samedi 14 mai 2016

Geagea et Aoun devraient porter Dory Chamoun à Baabda, au lieu de lui chercher des noises politiciennes à Deir el-Qamar (Art.359)


On ne peut pas faire passer les manœuvres politiciennes de Deir el-Qamar en 2016 pour un acte électoral banal de la vie démocratique libanaise. C’est une couleuvre bien difficile à avaler.

Flash-back. Le 7 mai 2008, alors que je suis de passage à Beyrouth, je reçois un appel de mes proches qui se trouvaient à l’étranger. Après une brève description de la situation, j'explique à mes interlocuteurs que maintenant que le Hezbollah s’embourbe dans les rues et sur les routes libanaises, le 14-Mars profitera de la situation pour imposer l'élection de Dory Chamoun comme président de la République libanaise, à la majorité relative. Naïf que je suis, d'être aussi sûr de moi et d'avoir autant confiance dans le 14-Mars. Tout le monde connait la désastreuse suite des événements. Abdication, kellou chakh batata, puis Doha, tebwiss lé7é, et élection présidentielle, wa hallouma jara. C’était ce qu’on peut appeler avec le recul, a wishful thinking.

Huit ans plus tard. Nous sommes de nouveaux dans une période de vacance du pouvoir, Dory Chamoun est toujours disponible, le Hezbollah s'embourbe dans les rues et sur les routes syriennes et mon vœu n’a pas été exaucé. Alors de grâce, messieurs Samir Geagea et Michel Aoun, vous ne trouvez pas que vous ferez mieux, pour le Liban et dans l’intérêt des communautés chrétiennes, de porter l’ex-maire de Deir el-Qamar jusqu’au palais de Baabda, au lieu de chercher des noises à ce gentleman pour quelques sièges municipaux ?

Les nouveaux alliés justifient leur forcing à Deir el-Qamar par la constitution de la liste soutenue par Dory Chamoun et les Kataeb, avec Naji Boustani, un ex-conseiller d'Emile Lahoud et l'avocat des généraux relaxés par le Tribunal Spécial pour le Liban. Et pourtant, l'homme en question, est le frère de Zahi Boustani, l'ancien chef de la Sûreté générale et un des plus proches conseillers de Bachir Gemayel, président de la République libanaise et chef des Forces libanaises. Naji Boustani était plus tard conseiller de Michel Sleimane, opposant à Walid Joumblatt, depuis les années 1990 d'ailleurs, et conciliateur entre Dory Chamoun et sa nièce, Tracy, trois tâches tout à fait honorables. Et il est peut-être là le problème, puisque le beik de Mokhtara semble vouloir lui aussi la chute de la liste Chamoun ! Il y a également un autre nom qui a froissé les nouveaux alliés, c'est celui de Fadi Honein, président de la liste qui dérange, le neveux de Mounir Honein, magistrat de la période d'occupation syrienne, l'actuel président de la municipalité de Deir el-Qamar. Argument quelque peu surprenant sachant que le général lui-même, son parti, sa télévision et tous ses canaux terrestres, maritimes et satellitaires, ne cessent depuis le soutien de Geagea à Aoun le 18 janvier 2016, d'affirmer leur positionnement aux côtés du dernier tyran des Assad et du Hezbollah ! Dernier exemple en date, hier vendredi, où la chaine OTV a considéré que 
« Moustafa Badreddine, un autre martyr... est tombé pour que nous ne tombons pas, pour que la patrie ne tombe pas... Il est maintenant au-dessus des mots, des dirigeants et des jugements... Son sacrifice est plus sacré que toute profanation ». Disons qu'ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère pour montrer leur fidélité à la milice chiite ! Mais pour s'entendre avec Dory Chamoun, les gars n'y arrivent pas. A tout hasard, pour celles et ceux qui faisaient le tour du monde à la nage les cinq dernières années, l'homme en question, qui a été tué lors d'une explosion près de Damas la veille, est accusé par le Tribunal Spécial pour le Liban de l'assassinat de l'ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes, le 14 février 2005.

Deir el-Qamar est aujourd’hui l’un des derniers coins pittoresques du Liban. C’est incontestablement le plus charmant de tous les villages libanais et le plus chargé d’histoire. A partir du 16e siècle, la région a été dominée par les dynasties des Maan (de confession druze) et des Chehab (de confession sunnite, mais dont une partie est devenue maronite... bienvenue au Liban !), les fondateurs de l’entité libanaise. « Le couvent de la lune », un nom de village si poétique, devint même la capitale de l’émirat autonome du Mont-Liban sous le règne de Fakhr el-Dine II (1572-1635), le prince libanais éclairé, le redoutable émir druze qui fut élevé au Kesrouan chez les maronites de la famille Khazen (encore bienvenue au Liban !), il donna des sueurs froides à l’envahisseur ottoman, ses troupes sont mêmes entrées dans Damas. Deir el-Qamar est par ailleurs un symbole de la coexistence religieuse. Si celle-ci est loin d’être un long fleuve tranquille, il n’empêche qu’à côté des nombreuses églises -dédiées à Sainte Marie, Saint Georges et Saint Elias- on trouve la mosquée de Fakhr el-Dine I (un édifice datant du 16e siècle) et une synagogue svp (datant du 17e siècle, c’est la plus ancienne du Mont-Liban). Pour l’anecdote, sachez qu’on y a installé une urne lors des élections législatives de 2005 pour la centaine d’électeurs juifs des listes électorales de la région. Seul un d’entre eux a osé s’y présenter. Il a voté blanc.

Lieux de culte à Deir el-Qamar (église, mosquée, synagogue)
Deir el-Qamar a été détruit après les massacres de la communauté maronite en 1860. Aussitôt, elle fut reconstruite par les hommes de Napoléon III. Quelques années plus tard, ses habitants élurent la première municipalité arabe de l'Empire ottoman. On était encore au 19e siècle ! C'est le village de Camille Chamoun, un des grands présidents de la République libanaise (1952-1958). C’est là où les populations chrétiennes du Chouf se sont réfugiées pour fuir la guerre de la Montagne et ses massacres en septembre 1983. Les deux principaux protagonistes des élections municipales de 2016, qui tirent les ficelles dans ce jeu électoral, connaissent bien la région. L’un d’eux, c’est Samir Geagea justement. En tant que commandant des miliciens chrétiens des Forces libanaises dans la Montagne, il était chargé de défendre le village où s’étaient réfugiées les populations chrétiennes du Chouf après le retrait de l’armée israélienne, et qui étaient encerclées par les miliciens druzes de Walid Joumblatt. Le second n’est autre que Michel Aoun. En tant que commandant de la 8e brigade de l’armée libanaise, il devait stopper la horde milicienne libano-syro-palestinienne qui voulait s’emparer du palais présidentiel de Baabda où siégeait Amine Gemayel. Trente trois ans plus tard, tout ce beau monde revint sur les lieux, mais avec des intentions moins nobles qu’à l’époque.

Dory Chamoun est un homme de principe, une raison suffisante pour déranger au plus haut degré. Il n’a pas dévié d’un iota de son opposition à la tyrannie des Assad, père et fils, et à la milice du Hezbollah, depuis sa création. Là où d’autres municipalités libanaises, l'écrasante majorité, s’acharnent pour effacer tout ce qui peut rappeler le caractère rural et traditionnel de leurs villages, Dory Chamoun essaie depuis 2004, en tant que président de la municipalité puis député de la région, de préserver tant bien que mal ce bijou de la montagne libanaise, de cette nauséabonde défiguration immobilière qui ravage le Mont-Liban, grâce à une application stricte des contraintes urbanistiques. Aujourd’hui, tout le monde veut la peau du Dernier des Mohicans. Walid Joumblatt, Michel Aoun, Samir Geagea, et d’autres notables de Deir el-Qamar. Sauf votre respect messieurs, si la réconciliation chrétienne doit se faire au détriment d’un homme comme Dory Chamoun, eh ekhet heik mousala7a, 3omra ma tkoun, on s’en passerait bien. Ça fait 30 ans qu’on s'en accommode d’ailleurs. J'irai même plus loin, s'il faut sacrifier la députation de Georges Adwan, le numéro deux du parti des Forces libanaises, aux prochaines législatives, ou celle de son frère Boutros, aux municipales de demain, pour préserver celle de Dory Chamoun, car au fond c'est l'enjeu caché de cette bataille municipale, il ne faut pas hésiter la moitié d'un quart de seconde. Dans tous les cas, aux municipales, aux législatives comme aux présidentielles, je voterai pour Dory Chamoun, sans l’once d’une ombre de la moindre hésitation.