Lui en premier, d'où la nature curieuse de sa demande.

A vrai dire, il n'avait pas tort. Celui qui a fait fort dans ce domaine n'était autre que le ministre de l'Intérieur lui-même, bloc du Futur aussi, Nouhad Machnouk. Il décide de s'en mêler, n'y va pas de main morte et met les deux pieds dans le plat.


Non seulement, il décrétera « qu'innocenter (Ziad Itani) ne suffira pas », mais il rajoutera dans la foulée, « tous les Libanais s'excusent auprès de Ziad Itani », sous-entendant qu'ils devraient le faire. Mais, pourquoi mêler le peuple libanais à cette histoire? Dans une envolée lyrique le ministre de l'Intérieur évoquera la « fierté » que Ziad Itani suscite. De par sa « dignité », son « beyrouthisme », son « patriotisme » et son « arabité », il serait devenu selon Machnouk, la cible de « personnes idiotes et rancunières », sans doute, mais « communautaires » aussi ! Non mais, qu'est-ce que le communautarisme vient faire dans cette histoire? En fait, ce qui n'est pas dit dans ce tweet passionnel, c'est que la famille Itani est un « bloc électoral » qui pèse lourd dans les prochaines élections législatives à Beyrouth au mois de mai, beaucoup plus que les Hobeich dans le Akkar, et que son éminence a les yeux plus grands que le ventre, il vise le Grand Sérail! S'il y a quelqu'un qui a « communautarisé » la double affaire Itani-Hajj, c'est bel et bien, Nouhad Machnouk lui-même.

 7  L'arrestation de la cheffe de la lutte contre la cybercriminalité pour fabrication de fausses preuves et lancement de cyberattaques


Finalement, sur l'initiative conjointe de Michel Aoun et de Saad Hariri, les deux dossiers Ziad Itani et Suzanne el-Hajj sont regroupés et transmis, en toute logique, aux Forces de sécurité intérieure. Le président de la République et le Premier ministre conviennent aussi de laisser au tribunal militaire le pouvoir de rendre la justice. Le 2 mars la cheffe de la lutte contre la cybercriminalité est conduite dans les bureaux des FSI pour être interrogée. Quelques jours plus tard, elle est arrêtée et emprisonnée. Le procureur militaire requiert des poursuites judiciaires contre elle et contre son pirate informatique. Il justifie sa décision par deux éléments.

. D'une part, « la fabrication de fausses preuves matérielles et électroniques sur la collaboration d'un Libanais avec l'ennemi israélien, et la soumission d'information écrite contenant des documents falsifiés à la Direction générale de la Sûreté de l'Etat... l'incitation à fabriquer des preuves matériels et électronique au sujet de la collaboration d'un journaliste libanais avec l'ennemi israélien (…) tout en connaissant leur innocence ».

. D'autre part, « le lancement de cyberattaques et de piratage contre des sites de ministères, d'institutions sécuritaires, de banques, de sites d'information et divers sites au niveau local et à l'étranger ».

Les accusations contre l'ancienne directrice du Bureau libanais de la cybercriminalité sont graves. C'est au premier juge d’instruction militaire Riad Abou Ghida de décider de la suite à donner à cette histoire rocambolesque. Il interrogera Suzanne el-Hajj cette semaine. Elle encourt dix ans de prison. De cet interrogatoire dépendra aussi le sort du comédien Ziad Itani, qui croupit en prison depuis plus de trois mois. Il n'est ni accusé ni blanchi !

 8  Suzanne el-Hajj : une lieutenant-colonel devenue cybercriminelle?


Suzanne el-Hajj est présumée innocente jusqu'à preuve du contraire, par la justice, cela va de soi. Il n'empêche que beaucoup d'éléments qui circulent laissent planer un sérieux doute sur cette présomption.

C'est une belle femme qui a assumé sa mission au sein des Forces de sécurité intérieure avec beaucoup de compétente et de charisme. Elle a contribué à la féminisation de la gendarmerie libanaise. Elle était aussi un officier intrépide qui a incontestablement amélioré la condition de la femme libanaise. Nul ne peut douter un instant qu'en tant que femme évoluant dans un milieu dominé par des hommes orientaux, elle était jalousée, critiquée et attendue au tournant par ces derniers. Elle ne les a pas déçus ! Ironie du sort, son remplaçant est un homme et ça ne risque pas de changer avant longtemps.

Hélas, au fur et à mesure qu'elle prenait de la hauteur, Suzanne el-Hajj partait à la dérive. Au fil du temps, elle a transformé un Bureau qui était censé combattre exclusivement la cybercriminalité et protéger la propriété intellectuelle, en un organe de surveillance de la liberté d'expression des Libanais en général, des écrivains, journalistes, blogueurs et activistes en particulier. Nombreux sont ceux qui devaient s'engager à la mettre en sourdine sur tel ou tel sujet. Les langues se délient petit à petit. Certaines méthodes de la Dame de fer sont contestées aujourd'hui.

Suzanne el-Hajj était sans le moindre doute destinée à un grand avenir. Et puis, il y a eu ce faux pas, le like de l'ânerie de Charbel Khalil. Depuis, c'est la descente en enfer. Au lieu de profiter de sa mise à l'écart des FSI, pour faire oublier sa bévue et mieux rebondir, allez savoir quelle mouche l'a piqué pour qu'elle aille concocter dans une cave sombre une vengeance stupide contre un comédien présumé innocent de toute cette histoire, le confondant avec un journaliste, qui lui n'a fait qu'exercer le droit fondamental de « la liberté d'opinion », inscrite dans le préambule de la Constitution de la République libanaise, et de « la liberté d'exprimer sa pensée », garantie par son article 13.

En fabriquant un dossier de collaboration avec Israël contre le comédien Ziad Itani, le lieutenant-colonel Suzanne el-Hajj savait qu'elle envoyait un innocent en prison, sa vie sera brisée et il sera banni par son environnement, familial, amical et professionnel. En montant des cyberattaques contre des sites ministériels et institutionnels, elle savait aussi qu'elle utilisait les méthodes de ceux qu'elle était censée traquer. Si les accusations sont confirmées par la justice, l'histoire dira que Suzanne el-Hajj a mué de lieutenant-colonel à une cybercriminelle.

PS
Aux dernières nouvelles, mardi après-midi, la justice a émis un mandat d'arrêt contre Suzane el-Hajj.

 9  Ziad Itani et la jurisprudence Ziad Doueiri


Pour être sympa, il est sympa. Ziad Itani est en plus un comédien talentueux qui pouvait très bien se passer de cette désastreuse mésaventure qui lui est tombée sur la tête. Il est présumé innocent lui aussi, surtout lui, jusqu'à preuve du contraire, par la justice, cela va de soi. Il n'empêche que certains éléments qui circulent laissent planer un petit doute sur cette présomption. Il a reconnu une partie des accusations portées contre lui, quand il était détenu par la Sureté de l'Etat, « contact et collaboration » avec l'ennemi israélien, avant de se rétracter, en disant avec ironie qu'il avait joué « un rôle ». Il revient à la justice de trancher.

Flash-back. Dans le lot d'informations qui ont circulé après l'arrestation de Ziad Itani le 23 novembre 2017, où on trouvait tout et n'importe quoi, il était facile de perdre son latin et le fil de ses idées. C'était d'ailleurs le but. Ne devait subsister qu'une chose dans les esprits : la culpabilité de Ziad Itani. Les fers de lance pour couvrir cette propagande, et surtout en tirer profit, étaient le journal Al-Akhbar et la chaine Al-Jadeed (New TV).

Avec trois mois et demi de recul, il est très intéressant de dresser un récapitulatif du bazar construit autour de l'affaire Ziad Itani, c'est tout simplement hallucinant. On a dit que le comédien était en contact avec une femme israélienne depuis 2014, mais surveillé seulement depuis l'été 2017 ; qu'il s'avait depuis le début que c'était une officier du Mossad, puis qu'il ne le savait que depuis 2016 ; qu'elle s'appelait Nelly, puis Colette Vianfi ; qu'elle était grande, jolie avec des yeux verts, puis non, c'était une femme quelconque ; qu'il savait qu'elle était israélienne, puis qu'il ne le savait pas ; qu'elle était Hollandaise un moment, puis définitivement Suédoise ; qu'elle a choisi le comédien pour son carnet d'adresses ; qu'il l'a rencontré à Istanbul, puis non, qu'il n'avait rencontré qu'une intermédiaire, mais qu'il communiquait quotidiennement avec elle par vidéoconférence ; question d'argent, ce ne sont pas les versions qui manquent, il a reçu de grosses sommes d'argent, jusqu'à 10 000 $, via des virements de 500 à 1 000 $, destinées à améliorer son look et emmener ses proies aux restos ; puis non, qu'il n'a reçu que 5 000 $ cash à Istanbul ; et que finalement, il a travaillé pour Colette gratuitement, car elle le faisait chanter, le menaçant de révéler qu'il collaborer avec Israël et de diffuser des vidéos sexuelles enregistrées auparavant ; on a dit aussi qu'elle projetait venir à Beyrouth le 2 décembre et qu'elle a même réservé une chambre dans un hôtel de Broumana, et puis pas de bol, comme on a arrêté son pion, Ziad, le 23 novembre, elle a annulé sa réservation et on n'a finalement pas pu capturer cette pétasse d'espionne (malgré beaucoup de recherches, je n'ai pas réussi à savoir, si elle a été remboursée ou pas!) ; la première mission d'espionnage de Ziad Itani était de fournir à Colette l'israélienne, des infos sur la répartition démographiques des communautés à Beyrouth, concernant les zones à dominante musulmane et celles à dominante chrétienne, et de lui indiquer les régions qui sont sous influence sunnite et celle sous influence chiite (impressionnant non, vraie de vraie, dans Al-Akhbar et Al-Jadeed!) ; sa deuxième mission était de contacter des personnalités politiques influentes via leurs proches et leurs conseillers, surtout celles qui sont contre la violence et pour la paix ; qu'il lui faisait des rapports sur tous les journalistes et politiciens qu'il connaissait, notamment Nouhad Machnouk ; et j'en passe et des meilleures. Alors, de deux choses l'une, soit les espions israéliens sont nases, soit les auteurs de ce scénario ne sont pas très doués et qu'ils devraient changer de moquette à fumer!

La photo publiée par le quotidien libanais al-Liwaa le 27 novembre 2017, de "l'officier du Mossad israélien qui a recruté Ziad Itani"n'est autre que celle de l'actrice israélienne Gad Gadot-Varsano, Fast and Furious, Batman v Superman et surtout Wonder Woman, film interdit au Liban en juin 2017, à cause de la participation de son héroïne à des campagnes de promotion de l'Etat d'Israël et de Tsahal. 

Selon les médias 8-marsiens, le contact israélien avec Ziad Itani s'inscrirait dans le cadre général d'une « invasion israélien des réseaux sociaux libanais », avec deux objectifs principaux. D'une part, « créer un lobby politique et médiatique efficace pour promouvoir la paix au Moyen Orient », et indirectement, la « normalisation » des relations entre le Liban et Israël (le mot n'est jamais cité évidemment, ils parlent toujours de « Palestine occupée » ou « d'entité sioniste »). D'autre part, obtenir des informations confidentielles qui pourraient servir Israël dans ses projets d'assassinats ciblés.

Je laisse à tout un chacun la liberté d'évaluer la pertinence de cette hypothèse, sachant d'une part, que ceux qui la propagent, comme Al-Akhbar et New TV, sont des organes d'informations proches du Hezbollah et du régime syrien de Bachar el-Assad, et d'autre part, qu'il y a une nouvelle donne aujourd'hui, celle de la détention du lieutenant-colonel Suzanne el-Hajj pour avoir fabriqué de fausses preuves sur la collaboration de Ziad Itani avec Israël.

Dans tous les cas de figure, si le comédien est vraiment entré en contact avec une femme israélienne, et tant qu'il n'est pas prouvé que ce contact relevait de l'espionnage, il devra être relaxé en vertu de ce que j'ai appelé un jour « la jurisprudence Ziad Doueiri ». On pourrait même l'appeler la jurisprudence Amine Maalouf, l'écrivain, ou Bechara el-Raï, le patriarche maronite. A l'époque où le réalisateur libanais fut arrêté un moment, le 11 septembre 2017, pour s'être rendu en Israël quelques années auparavant afin de tourner un film, puis relâché rapidement et l'affaire classée sans suite, j'avais mis en garde à propos de la violation de l'article 285 qui interdit aux Libanais de se rendre en Israël et d'entrer en contact avec des Israéliens, qu'il ne faudra pas qu'il y ait une discrimination abjecte entre les Libanais à ce sujet : il y aurait d'un côté, des gens bé zaït comme Ziad Itani, Libanais et rien que Libanais, sur lesquels s'applique pleinement le Code pénal libanais, et de l'autre côté, des gens bé samné, comme Ziad Doueiri, Libanais détenteurs de nationalités en or, Française et Américaine pour ce dernier, qui leur accordent une immunité judiciaire de facto, sur lesquels ne s'appliquent qu'une partie de ce Code. En dehors du cas grave d'espionnage, l'article 285 devrait s'appliquer sur tous les Libanais ou ne s'appliquer sur personne.

PS 
Aux dernières nouvelles, Ziad Itani a été libéré le mardi 13 mars, en fin d'après-midi. Aucune charge n'a été retenue contre lui. Aussitôt, il a été reçu par le Premier ministre dans sa résidence de la Maison du Centre. Saad Hariri a fait savoir qu'en dépit de certaines erreurs qui ont été commises « la justice a été réalisée ».  Il a aussi reconnu que « nous ne pouvons pas nier qu'il y a eu une injustice à votre égard, mais l'Etat par ses appareils sécuritaires, sa justice et sa façon d'opérer, a montré qu'il est possible d'appliquer le droit dans ce pays ».

Ziad Itani (mardi 13 mars) : "Le (premier) juge (d’instruction militaire Riad) Abou Ghida libère Ziad Itani et émet un mandat d'arrêt contre le lieutenant-colonel Suzanne el-Hajj"

De son côté, Ziad Itani a salué le président Michel Aoun, le Premier ministre Saad Hariri et le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk. Il a déclaré « qu'il a été torturé après ses soi-disant aveux ». Il a fait savoir qu'il comptait sur la justice pour « révéler ce qui s'est passé » et qu'il avait l'intention de transformer son histoire en une pièce de théâtre.

 10  Y a-t-il une guerre des services de sécurité au pays du Cèdre, entre la Sûreté de l'Etat et les Forces de sécurité intérieure?


Certes, il peut y avoir des bisbrouilles entre les services chargés de la sécurité au Liban, comme dans tous les pays du monde. Mais faire croire que l'affaire Itani-Hajj cache une guerre entre la Sureté de l'Etat (SE) et les Forces de sécurité intérieure (FSI), est exagéré. Les accuser à tort et de travers, comme l'ont fait quelques politiciens, journalistes et activistes, est déplacé. Chacun a fait son devoir et ce qu'il croyait être utile. Quand la Sureté de l'Etat reçoit des indices sur des soupçons de collaboration de Ziad Itani avec Israël, elle ne pouvait pas douter un instant que c'était un coup monté!

Pour le reste, ce n'est qu'une suite logique. Primo, il était normal que face à des accusations graves, la SE ait obtenu l'autorisation du commissaire du gouvernement près de la Cour militaire pour procéder à l'arrestation du comédien. Secundo, il était aussi normal que lorsqu'on a voulu transférer le dossier d'une institution à une autre, la SE ait douté des intentions des FSI et l'ait soupçonné de vouloir étouffer l'affaire Itani. Tertio, il est également normal qu'au final, les dossiers soient gérés par les services de police, les Forces de sécurité intérieure, et les affaires tranchées par le Tribunal militaire, selon les lois en vigueur au Liban. Il n'y a que deux parties qui trouvent que tout cela n'est pas normal, ce sont ceux qui voudraient politiser les services de sécurité libanais et ceux qui aimeraient affaiblir l'Etat libanais. C'est toujours les mêmes et ils sont connus de tous.

PS
Après sa libération le mardi 13 mars en fin d'après-midi, Ziad Itani s'est dirigé vers la résidence privée de Saad Hariri à Beyrouth. Au cours de la réunion, le Premier ministre a fait savoir que « si ces (fausses) informations (concernant Ziad Itani) étaient parvenues à n'importe quel autre appareil (sécuritaire), celui-ci aurait agi de la même manière (que la Sûreté de l'Etat) ».

 11  Faut-il fermer le Bureau de la cybercriminalité au Liban?


Cette affaire est avant tout l'histoire tragique d'une femme exceptionnelle, qui a totalement perdu le contrôle des événements et la raison. S'il y a un problème à soulever, outre les conditions de détention du comédien Ziad Itani, c'est celui d'une certaine dérive du Bureau de la cybercriminalité, pas spécialement par la faute de Suzanne el-Hajj, mais par celle des politiciens libanais, encore une fois, qui font pression pour contrôler davantage la liberté d'expression au Liban.

Comme l'a précisé le dernier rapport d'une ONG américaine dans ce domaine, Freedom House, « les activistes et les journalistes sont confrontés à des arrestations, des interrogatoires et des menaces potentielles pour des discours tenus en ligne, critiquant le gouvernement, les responsables religieux ou l'armée ». Le rapport précise aussi que « le Bureau de la cybercriminalité et des droits de la propriété intellectuelle reste très actif dans le ciblage des activistes, souvent d'une manière qui démontre peu de respect pour la primauté du droit ».

Cela étant dit, réclamer la suppression du Bureau de la Cybercriminalité par certains, est d'une naïveté monumentale. Ces gens font l'impasse sur son extrême utilité de nos jours. Quand un Libanais se permet d'écrire suite à l'attaque terroriste du club Reina à Istanbul lors de la soirée du Réveillon il y a un peu plus d'un an, qui a fait 39 morts dont 3 Libanais, que les victimes méritaient de mourir parce qu'ils buvaient de l'alcool, ce n'est pas de la liberté d'expression, c'est faire l'apologie du terrorisme. C'est un des crimes traités par le Bureau de la cybercriminalité, au même titre que les arnaques électroniques ou la pédophilie. Morale de l'histoire, s'il y a un secteur qu'il faut renforcer c'est bien celui-là. S'il y a un secteur qu'il faut bien encadrer par la loi, c'est encore celui-là. Et s'il y a un secteur qu'il faut mettre à l'abri des manigances politiciennes, c'est toujours celui-là. Ainsi, la veille des élections législatives, il est grand temps que les candidats qui bavent devant le gâteau parlementaire, fassent des propositions concrètes dans cette triple direction.