jeudi 11 juin 2015

Les leaders chrétiens et le complexe de castration politique de Walid Joumblatt (Art.292)


Il est baïdett el2ebénn pour certains, l’homme fort de l’échiquier politique libanais, baïdett ghanam pour d'autres, le mouton de Panurge qui suit les forces dominantes. Qui s’intéresse aux parcours des Joumblatt père et fils, je ne m’avancerai pas sur le petit-fils, sait que les deux leaders druzes ont un contentieux politique avec les chrétiens du Liban, les maronites en particulier, que ni l’histoire ni l'âge ne parviennent à régler, hélas. Croisons les doigts pour que cette tare ne soit pas héréditaire. Et ce n’est pas faute d’occasions ou d’avoir essayé ! Ni les tragédies de dimension communautaire, comme celles des assassinats de Kamal Joumblatt (1977) et de Bachir Gemayel (1982), ni les tragédies de dimension nationale, comme celle de l’assassinat de Rafic Hariri (2005) -tous les trois tués directement ou indirectement par le premier et le dernier tyrans des Assad, père et fils- ni même les tragédies de dimension humaine, comme celle de plus de 150 ans de cohabitation difficile marquée par quatre massacres ayant visé essentiellement les chrétiens du Mont-Liban et de Damas (1841, 1860, 1977 et 1983; faisant près de 20 000 morts au total!), ne semble ramener la relation entre la communauté chrétienne maronite et la communauté musulmane druze à la normalité. L'interview que Walid Joumblatt a accordée à al-Akhbar, publiée les 9 et 10 juin, l'a encore prouvé. Morceaux choisis.

اليوم كل شيء مجمّد بما في ذلك تشريع الضرورات الاقتصادية والامنية بفعل المزايدة على ان انتخاب رئيس الجمهورية اولا. مع ذلك لن يكون هناك رئيس في الظرف الحالي. لم يتفهم بعد غالبية الافرقاء السياسيين ان لا رئاسة في الوقت الحاضر

En gros, le président du Parti socialiste libanais insiste pour légiférer en l'absence d'un président de la République, comme si de rien n'était, ce qui constitue une violation grave et flagrante de la Constitution libanaise. Walid Joumblatt regrette même que ses partenaires libanais n'aient pas encore compris, cheyif ya zalamé, qu'il n'y aura personne à la tête de l'Etat libanais à court terme. Eh bien, moi je regrette que la girouette de Moukhtara, qui est plantée dans le paysage politique libanais depuis qu'il s'est allié en 1977 au premier tyran des Assad, Hafez, Allah yighame2lo comme on dit, n'ait pas encore compris que ce ne sont pas les « surenchères », chrétiennes bien entendu, qui empêchent de légiférer en ce moment, mais les articles 74 et 75 de la Constitution de son pays. Nuance qu’il n’a pas l’air de saisir, même après 38 ans d'activités politiques.

Dans ce sillage, il faudra rappeler aussi à cet éternel opportuniste, amnésique par conviction, que contrairement à lui, il existe au Liban, des hommes politiques qui ont des principes. Eh oui ! En tout cas, bien plus que lui. Si Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a décrété que tout ce qui est en dehors de « sa guerre existentielle » qu'il mène en Syrie, est secondaire, un point de vue que je ne partage pas mais c’est un principe quand même, Saad Hariri, président du Courant du Futur, considère que la priorité doit être donnée à l'élection présidentielle, un point de vue et un principe que je partage pleinement. Et si Samir Geagea et Michel Aoun, présidents des partis des Forces libanaises et du Courant patriotique libre, acceptent la fatwa de la nécessité de légiférer dans ce contexte exceptionnel, ceci est conditionné d'une part, au vote d'une nouvelle loi électorale, qui devrait mettre fin à la législation électorale féodale en vigueur, la sinistre loi de 1960, et d'autre part, au vote d'une loi pour permettre l'acquisition de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais, surtout après les naturalisations massives et sélectives accordées lors de l’occupation syrienne du Liban.

لذلك نصيحتي للافرقاء المسيحيين كفى مزايدة لانهم يهدرون الفرص التاريخية، ولم يقتنعوا بعد بأهمية مرشح توافقي خارج ميشال عون وسمير جعجع، وخارج امين الجميل ايضا... لم يقتنعوا بعد ويا للاسف. اي رئيس سيكون سوى هؤلاء. لا اعرف كيف يمكن ان يقتنعوا ونحن في هذه المنطقة الملتهبة... اهتمامات المواطنين في عالم آخر. همّ المواطن العادي ليس انتخاب الرئيس، بل امنه وقانون السير اذا كان سيطبق كاملا والصحة. الموضوع الرئاسي صار شأناً ثانوياً

Mais de quelles « occasions historiques (d’élire un président) » parle-t-il au juste ? Comment un responsable politique de sa trempe peut-il décréter un peu plus loin dans l’interview, avec la schizophrénie et le populisme qui l’ont toujours caractérisé, que « le souci du citoyen ordinaire n’est pas d’élire un président (de la République)... la question présidentielle est devenue secondaire » ? Pourquoi l’un doit empêcher forcément l’autre ? Parce que cela arrange bien ses affaires ? Quel spectacle piteux. Disons pour simplifier que le leader druze ne veut pas de tous les leaders chrétiens maronites connus du grand public et ayant un poids notable : ni de Michel Aoun, ni de Samir Geagea, ni d'Amine Gemayel, ni même de Bakhos Baalbaki. Il préfère une obscure personnalité chrétienne qui ne représente en dehors de sa propre personne, que son ombre. Et comme par hasard, l’homme providentiel est cet épouvantail, un dénommé Henri Helou, déniché dans je-ne-sais quelle brocante politique et sorti de son chapeau d'illusionniste au bon moment il y a plus d’un an et demi, dans le but de torpiller, quel qu’en soit le prix, l'arrivée d'un chrétien fort à la tête de l'Etat libanais. Toujours est-il que si l'opportuniste leader socialiste s'est déchainé contre Samir Geagea et Michel Aoun, c’est parce que ces derniers ont repris l'initiative le 2 juin avec l’annonce de la « Déclaration des intentions ». Et si W. Beik s'est montré si froissé c'est parce que les priorités libanaises du moment, notamment au niveau chrétien -nouvelle loi électorale, acquisition de la nationalité libanaise et élection d'un président chrétien fort- ne conviennent pas au chef de la communauté druze. Tout le reste n’est que palabres et balivernes, 2art 7aké.

قلت قبلا وأكرر ان لرئيس لبناني مسيحي رمزية في هذا الشرق العربي والاسلامي، وخصوصا بعد الكوارث التي نزلت في العراق وسوريا على الطريق... لم يعد هناك عرب... بعدما وصلنا الى ما يسمى الحضارة المدنية، عدنا الى العصبيات القبلية التي تؤدي الى حروب مذهبية

Si « un président libanais chrétien représente un symbole dans cet Orient arabe et islamique, surtout après les catastrophes survenues en Irak et en Syrie », comme il prétend, est-ce donc une raison pour choisir une marionnette chrétienne comme son homme de paille, Henri Helou, pour l’installer dans le décor du palais de Baabda ? Il y a des limites à l'hypocrisie nauséabonde. En tout cas, cela n'empêche pas le leader druze, qui a toujours gardé de bons contacts avec la milice chiite libanaise, dont l'allégeance à la l'Iran perse est explicite, d’annoncer « qu'il n'y a plus d'Arabes... nous sommes retournés à la partisannerie tribale qui conduit à des guerres sectaires ». Leiko min 3am ye7ké, et dire que celui qui parle, est de fait, le leader libanais le plus communautaire, en dépit de son camouflage socialiste, ses tweets à 5 piastres et ses émoticônes, comme celui d’hier justement, où il nous a radoté pour la énième fois depuis quatre ans, que « le régime syrien est fini ».

سؤال : المسيحيون اذاً هم المسؤولون عن تعطيل انتخاب الرئيس؟
 نعم. لن يعجبهم كلامي، لكنهم هم المسؤولون. لم يدركوا بعد حجم الخسارة وأهميتهم خصوصا. يحلم بعض القادة بانهم سيصيرون رؤساء، مع ان عقبات كبيرة في طريق وصولهم الى الرئاسة

Foutaises. Evidemment, W. Beik a pris soin d'éviter de faire la moindre allusion à la volonté de la milice chiite libanaise de bloquer la vie politique au Liban ad vitam æternam, au moins jusqu'à la fin de son djihad en Syrie, comme l'a avoué le secrétaire général du Hezbollah lui-même il y a quelques jours: « Nous combattons... à Damas, à Alep, à Deir Ezzor, Qousseir, Hassaké et Idlib... nous serons présents partout en Syrie où notre présence est requise pour la bataille... (nous sommes) engagés dans une bataille existentielle... toutes les autres (batailles) passent au second plan ». Mais non, c’est encore la faute des chrétiens qui « ne mesurent pas la taille et l’importance de cette perte (de ne pas élire sa marionnette à la tête de l’Etat libanais) ». Lamentable.

سؤال : هل يساعد سحب ترشيح هنري حلو على اجراء الانتخابات؟
لماذا اسحب هنري حلو... من حقنا نحن، ونمثل 11 صوتاً، ان يكون لدينا مرشح. اقول مجددا ان القادة الكبار المعنيين لم يقتنعوا بعد بأنهم لن يصلوا... اريد ان اذكّر هنا بأيام الانتداب. اكثر من رئيس انتخب او عيّن ايام الانتداب الفرنسي كانوا مسيحيين، لكنهم لم يكونوا موارنة... اعتقد انني عندما اجتمع بالرئيس هولاند، لاحقا، سأفاتحه في امكان اعادة الانتداب الفرنسي الى لبنان موقتا من اجل انتخاب الرئيس، ما دام الانتداب فعل ذلك قبل عقود. ما احوجنا الى انتداب موقت. يغطّ لانتخاب الرئيس ثم يطير


Cette déclaration est grave. Alors que le président du Parti socialiste libanais milite pour légiférer en violation de la Constitution libanaise, le voilà attaquant le Pacte national, le fondement consensuel du Liban ! Mais au fait, Michel Aoun et Samir Geagea, qui ont quatre fois plus de députés que Walid Joumblatt, n'ont-ils pas le droit, eux aussi, d'avoir leurs candidats ou d'en être ? Pourquoi veut-il les forcer à retirer leur candidature, est-ce pour imposer son épouvantail ? Est-il opportun, à l'heure où les catastrophes politico-religieuses frappent le Moyen-Orient, où la présence chrétienne en Orient a été complétement rayé de la carte en Irak et en Syrie, de dynamiter le Pacte national islamo-chrétien de 1943 au Liban, pour élire un président fantoche, la behech woula benech, uniquement dans l'intérêt de Walid Joumblatt ? La plaisanterie puérile de W. Beik -qu'il demandera au président français, François Hollande, d'étudier la possibilité de remettre le mandat de la France sur le Liban, afin d'élire un président de la République- est une de ces manœuvres, dont il est devenu le spécialiste incontesté, pour éviter de dénoncer la principale entrave à la tenue de l'élection présidentielle au Liban: le Hezbollah. Eh oui, il faut avoir des couilles pour cela.

سؤال : نذهب من هنا الى اين، ليس ثمة خارج ولا داخل؟
يجب ان نجد طريقة مع الرئيسين بري وسلام. كلاهما صمام امان. لا يمكن فرض اي امر، بل انتظار الوحي علّه يهبط على البعض. ربما يهبط عليهم الملاك جبريل

C'est un moment d'anthologie. Donc, pour le leader druze, la solution à la crise politique libanaise passe par l'obligation de « trouver un moyen avec les présidents (Nabih) Berri et (Tammam) Salam ». Aucune place aux leaders chrétiens dans l'esprit de W. Beik, comme s'ils n'existaient pas, en dehors de l'épouvantail Henri Helou, bien entendu, et de l'ironie. « On ne peut rien imposer, mais attendre que l'inspiration tombe sur certains (leaders chrétiens). Peut-être que l'ange Gabriel apparaitra sur eux ? » Une chose est sûre, Walid Joumblatt vient, sans le vouloir bien entendu, d’enlever toute ambiguïté, sur l'utilité de la rencontre historique entre Samir Geagea et Michel Aoun le 2 juin 2015, et l'intérêt de renforcer les liens à l'avenir, entre les partis des Forces libanaises et du Courant patriotique libre.

سؤال : ماذا تعني برئيس توافقي؟
خرجوا بنظرية الرئيس القوي التي خربت المسيحيين ولبنان، عندما خرج البعض بها وادت الى حروب المحاور الاقليمية وحرب الجبل وحروب الالغاء. واكتفي بهذه المحطات

Pas de doute, Walid Joumblatt a bien fait de prendre sa retraite et de passer le flambeau comme tout féodal qui se respecte, à son jeune fils, Teymour. Quand on commence à tout mélanger et à dire n'importe quoi, c’est qu’il est temps de se consacrer au tric-trac plutôt qu’à la politique. C’est un autre moment d’anthologie aussi. « Ils (Samir Geagea et Michel Aoun) nous ont sorti la théorie du 'président fort' qui a détruit les chrétiens et le Liban. Lorsque certains l'ont sorti (dans le passé), elle a conduit à des guerres loco-régionales (allusion à l'invasion israélienne de 1982 et à l’élection de Bachir Gemayel), la guerre de la montagne (qui a opposé les milices druzes et chrétiennes en 1983, au moment du retrait de l'armée israélienne du Mont-Liban ; allusion à la présidence d’Amine Gemayel, où l’armée libanaise s’est illustrée par une bravoure exceptionnelle sur le front de Souk el-Ghareb, face aux milices druzes et aux troupes syriennes) et des guerres d'élimination (interchrétiennes en 1990 ; allusion aux ambitions de Michel Aoun) ». Wlé 3aïb 3lek, 7terrim cheïbtak. Non mais, quel culot !

Un vieil adage de notre si belle montagne dit « yallé beito men 2ezez, ma be rechi2 el ness bel 7jar » (qui a une maison en verre, ne jette pas des pierres sur les gens). Il veut rouvrir les dossiers de la guerre, pas de souci, allons-y pour un tour d’horizon. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est la politique de lâcheté qu’il conduit depuis 38 ans. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son alliance avec Hafez el-Assad, moins de 40 jours après l'assassinat de son père par les Syriens en 1977. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est son aveu filmé d’avoir exécuté des chrétiens durant la guerre civile. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » ce sont ses alliances avec les Israéliens, les Syriens et les Palestiniens en 1983 pour lancer sa guerre d'élimination contre les "Forces libanaises" dans la montagne du Chouf. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » ce sont les massacres des chrétiens de la montagne en 1977 et 1983 commis dans une totale impunité par certains druzes. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est le nettoyage ethnique de la Montagne en 1983, commis par la milice druze qu’il dirigeait. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est sa participation dans la tragédie du 13 octobre 1990 contre le « réduit chrétien ». « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est sa collaboration avec la tyrannie des Assad, père et fils, et son soutien indéfectible à la milice du Hezbollah, pendant l’occupation du Liban par la Syrie. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » ce sont ses verbiages enfantins contre la personne de Bachar el-Assad entre 2005 et 2008 (le fameux discours du "serpent" entre autres) qui ont peut-être conduit à des assassinats politiques de personnalités chrétiennes. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est d'avoir poussé le gouvernement Siniora à prendre des mesures contre le Hezbollah le 5 mai 2008, en prélude à l'invasion de Beyrouth par la milice chiite et de retourner sa veste peu de temps après. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est d'avoir traité les chrétiens du Liban, de « mauvaise graine » en 2009. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son retour dans le giron de Bachar el-Assad en 2010 et d'être resté après le déclenchement de la révolution syrienne jusqu'à ce que le compteur des morts en Syrie ait passé à cinq chiffres. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son entente en 2011 avec le Hezbollah, le parti qui est accusé d'avoir tué son soi-disant ami, Rafic Hariri, pour faire tomber le fils, le Premier ministre de l’époque, Saad Hariri. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est son témoignage au Tribunal Spécial pour le Liban en 2015 qui a tourné en eau de boudin. « Ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c’est de considérer il y a à peine deux semaines, que l’un des symboles de l’occupation syrienne du Liban (1976-2005), Abdel Halim Khaddam, qui a bien servi la tyrannie des Assad père et fils pendant 35 ans (1970-2005 ; son nom de famille l’avait prédestiné), comme « un vieil ami ». Enfin bref, « ce qui a détruit les chrétiens et le Liban » c'est son opportunisme politique et son communautarisme socialiste, ainsi que son complexe de castration que les leaders chrétiens font naitre en lui et duquel il ne parvient toujours pas à sortir, même à 66 ans. Je pourrais continuer mon réquisitoire encore longtemps. Mais, comme il le dit si bien à la fin de son interview : « je me contenterai de ces remarques ».

Walid Joumblatt est ce qu’on appelle au Liban, kezbé kbiré, un gros mensonge. Il l’était et il le restera probablement. Aujourd’hui, le leader druze a une trouille bleue que l’élection d’un président fort à la tête de l’Etat libanais, Samir Geagea, Michel Aoun ou n’importe quel chrétien fort, ainsi qu’une nouvelle loi électorale moderne et l’acquisition de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais, ne conduisent à sa « castration politique », en le ramenant à son poids réel sur l’échiquier libanais. D’où ce complexe de castration que j'évoque dans le titre de cet article, la peur que W. Beik a de perdre ses attributs politiques. Et comme tout le monde sait, les complexes ont cette fâcheuse tendance à s’aggraver avec l’âge.