vendredi 26 juin 2015

En finir avec le Guantanamo de Roumieh dans l’intérêt de tous les Libanais. Nouhad Machnouk ne pouvait pas ignorer le rapport accablant de l’ONU sur la torture au Liban (Art.295)


L’entrée du bâtiment B de la
prison de Roumieh où sont
détenus les prisonniers islamistes.
Photo de Haytham al-Moussawi
(al-Akhbar)

Le scandale de la prison de Roumieh

Rien, absolument rien, ne peut faire l’unanimité au Liban. Alors que pour la première fois, nous avons la preuve bel sawt wal soura, de la pratique de la torture dans une prison libanaise, il s’est trouvé encore des compatriotes pour justifier l’injustifiable, ce qui est aussi ignoble que les images cruelles elles-mêmes. Sans rentrer dans tous les détails, qui n’ont pas tous de l’importance, l’affaire de Roumieh a éclaté au grand jour avec la diffusion à la fin de la semaine dernière, de deux vidéos tournées avec des téléphones portables il y a deux mois, qui montrent deux membres des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) infligeant des sévices à des prisonniers sans défense, les insultant tout en les rouant de coups de pieds et de matraques, dont l'une est en plastic et l'autre en bois. Les deux fautifs sont actuellement, en garde à vue et poursuivis par la justice militaire. Les poursuites concernent aussi celui qui a filmé la scène, ainsi que deux autres personnes qui étaient au courant de cette ignominie, mais qui n’ont pas jugé utile d’en informer leur hiérarchie.

Qui sont les suppliciés de Roumieh ?

Pour comprendre tout le contexte, et non qu’une partie, il faut commencer par rappeler que les charges qui pèsent sur les prisonniers en question sont très graves. Les suppliciés sont des islamistes impliqués (ou soupçonnés de l’être), dans des actes terroristes (ou dans les préparatifs), via des voitures piégées ou des attaques armées, ayant conduit à la mort de plusieurs dizaines de civils Libanais (de confession chiite notamment), et de plusieurs centaines de militaires libanais (de toutes confessions), tués d’une façon barbare pour certains, ainsi que dans le kidnapping par des terroristes syriens de Daech / Etat islamique et de Jabhat al-Nosra, d’une trentaine de soldats libanais et de membres des FSI, dont deux ont été décapités et deux autres exécutés par balle, des événements tragiques ayant eu lieu à divers moments dans le passé dans les régions de Beyrouth, de Tripoli, de Saïda, de Ersal et de Nahr el-Bared. Rappelons dans ce sillage que la libération de ce camp de réfugiés palestiniens (2007), qui se situe près de Tripoli, où s’étaient retranchés des djihadistes de diverses nationalités du groupe terroriste Fateh el-Islam (notamment libanaise et palestinienne), dont un grand nombre est actuellement emprisonné à Roumieh, a couté la vie à 157 soldats de l’armée libanaise.

Au total, on en dénombre près de 300 islamistes à Roumieh. Ces détenus pas comme les autres, avaient formé au fil du temps, ce que les services sécuritaires libanais appellent un véritable « émirat islamique » dans cette prison située à un jet de pierre de Beyrouth, une sorte de QG terroriste équipé par tous les moyens de communication avec l’extérieur, où les téléphones portables, les ordinateurs et les armes circulaient librement, une liberté qui ne pouvait être gagnée sans la complicité de certains gardiens de la prison, et qui permettait à ces détenus dangereux d’être en relation avec diverses cellules terroristes présentes au Liban (à Tripoli et à Ersal, mais aussi dans le camp palestinien d’Ain el-Helwé, situé au sud du Liban), et en Syrie (dans le Qalamoun et à Raqqa, capitale de l’organisation terroriste « Etat islamique »). L’émirat a été démantelé en début d’année, à la suite d’un double attentat-suicide ayant visé le quartier alaouite de Tripoli, et dans lequel seraient impliqués certains des islamistes libanais de Roumieh et de l’organisation terroriste syrienne Jabhat al-Nosra. Certes, toutes les données sont accablantes pour ces hommes qui sont tout sauf des militants des droits de l’homme. Mais, est-ce bien une raison recevable pour fermer les yeux, voire pour justifier des actes de torture ignobles ? Evidemment, non.

Le Guantanamo de Roumieh

En dehors, des problèmes éthiques que la torture pose à tout être humain normalement constitué, l’affaire de Roumieh se complique avec le fait que les suppliciés sont de confession sunnite, pas les tortionnaires. Il faut savoir aussi que ces islamistes sont arrêtés depuis des mois, voire des années, emprisonnés sans jugement pour l’instant, en violation du droit libanais et international. En visionnant les horribles vidéos, il est aisé de comprendre pourquoi la Justice libanaise ne veut pas s’en occuper. Primo, parce que juger ces hommes, c’est programmer la sortie de prison de certains, soit immédiatement par manque de preuves de leur culpabilité, soit après avoir purgé leur peine. Secundo, parce ce que la justice libanaise est aujourd’hui prise au piège. En allégeant la peine du terroriste Michel Samaha à 4,5 ans alors qu’il programmait faire sauter le Liban à la demande de Bachar el-Assad, elle ne pourra plus alourdir les peines des terroristes islamistes, sous risque d’imploser le Liban. A moins, d’alourdir la peine de Samaha en appel, pour redonner à la communauté sunnite confiance en la justice militaire. Tertio, programmer la sortie des islamistes, après les avoir transformé en "monstres" (ils l’étaient déjà à leur incarcération pour certains), c’est s’assurer de leur hostilité ad vitam æternam.

Ainsi, de l’avis général, la prison de Roumieh s’est transformée au fil des années en une sorte de Guantanamo. Si la situation perdure, nous avons tous les ingrédients pour pousser une frange de la communauté sunnite dans le chemin de la radicalisation, confectionner une bombe artisanale et faire sauter la sécurité précaire qui règne au pays du Cèdre. D’ailleurs, il est sans doute là le but de la diffusion des vidéos clandestines deux mois après les faits et en plein période de ramadan. Après la mise en échec par Wissam el-Hassan, chef des renseignements libanais des FSI (assassiné depuis), du projet diabolique de Bachar el-Assad pour embraser le Liban à l’été 2012, en confiant à son sbire libanais, Michel Samaha, la mission de commettre des dizaines d’assassinats et d’attentats terroristes dans des régions sunnites libanaises lors des iftars du ramadan, et à l’heure où le régime syrien et le Hezbollah subissent les pires revers depuis quatre ans, il était sans doute utile pour l’axe Téhéran-Damas, de mettre de l’huile sur la braise communautaire libanaise.

La diffusion des vidéos avait également pour objectif de ternir l’image d’un ministre libanais compétent et intègre, de confession sunnite, Achraf Rifi, le dernier des Mohicans d'une République dominée par le Hezbollah, ancien chef des FSI, en le rendant responsable de la fuite des vidéos, comme si le problème était dans le contenant et non dans le contenu. Il fallait aussi et surtout, se servir de ce cas isolé, pour discréditer l’ensemble du service des renseignements des FSI, la bête noire du Hezbollah et de la tyrannie des Assad, une institution sécuritaire efficace qui a permis de déjouer plusieurs attentats terroristes au Liban (dont le projet libano-syrien Samaha-Mamelouk), de faire la lumière sur l’implication du Hezbollah dans l’assassinat de Rafic Hariri (la piste des télécommunications) et de démanteler plusieurs réseaux d’espionnage au profit d’Israël (impliquant des individus proches du Hezbollah et de Michel Aoun).

Pour rendre cette bombe à retardement encore plus explosive, il suffit de rajouter trois éléments. Primo, le contexte global, tendu à l’extrême, d’une part, entre les Arabes et les Perses, et d’autre part, entre les communautés sunnite et chiite dans tous les pays du Moyen-Orient, sans exception. Secundo, l’implication de certains Libanais dans la guerre civile syrienne, par la faute conjointe du parti chiite libanais d’un côté, le Hezbollah, et d’éléments sunnites libanais et des islamistes de l’autre côté, des individus non soutenus par la principale force politique sunnite libanaise, le Courant du Futur. Tertio, le sentiment d’injustice dans la rue sunnite, qu’au Liban, les lois -même de droit commun, n’en parlons pas des affaires politiques- ne s’appliquent que dans les régions sunnites et contre les Sunnites, et dans les régions chrétiennes et contre les Chrétiens cela va sans dire, mais jamais dans les régions chiites et contre les Chiites, à cause du contrôle de celles-ci par le Hezbollah et de l’appui massif de la communauté chiite libanaise au "parti de Dieu". Pour l’écrasante majorité de la rue sunnite, et chrétienne en partie (dans les rangs du 14-Mars, notamment parmi les sympathisants des Forces libanaises et des Kataeb), et beaucoup de Libanais indépendants, il existe de facto une sorte d'immunité populaire chiite qui devient de plus en plus insupportable.

Pour mieux saisir le pouls de cette rue sunnite libanaise, qui est très en colère à la suite du scandale de Roumieh, et comprendre la situation explosive actuelle, il suffit tout simplement d’inverser les rôles. Si les tortionnaires étaient sunnites et les prisonniers torturés chiites, Tammam Salam, le Premier ministre (sunnite), serait sans l’ombre d’un doute en ce moment occupé à planter des patates sous un soleil de plomb dans la plaine de la Bekaa et Nouhad Machnouk, le ministre de l’Intérieur (sunnite), en train de pêcher la sardine du côté de Ramlet el-Beïda. Hypothèse farfelue ? Pas du tout. Rappelez-vous l’affaire de Mar Mikhaël, en janvier 2008. Lors d’une manifestation populaire chiite qui a dégénéré, où des routes ont été bloquées, des pneus ont été incendiés, des barrages de l’armée libanaise ont été attaqués et où certains manifestants ont tenté de désarmer des soldats, de prendre le contrôle de certains véhicules militaires et ont tiré sur la troupe, l’armée libanaise fut obligée de riposter. Il y a eu plusieurs morts. Sous la menace du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, « les choses dépendent des résultats de l’enquête... le hezb retient son public mais il ne pourra pas le faire pour toujours », plusieurs officiers chrétiens furent jetés en prison et le tribunal militaire a poursuivi pas moins de 68 personnes au total. Rien à voir avec l’affaire de Roumieh. Tout le monde se souvient aussi de la bande à Assir, le cheikh salafiste sunnite de Saïda, qui a été rayée de la carte en moins de 24 heures en juin 2013, alors qu’on est toujours sans nouvel des cinq membres du Hezbollah (chiites), élevés au rang de « saints » par Hassan Nasrallah, bien qu’ils soient accusés de l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri (sunnite).

Cet événement infâme n’est pas nouveau ni au Liban, encore moins au Moyen-Orient, ni dans le monde, même dans les grands Etats de droit comme les Etats-Unis. Il n’empêche que dans le cas de Roumieh, certains indices laissent perplexes, parce qu’il est difficile de croire que dans une institution hautement contrôlée par l’Etat libanais, une prison !, on peut faire ce que l’on veut avec 17 personnes, c’est le nombre de prisonniers qui apparaissent dans les vidéos, avec seulement 5 personnes qui soient au courant en tout et pour tout. Trois fois plus de prisonniers que de surveillants ? Rien qu’avec des connaissances cinématographiques, tout le monde sait que ce n’est pas possible.

Enfin, tous les médias et les politiciens n’ont tenu compte que de la torture physique des trois prisonniers, alors que la torture psychologique des 14 autres codétenus que l’on voit bien dans les vidéos dans des conditions humiliantes, au sol, côte à côte, en slip et mains ligotés derrière le dos, pataugeant dans l’eau et entendant les suppliciés criés de douleurs, devait être tout aussi insupportable.

Le rapport accablant de l’ONU sur la torture au Liban

Quoiqu’en disent ses défenseurs, Nouhad Machnouk ne pouvait pas ignorer ce qui se passait derrière les barreaux de Roumieh. Il y a près de neuf mois, le Comité contre la torture du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme lui a remis les résultats des investigations qu’il a menées dans le monde. Dans ce rapport de 526 pages, dont une partie est consacrée à la torture dans notre pays, on apprend que « le 29 janvier 2014... le Liban indiquait qu’il n’approuvait pas la publication du rapport d’enquête (sur la torture au Liban) ». En gros, l’Etat libanais voulait censurer ces informations qui lui sont compromettantes. A cette période, c’était encore Marwan Charbel qui expédiait les affaires courantes au ministère de l’Intérieur. En tout cas, alors que « le Comité (contre la torture) a invité l’État partie (le Liban) à autoriser la publication du présent rapport et à en assurer une large diffusion, dans les langues voulues et par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales (39) », le rapport de l’ONU nous apprend que « le 22 mai 2014... l’État partie (le Liban) s’étant de nouveau déclaré opposé à la publication du texte intégral du rapport, le Comité (de l’ONU) a décidé... de faire figurer dans son rapport annuel à l’Assemblée générale (de l’ONU) un résumé des résultats de la procédure ». Cette nouvelle demande du Liban pour censurer le rapport de l’ONU, ne pouvait émaner cette fois-ci, a priori, que de Nouhad Machnouk lui-même, puisqu’il est ministre de l’Intérieur depuis le 15 février 2014. Certes, il n’est pas la seule personne concernée dans ce dossier, mais il en est la principale s’agissant de la torture dans les prisons. Le Liban a sans doute ses raisons pour « contester l’avis de la mission selon lequel la torture était pratiquée de manière systématique au Liban (point 51 du rapport) ». Et pourtant, le rapport du Comité contre la torture de l’ONU est accablant pour l’ancienne Suisse de l’Orient.

Commençons par du soft. Le compte-rendu du rapport nous apprend que « les conditions de détention dans ces prisons étaient épouvantables (23)... (elles) pourraient être qualifiées de cruelles, inhumaines et dégradantes, voire de constitutives d’actes de torture dans certains cas (35) ». Bon, pas besoin de l’ONU pour s’en douter. « D’après les renseignements reçus, les méthodes de torture utilisées par les divers organes de sécurité vont du passage à tabac à des techniques plus dures et plus élaborées, dont le ballanco et le farrouj seraient les plus répandues (11). » Rien à changer de ce qu’on faisait pendant la Terreur syrienne (1990-2005). « La brutalité des méthodes de torture (...) et les importantes cicatrices observées sur le corps des victimes pendant les examens médicaux témoignent d’une utilisation généralisée de la torture et de l’impunité de ceux qui commettent de tels actes (32) ». Des cicatrices apparaissent dans les vidéos de Roumieh sur les corps des prisonniers, ce qui laisse supposer que ce n’était pas la première fois que ces islamistes étaient passés à tabac.

Passons maintenant à plus hard. « La mission (de l’ONU) a été informée que les personnes détenues à des fins d’enquête, en particulier celles accusées de participation à des activités d’espionnage ou à des activités terroristes et d’autres infractions graves, étaient parmi les plus exposées au risque de torture et de mauvais traitements (10). » Donc, ce qui s’est passé avec les islamistes de Roumieh était prévisible. Le Comité contre la torture a même fait savoir au Liban que « presque la moitié des détenus interrogés à Roumieh ont affirmé avoir subi de graves tortures infligées par les FSI et/ou des enquêteurs militaires... Certains d’entre eux continuaient de souffrir de douleurs liées au type de torture qu’ils avaient subi (18). » Donc tout le monde était censé savoir que la torture était institutionnalisée à Roumieh. Pire encore, à la lecture du compte-rendu, on apprend « qu’au poste de police de Hobeish (à deux pas de l’AUB de Beyrouth)... des personnes interrogées, qui étaient accusées d’infractions à la législation sur les stupéfiants, ont affirmé que certains agents des FSI et des membres du Hezbollah les avaient battues dans les quartiers sud de Beyrouth alors que d’autres filmaient les passages à tabac avec leur téléphone portable (13). » Oubliez le Hezbollah pour l’instant, ce point permet de comprendre que ce n’est absolument pas la première fois que la torture est mise en scène. Ça va bien au-delà de la perversion et du sadisme. En filmant les actes de torture, les tortionnaires visent avant tout à obtenir un document audiovisuel avec lequel ils pourraient terroriser d’autres détenus afin de leur tirer des aveux. C’est exactement dans ce but que les films de Roumieh ont été tournés. Pour ce qui est du Hezbollah, le rapport revient sur la question dans un autre point. « La mission a également reçu des informations faisant état d’arrestations illégales et d’actes de torture commis par des acteurs non étatiques, tels que les milices affiliées à Amal et au Hezbollah, et dont les victimes sont ensuite remises aux organes de sécurité libanais (10). » Avec une telle info, allez encore convaincre la rue sunnite que le duo chiite ne forment pas un "État" dans l'État. 

Au total, « sur les 216 détenus interrogés par la mission, 99 ont affirmé avoir été torturés par des agents de la force publique, en particulier des membres des FSI et des services du renseignement militaire (30) ». La conclusion du Comité contre la torture est sans appel. « Au Liban, la torture est une pratique largement répandue et couramment utilisée par les forces armées et les organes chargés de l’application de la loi, pour enquêter, pour obtenir des aveux, à utiliser dans le cadre des procédures pénales, et dans certains cas, pour punir des actes que la victime est supposée avoir commis... une pratique généralisée manifeste de la torture et des mauvais traitements à l’encontre de suspects en détention, notamment des personnes arrêtées pour des crimes contre la sécurité de l’État (29)... la torture est et a été systématiquement pratiquée au Liban (37). » Cette conclusion accablante a un double mérite : d’une part, elle révèle par une instance internationale respectée l’ampleur de la torture au Liban, et d’autre part, elle prouve que ces actes barbares ne sont pas forcément liés à la confession des détenus, autant qu’ils sont liés aux accusations.

Étant donné la gravité de la situation, le Comité contre la torture de l’ONU, a demandé au l’Etat libanais de « réaffirmer clairement le caractère absolu de l’interdiction de la torture, condamner publiquement les pratiques de torture... faire en sorte que les actes de torture soient imprescriptibles... veiller à ce qu’aucun élément de preuve obtenu par la torture ne soit utilisé... faire en sorte que les aveux faits par des personnes en garde à vue en l’absence d’un avocat et qui ne sont pas confirmés devant un juge soient irrecevables en tant que preuve... entreprendre une enquête approfondie sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements... prendre des mesures pour remédier aux mauvaises conditions dans les lieux de détention...... prendre des mesures pour prévenir la violence entre prisonniers, notamment la violence sexuelle... renforcer les services de santé dans les prisons... achever le transfert du système pénitentiaire du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice... autoriser les ONG à entreprendre des activités d’inspection des prisons... assurer aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements une réparation (38) ». Ils rêvent à l'ONU. Euh, les poules auront des dents au Liban avant qu’Omar al-Atrache, l’homme sur lequel s’est acharné un des tortionnaires, ne soit indemnisé. Toutes ces recommandations sont restées lettres mortes. Le seul point du rapport que Nouhad Machnouk a réussi à mettre en oeuvre c’est de « rétablir la pleine autorité de l’État sur toutes les prisons, en particulier sur le bâtiment B de la prison de Roumieh ». Et encore, je ne suis pas sûr pour « la pleine autorité » et pour « toutes les prisons ».

La torture pendant l’occupation syrienne du Liban

Dans le sillage du scandale actuel, il est utile de rappeler que les actes odieux que le peuple libanais a vus il y a quelques jours, se pratiquaient au vu et au su de tous pendant la période de terreur de la Pax Syriana, dans l’indifférence générale. Ils se faisaient contre les opposants à l’occupation syrienne du Liban, d’une manière programmée et systématique, notamment entre 1990 et 2005, après le feu vert donné par Bush-père à Assad-père, pour mettre la main sur les régions chrétiennes libres jusqu’alors. La torture pratiquée par le régime sécuritaire syro-libanais de l’époque, qui incluait des tortionnaires de toutes les confessions sans exception, concernait essentiellement les militants chrétiens des partis des Forces libanaises (Samir Geagea), des Kataeb (Amine Gemayel) et du Courant patriotique libre (Michel Aoun). Elle pouvait toucher aussi tout opposant à la tyrannie des Assad dans les régions musulmanes et chrétiennes occupées, entre 1976 et 1990.

Quand Nadim Koteich recommande la torture des tortionnaires

« Certaines questions n’ont pas besoin d’être compliquées. Qui a frappé les prisonniers, doit recevoir les mêmes coups de bâtons, et ce n’est qu’ensuite que la Justice peut se mêler de l’affaire. Il ne faut pas que la sauvagerie reste qu'une scène de télévision. Ils (les tortionnaires) doivent sentir dans leur chair les sévices qu’ils ont fait subir aux autres. Et s’il y a la possibilité, que ça soit les prisonniers eux-mêmes qui le fassent, c’est mieux. La consécration du principe que tout acte de torture peut se retourner contre son auteur, est une purification nécessaire aux sociétés malades comme la société libanaise ». C’est signé Nadim Koteich, la star de Futur TV.

Nadim Koteich n’est pas à sa première réaction émotive. Le jour des obsèques nationales de Wissam el-Hassan le 21 octobre 2012, le journaliste a pris la parole, avec beaucoup d’émotion, il a appelé les manifestants du 14-Mars, en deuil et en colère, à foncer sur le Grand Sérail, le siège du gouvernement libanais. « Qui veut enterrer Wissam el-Hassan et rentrer chez lui est libre de le faire. Il y a quelqu’un au Sérail (Najib Mikati, le Premier ministre de l’époque) qui devrait être enterré en ce moment politiquement... N’attendez pas les politiciens pour qu’ils vous disent ce qu’il faut faire. Chacun de vous sait où il doit être... Ya chabeb heida kello ma biyenfa3, vous devez briser toutes les barrières, une seule direction, le Sérail du gouvernement, que Najib Mikati tombe... Je veux que vous répétiez avec moi : ‘ya chabeb wou ya sabaya, yalla yalla 3al saraya’ (garçons et filles, allons-y au Sérail). Najib Mikati tombera aujourd’hui. » Ces paroles populistes et irresponsables, ont provoqué des affrontements avec les forces de l’ordre. Sans l’intervention des politiques à haut niveau, ceux-ci auraient pu avoir des conséquences gravissimes sur la paix civile au Liban. L’ironie de l’histoire c’est que les militants et les miliciens du Hezbollah qui ont occupé le centre-ville pendant 17 mois ente 2006 et 2008, alors que Fouad Siniora siégeait au Grand Sérail, n’avaient pas osé franchir une telle ligne rouge.

En tout cas, mis à part le populisme du statut de Nadim Koteich sur l’affaire de Roumieh, il y a deux cas de figures, aussi inquiétants l’un que l’autre. Soit, nous avons eu à faire à une réaction instinctive et impulsive, comme celle après l’assassinat de l’ancien chef des renseignements libanais des FSI, ce qui grave venant de la part d’un journaliste, le plus médiatique au Liban svp. Soit, nous sommes face à une conviction, et c’est encore plus grave, venant de la part du journaliste le plus en vogue en ce moment, un homme prédestiné selon certains admirateurs à briguer une fonction publique. Nadim Koteich est un journaliste brillant, tout le monde le reconnait, mais quand on lit ce genre de propos agressifs, où un homme justifie ouvertement le recours à la torture, comment peut-on s’étonner de la violence même des images qu’on a vues ? Si on rentre dans cette logique, tous les acteurs de l’échiquier oriental ont des justifications à présenter à l’opinion publique : Bachar el-Assad en tête, Hassan Nasrallah aussi, Daech, Nosra et al-Qaeda également, et même les tortionnaires de Roumieh ont leurs raisons.

Hasard du zapping, en faisant ma recherche pour rédiger cet article, je suis tombé sur une vidéo de la chaine Orient Onair - Orient News, une chaine d'opposants sunnites au régime alaouite syrien, dont le titre sur le scandale de Roumieh, est on ne peut plus irresponsable. « Des photos de la torture des sunnites à Roumieh... Des chiites et des chrétiens chargent l’atmosphère sectaire au Liban ». Et vous, bande de nases, vous croyez faire quoi au juste ?

Toujours est-il que si nous autres hommes publics, médiatiques, politiques et intellectuels, nous ne sommes pas capables de contrôler nos réactions sur les chaines de télévisions, internet et les réseaux sociaux, que peut-on s’attendre alors de l’homme de la rue chargé à bloc par les images violentes qui déferlent incessamment devant ses yeux et qui touchent « sa » communauté, qu’elle soit sunnite (celles de la torture des islamistes de Roumieh, des explosions devant les mosquées de Tripoli et des atrocités de la guerre en Syrie), mais aussi chiite (après les explosions des voitures piégées dans la banlieue-sud de Beyrouth il y a deux ans et devant les mosquées de Sanaa et de Koweit récemment), chrétienne (avec le nettoyage éthique des « infidèles » de Mossoul et la décapitation des égyptiens coptes, durant l’année écoulée), druze (après le massacre de Qalb Laozé il y a deux semaines), juive et athée, j’en passe et des meilleures dans d’autres cas ? Les réactions instinctives n’ont pas leur place à ce niveau de la société. Nous avons l’obligation de stimuler « la raison des citoyens » au Moyen-Orient et de s’abstenir d’exciter « l’instinct des communautés » de la région. Aucun acte odieux et infâme ne peut justifier le recours barbare à la torture et aux généralisations stupides. Ce sont des principes fondamentaux des droits de l’homme et de la cohabitation fraternelle humaine qui ne tolèrent aucune exception. Et sur ces points, un Etat de droit et des hommes de principes ne transigent jamais.

jeudi 11 juin 2015

Les leaders chrétiens et le complexe de castration politique de Walid Joumblatt (Art.292)


Il est baïdett el2ebénn pour certains, l’homme fort de l’échiquier politique libanais, baïdett ghanam pour d'autres, le mouton de Panurge qui suit les forces dominantes. Qui s’intéresse aux parcours des Joumblatt père et fils, je ne m’avancerai pas sur le petit-fils, sait que les deux leaders druzes ont un contentieux politique avec les chrétiens du Liban, les maronites en particulier, que ni l’histoire ni l'âge ne parviennent à régler, hélas. Croisons les doigts pour que cette tare ne soit pas héréditaire. Et ce n’est pas faute d’occasions ou d’avoir essayé ! Ni les tragédies de dimension communautaire, comme celles des assassinats de Kamal Joumblatt (1977) et de Bachir Gemayel (1982), ni les tragédies de dimension nationale, comme celle de l’assassinat de Rafic Hariri (2005) -tous les trois tués directement ou indirectement par le premier et le dernier tyrans des Assad, père et fils- ni même les tragédies de dimension humaine, comme celle de plus de 150 ans de cohabitation difficile marquée par quatre massacres ayant visé essentiellement les chrétiens du Mont-Liban et de Damas (1841, 1860, 1977 et 1983; faisant près de 20 000 morts au total!), ne semble ramener la relation entre la communauté chrétienne maronite et la communauté musulmane druze à la normalité. L'interview que Walid Joumblatt a accordée à al-Akhbar, publiée les 9 et 10 juin, l'a encore prouvé. Morceaux choisis.

اليوم كل شيء مجمّد بما في ذلك تشريع الضرورات الاقتصادية والامنية بفعل المزايدة على ان انتخاب رئيس الجمهورية اولا. مع ذلك لن يكون هناك رئيس في الظرف الحالي. لم يتفهم بعد غالبية الافرقاء السياسيين ان لا رئاسة في الوقت الحاضر

En gros, le président du Parti socialiste libanais insiste pour légiférer en l'absence d'un président de la République, comme si de rien n'était, ce qui constitue une violation grave et flagrante de la Constitution libanaise. Walid Joumblatt regrette même que ses partenaires libanais n'aient pas encore compris, cheyif ya zalamé, qu'il n'y aura personne à la tête de l'Etat libanais à court terme. Eh bien, moi je regrette que la girouette de Moukhtara, qui est plantée dans le paysage politique libanais depuis qu'il s'est allié en 1977 au premier tyran des Assad, Hafez, Allah yighame2lo comme on dit, n'ait pas encore compris que ce ne sont pas les « surenchères », chrétiennes bien entendu, qui empêchent de légiférer en ce moment, mais les articles 74 et 75 de la Constitution de son pays. Nuance qu’il n’a pas l’air de saisir, même après 38 ans d'activités politiques.

Dans ce sillage, il faudra rappeler aussi à cet éternel opportuniste, amnésique par conviction, que contrairement à lui, il existe au Liban, des hommes politiques qui ont des principes. Eh oui ! En tout cas, bien plus que lui. Si Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a décrété que tout ce qui est en dehors de « sa guerre existentielle » qu'il mène en Syrie, est secondaire, un point de vue que je ne partage pas mais c’est un principe quand même, Saad Hariri, président du Courant du Futur, considère que la priorité doit être donnée à l'élection présidentielle, un point de vue et un principe que je partage pleinement. Et si Samir Geagea et Michel Aoun, présidents des partis des Forces libanaises et du Courant patriotique libre, acceptent la fatwa de la nécessité de légiférer dans ce contexte exceptionnel, ceci est conditionné d'une part, au vote d'une nouvelle loi électorale, qui devrait mettre fin à la législation électorale féodale en vigueur, la sinistre loi de 1960, et d'autre part, au vote d'une loi pour permettre l'acquisition de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais, surtout après les naturalisations massives et sélectives accordées lors de l’occupation syrienne du Liban.

لذلك نصيحتي للافرقاء المسيحيين كفى مزايدة لانهم يهدرون الفرص التاريخية، ولم يقتنعوا بعد بأهمية مرشح توافقي خارج ميشال عون وسمير جعجع، وخارج امين الجميل ايضا... لم يقتنعوا بعد ويا للاسف. اي رئيس سيكون سوى هؤلاء. لا اعرف كيف يمكن ان يقتنعوا ونحن في هذه المنطقة الملتهبة... اهتمامات المواطنين في عالم آخر. همّ المواطن العادي ليس انتخاب الرئيس، بل امنه وقانون السير اذا كان سيطبق كاملا والصحة. الموضوع الرئاسي صار شأناً ثانوياً

Mais de quelles « occasions historiques (d’élire un président) » parle-t-il au juste ? Comment un responsable politique de sa trempe peut-il décréter un peu plus loin dans l’interview, avec la schizophrénie et le populisme qui l’ont toujours caractérisé, que « le souci du citoyen ordinaire n’est pas d’élire un président (de la République)... la question présidentielle est devenue secondaire » ? Pourquoi l’un doit empêcher forcément l’autre ? Parce que cela arrange bien ses affaires ? Quel spectacle piteux. Disons pour simplifier que le leader druze ne veut pas de tous les leaders chrétiens maronites connus du grand public et ayant un poids notable : ni de Michel Aoun, ni de Samir Geagea, ni d'Amine Gemayel, ni même de Bakhos Baalbaki. Il préfère une obscure personnalité chrétienne qui ne représente en dehors de sa propre personne, que son ombre. Et comme par hasard, l’homme providentiel est cet épouvantail, un dénommé Henri Helou, déniché dans je-ne-sais quelle brocante politique et sorti de son chapeau d'illusionniste au bon moment il y a plus d’un an et demi, dans le but de torpiller, quel qu’en soit le prix, l'arrivée d'un chrétien fort à la tête de l'Etat libanais. Toujours est-il que si l'opportuniste leader socialiste s'est déchainé contre Samir Geagea et Michel Aoun, c’est parce que ces derniers ont repris l'initiative le 2 juin avec l’annonce de la « Déclaration des intentions ». Et si W. Beik s'est montré si froissé c'est parce que les priorités libanaises du moment, notamment au niveau chrétien -nouvelle loi électorale, acquisition de la nationalité libanaise et élection d'un président chrétien fort- ne conviennent pas au chef de la communauté druze. Tout le reste n’est que palabres et balivernes, 2art 7aké.

قلت قبلا وأكرر ان لرئيس لبناني مسيحي رمزية في هذا الشرق العربي والاسلامي، وخصوصا بعد الكوارث التي نزلت في العراق وسوريا على الطريق... لم يعد هناك عرب... بعدما وصلنا الى ما يسمى الحضارة المدنية، عدنا الى العصبيات القبلية التي تؤدي الى حروب مذهبية

Si « un président libanais chrétien représente un symbole dans cet Orient arabe et islamique, surtout après les catastrophes survenues en Irak et en Syrie », comme il prétend, est-ce donc une raison pour choisir une marionnette chrétienne comme son homme de paille, Henri Helou, pour l’installer dans le décor du palais de Baabda ? Il y a des limites à l'hypocrisie nauséabonde. En tout cas, cela n'empêche pas le leader druze, qui a toujours gardé de bons contacts avec la milice chiite libanaise, dont l'allégeance à la l'Iran perse est explicite, d’annoncer « qu'il n'y a plus d'Arabes... nous sommes retournés à la partisannerie tribale qui conduit à des guerres sectaires ». Leiko min 3am ye7ké, et dire que celui qui parle, est de fait, le leader libanais le plus communautaire, en dépit de son camouflage socialiste, ses tweets à 5 piastres et ses émoticônes, comme celui d’hier justement, où il nous a radoté pour la énième fois depuis quatre ans, que « le régime syrien est fini ».

سؤال : المسيحيون اذاً هم المسؤولون عن تعطيل انتخاب الرئيس؟
 نعم. لن يعجبهم كلامي، لكنهم هم المسؤولون. لم يدركوا بعد حجم الخسارة وأهميتهم خصوصا. يحلم بعض القادة بانهم سيصيرون رؤساء، مع ان عقبات كبيرة في طريق وصولهم الى الرئاسة

Foutaises. Evidemment, W. Beik a pris soin d'éviter de faire la moindre allusion à la volonté de la milice chiite libanaise de bloquer la vie politique au Liban ad vitam æternam, au moins jusqu'à la fin de son djihad en Syrie, comme l'a avoué le secrétaire général du Hezbollah lui-même il y a quelques jours: « Nous combattons... à Damas, à Alep, à Deir Ezzor, Qousseir, Hassaké et Idlib... nous serons présents partout en Syrie où notre présence est requise pour la bataille... (nous sommes) engagés dans une bataille existentielle... toutes les autres (batailles) passent au second plan ». Mais non, c’est encore la faute des chrétiens qui « ne mesurent pas la taille et l’importance de cette perte (de ne pas élire sa marionnette à la tête de l’Etat libanais) ». Lamentable.

سؤال : هل يساعد سحب ترشيح هنري حلو على اجراء الانتخابات؟
لماذا اسحب هنري حلو... من حقنا نحن، ونمثل 11 صوتاً، ان يكون لدينا مرشح. اقول مجددا ان القادة الكبار المعنيين لم يقتنعوا بعد بأنهم لن يصلوا... اريد ان اذكّر هنا بأيام الانتداب. اكثر من رئيس انتخب او عيّن ايام الانتداب الفرنسي كانوا مسيحيين، لكنهم لم يكونوا موارنة... اعتقد انني عندما اجتمع بالرئيس هولاند، لاحقا، سأفاتحه في امكان اعادة الانتداب الفرنسي الى لبنان موقتا من اجل انتخاب الرئيس، ما دام الانتداب فعل ذلك قبل عقود. ما احوجنا الى انتداب موقت. يغطّ لانتخاب الرئيس ثم يطير


Cette déclaration est grave. Alors que le président du Parti socialiste libanais milite pour légiférer en violation de la Constitution libanaise, le voilà attaquant le Pacte national, le fondement consensuel du Liban ! Mais au fait, Michel Aoun et Samir Geagea, qui ont quatre fois plus de députés que Walid Joumblatt, n'ont-ils pas le droit, eux aussi, d'avoir leurs candidats ou d'en être ? Pourquoi veut-il les forcer à retirer leur candidature, est-ce pour imposer son épouvantail ? Est-il opportun, à l'heure où les catastrophes politico-religieuses frappent le Moyen-Orient, où la présence chrétienne en Orient a été complétement rayé de la carte en Irak et en Syrie, de dynamiter le Pacte national islamo-chrétien de 1943 au Liban, pour élire un président fantoche, la behech woula benech, uniquement dans l'intérêt de Walid Joumblatt ? La plaisanterie puérile de W. Beik -qu'il demandera au président français, François Hollande, d'étudier la possibilité de remettre le mandat de la France sur le Liban, afin d'élire un président de la République- est une de ces manœuvres, dont il est devenu le spécialiste incontesté, pour éviter de dénoncer la principale entrave à la tenue de l'élection présidentielle au Liban: le Hezbollah. Eh oui, il faut avoir des couilles pour cela.

سؤال : نذهب من هنا الى اين، ليس ثمة خارج ولا داخل؟
يجب ان نجد طريقة مع الرئيسين بري وسلام. كلاهما صمام امان. لا يمكن فرض اي امر، بل انتظار الوحي علّه يهبط على البعض. ربما يهبط عليهم الملاك جبريل

C'est un moment d'anthologie. Donc, pour le leader druze, la solution à la crise politique libanaise passe par l'obligation de « trouver un moyen avec les présidents (Nabih) Berri et (Tammam) Salam ». Aucune place aux leaders chrétiens dans l'esprit de W. Beik, comme s'ils n'existaient pas, en dehors de l'épouvantail Henri Helou, bien entendu, et de l'ironie. « On ne peut rien imposer, mais attendre que l'inspiration tombe sur certains (leaders chrétiens). Peut-être que l'ange Gabriel apparaitra sur eux ? » Une chose est sûre, Walid Joumblatt vient, sans le vouloir bien entendu, d’enlever toute ambiguïté, sur l'utilité de la rencontre historique entre Samir Geagea et Michel Aoun le 2 juin 2015, et l'intérêt de renforcer les liens à l'avenir, entre les partis des Forces libanaises et du Courant patriotique libre.

سؤال : ماذا تعني برئيس توافقي؟
خرجوا بنظرية الرئيس القوي التي خربت المسيحيين ولبنان، عندما خرج البعض بها وادت الى حروب المحاور الاقليمية وحرب الجبل وحروب الالغاء. واكتفي بهذه المحطات

Pas de doute, Walid Joumblatt a bien fait de prendre sa retraite et de passer le flambeau comme tout féodal qui se respecte, à son jeune fils, Teymour. Quand on commence à tout mélanger et à dire n'importe quoi, c’est qu’il est temps de se consacrer au tric-trac plutôt qu’à la politique. C’est un autre moment d’anthologie aussi. « Ils (Samir Geagea et Michel Aoun) nous ont sorti la théorie du 'président fort' qui a détruit les chrétiens et le Liban. Lorsque certains l'ont sorti (dans le passé), elle a conduit à des guerres loco-régionales (allusion à l'invasion israélienne de 1982 et à l’élection de Bachir Gemayel), la guerre de la montagne (qui a opposé les milices druzes et chrétiennes en 1983, au moment du retrait de l'armée israélienne du Mont-Liban ; allusion à la présidence d’Amine Gemayel, où l’armée libanaise s’est illustrée par une bravoure exceptionnelle sur le front de Souk el-Ghareb, face aux milices druzes et aux troupes syriennes) et des guerres d'élimination (interchrétiennes en 1990 ; allusion aux ambitions de Michel Aoun) ». Wlé 3aïb 3lek, 7terrim cheïbtak. Non mais, quel culot !

Un vieil adage de notre si belle montagne dit « yallé beito men 2ezez, ma be rechi2 el ness bel 7jar » (qui a une maison en verre, ne jette pas des pierres sur les gens). Il veut rouvrir les dossiers de la guerre, pas de souci, allons-y pour un tour d’horizon. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est la politique de lâcheté qu’il conduit depuis 38 ans. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son alliance avec Hafez el-Assad, moins de 40 jours après l'assassinat de son père par les Syriens en 1977. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est son aveu filmé d’avoir exécuté des chrétiens durant la guerre civile. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » ce sont ses alliances avec les Israéliens, les Syriens et les Palestiniens en 1983 pour lancer sa guerre d'élimination contre les "Forces libanaises" dans la montagne du Chouf. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » ce sont les massacres des chrétiens de la montagne en 1977 et 1983 commis dans une totale impunité par certains druzes. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est le nettoyage ethnique de la Montagne en 1983, commis par la milice druze qu’il dirigeait. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est sa participation dans la tragédie du 13 octobre 1990 contre le « réduit chrétien ». « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est sa collaboration avec la tyrannie des Assad, père et fils, et son soutien indéfectible à la milice du Hezbollah, pendant l’occupation du Liban par la Syrie. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » ce sont ses verbiages enfantins contre la personne de Bachar el-Assad entre 2005 et 2008 (le fameux discours du "serpent" entre autres) qui ont peut-être conduit à des assassinats politiques de personnalités chrétiennes. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est d'avoir poussé le gouvernement Siniora à prendre des mesures contre le Hezbollah le 5 mai 2008, en prélude à l'invasion de Beyrouth par la milice chiite et de retourner sa veste peu de temps après. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est d'avoir traité les chrétiens du Liban, de « mauvaise graine » en 2009. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son retour dans le giron de Bachar el-Assad en 2010 et d'être resté après le déclenchement de la révolution syrienne jusqu'à ce que le compteur des morts en Syrie ait passé à cinq chiffres. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son entente en 2011 avec le Hezbollah, le parti qui est accusé d'avoir tué son soi-disant ami, Rafic Hariri, pour faire tomber le fils, le Premier ministre de l’époque, Saad Hariri. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est son témoignage au Tribunal Spécial pour le Liban en 2015 qui a tourné en eau de boudin. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est de considérer il y a à peine deux semaines, que l’un des symboles de l’occupation syrienne du Liban (1976-2005), Abdel Halim Khaddam, qui a bien servi la tyrannie des Assad père et fils pendant 35 ans (1970-2005 ; son nom de famille l’avait prédestiné), comme « un vieil ami ». Enfin bref, « ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son opportunisme politique et son communautarisme socialiste, ainsi que son complexe de castration que les leaders chrétiens font naitre en lui et duquel il ne parvient toujours pas à sortir, même à 66 ans. Je pourrais continuer mon réquisitoire encore longtemps. Mais, comme il le dit si bien à la fin de son interview : « je me contenterai de ces remarques ».

Walid Joumblatt est ce qu’on appelle au Liban, kezbé kbiré, un gros mensonge. Il l’était et il le restera probablement. Aujourd’hui, le leader druze a une trouille bleue que l’élection d’un président fort à la tête de l’Etat libanais, Samir Geagea, Michel Aoun ou n’importe quel chrétien fort, ainsi qu’une nouvelle loi électorale moderne et l’acquisition de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais, ne conduisent à sa « castration politique », en le ramenant à son poids réel sur l’échiquier libanais. D’où ce complexe de castration que j'évoque dans le titre de cet article, la peur que W. Beik a de perdre ses attributs politiques. Et comme tout le monde sait, les complexes ont cette fâcheuse tendance à s’aggraver avec l’âge.  

dimanche 7 juin 2015

Samir Geagea et Michel Aoun, entre les youyous et les ouh : non mais, que demande le peuple de plus ? (Art.291)


Pour certains, l’union des deux hommes méritait des tzolghot retentissants. You you you you you ! Pour d’autres, du dédain et rien de plus. Ouhhhhhhh ! Une chose est sûre, tout le malentendu autour de la rencontre entre Samir Geagea et Michel Aoun vient du fait que les Libanais lui ont accordé plus d’importance qu’elle ne méritait en réalité. En écoutant et en lisant une partie de ce qui s’est dit et s'est écrit à ce sujet sur Facebook et sur Twitter,  il est clair que les deux camps, les contents comme les mécontents, ont commis trois erreurs d’appréciation dans leur jugement.

D’abord, de sous-entendre qu’il s’agit d’une première réconciliation personnelle entre les deux hommes, qui aurait dû intervenir plus tôt. Ce n’est absolument pas le cas. Celle-ci a déjà eu lieu le 18 mai 2005. Elle était impossible pendant la période de terreur qu’exerçaient les troupes d’occupation syriennes au Liban entre 1990 et 2005, du fait que les protagonistes étaient l’un emprisonné et l’autre en exil. Certes, aujourd’hui le contexte est fondamentalement différent de l’époque: el-hakim est libre et toujours anti-régime syrien, el-général est double champion législatif et pro-régime syrien. Il n’empêche que la rencontre elle-même n’est donc pas une première.

Ensuite, de laisser entendre que cette rencontre entre les deux anciens ennemis est un événement extraordinaire. Ce n’est pas le cas non plus. Celle qui répond à ce critère a déjà eu lieu, elle aussi. Beaucoup de gens ont oublié, ou ne connaissent pas, cette journée du 20 février 1989 des années sombres de la confrontation armée interchrétienne entre les deux hommes (1988-1990), où le convoi du chef des Forces libanaises, qui se dirigeait vers le palais de Baabda où campait le Premier ministre intérimaire de l’époque et commandant de l’armée libanaise, a été criblé de balles aux alentours de Jisr el-Bacha, dans des circonstances controversées à l’intérieur d’un périmètre qui était entièrement contrôlé par la troupe. Malgré la mort d’un de ses gardes du corps, Samir Geagea continuera sa route ce jour-là et rencontrera Michel Aoun, dans une ultime tentative pour éviter l’embrasement des régions chrétiennes.

Enfin, de prétendre que les chefs chrétiens complotent contre les autres partenaires de la nation, les musulmans et les chrétiens indépendants. Il est sans doute utile dans les périodes de turbulence et de déchainement passionnel politique, de rappeler les faits. Les deux adversaires se retrouvent autour de certains points politiques regroupés dans ce que les protagonistes eux-mêmes appellent la « Déclaration des intentions ». Ce titre à lui seul, montre toute la prudence des deux leaders par rapport à leur propre démarche. Il regroupe d’ailleurs deux termes qui auraient dû pousser les Libanais à ramener cette rencontre à sa juste valeur. Dans ce sillage, je rappelle que l’accord conclu entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah en 2006, était lui un « Document d’entente », c’est pour dire combien la nuance peut être grande et qu’à ce niveau de la diplomatie nationale, le choix des mots n’a rien de fortuit.

Les discussions entre ces deux partis libanais ont démarré il y a belle lurette. Personne ne se souvient quand précisément d’ailleurs puisque les gens ne misaient pas cinq piastres sur les chances de succès d’une telle initiative. Elles se sont imposées dans un contexte de blocage national inouï de la vie politique libanaise, qui est directement lié à l’issue de la guerre civile syrienne par la faute essentielle du 8 Mars, notamment du Hezbollah, une milice engagée de son propre aveu dans une « bataille existentielle », qui renvoie aux calendes grecques toutes les autres batailles, les élections présidentielle et législative libanaises en tête. Mais, le 14 Mars n’était pas en reste sur ce plan. Dès les premiers jours du soulèvement populaire syrien le 15 mars 2011, le « camp souverainiste » a fait de la chute de Bachar el-Assad une affaire nationale libanaise de la plus haute importance. Cette faute du 14 Mars est bien incarnée par l’attitude saugrenue du dénommé Okab Sakr par exemple, un député de la nation plus préoccupé par la révolution syrienne que par les élections libanaises.

Ce blocage de la vie politique libanaise se traduit aujourd’hui par l’incapacité d’élire un nouveau président de la République libanaise, depuis plus d’un an, et la paralysie totale du fonctionnement du Parlement libanais, dont le pouvoir a été autoprorogé de quatre ans, un mandat gratis inespéré pour des députés dont le rendement est des plus médiocres au monde.

Le contexte régional y était aussi pour beaucoup dans la rencontre Geagea-Aoun. Au moment où le Moyen-Orient est pleinement engagé dans une guerre de cent ans, entre les sunnites et les chiites, où le chef de la milice chiite libanaise vient d’annoncer aux Libanais que « la bataille de jurd Ersal (contre les djihadistes sunnites qui sont à cheval sur la frontière syro-libanaise) a été lancée et elle se poursuivra jusqu'à atteindre les objectifs », les leaders chrétiens ne pouvaient pas rester les bras croisés à regarder ce seul Etat arabe présidé par un chrétien, aux termes du Pacte national islamo-chrétien conclu en 1943, agoniser, et ce seul pays à majorité musulmane, où les communautés chrétiennes ont un rôle prépondérant à jouer, s’engager dans un déclin irrémédiable.

Comme je l’ai affirmé à maintes reprises, le sort des communautés chrétiennes en Orient, doit rester étroitement lié à celui des communautés musulmanes de leur environnement, pour le meilleur comme pour le pire. Les chrétiens du Liban, de Syrie ou d’Irak, ne doivent pas oublier une seconde que les premières victimes de « l’Etat islamique / Daech » sont sunnites, et que l’implication du Hezbollah ou de l’Iran dans les guerres régionales ne rendent pas les exactions anti-chiites moins infâmes que celles qui les visent, même si les chrétiens ne font pas partie eux, des conflits régionaux.

Ceci doit être réciproque aussi : les musulmans en Orient doivent être conscients des menaces spécifiques qui pèsent sur leurs compatriotes chrétiens. Celles-ci sont de trois ordres.
- A court terme, les menaces sont radicales. Elles viennent du fait que les chrétiens d’Orient sont dans la ligne de mire d’organisations djihadistes sunnites syro-irakiennes, Daech-Nosra & Co, en tant que « communautés chrétiennes », des infidèles sur le plan collectif, et non en tant qu’individus infidèles qui suivent mal les « règles islamiques ».
- A moyen terme, les menaces sont sournoises. Elles sont liées à la perversité du régime fasciste alaouite en Syrie, qui fait miroiter aux minorités chrétiennes en Syrie et surtout au Liban, qu’il en est le protecteur, alors que la tyrannie des Assad, père et fils, fut un désastre pour elles, puisqu’elle a assassiné et qu’elle est soupçonnée d’avoir assassiné, par les (Habib) Chartouni du règne de Hafez et les (Michel) Samaha du règne de Bachar, des chrétiens dans le cas de ces deux terroristes, et parce qu’elle a exilé et emprisonné aussi, les principaux leaders et personnalités chrétiennes au Liban, notamment maronites : Bachir Gemayel, René Mouawad, Samir Kassir, Gebrane Tuéni, Pierre Gemayel, Raymond Eddé, Amine Gemayel, Michel Aoun et Samir Geagea.
- A long terme, les menaces sont subtiles. Elles proviennent du leurre que le salut des chrétiens en Orient réside dans une alliance avec la minorité chiite arabe. Indépendamment des facteurs historico-religieux qui opposent les deux composantes de l’islam, les minorités chiites dans le monde arabe peuvent se permettre de rentrer dans une confrontation longue et ouverte avec la majorité sunnite, mais pas les minorités chrétiennes. Il serait illusoire et niais de croire que ces dernières, à la démographie relative déclinante, du fait d’un taux de fécondité plus faible et d’une plus forte émigration par rapport aux autres communautés, notamment chiite, peuvent s’offrir le même luxe sans y laisser des plumes.
Ceci étant dit, comment peut-on sérieusement demander aux musulmans en Orient d'être conscients des menaces spécifiques qui pèsent sur leurs compatriotes chrétiens quand certains de leurs leaders religieux et politiques ne le sont pas? La visite du patriarche maronite Bechara Raï à Damas aujourd'hui et l'alignement politique du leader maronite Michel Aoun sur l'axe Dahiyé-Damas-Téhéran depuis neuf ans, montrent que ces deux leaders chrétiens libanais ont une courte vision de l'ensemble des menaces auxquelles doivent faire face les chrétiens du Liban.

La rencontre interchrétienne de cette semaine rappelle naturellement le dialogue intermusulman, entre le Courant du Futur et le Hezbollah. Bien que ce dernier soit plus surprenant que la première sur le plan éthique, puisque cinq membres du parti chiite sont actuellement jugés pour l’assassinat du fondateur du parti sunnite (Rafic Hariri), le dialogue intermusulman n’a pas déchainé les passions à l’égard de ses initiateurs, Saad Hariri et Hassan Nasrallah, autant que la rencontre interchrétienne. L’initiative des leaders chrétiens, qui s’est concrétisée par la visite surprise de Samir Geagea à Michel Aoun le 2 juin, a été plutôt bien accueillie dans les rangs des sympathisants chrétiens des deux camps. Alors que les insultes étaient monnaie courante entre aouniyé wel qouwet, on sentait des deux côtés, à travers les réactions sur les réseaux sociaux, une vraie volonté d’enterrer les haches de guerre. Seuls el touyouss, les têtes de mules, des deux partis se sont montrés récalcitrants. Ils n'étaient pas si nombreux il faut dire. On a noté par ailleurs, une absence d’intérêt particulier pour cet événement dans les milieux musulmans, aussi bien au niveau des leaders politiques qu’au niveau populaire. Les réactions populaires les plus hostiles contre ce dialogue et cette rencontre étaient venues paradoxalement de personnes qui ne sont pas sympathisants ni de l’un ni de l’autre parti, bien que chrétiens.

Et pourtant, si ces râleurs invétérés qui rouspètent pour un oui, pour un non, s’étaient donnés la peine de lire ne serait-ce que le préambule et la postface de la « Déclaration des intentions », en considérant que la farce linguistique entre les deux n’est que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el 7aké, ils auraient appris d’une part, que l’objectif de ce dialogue et de cette rencontre, et de tout ce qui en a découlé, est de « purifier la mémoire, des climats de rivalité politique qui a marqué la relation (entre les partis du Courant patriotique libre et des Forces libanaises depuis 25 ans), et de regarder en conséquence, vers un avenir où règne la compétition politique loyale ou la coopération politique, voire les deux », et d’autre part, que « les deux parties s’engagent à garder les principes de la Constitution et du Pacte au-dessus de la compétition politique ». Non mais, que demande le peuple de plus ? Wallah el3azim rawéyé. A bien y réfléchir, une grande partie du peuple, toutes appartenances communautaires et tendances politiques confondues, veut quand même un président de la République libanaise et une reprise de la vie politique au Liban, en vertu du Pacte national et de la Constitution libanaise, si ce n’est pas trop demander ! Et sur ce point, y a pas photo.