L’entrée du bâtiment B de la prison de Roumieh où sont détenus les prisonniers islamistes. Photo de Haytham al-Moussawi (al-Akhbar) |
Le scandale de la prison de Roumieh
Rien, absolument rien, ne peut faire l’unanimité au Liban. Alors que pour la première fois, nous avons la preuve bel sawt wal soura, de la pratique de la torture dans une prison libanaise, il s’est trouvé encore des compatriotes pour justifier l’injustifiable, ce qui est aussi ignoble que les images cruelles elles-mêmes. Sans rentrer dans tous les détails, qui n’ont pas tous de l’importance, l’affaire de Roumieh a éclaté au grand jour avec la diffusion à la fin de la semaine dernière, de deux vidéos tournées avec des téléphones portables il y a deux mois, qui montrent deux membres des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI) infligeant des sévices à des prisonniers sans défense, les insultant tout en les rouant de coups de pieds et de matraques, dont l'une est en plastic et l'autre en bois. Les deux fautifs sont actuellement, en garde à vue et poursuivis par la justice militaire. Les poursuites concernent aussi celui qui a filmé la scène, ainsi que deux autres personnes qui étaient au courant de cette ignominie, mais qui n’ont pas jugé utile d’en informer leur hiérarchie.
Qui sont les suppliciés de Roumieh ?
Pour comprendre tout le contexte, et non
qu’une partie, il faut commencer par rappeler que les charges qui pèsent sur les prisonniers en question sont très graves.
Les suppliciés sont des islamistes
impliqués (ou soupçonnés de l’être), dans
des actes terroristes (ou dans les préparatifs), via des voitures piégées
ou des attaques armées, ayant conduit à la mort de plusieurs dizaines de civils
Libanais (de confession chiite notamment), et de plusieurs centaines de militaires
libanais (de toutes confessions), tués d’une façon barbare pour certains, ainsi que dans le kidnapping par des
terroristes syriens de Daech / Etat islamique et de Jabhat al-Nosra, d’une trentaine de soldats libanais et de
membres des FSI, dont deux ont été décapités et deux autres exécutés par
balle, des événements tragiques ayant eu lieu à divers moments dans le passé dans
les régions de Beyrouth, de Tripoli, de Saïda, de Ersal et de Nahr el-Bared. Rappelons dans ce sillage que la libération de ce camp de réfugiés palestiniens (2007), qui se situe
près de Tripoli, où s’étaient retranchés des djihadistes de diverses
nationalités du groupe terroriste Fateh el-Islam (notamment libanaise et
palestinienne), dont un grand nombre est actuellement emprisonné à Roumieh, a couté
la vie à 157 soldats de l’armée libanaise.
Au total, on en dénombre près de 300 islamistes à Roumieh. Ces détenus
pas comme les autres, avaient formé au fil du temps, ce que les services
sécuritaires libanais appellent un véritable « émirat islamique » dans cette prison située à un jet
de pierre de Beyrouth, une sorte de QG
terroriste équipé par tous les moyens de communication avec l’extérieur, où
les téléphones portables, les ordinateurs et les armes circulaient librement,
une liberté qui ne pouvait être gagnée sans la complicité de certains gardiens
de la prison, et qui permettait à ces détenus dangereux d’être en relation avec diverses cellules terroristes présentes au Liban
(à Tripoli et à Ersal, mais aussi dans le camp palestinien d’Ain el-Helwé, situé
au sud du Liban), et en Syrie (dans
le Qalamoun et à Raqqa, capitale de l’organisation terroriste « Etat
islamique »). L’émirat a été
démantelé en début d’année, à la suite d’un double attentat-suicide ayant
visé le quartier alaouite de Tripoli, et dans lequel seraient impliqués certains des islamistes libanais de Roumieh et de l’organisation terroriste syrienne Jabhat
al-Nosra. Certes, toutes les données sont accablantes pour ces hommes qui sont
tout sauf des militants des droits de l’homme. Mais, est-ce bien une raison recevable
pour fermer les yeux, voire pour justifier des actes de torture ignobles ?
Evidemment, non.
Le Guantanamo de Roumieh
En dehors, des problèmes éthiques que la torture pose à tout être humain normalement
constitué, l’affaire de Roumieh se complique avec le fait que les suppliciés sont de confession sunnite,
pas les tortionnaires. Il faut savoir aussi que ces islamistes sont arrêtés depuis des mois, voire des années,
emprisonnés sans jugement pour l’instant, en violation du droit libanais
et international. En visionnant les horribles vidéos, il est aisé de comprendre pourquoi
la Justice libanaise ne veut pas s’en occuper. Primo, parce que juger ces hommes, c’est programmer la
sortie de prison de certains, soit immédiatement par manque de preuves de
leur culpabilité, soit après avoir purgé leur peine. Secundo, parce ce que la justice libanaise est aujourd’hui prise
au piège. En allégeant la peine du
terroriste Michel Samaha à 4,5 ans alors qu’il programmait faire sauter le
Liban à la demande de Bachar el-Assad, elle ne pourra plus alourdir les peines
des terroristes islamistes, sous risque d’imploser le Liban. A moins,
d’alourdir la peine de Samaha en appel, pour redonner à la communauté sunnite
confiance en la justice militaire. Tertio, programmer
la sortie des islamistes, après les avoir transformé en "monstres" (ils
l’étaient déjà à leur incarcération pour certains), c’est s’assurer de leur
hostilité ad vitam æternam.
Ainsi, de l’avis général, la prison de Roumieh s’est transformée au
fil des années en une sorte de Guantanamo. Si la situation perdure, nous avons tous les ingrédients pour pousser une frange de la communauté sunnite dans le chemin de la radicalisation, confectionner une bombe artisanale et faire sauter la sécurité précaire qui règne au pays du Cèdre.
D’ailleurs, il est sans doute là le but
de la diffusion des vidéos clandestines deux mois après les faits et en
plein période de ramadan. Après la mise en échec par Wissam el-Hassan, chef des
renseignements libanais des FSI (assassiné depuis), du projet diabolique de
Bachar el-Assad pour embraser le Liban à l’été 2012, en confiant à son sbire
libanais, Michel Samaha, la mission de commettre des dizaines d’assassinats et
d’attentats terroristes dans des régions sunnites libanaises lors des iftars du
ramadan, et à l’heure où le régime syrien et le Hezbollah subissent les pires
revers depuis quatre ans, il était sans doute utile pour l’axe Téhéran-Damas,
de mettre de l’huile sur la braise communautaire libanaise.
La
diffusion des vidéos avait également pour objectif de ternir l’image d’un
ministre libanais compétent et intègre, de confession sunnite, Achraf Rifi, le dernier des Mohicans
d'une République dominée par le Hezbollah, ancien chef des
FSI, en le rendant responsable de la fuite des vidéos, comme si le problème
était dans le contenant et non dans le contenu. Il fallait aussi et surtout, se servir de ce cas isolé, pour discréditer
l’ensemble du service des renseignements des FSI, la bête noire du Hezbollah et
de la tyrannie des Assad, une institution sécuritaire efficace qui a permis
de déjouer plusieurs attentats terroristes au Liban (dont le projet
libano-syrien Samaha-Mamelouk), de faire la lumière sur l’implication du Hezbollah dans l’assassinat
de Rafic Hariri (la piste des télécommunications) et de démanteler plusieurs
réseaux d’espionnage au profit d’Israël (impliquant des individus proches du
Hezbollah et de Michel Aoun).
Pour rendre
cette bombe à retardement encore plus explosive, il suffit de rajouter
trois éléments. Primo, le contexte global, tendu à l’extrême, d’une part, entre
les Arabes et les Perses, et d’autre part, entre les communautés sunnite et chiite
dans tous les pays du Moyen-Orient, sans exception. Secundo, l’implication de certains Libanais dans la
guerre civile syrienne, par la faute conjointe du parti chiite libanais
d’un côté, le Hezbollah, et d’éléments sunnites libanais et des islamistes de
l’autre côté, des individus non soutenus par la principale force politique
sunnite libanaise, le Courant du Futur. Tertio, le sentiment d’injustice dans la rue sunnite, qu’au Liban, les lois
-même de droit commun, n’en parlons pas des affaires politiques- ne s’appliquent
que dans les régions sunnites et contre les Sunnites, et dans les régions chrétiennes
et contre les Chrétiens cela va sans dire, mais jamais dans les régions chiites
et contre les Chiites, à cause du contrôle de celles-ci par le Hezbollah et de
l’appui massif de la communauté chiite libanaise au "parti de Dieu". Pour
l’écrasante majorité de la rue sunnite, et chrétienne en partie (dans les rangs
du 14-Mars, notamment parmi les sympathisants des Forces libanaises et des
Kataeb), et beaucoup de Libanais indépendants, il existe de facto une sorte d'immunité populaire chiite qui
devient de plus en plus insupportable.
Pour mieux saisir le pouls de cette rue
sunnite libanaise, qui est très en colère à la suite du scandale de Roumieh, et comprendre la situation explosive
actuelle, il suffit tout simplement d’inverser
les rôles. Si les tortionnaires
étaient sunnites et les prisonniers torturés chiites, Tammam Salam, le Premier ministre
(sunnite), serait sans l’ombre d’un doute en ce moment occupé à planter des
patates sous un soleil de plomb dans la plaine de la Bekaa et Nouhad Machnouk,
le ministre de l’Intérieur (sunnite), en train de pêcher la sardine du côté de
Ramlet el-Beïda. Hypothèse farfelue ? Pas du tout. Rappelez-vous
l’affaire de Mar Mikhaël, en janvier 2008. Lors d’une manifestation
populaire chiite qui a
dégénéré, où des routes ont été bloquées, des pneus ont été incendiés, des
barrages de l’armée libanaise ont été attaqués et où certains manifestants ont
tenté de désarmer des soldats, de prendre le contrôle de certains véhicules
militaires et ont tiré sur la troupe, l’armée libanaise fut obligée de riposter.
Il y a eu plusieurs morts. Sous la menace du chef du Hezbollah, Hassan
Nasrallah, « les choses dépendent des résultats de l’enquête... le hezb retient
son public mais il ne pourra pas le faire pour toujours », plusieurs officiers
chrétiens furent jetés en prison et le tribunal militaire a poursuivi pas moins
de 68 personnes au total. Rien à voir avec l’affaire de Roumieh. Tout le monde se souvient aussi de la bande
à Assir, le cheikh salafiste sunnite de Saïda, qui a été rayée de la carte
en moins de 24 heures en juin 2013, alors qu’on est toujours sans nouvel des
cinq membres du Hezbollah (chiites), élevés au rang de « saints » par
Hassan Nasrallah, bien qu’ils soient accusés de l’assassinat de l’ancien
Premier ministre, Rafic Hariri (sunnite).
Cet événement infâme n’est pas nouveau ni
au Liban, encore moins au Moyen-Orient, ni dans le monde, même dans les
grands Etats de droit comme les Etats-Unis. Il n’empêche que dans le cas de
Roumieh, certains indices laissent perplexes, parce qu’il est difficile de croire que dans une institution hautement contrôlée
par l’Etat libanais, une prison !, on peut faire ce que l’on veut avec 17
personnes, c’est le nombre de prisonniers qui apparaissent dans les vidéos,
avec seulement 5 personnes qui soient au
courant en tout et pour tout. Trois fois plus de prisonniers que de
surveillants ? Rien qu’avec des connaissances cinématographiques, tout le monde
sait que ce n’est pas possible.
Enfin, tous les médias et les politiciens
n’ont tenu compte que de la torture physique des trois prisonniers, alors que la torture psychologique des 14 autres codétenus
que l’on voit bien dans les vidéos dans des conditions humiliantes, au sol,
côte à côte, en slip et mains ligotés derrière le dos, pataugeant dans l’eau et
entendant les suppliciés criés de douleurs, devait être tout aussi
insupportable.
Le rapport accablant de l’ONU sur la torture au Liban
Quoiqu’en disent ses défenseurs, Nouhad Machnouk ne pouvait pas ignorer ce
qui se passait derrière les barreaux de Roumieh. Il y a près de neuf mois, le Comité contre la torture du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme lui a remis les
résultats des investigations qu’il a menées dans le monde. Dans ce rapport de 526 pages, dont une partie
est consacrée à la torture dans notre pays, on apprend que « le 29 janvier 2014... le Liban indiquait qu’il n’approuvait pas la
publication du rapport d’enquête (sur la torture au Liban) ». En gros,
l’Etat libanais voulait censurer ces informations qui lui sont compromettantes.
A cette période, c’était encore Marwan Charbel qui expédiait les affaires
courantes au ministère de l’Intérieur. En tout cas, alors que « le Comité (contre la torture) a invité
l’État partie (le Liban) à autoriser la publication du présent rapport et à en
assurer une large diffusion, dans les langues voulues et par le biais des sites
Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales (39) »,
le rapport de l’ONU nous apprend que « le 22 mai 2014... l’État partie (le Liban)
s’étant de nouveau déclaré opposé à la publication du texte intégral du rapport,
le Comité (de l’ONU) a décidé... de faire figurer dans son rapport annuel à
l’Assemblée générale (de l’ONU) un résumé des résultats de la procédure ».
Cette nouvelle demande du Liban pour censurer le rapport de l’ONU, ne pouvait
émaner cette fois-ci, a priori, que de Nouhad Machnouk lui-même, puisqu’il est
ministre de l’Intérieur depuis le 15 février 2014. Certes, il n’est pas la
seule personne concernée dans ce dossier, mais il en est la principale
s’agissant de la torture dans les prisons. Le Liban a sans doute ses raisons
pour « contester l’avis de la mission
selon lequel la torture était pratiquée de manière systématique au Liban (point
51 du rapport) ». Et pourtant, le
rapport du Comité contre la torture de l’ONU est accablant pour l’ancienne Suisse de l’Orient.
Commençons par du soft. Le compte-rendu du
rapport nous apprend que « les conditions de détention dans ces
prisons étaient épouvantables (23)... (elles) pourraient être qualifiées de
cruelles, inhumaines et dégradantes, voire de constitutives d’actes de torture
dans certains cas (35) ». Bon, pas besoin de l’ONU pour s’en douter. « D’après les renseignements reçus, les méthodes de torture utilisées par les
divers organes de sécurité vont du passage à tabac à des techniques plus
dures et plus élaborées, dont le ballanco et le farrouj seraient les plus
répandues (11). » Rien à changer de ce qu’on faisait pendant la Terreur
syrienne (1990-2005). « La brutalité des
méthodes de torture (...) et les importantes cicatrices observées sur le corps
des victimes pendant les examens médicaux témoignent d’une utilisation
généralisée de la torture et de l’impunité
de ceux qui commettent de tels actes (32) ». Des cicatrices
apparaissent dans les vidéos de Roumieh sur les corps des prisonniers, ce qui laisse supposer que ce n’était
pas la première fois que ces islamistes étaient passés à tabac.
Passons maintenant à plus hard. « La mission (de l’ONU) a été informée que les personnes détenues à des fins
d’enquête, en particulier celles accusées de participation à des activités
d’espionnage ou à des activités terroristes et d’autres infractions graves,
étaient parmi les plus exposées au risque de torture et de mauvais
traitements (10). » Donc, ce qui s’est passé avec les islamistes de Roumieh
était prévisible. Le Comité contre la torture a même fait savoir au Liban que « presque la moitié des détenus interrogés à Roumieh ont affirmé avoir subi de
graves tortures infligées par les FSI et/ou des enquêteurs militaires...
Certains d’entre eux continuaient de souffrir de douleurs liées au type de
torture qu’ils avaient subi (18). » Donc tout le monde était censé savoir que la torture était institutionnalisée à Roumieh. Pire encore, à la lecture du
compte-rendu, on apprend « qu’au poste de
police de Hobeish (à deux pas de l’AUB de Beyrouth)... des personnes
interrogées, qui étaient accusées d’infractions à la législation sur les
stupéfiants, ont affirmé que certains
agents des FSI et des membres du Hezbollah les avaient battues dans les
quartiers sud de Beyrouth alors que d’autres filmaient les passages à tabac
avec leur téléphone portable (13). » Oubliez le Hezbollah pour
l’instant, ce point permet de comprendre que ce n’est absolument pas la
première fois que la torture est mise en scène. Ça va bien au-delà de la
perversion et du sadisme. En filmant les
actes de torture, les tortionnaires visent avant tout à obtenir un document
audiovisuel avec lequel ils pourraient terroriser d’autres détenus afin de leur
tirer des aveux. C’est exactement dans ce but que les films de Roumieh ont
été tournés. Pour ce qui est du Hezbollah, le rapport revient sur la question
dans un autre point. « La mission a
également reçu des informations faisant état d’arrestations illégales et
d’actes de torture commis par des acteurs non étatiques, tels que les milices
affiliées à Amal et au Hezbollah, et dont les victimes sont ensuite remises aux
organes de sécurité libanais (10). » Avec une telle info, allez encore convaincre la rue sunnite que le duo chiite ne forment pas un "État" dans l'État.
Au total, « sur les 216 détenus interrogés
par la mission, 99 ont affirmé avoir été torturés par des agents de la
force publique, en particulier des membres des FSI et des services du
renseignement militaire (30) ». La conclusion du Comité contre la torture
est sans appel. « Au Liban, la torture est une pratique largement répandue et
couramment utilisée par les forces armées et les organes chargés de
l’application de la loi, pour enquêter,
pour obtenir des aveux, à utiliser dans le cadre des procédures pénales, et
dans certains cas, pour punir des
actes que la victime est supposée avoir commis... une pratique généralisée
manifeste de la torture et des mauvais traitements à l’encontre de suspects en
détention, notamment des personnes
arrêtées pour des crimes contre la sécurité de l’État (29)... la torture est et a été systématiquement
pratiquée au Liban (37). » Cette conclusion accablante a un double mérite :
d’une part, elle révèle par une instance internationale respectée l’ampleur de la
torture au Liban, et d’autre part, elle prouve que ces actes barbares ne sont pas
forcément liés à la confession des détenus, autant qu’ils sont liés aux
accusations.
Étant donné la gravité de la situation, le Comité contre la torture de l’ONU, a
demandé au l’Etat libanais de «
réaffirmer clairement le caractère absolu de l’interdiction de la torture, condamner publiquement les pratiques de
torture... faire en sorte que les actes de torture soient imprescriptibles... veiller à ce qu’aucun élément de preuve
obtenu par la torture ne soit utilisé... faire en sorte que les aveux faits
par des personnes en garde à vue en l’absence d’un avocat et qui ne sont pas
confirmés devant un juge soient irrecevables en tant que preuve... entreprendre une enquête approfondie sur
toutes les allégations de torture et de mauvais traitements... prendre des
mesures pour remédier aux mauvaises conditions dans les lieux de
détention...... prendre des mesures pour prévenir la violence entre
prisonniers, notamment la violence sexuelle... renforcer les services de santé
dans les prisons... achever le transfert du système pénitentiaire du ministère
de l’Intérieur au ministère de la Justice... autoriser les ONG à entreprendre des activités d’inspection des prisons...
assurer aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements une
réparation (38) ». Ils rêvent à l'ONU. Euh, les poules auront des dents au Liban avant qu’Omar
al-Atrache, l’homme sur lequel s’est acharné un des tortionnaires, ne soit
indemnisé. Toutes ces recommandations sont restées lettres mortes. Le seul
point du rapport que Nouhad Machnouk a réussi à mettre en oeuvre c’est de « rétablir la pleine autorité de l’État sur
toutes les prisons, en particulier sur le bâtiment B de la prison de Roumieh ».
Et encore, je ne suis pas sûr pour « la pleine autorité » et pour « toutes les
prisons ».
La torture pendant l’occupation syrienne du Liban
Dans le sillage du scandale actuel, il est utile
de rappeler que les actes odieux que le peuple libanais a vus il y a quelques
jours, se pratiquaient au vu et au su de tous pendant la période de terreur de la Pax Syriana, dans
l’indifférence générale. Ils se faisaient contre les opposants à l’occupation syrienne du
Liban, d’une manière programmée et systématique, notamment entre 1990 et 2005, après
le feu vert donné par Bush-père à Assad-père, pour mettre la main sur les
régions chrétiennes libres jusqu’alors. La
torture pratiquée par le régime sécuritaire syro-libanais de l’époque, qui
incluait des tortionnaires de toutes les confessions sans exception, concernait
essentiellement les militants
chrétiens des partis des Forces libanaises (Samir Geagea), des Kataeb (Amine Gemayel) et du Courant patriotique libre (Michel Aoun).
Elle pouvait toucher aussi tout opposant à la tyrannie des Assad dans les
régions musulmanes et chrétiennes occupées, entre 1976 et 1990.
Quand Nadim Koteich recommande la torture des tortionnaires
« Certaines
questions n’ont pas besoin d’être compliquées. Qui a frappé les prisonniers, doit recevoir les mêmes coups de bâtons,
et ce n’est qu’ensuite que la Justice peut se mêler de l’affaire. Il ne
faut pas que la sauvagerie reste qu'une scène de télévision. Ils (les tortionnaires) doivent sentir dans
leur chair les sévices qu’ils ont fait subir aux autres. Et s’il y a la possibilité, que ça soit les
prisonniers eux-mêmes qui le fassent, c’est mieux. La consécration du
principe que tout acte de torture peut se retourner contre son auteur, est une
purification nécessaire aux sociétés malades comme la société libanaise ». C’est signé Nadim Koteich, la star de
Futur TV.
Nadim Koteich n’est pas à sa première
réaction émotive. Le jour des obsèques
nationales de Wissam el-Hassan le 21 octobre 2012, le journaliste a pris la
parole, avec beaucoup d’émotion, il a
appelé les manifestants du 14-Mars, en deuil et en colère, à foncer sur le
Grand Sérail, le siège du gouvernement libanais. « Qui veut enterrer Wissam el-Hassan et rentrer chez lui est libre
de le faire. Il y a quelqu’un au Sérail (Najib Mikati, le Premier ministre de
l’époque) qui devrait être enterré en ce moment politiquement... N’attendez pas
les politiciens pour qu’ils vous disent ce qu’il faut faire. Chacun de vous
sait où il doit être... Ya chabeb heida kello ma biyenfa3, vous devez briser
toutes les barrières, une seule direction, le Sérail du gouvernement, que Najib
Mikati tombe... Je veux que vous répétiez avec moi : ‘ya chabeb wou ya
sabaya, yalla yalla 3al saraya’ (garçons et filles, allons-y au Sérail). Najib
Mikati tombera aujourd’hui. » Ces paroles
populistes et irresponsables, ont provoqué des affrontements avec les
forces de l’ordre. Sans l’intervention des politiques à haut niveau, ceux-ci auraient
pu avoir des conséquences gravissimes sur la paix civile au Liban. L’ironie de
l’histoire c’est que les militants et les miliciens du Hezbollah qui ont occupé
le centre-ville pendant 17 mois ente 2006 et 2008, alors que Fouad Siniora siégeait au Grand Sérail, n’avaient pas osé franchir une
telle ligne rouge.
En tout cas, mis à part le populisme du
statut de Nadim Koteich sur l’affaire de Roumieh, il y a deux cas de figures,
aussi inquiétants l’un que l’autre. Soit, nous avons eu à faire à une réaction instinctive et impulsive,
comme celle après l’assassinat de l’ancien chef des renseignements libanais des
FSI, ce qui grave venant de la part d’un journaliste, le plus médiatique au
Liban svp. Soit, nous sommes face à une
conviction, et c’est encore plus grave, venant de la part du journaliste le
plus en vogue en ce moment, un homme prédestiné selon certains admirateurs à briguer
une fonction publique. Nadim Koteich est un journaliste brillant, tout le monde
le reconnait, mais quand on lit ce genre
de propos agressifs, où un homme justifie ouvertement le recours à la torture, comment
peut-on s’étonner de la violence même des images qu’on a vues ? Si on
rentre dans cette logique, tous les acteurs de l’échiquier oriental ont des
justifications à présenter à l’opinion publique : Bachar el-Assad en tête,
Hassan Nasrallah aussi, Daech, Nosra et al-Qaeda également, et même les tortionnaires
de Roumieh ont leurs raisons.
Hasard du zapping, en faisant ma recherche
pour rédiger cet article, je suis tombé sur une vidéo de la chaine Orient
Onair - Orient News, une chaine d'opposants sunnites
au régime alaouite syrien, dont le titre
sur le scandale de Roumieh, est on ne peut plus irresponsable. « Des photos de la torture des sunnites
à Roumieh... Des chiites et des chrétiens chargent l’atmosphère sectaire au
Liban ». Et vous, bande de nases, vous croyez faire quoi au juste ?
Toujours est-il que si nous autres hommes
publics, médiatiques, politiques et intellectuels, nous ne sommes pas capables
de contrôler nos réactions sur les chaines de télévisions, internet et les
réseaux sociaux, que peut-on s’attendre alors de l’homme de la rue chargé à
bloc par les images violentes qui déferlent incessamment devant ses yeux et qui
touchent « sa » communauté, qu’elle soit sunnite (celles de la torture des islamistes de Roumieh, des explosions devant les mosquées de Tripoli et des atrocités de la guerre en Syrie), mais aussi chiite (après les explosions des voitures
piégées dans la banlieue-sud de Beyrouth il y a deux ans et devant les mosquées de Sanaa et de Koweit récemment), chrétienne (avec
le nettoyage éthique des « infidèles » de Mossoul et la décapitation des
égyptiens coptes, durant l’année écoulée), druze (après le massacre de Qalb Laozé
il y a deux semaines), juive et athée, j’en passe et des meilleures dans
d’autres cas ? Les réactions instinctives n’ont pas leur place à ce
niveau de la société. Nous avons l’obligation de stimuler « la raison des citoyens » au Moyen-Orient
et de s’abstenir d’exciter « l’instinct des communautés » de la région.
Aucun acte odieux et infâme ne peut justifier le recours barbare à la torture
et aux généralisations stupides. Ce sont des principes fondamentaux des droits
de l’homme et de la cohabitation fraternelle humaine qui ne tolèrent aucune
exception. Et sur ces points, un Etat de droit et des hommes de principes ne transigent jamais.