mercredi 19 février 2014

Trois réflexions après la énième explosion dans la banlieue sud de Beyrouth (Art.214)


1. Que les terroristes l'aient voulu ou pas, c’est bel et bien la communauté chiite libanaise qui était la cible du double attentat-suicide de ce matin. En tout cas, c’est comme ça qu’elle va le prendre. Ces énièmes explosions fauchent encore des vies innocentes, 10 morts et 129 blessés, en majorité des compatriotes chiites, a priori. Aucune des explosions qui ont affecté les fiefs du Hezbollah jusqu’à ce jour, n’a touché un poil d’un leader, d’un membre ou d’un animal domestique du Hezbollah. Tous les attentats terroristes commis dans la banlieue sud de Beyrouth et dans la Bekaa, visent d’une part, à placer la milice chiite en porte-à-faux avec la communauté chiite, et d’autre part, à pousser cette dernière à se soulever contre la première. L’objectif final étant de contraindre la milice chiite à se retirer de la Syrie. Si cet objectif est légitime, le moyen pour l’atteindre est ignoble. Non, non et non, la fin ne justifie pas les moyens.

2. Comme le terrorisme est le « recours à la violence dans un but politique », les attentats d’aujourd’hui, commis vraisemblablement par des sunnites, sont des actes terroristes. Ils ont été revendiqués par les Brigades Abdallah Azzam, un groupe terroriste qui est lié à al-Qaeda et qui a perdu deux de ses responsables, mis récemment hors d'état de nuire, par les renseignements de l'armée libanaise (l'un est mort en détention, l'autre est emprisonné). Il serait particulièrement naïf de croire qu’on pourrait forcer le Hezbollah à se retirer de la Syrie par ce moyen. Ce « terrorisme sunnite » renforcera la cohésion de cette « communauté chiite » autour du Hezbollah, qui face à la menace, se repliera sur elle-même. Tout ce qui est dit en dehors de cela n’est que palabres de salon. Yé3né belmchabra7, croire la moitié d’un quart de seconde que des attentats djihadistes sunnites à Beyrouth contraindront les djihadistes chiites libanais à se retirer de la Syrie est le moins qu'on puisse dire, a wishful thinking ! Il faut chercher d’autres moyens pour y parvenir. Sachant que l’implication de la milice chiite de Hassan Nasrallah aux côtés du régime alaouite de Bachar el-Assad est un engagement vital pour les deux parties, il faudrait arrêter de perdre son temps à appeler la milice chiite à se retirer du bourbier syrien. Encore un vœux pieux ! Rajoutez à cela que les négociations inter-syriennes de Genève ont échoué, les discussions sur le dossier nucléaire iranien s'engagent mal et la Russie de Poutine est en mauvaise posture en Ukraine, il faudrait donc s'attendre au pire au Moyen-Orient, au Liban comme en Syrie. Dans tous les cas, ces attentats conduiront exactement à l’inverse du but recherché.

3. Maintenant, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Ce que je dirai déplaira à certains et plaira à d’autres. Mais qu’importe, je ne suis pas en mission de charme sur internet. Je suis un infatigable activiste qui milite grâce à sa plume pour un meilleur Liban, n’en déplaise aux coqs de la basse-cour. Et pour cela, je suis constamment amené à dénoncer ce qui doit l’être.

La mauvaise nouvelle, c’est que notre pays est en faillite. Et ce n’est pas uniquement la faute de ses dirigeants. Désolé, c’est un luxe que certains s’offrent pour se donner bonne conscience et se déculpabiliser. Les dirigeants du Liban sont à l’image du Liban et de son peuple. Certes, c’est très injuste et beaucoup d’entre nous méritent mieux, mais c’est ainsi. Le constat que j’ai soulevé l’autre jour est pour moi révélateur d’un dysfonctionnement grave de notre société. Au dernier bilan, 120 000 personnes parlent de la page Facebook de Jackie Chamoun et seulement 30 personnes de la page du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), plus de 81 000 personnes aiment la première, près de 1 000 la seconde. Je rappelle que nous sommes 4,2 millions d’habitants, avec plus de 1,4 million de personnes qui se connectent régulièrement à Facebook (à l'été 2012!), sans compter la diaspora libanaise. Nous râlons, nous rouspétons et nous vociférons, à longueur de journée, de salon et de mur. J’ai choisi la page du TSL, car pour moi, il n’y a aucun avenir prospère pour le Liban, sans un Etat de droit, et le TSL, la chance inouïe que nous avons eue, est une pierre importante dans l’édification de cet état. Il ne mettra pas un terme aux assassinats politiques, ni aux explosions terroristes, ni aux coupures d’eau et d’électricité, mais à « l’impunité », ce grand mal qui ronge le pays du Cèdre depuis des lustres et qui fait « cracher » ses citoyens. Les « tfeh-eurs » sont légion à chaque assassinat, comme à chaque explosion.

J’aurai pu choisir une page sur la nécessité de voter la loi pour lutter contre la violence commise à l’égard des femmes ou le désastre écologique qui nous guette, voire le massacre rituel des oiseaux migrateurs dans quelques semaines, ça aurait été la même chose. Peut-être pas le premier sujet, mais certainement pour les deux derniers. Rien à faire. Quelqu’un m’a dit en privé que liker la page Facebook du TSL n’y changera rien. Ah bon, alors pourquoi avoir liké celle de Jackie Chamoun ? Non, il y a autre chose. Alors que beaucoup ont le like facile, entre autres sur une banale histoire de nichons, ils se montrent exigeants, sur des affaires essentielles qui pourtant, sortiront le Liban de la « voie de développement » pour en faire un « pays développé ». Je comprends qu’on puisse dédaigner liker une page sur l’accouplement des moustiques en Tanzanie ou celle de Falafel-Arax à Dora, mais là, il s’agit quand même de la page officielle du TSL, même pas une énième page de soutien au TSL !

Beaucoup de personnes ne likent pas cette « page essentiel » d'une manière intentionnelle car ils sont contre ce procès, consciemment ou pas, ou ne veulent pas montrer à leur entourage qu’ils soutiennent le TSL. D’autres ne le font pas, parce qu’ils ne se rendent pas encore compte de l’importance d’assurer un soutien populaire massif à une institution qui comble les défaillances de l’Etat libanais en rendant la justice sur les assassinats politiques commis au Liban. Wlak, au moins sur le plan de la gratitude, si ce n’est pas pour la forme. Par contre, de nombreux compatriotes se montrent inconsolables après l’acceptation par Saad Hariri, dans le cadre d'une action tactique politique, d’inclure dans le gouvernement de Tammam Salam des membres du Hezbollah, le parti des accusés du TSL, et indignés par un soi-disant-accord-imaginaire-farfelu avec Michel Aoun, le soutien chrétien du parti des accusés du TSL, dont les termes, nous dit-on, portent sur la Présidence pour le dernier contre le Conseil pour le premier. Bonjour la cohérence !

Ce n’est évidemment pas la faute de la skieuse libanaise si on ne s’intéresse pas à la page du TSL au Liban, mais c’est la nôtre, nous autres Libanais, Jackie Chamoun comprise, notamment ceux qui se réclament du « 14 Mars ». Quelle ironie, quand vous pensez, que nous allons vers la 9e commémoration du plus grand rassemblement de l’histoire du Liban, celui du 14 mars 2005, dont l’un des objectifs était « que justice soit fait », et qu’un mois seulement après le début de la mise en route de cette justice, le Tribunal Spécial pour le Liban intéresse si peu les citoyens libanais. Et pourtant, le TSL est l’une des cartes, de loin la plus importante pour moi, qui peuvent être utilisées un jour contre la milice chiite ! En tout cas, il n’y a rien d’autres pour l’instant, ni la déclaration gouvernementale de Tammam Salam, ni les prochains conseils des ministres, ni l’élection présidentielle hypothétique du printemps, forget about it, ensou elmawdou3 !

La bonne nouvelle, c’est que le Liban n’a pas encore déposé le bilan. Quelle ironie linguistique, les deux mots en français se composent des mêmes lettres. Il n’est jamais trop tard pour réagir. Chacun de nous devrait remplir sa part du « contrat patriotique », au moins pour pouvoir râler conscience tranquille. Personnellement, je dors comme un loir, j’ai rédigé 214 articles, plus de la moitié été consacrée au Liban. Je ne suis pas comme certains, hauts fonctionnaires, députés ou ministres par exemple, entre autres, il y en a bien d'autres dans d'autres domaines, payés pour rien foutre, ou fort peu pour ce pays. Quand on aime, on ne compte. Et ce pays, je l’aime. Voilà pourquoi je mets ma plume à son service. Certes, un like pour la page du TSL ne suffira pas. Mais, c’est indispensable. Ne pas le faire, c’est un peu comme si on affirmait que dire « je t’aime », « tu me manques », « j’ai envie de toi », « je n'oublierai pas », « je suis reconnaissant » et « merci » sont des expressions facultatives dans la vie. Chacun est entièrement libre de ses actions, mais ce sont mes convictions intimes. Enfin, je m’étonne que certains, politiques, journalistes ou activistes, veuillent décréter la mobilisation générale contre le Hezbollah, et y croient pouvoir mener une politique de faucons avec la milice chiite, alors qu'on a été incapables de mobiliser plus de 1 000 personnes pour faire un simple clic. Pathétique !