jeudi 18 février 2016

Un sondage qui confirme que Hariri et Geagea nagent dans l’absurde (Art.340)



Ça vaut ce que ça vaut un sondage ! Ça va surtout le détour quand il vient corroborer ce que j’ai avancé dans mon dernier article sur les stratégies erronées suivies par Saad Hariri et Samir Geagea concernant l’approche de l’élection présidentielle au Liban. Pour le besoin du débat, admettons d’emblée que l’enquête d'opinion de la société Ara', publiée dans al-Safir hier, est tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Il n’y a pas de raison apparente d’en douter. Mais, comme on peut tout faire dire aux chiffres, voici ce que je souhaite faire dire au sondage du quotidien libanais personnellement.

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I. QUE PENSENT LES LIBANAIS DANS L'ENSEMBLE, ET LES COMMUNAUTÉS LIBANAISES SPÉCIFIQUEMENT, DU SOUTIEN DE SAMIR GEAGEA A MICHEL AOUN ?


1. Une majorité relative des 500 LIBANAIS interrogés, représentatifs de la répartition démographique de la population libanaise, soit 55%, trouvent que le soutien apporté par Samir Geagea à Michel Aoun, dans sa course présidentielle, est une chose « très positive/plutôt positive », contre 16% qui pensent que c’est quelque chose de « très négative/plutôt négative », 29% « ne savent pas/ne se prononcent pas ». Même si ce point légitime la démarche entreprise par les deux leaders chrétiens au niveau national, #JeSuisDansLaMinorité, soit dit au passage.

2. C’est au niveau des CHRÉTIENS qu’on trouve une majorité de gens qui pensent que c’est une chose « très positive », 49%, suivis par les DRUZES (29%), surprise sur prise ! En tout cas, 3/4 des Chrétiens interrogés valident le rapprochement en considérant cette démarche comme étant globalement « positive ». Soit. Il n'empêche que je ne partage pas cet optimisme, encore moins l'enthousiasme qui l'entoure.

3. Quelle que soit la confession, sunnite comprise, près de 1/3 des personnes interrogées trouvent quand même que c’est « plutôt positif », sauf chez ceux qui n'ont pas déclaré de religion.

4. Par contre, entre 20 et 29% des CHIITES et des SUNNITES interrogés, pensent que ce soutien est une action « négative », contre 6% chez les Chrétiens. L’important écart islamo-chrétien est clair et net.

5. Assez surprenant, plus de 3/4 des CHIITES interrogés, ne pensent pas que ce soutien est quelque chose de « très positive », alors que le Hezbollah considèrent le général Aoun comme son candidat indéfectible. Je laisse au général la liberté de comprendre pourquoi c'est ainsi et à hakim le soin de faire le diagnostic du problème. 

6. Une majorité relative de DRUZES, 38%, ne savent pas quoi en penser ou ne répondent pas. Ils sont sans doute embrouillés par la girouette de Moukhtara, Walid Joumblatt, qui soutient à la fois le candidat-muet Henri Helou et le beik de Zgharta, Sleimane Frangié.

7. Une majorité absolue de « LAÏCS » (j’ai pris la liberté de désigner la catégorie des personnes qui n’ont pas donné de réponse sur leur religion de « laïcs » ; ils ne le sont pas forcément ; quel dommage que le sondeur n'ait pas osé aller aussi loin et aussi explicitement), 56%, ne savent pas quoi penser de l’événement ou ne répondent pas à la question. Pas de souci, les autres savent et pensent à leur place. 

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II. QUI PRÉFÈRENT LES LIBANAIS DANS L'ENSEMBLE, ET LES COMMUNAUTÉS LIBANAISES SPÉCIFIQUEMENT, MICHEL AOUN OU SLEIMANE FRANGIÉ ?


1. Au niveau de l’ensemble du pays, la majorité absolue des LIBANAIS interrogés, 53 %, "rejettent" de facto les deux candidats (en tout cas, ils ne les choisissent pas ; soit parce qu’ils ne veulent « aucun des deux » pour 15%, soit parce qu’ils « ne savent pas /ne répondent pas » pour 38%). Frangié n’a que 26%, Aoun 21%. Il existe un écart intéressant selon le sexe concernant le général. Contrairement à ce que certains pensaient jusqu'à maintenant, le score de ce dernier monte à 25% chez les hommes et tombe à 17% chez les femmes. Pas de doute, pour la peine #JeSuisFemme.

2. La majorité relative des CHRÉTIENS interrogés, 46 %, "rejettent" de facto les deux candidats, ou disons qu'ils ne les choisissent pas ("aucun des deux/ne sait pas/ne répond pas"). Donc, #JeSuisChrétien. Aoun ne recueille que 37 % et Frangié 16 %. Ainsi, une majorité écrasante des Chrétiens, 84 %, ne veulent pas de Frangié explicitement, sinon ils l'auraient exprimé clairement. Voilà pourquoi je dis dans mon dernier article que le Futur marche sur des œufs en soutenant le beik de Zgharta, le candidat indésirable des Chrétiens.

3. Il est intéressant de relever que l’écrasante majorité des SUNNITES, 95%, ne veulent pas d’Aoun explicitement et 65 % ne veulent pas de Frangié explicitement non plus. Alors là, #JeSuisSunnite, sans aucun doute. Donc, comme je l’ai dit dans mon dernier article, Geagea fait du « forcing » en soutenant Aoun, le candidat indésirable des Sunnites. Et voilà pourquoi je dis aussi que Hariri se tire une balle dans le pied en soutenant Frangié, un candidat largement "désapprouvé" par sa communauté. 

4. Ce qui attire l’attention aussi c’est le fait qu’au niveau des CHIITES interrogés, Frangié a plus la côte qu’Aoun, 37% contre 27% svp ! Donc, cela revient à dire que 3/4 des Chiites interrogés ne choisissent pas le fidèle allié du Hezbollah depuis 10 ans. Contrairement à une idée répandue par le Hezb et le CPL, Aoun n'est donc pas le candidat le plus désirable des Chiites. Vive la confiance ! Avis au général.

5. C’est au niveau des DRUZES que l’on trouve le plus de gens qui rejettent explicitement les deux candidats (24%) et le moins de sympathisants pour Sleimane Frangié (15%). Tiens, #JeSuisDruze pour quelques heures. On remarque aussi qu’une majorité relative de Druzes, 51%, ne savent pas ou ne donnent pas de réponse. Alors là, #JeNeSuisPlusDruze.

6. Au niveau des « LAÏCS », 2/3 ne savent pas quoi en penser ou ne donnent aucune réponse à la question. Pas de souci, les autres savent très bien quoi en penser et pensent à leur place! Du coup, #JeNeSuisPasLaïc. Mais, si ! Enfin, vous m’avez compris.

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Il est clair depuis longtemps que l’élection présidentielle libanaise était passée d’une commedia dell'arte à une tragi-comédie. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on entre dans la tragédie pure. Saad Hariri et Samir Geagea ne savent plus quoi inventer pour insuffler un peu de vie dans leurs projets présidentiels mort-nés, en appuyant énergiquement deux candidats indésirables, massivement rejetés par les communautés chrétiennes et sunnites, Sleimane Frangié et Michel Aoun, qui ont déclaré « ne formant qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah », et qui ne cachent pas leur souhait de voir la tyrannie de Bachar el-Assad triompher en Syrie. Et pendant que les deux leaders de 14-Mars s'agitent pour sacrifier la magistrature suprême sur l'autel du 8-Mars, le chef du Hezbollah, qui bloque l’élection présidentielle depuis près de deux ans, comme les deux présidentiables d'ailleurs, n’a même pas jugé utile d’aborder le sujet dans son dernier discours, le 16 février, faisant fi des initiatives du cheikh et du hakim. Il n'y a pas de doute, nous sommes vraiment dans le surréalisme politique et l’absurde

Réf.

lundi 15 février 2016

Hariri et Geagea se sont plantés en nommant Frangié et Aoun. Ils devraient revenir sur ce moment d’égarement (Art.339)


Pour paraphraser Jean-Jacques Rousseau, avec une point de sarcasme, je dirais que « l’homme politique libanais nait bon par nature, ce sont ses conseillers et ses partisans qui le corrompent ». La longue et chaleureuse embrassade entre Saad Hariri et Samir Geagea dimanche, prouve la première partie de ma paraphrase, au moins pour ces deux hommes, le reste de la cérémonie du Biel, ce qui a précédé et a succédé, démontre la seconde partie.

La première chose que Saad Hariri aurait dû faire en voyant Samir Geagea débarquer pour assister à la 11e commémoration de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, son père, c’était de déchirer le discours prévu pour l’occasion et de prendre le large en compagnie de son invité. Ceci lui aurait évité au moins d'adopter la « remarque déplacée » glissée par une de ses plumes puériles, sur la réunion historique de Maarab du 18 janvier 2016 (vidéo 23:15-23:55) ? Oui, il a peut-être raison quand il dit, « ô Hakim, quel regret qu'ELLE (la réconciliation interchrétienne entre Geagea et Aoun) n'ait pas intervenu il y a très longtemps, combien de souffrance, "TU" (Geagea) aurais épargné aux Chrétiens et au Liban ? » C’est comme d’ailleurs la réconciliation intermusulmane entre les leaders sunnites et chiites, au Liban et au Moyen-Orient, qui aurait pu intervenir 1 344 fois au moins entre l'an 661 et 2005, voire entre 632 et 2016, et qui aurait pu épargner beaucoup de souffrances aux Musulmans et au monde arabo-persique dans le temps et de nos jours. Indépendamment des faits complexes ignorés par la plume puérile qui a écrit cette phrase simpliste (qui rendait seul el-Hakim responsable de l'absence de réconciliation, ce qui a provoqué la colère de certains partisans des Forces libanaises sur les réseaux sociaux), vouloir n’est pas pouvoir. Cela dit, la tentative de maquiller la bourde de la plume puérile, par le fait que c'était de l'improvisation, une erreur de frappe ou de prononciation, entre "كنت" ("tu aurais", toi Samir Geagea...), et "كانت" ("elle aurait", la réconciliation...), allant jusqu'à écrire le texte après la cérémonie, avant de le diffuser à la presse, est tout aussi puérile que de l'avoir écrit. Et puisqu'on y est, encore un mot sur un détail protocolaire qui a fortement déplu aux partisans FL. A la fin de la cérémonie, quand Samir Geagea a bondi de son siège pour monter sur scène, après l'appel lancé par Saad Hariri aux leaders du 14-Mars pour venir le rejoindre et prendre une photo commémorative (vidéo 39:30), il n'a trouvé personne pour l’accueillir. Le voyant pourtant se diriger vers lui, Saad Hariri lui a tourné le dos pour saluer le public. Voilà qui est dit. Il n'y a pas de quoi dramatiser la situation. Faire de tous ces détails, tout un plat, est tout aussi puéril. On a des choses beaucoup plus importantes à débattre.

Tout le monde est passé outre, mais c’est tout de même l’information principale de la cérémonie. Mettant un terme à plusieurs mois de tractations opaques malsaines, Saad Hariri s’est enfin décidé à faire son coming out et s'est exprimé publiquement au Biel ce dimanche 14 février 2016, sur l'adhésion du Futur à
« l'initiative » de la candidature de Sleimane Frangié. Ainsi, le fils de Rafic Hariri en personne, et son parti politique derrière lui, pensent implicitement et explicitement, que cet ancien ministre de l’Intérieur qui s’est comporté comme un « chef de gang menaçant » au lendemain de l’assassinat de cette personnalité libanaise et sunnite exceptionnelle le 14 février 2005 (selon le témoigne de Walid Joumblatt devant le Tribunal Spécial pour le Liban en mai 2015), l’incarnation personnifiée du slogan du 8 mars 2005 « Merci la Syrie des Assad », l’homme qui considère toujours Bachar el-Assad comme « son frère » et Hassan Nasrallah comme « le souverain de tous » avec qui il ne forme « qu’une seule personne », le candidat présidentiel qui ne s’est engagé à rien de concret à part sa propre élection, est digne de devenir le 13e président de la République libanaise. C’est grave quand on ne partage pas cette vision des choses, mais ce n’est pas pour autant, la fin du monde. Par sa fermeté à l'égard de la République islamique d'Iran, par son insistance sur l'identité arabe et par son approche démocratique du dossier présidentiel, il faut bien reconnaitre que le discours de Saad Hariri fut à la hauteur.

Pour orienter le débat et surmonter les insultes et les contre-insultes, stériles et stupides, nous devons dépasser trois points. Zappons d’abord, l’élection présidentielle. Pas la peine de s’y éterniser et de nous chamailler entre alliés souverainistes, Courant du Futur et Forces libanaises. Le Hezbollah et la République islamique d'Iran n’en veulent pas jusqu’à nouvel ordre. Il n’y aura donc pas pour l’instant. Les coupables sont connus de tous. Ils doivent toujours être pointés du doigt. Zappons ensuite les palabres des deux piliers du 14-Mars, Saad Hariri et Samir Geagea, sur l’avenir du 14-Mars. Ils ont beau tenté désespérément de montrer que tout va bien, ils ne sont pas convaincants. Le premier a dispersé en une décade, le capital d’un million de Libanais rassemblés un certain 14 mars 2005, en nommant Sleimane beik. Le second a dilapidé l'énorme capital de sympathie qu’il avait auprès de la communauté sunnite, en soutenant le général Aoun. Erreurs d'aiguillage, double dommage. Zappons enfin le déchainement injuste contre les deux hommes par les partisans des deux camps. Sans la préparation du terrain de la part de Hariri pour imposer la candidature de Frangié, Geagea n’aurait sans doute pas soutenu Aoun, et sans ce passage à l’acte, Hariri n’aurait peut-être pas fait son coming out. En dépit de toute l’énergie de l’entourage de Hariri et de Geagea pour insuffler un peu vie dans ces projets mort-nés, les deux hommes ont fait de mauvais choix, il faut oser le dénoncer sans complaisance.

Si l’égarement du Courant du Futur et des Forces libanaises persiste, il aura trois conséquences graves sur le plan chrétien, sur le plan musulman, ainsi que sur le plan islamo-chrétien, et par conséquent, sur le plan national.

En s’obstinant à aller contre l’avis de ceux qui représentent politiquement l’écrasante majorité des Libanais chrétiens, les Forces libanaises (FL) et le Courant patriotique libre (CPL), Saad Hariri pousse les leaders chrétiens de ces mouvements à consolider leur rapprochement. Prochaine étape, la loi électorale. On peut le dire dès aujourd’hui, ça sera la mère de toutes les batailles politiques. On a d’une part, les partis chrétiens, FL-CPL, foncièrement opposés à la loi électorale archaïque actuelle, pour des raisons politiques, et de l’autre côté, Futur-Parti socialiste, farouchement attachés à l’essence de cette loi de 1960, pour des raisons politiques aussi. Là également, la situation est bloquée. Près de 7 ans de discussion n’ont toujours pas permis de doter le Liban d’une loi électorale moderne permettant une bonne représentation parlementaire des Libanais, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues. Maintenant que tous les freins sont levés, l’affrontement est possible et le clash pourrait avoir lieu. Au point où vont les choses, si l'intérêt général ne reprend pas le dessus sur l’intérêt politicien, le projet de loi dit orthodoxe, qui propose un mode de scrutin intracommunautaire, chaque communauté libanaise élit ses propres représentants, pourrait refaire surface, tôt ou tard. Il y a quelques années, il a failli être soumis au vote des parlementaires ! On a fini par le retirer de la circulation afin de préserver la cohésion nationale et les relations islamo-chrétiennes. Dans le contexte actuel de tensions communautaires malsaines, si le projet de loi orthodoxe refait surface, il sera plus difficile de le combattre qu’il y a trois ans.

Par ailleurs, il faut bien reconnaitre que le Courant du Futur se tire une balle dans le pied en acceptant de « capituler » devant le camp du 8-Mars, Hezbollah en tête, et devant le camp « Merci la Syrie des Assad ». En insistant pour aller contre l’avis d’une frange des Libanais sunnites, Saad Hariri offre un terrain fertile aux voix dissonantes au sein de sa communauté, qu’elles soient souverainistes, comme celle d'Achraf Rifi, ou qu’elles soient extrémistes, comme celle d'Ahmad al-Assir. En tout cas, une partie mécontente de la base pourrait aller voir ailleurs. A moyen terme, la position dominante des Hariri au sein de  la communauté sunnite libanaise serait forcément contestée. Et comme ce parti multiconfessionnel à dominante sunnite se place aujourd'hui en pleine confrontation politique avec les partis chrétiens, il ne pourra pas s’opposer longtemps à une nouvelle loi électorale représentative. Or, à cause de ses choix politiques, une telle loi lui ferait perdre forcément des parlementaires, des sièges chrétiens et sunnites qu’il ne pourra plus contrôler.

Du côté des Forces libanaises, la situation est peu reluisante. Son candidat naturel s'est auto-neutralisé. Pour l'instant, pour rien ! Il y a un peu moins de deux ans, la veille de la vacance présidentielle le 24 mai 2014, j’ai proposé dans un de mes articles, que le 14-Mars, Samir Geagea précisément, soutienne la candidature de Michel Aoun, à la condition que ce dernier annonce publiquement la fin de son alliance avec le Hezbollah et son alignement sur l’axe Damas-Téhéran. Malgré son engagement sur dix « points souverainistes » à Maarab le 18 janvier 2016, je n’ai pas soutenu l’initiative de Samir Geagea d'appuyer la candidature du général à la magistrature suprême car la condition que j’ai posée n’était pas satisfaite. Je ne l’ai pas combattu pour autant car je pensais qu’il existait une faible chance qu’une telle initiative conduise au détachement de Michel Aoun de l’orbite du 8-Mars. J’ai bien précisé dans un article récent, que je n’y croyais pas vraiment pour diverses raisons mais qu’il fallait essayer quand même, notamment dans le contexte de la détermination du Futur à soutenir Frangié. Aujourd’hui, nous avons la certitude que le général ne rompra jamais avec le trio infernal : Hezbollah-Assad-Mollahs. Samir Geagea devrait en prendre acte. Deux éléments pour le prouver.

Le premier est lié à la 35e séance électorale du 8 février. Elle a été boycottée comme les 33 qui l’ont précédé par les bloqueurs attitrés de l’élection présidentielle au Liban : Hassan Nasrallah, Michel Aoun, Sleimane Frangié et d’autres pôles du 8-Mars. Et là se pose une question éthique grave : comment Samir Geagea et Saad Hariri peuvent-ils soutenir deux candidats du 8-Mars qui violent ouvertement la Constitution libanaise, alors que les deux hommes du 14-Mars font du respect de cette dernière, une condition sine qua non, pour être élu à Baabda ? Mystère et boule de gomme.

Le deuxième élément est sans doute le plus important. Il est passé totalement inaperçu. A l’occasion du 10e anniversaire de l’entente de Mar Mikhael, entre Hassan Nasrallah et Michel Aoun, le site hezbollahi « al-Ahed » a publié le 4 février, une interview réalisée avec le général. A le lire, on dirait qu’il ne se souvient plus du tout des « dix points souverainistes » de Maarab. Il faut dire, et je me suis bien retenu d’en parler jusqu’à maintenant, Samir Geagea avait commis une erreur de protocole ce jour-là : il revenait à Michel Aoun de lire les dix engagements souverainistes, pas à Samir Geagea, qui lui, les connait, les suit et les applique.

Pour les curieux, voici les certitudes de Michel Aoun, candidat à l’élection présidentielle, soutenu désormais par Samir Geagea, jusqu'à nouvel ordre, telles qu’il les a exprimées il y a seulement quelques jours :

- « Il y a une grande confiance entre les deux parties (CPL-Hezb)... C’était une heure bénite, quand nous nous sommes rencontrés (avec Hassan Nasrallah le 6 février 2006), qui a assuré aux Libanais des choses très positives, notamment pour leur sécurité et leur vie dans cette période difficile. » Comme ce fut le cas le 12 juillet 2006 par exemple ? Ou peut-être le 7 mai 2008 ? A moins que ça ne soit le 12 janvier 2011 ?
- « Aux autres partis politiques, je leur demande de généraliser notre entente avec le Hezbollah... J’espère que celle-ci sera un exemple aux générations futures, pour qu’elles en soient fières à travers l’histoire et pour qu’elles puissent apprendre comment ces deux partis se sont unis pour sauver le pays de ses problèmes ». C’est c’là oui, en bloquant par exemple le Parlement libanais et en occupant le centre-ville pendant près d’un an et demi (2006-2008) ? A moins qu’il ne parle du blocage de l’élection présidentielle pendant près de deux ans pour la première fois dans l’histoire de la République libanaise (2014-2016) ?
- « Il y a beaucoup de qualités qui caractérisent el-Sayyed. On peut les résumer par les mots "chef exceptionnel" ». Admettons. Michel Aoun rajoute, « je ne forme qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah ». Encore un ! Il va aussi jusqu’à répéter ce qu’il a déjà dit dans le passé, « il existe une complémentarité existentielle (entre les deux hommes) ». Pour ceux qui n’auraient toujours pas bien saisi la portée, il rajoute : « Nous croyons aux mêmes contenus en ce qui concerne le sens de la souveraineté du peuple et de la patrie, de la liberté d’opinion et des positions (politiques). Qu’est-ce qu’il y a de honteux quand je dis ‘moi et le sayyed, nous ne sommes qu’un?’ ». Il y a que Michel Aoun et Sleimane Frangié, c’est bonnet blanc, blanc bonnet, c’est du pareil au même et c’est kif-kif-bourricot. Alors, cher Saad et cher Samir, qui accepte l’un, doit accepter l’autre, et qui refuse l’un, doit refuser l’autre !
- « La majorité des points de cette entente (avec le Hezb) a été présentée à la table de dialogue (national) et nous nous sommes mis d’accord dessus... il ne reste que quelques questions qui n’ont pas été mises en œuvre, comme le point quatre, portant sur la construction de l’Etat et le passage vers la citoyenneté ». Ah bon, il n’y a donc que ce point quatre qui pose problème au Liban ? L’ironie de l’histoire, c’est que tout est dans ce point quatre : la « construction de l’Etat » exige la dissolution de la milice chiite conformément au contenu de la Constitution libanaise et des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, et le « passage vers la citoyenneté » demande le respect absolu du fonctionnement des institutions démocratiques libanaises, notamment du gouvernement et du Parlement.
- Sur un sujet qui fâche, et non des moindres, le candidat à la magistrature suprême, ancien Premier ministre, ex-commandant de l’armée libanaise, déclare : « Nous considérons les sacrifices des jeunes (du Hezbollah) qui ont combattu sur le territoire libanais ou à la frontière, et qui ont arrêté le terrorisme... La fin de la guerre en Syrie a commencé (...) Que Dieu soit remercié, la guerre se termine, nous sommes en train de traiter ce qu’il en reste ». Et on s’inquiète encore de l’élection de celui qui se considère comme le « frère » de Bachar el-Assad ?
- Tenez, avant que je n’oublie, sur son entente avec le parti des Forces libanaises, le général ne s’est pas éternisé. Il s’est contenté de cette banalité affligeante : « Avec le temps, on a commencé à bâtir la confiance entre moi et les FL. Des enquêtes d’opinions récentes, ont montré que 86 % des Chrétiens se sont félicités de cette entente ».

Parlons peu, parlons bien. Choisir le candidat Frangié qui ne s’engage sur rien à part sa propre élection, contre l’avis de la majorité chrétienne, soutenir le candidat Aoun qui s’engage sur tout et son contraire, contre l’avis de la majorité musulmane, s’attacher à la loi électorale dite de 1960, qui conduit à une très mauvaise représentation parlementaire libanaise, notamment chrétienne, exhumer le projet de loi électorale dit orthodoxe, qui est rejeté par les communautés musulmans, poursuivre la marginalisation administrative chrétienne, comme au ministère des Finances, et j’en passe et des meilleurs, entreraient les relations islamo-chrétiennes dans une « guerre froide », qui ne laisse présager rien de bon pour le Liban, ni pour les uns ni pour les autres, à l’exception du Hezbollah, qui rit et il ne rit pas jaune. Toute cette actualité surréaliste des derniers mois doit cesser. Saad Hariri et Samir Geagea se sont plantés en nommant respectivement Sleimane Frangié et Michel Aoun à la présidence de la République libanaise. Il n’y a rien de mieux qu’un bon diner pour en parler sincèrement et pour revenir au plus vite sur ce moment d’égarement. Autrement, des regrets cèderont prochainement la place aux pleurs et aux grincements de dents.

samedi 6 février 2016

Le reportage sur « Les prisonniers du Hezbollah en Syrie » de Carole Maalouf, diffusé sur MTV, pose trois problèmes éthiques (Art.336)


Il y a quelques jours on a appris qu’une journaliste libanaise, Carole Maalouf, avait réalisé un documentaire de 83 min il y a près d’un mois, sur deux prisonniers libanais du Hezbollah, détenus par la milice syrienne Jabhat al-Nosra à Alep. Le reportage était programmé et annoncé depuis plusieurs jours sur MTV, mais sous la pression de la milice libanaise, la chaine a fini par réduire ce documentaire, dérangeant pour l’image du Hezb, à un reportage de près de 7 minutes. Celui-ci a été diffusé dans l’émission « Bemawdou3ieh » mercredi dernier.

La journaliste libanaise et MTV, ont tenu à préciser, chacune à sa façon, d’une manière plus ou moins directe, que le reportage n’était pas dirigé contre le Hezbollah. D’un côté, Carol Malouf dit dans les médias et sur les réseaux sociaux vouloir « faire un scoop ». De l’autre côté, Walid Abboud précise dans son émission que le but de sa chaine est de « faire la lumière » sur une affaire importante. Et pourtant, au lendemain de la diffusion, on apprend du site Janoubia (un média « chiite », opposé au Hezb), que Carol Malouf regrette son passage dans l’émission de MTV, et surtout, d’avoir accepté de couper son documentaire et de le diffuser dans l’émission Bemawdou3iyé précisément. Le site nous explique que « Walid Abboud (son interviewer) l’aurait attaqué à plusieurs reprises au cours de son émission, l’accusant d’appartenir à Jabhat al-Nosra, doutant même plus d’une fois de la crédibilité du contenu de la vidéo ». Janoubia reproche à MTV d’avoir cédé aux pressions et aux menaces du Hezbollah. Selon l'auteur, la chaine aurait dû soit diffuser le documentaire en entier, soit s’abstenir de le faire.

Ce n’est pas la première fois que le Hezbollah fait pression sur les médias libanais ou les journalistes, pour les censurer, par la force et la violence s’il le faut. Les studios de la chaine Futur TV furent incendiés en 2008. Ceux de New TV ou de la LBC ont failli l’être en 2012 et 2013. Dans l’affaire actuelle, Carole Maalouf a reçu des menaces claires : « Si tu n’as pas peur pour toi, pense à ta famille ». Dès l’annonce de la diffusion du reportage, le public de la milice chiite accusait la chaine d’être « sioniste » et « daechiste ». Inutile de s’arrêter plus longtemps sur ce point, ces pratiques fascistes sont abjectes.

Si pour une partie des Libanais, le Hezbollah n’est plus en odeur de sainteté, il ne l’a jamais été pour d’autres, à juste titre et à juste raison dans les deux cas, ne serait-ce qu’à cause des poursuites pénales de cinq de ses membres par le Tribunal Spécial pour le Liban pour le meurtre de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes, le reportage de Carol Malouf, diffusé partiellement par MTV, pose quand même trois problèmes éthiques.

1. Si chacun des protagonistes de cette affaire, Jabhat al-Nosra, le Hezbollah, Carole Maalouf ou MTV, a bien réfléchi sur ses propres intérêts et à ce qu’il peut en tirer comme profit de la diffusion ou pas de ces images, aucun d’eux n’a pensé réellement à l’avenir de ces prisonniers et à ce que pourraient éprouver leurs familles après la diffusion de cette vidéo. Révéler ne serait-ce que leurs noms dans la version longue, était une faute grave. Rien que pour cela, cette interview laisse beaucoup à désirer.

2. J’ai lu, entendu et regarder, et je fus frappé par la négligence de tous les protagonistes cités précédemment d’un point capital dans cette affaire. Je ne m’étonne pas pour les deux premiers, mais pour les deux derniers, si, je suis un peu surpris. Qu’on le veuille ou pas, Hassan Nazih Taha et Mohammed Mehdi Hani Chiaeb (ainsi que Moussa Mohammad Kourani qui ne figure pas dans le reportage de 7 min), sont des « prisonniers de guerre » selon l’article 4 de la 3e Convention de Genève de 1949. En les montrant dans les conditions  humiliantes que tout le monde peut imaginer sans grande difficulté, al-Nosra, Maalouf et MTV, mais aussi le Hezb qui a donné de facto le feu vert pour la diffusion du court-reportage, ont violé l’article 14 de cette Convention qui stipule que « les prisonniers de guerre ont droit en toutes circonstances au respect de leur personne et de leur honneur ». Eh oui, on ne peut pas prendre du droit international ce qui nous arrange et zapper ce qui nous dérange.

Menace d’exécution du policier libanais
Ali Bazzal par Jabhat al-Nosra (28 nov. 2014)
3. Informer OUI, faire de la propagande, en connaissance de cause ou pas, NON, NON et NON. L’intervention des deux prisonniers est peut-être touchante. Touchante au point de faire oublier un autre point essentiel dans cette affaire. Jabhat al-Nosra est un groupe djihadiste syrien, qui a fait allégeance à l’organisation terroriste al-Qaeda. Il souhaite imposer à la société syrienne une charia stricte, rejetant la démocratie qui serait « la religion des impies ». L’organisation est impliquée dans plusieurs attentats ayant ensanglanté le Liban, dans des attaques contre l’armée libanaise et les Forces de sécurité intérieure ayant fait des dizaines de morts, dans l’occupation des environs de la ville libanaise d’Ersal, dans de longues prises d’otages libanais et dans l’exécution sommaire de militaires libanais. Enfin bref, pour résumer, Jabhat al-Nosra est bel et bien une organisation terroriste, qui n’a rien à envier à Daech et à la tyrannie des Assad. Pourquoi je rappelle tout cela ? Parce qu’à regarder ce reportage, Carole Maalouf nous donne l’impression qu’on a affaire à des boy-scouts que de petits moineaux mangeraient le repas !

Dans ce reportage, la journaliste libanaise est voilée et toute en noire. Très élégante d’ailleurs. Elle est très souriante aussi. Les deux prisonniers portent la tenue du Hezbollah. Ils sont calmes, mais le stress est évidant dans leurs regards, leurs voix et leurs gestes, contrairement à ce que veut faire croire la mise en scène. C’est encore plus évident quand on les écoute. L’un des deux prisonniers nous explique d’emblée : « Au Liban, le Chiite est obligé d’être sur les plans idéologique et intérêt financier, soit avec le Hezbollah (Hassan Nasrallah), soit avec le mouvement Amal (Nabih Berri). Sinon, il devient paria, haï par son environnement, il n’ose plus aller dans son village (...) J’étais prof, mais le bourrage de crâne idéologique... ainsi que le revenu financier... » Tout ce qu’il dit est vrai de vrai, mais le problème est ailleurs. C’est c’là oui, en moins de trois mois, le jeune homme a remis en question un engagement idéologique de plusieurs années ! La suite est encore plus délirante, on dirait un épisode d’un mauvais feuilleton syrien. « J’ai à vous confier deux messages. Le premier à l’adresse de mes parents... Les gars nous traitent selon la religion (islamique), avec éthique. Il n’y a ni torture, ni coups. Ils croient honnêtement (il le répète à deux reprises) au verset coranique et aux hadiths (portant sur le traitement des prisonniers)... Sur le plan sanitaire, nous sommes bien suivis. A propos des conditions de vie, la situation est très très bien, au point que nous prenons deux douches par semaine, avec de l’eau chaude. Ils nous apportent de l’eau chaude ! Et pour l’alimentation, c’est très très bien. A propos de ma blessure, mon bras bouge bien. Tous les deux jours, l’équipe médicale vient me changer le pansement... Et puis, tu nous as vu, hein ? Nous sommes même rasés (les deux ont la barbe) ». Carole Maalouf l’interrompt pour préciser avec un grand sourire : « Oui, j’ai vu que tu as les ongles coupés aussi ! »

La parole est ensuite donnée au deuxième prisonnier, qui voulait adresser un autre message, mais seulement aux gars du Hezbollah qui détiennent les prisonniers d’al-Nosra : « Comme vous nous voyez, nous n’avons pas reçu de coups, nous avons été soignés sur le plan médical. Qu’ils soient comme ça ! Qu’ils agissent, qu’ils ouvrent notre Coran et qu’ils lisent. Qu’ils traitent (leurs prisonniers) comme on nous traite. Parce que la religion (l'islam) veut cela... J’ai dit au cheikh en prison, ‘tu me donnes à manger, mais toi, tu n’es pas obligé de me sourire’... Il me donne à manger avec beaucoup de respect et de politesse. Il me respecte alors que je suis son prisonnier. » Eh bien, si on m’avait demandé de le faire, j’aurai refusé catégoriquement d’interroger ces deux hommes dans ces conditions, pour les voir obliger de faire du zèle et s’humilier, afin de sauver leur peau.

Pour mieux comprendre l’objectif de cette vidéo, il faut lire les explications du site Janoubia, cité précédemment. Le site nous dit dans sa promotion du reportage : « Qui a suivi cette courte vidéo, a dû s’arrêter sur plusieurs points, notamment le confort psychologique des captifs lors de l’interview. Il n’y a pas sur leurs visages ou dans leurs réactions, une indication de menace ou de pression ». Et pour ceux qui n’ont toujours pas compris, le reste se passe à la cuillère, comme on dit au Liban, beddoun yicharbouna yéha bel ma3el2a : « Cela signifie que leurs déclarations sont le reflet de convictions personnelles propres et non reçues (de leurs ravisseurs) ». Pas de doute, nous avons affaire aux hautes études en psychologie.

Photo de l’exécution d'Ali Bazzal par une rafale de
Kalachnikov, publiée sur Twitter par Jabhat al-Nosra,
accompagnée du texte suivant :
« L'armée libanaise a poursuivi ses actions lâches...
L'exécution d'un de nos prisonniers de guerre,
est la réponse minimale »
Paix à vos âmes, Mohammad Hammiyé et Ali Bazzi. Ce soldat de l’armée libanaise et ce sergent des Forces de sécurité intérieure, tous les deux de confession chiite, ont été exécutés par les terroristes de Jabhat al-Nosra, respectivement en septembre et en décembre 2014. L’exécution de ce dernier d’une rafale de Kalachnikov dans la tête svp, a même été photographiée, pour apporter une preuve peut-être aux naïfs de nos contrées d’Orient, qu’al-Nosra se distingue des barbares de Daech. Dommage qu’ils ne soient plus parmi nous, pour nous montrer que ce documentaire n’est que foutaises sur toute la ligne. Tout le monde sait que le Hezbollah se bat en Syrie aux côtés de la tyrannie des Assad et qu'il a déjà perdu des centaines et des centaines de combattants « morts dans l'accomplissement de leur devoir djihadiste ». Tout le monde sait aussi que le Hezbollah exerce une hégémonie sans faille sur la communauté chiite libanaise. Tout le monde sait également que l'adhésion de la communauté chiite au Hezbollah est massive et sans réserve. Oui, ce genre de témoignages est important. Mais, ce qu'il nous faut ce sont plutôt des témoignages de compatriotes chiites réellement émancipés de l'idéologie du Hezbollah et qui s'exprimeraient librement. Ces témoignages via Jabhat al-Nosra ne valent absolument rien, tant que les captifs sont entre les mains de cette organisation. Ils ont été obtenus sous la terreur d’une organisation terroriste. C’est ce que fait l’école de la tyrannie des Assad depuis 40 ans et c’est pourquoi c’est consternant. Dans ce genre de reportage, nous ne sommes ni dans un scoop comme le prétend Carole Maalouf, ni dans l’information comme le dit MTV, ni dans les explications comme le souhaite Janoubia. Evidemment, qu'il avait raison Walid Abboud, ce reportage n'est pas crédible. Mais était-il sincère en le disant ? J'en doute. Sinon, il n'aurait pas accepté de le diffuser. En réalité, nous sommes dans une propagande produite par Jabhat al-Nosra et dans laquelle sont tombés Carol Malouf, MTV et Janoubia. La2 ya chabeb wou ya sabaya, l’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami, pas plus que la fin ne justifie tous les moyens. 

Post-scriptum (9 février 2016)

Voici la vidéo de 58 minutes du reportage de Carol Malouf, publiée par la journaliste elle-même le 8 février. Je n’ai rien à ajouter par rapport à ce que j’ai écrit dans mon article sur ce sujet. Cette interview pose trois problèmes éthiques graves. Nous ne sommes pas dans un « scoop » comme le prétend Carole Maalouf, encore moins dans l’information. Nous sommes dans une propagande produite par Jabhat al-Nosra et dans laquelle est tombée la journaliste libanaise. Ces témoignages via Jabhat al-Nosra ne valent absolument rien, tant que les captifs sont entre les mains de cette organisation. Ils ont été obtenus sous la terreur d’une organisation terroriste. Ce qu'il nous faut ce sont plutôt des témoignages de compatriotes chiites réellement émancipés de l'idéologie du Hezbollah et qui s'exprimeraient librement.

En tout cas, ci-joints le lien et une transcription de quelques extraits marquants, fidèle mais non littérale (pour aller vite !). A vous d’en juger.



- Prisonnier : ... Nous étions traités selon les règles islamiques... Alimentation, la meilleure qui soit... même chez soi, on ne mangerait pas cela... Nous n’étions pas entrainés aux combats... Nous sommes tombés dans un guet-apens...
- Carol Malouf : ... un conflit entre deux pays frères...
- Prisonnier : (description de l’endoctrinement pratiqué par le Hezbollah : scoutisme, entrainement, etc.)

- Carol Malouf : ... Alors, ton allégeance est pour le Hezbollah ou pour l’Etat libanais ? Pourquoi tu t’es affilié au Hezbollah et non à l’armée libanaise ?... Càd l’idéologie vient avant la patrie ?... Tu te sens plus Hezbollah que Libanais ?... En tant que personne, tu sens que tu es Hezbollah, ce qui compte pour toi, c’est le drapeau jaune, plus que le drapeau libanais ?
- Prisonnier : Une partie de mon adhésion au Hezbollah réside dans le fait que je défends mon pays, le Liban.

- Carol Malouf : Avant toi, il y avait une résistance nationale (contre Israël) avant la résistance islamique... Tout le monde soutenait le Hezbollah dans son combat contre Israël... Même si tu demandes à Jabhat al-Nosra, on te dira qu’en 2006, nous étions avec les Libanais et le Hezbollah contre Israël, je me suis permise de parler à leur place... Moi je veux savoir un peu plus sur cette allégeance... pourquoi l’idéologie vient avant la patrie ?
- Prisonnier : Parce qu’on s’est nourrit de cette idéologie depuis que nous sommes petits, c’est dans la tête... (Avec le Hezb) le salaire est garanti, les soins médicaux sont assurés, il y a des aides financières... Je sentais que je devais venir (en Syrie)
- Carol Malouf : Tu ne peux pas dire non ?
- Prisonnier : ... Je risquais d’être exclu du Hezb et de s’arrêter de travailler...

- Prisonnier : ... Comment ça se fait qu’ils nous ont envoyé dans une zone non sécurisée encore... il y a eu des erreurs (de la part du Hezbollah) qui ont conduit à cela (guet-apens).
- Carol Malouf : Normal... Celui qui combat en dehors de sa région... Vous pouvez gagner au sud (Liban) parce que c’est votre terre. Et le Syrien gagnera sur sa terre (visage grave). Quel que soit le nombre de combattants qui viendront, c’est sa terre et il la connait, et c’est son pays... Vous êtes des envahisseurs pour eux (sourire).
- Prisonnier : ... Maintenant, on en est convaincus, nous sommes les envahisseurs...
- Carol Malouf : Alors que j’étais là j’ai entendu un raid (russe). Ce n’est pas acceptable !
- Prisonnier : Où sont ces (soi-disant) sièges de Daech, Jabhat al-Nosra...

- Carol Malouf (visage grave) : Franchement, vous pensiez que vous veniez vous battre contre Daech ?
- Prisonniers : Oui, oui... Je ne sais pas, qui sont-ils ?
- Carol Maalouf (très énervée) : Mais, tu ne demandes pas ? Tu ne demandes pas qui tu vas combattre et où, et qu’est j’y vais faire ? C’est interdit de demander ?
- Prisonnier (tout sourire) : Tu veux demander à qui ?...
- Prisonnier : ... On croyait qu’on venait combattre des étrangers, des mercenaires... On croyait qu’on venait débarrasser les Syriens d’eux... Mais, il nous est apparu que tout ceux à qui on a eu affaire sont Syriens... les gens doivent comprendre qu’il y a quelque chose de faux, une image médiatique fausse...
- Prisonnier : Dans la campagne d’Alep, on a rencontré des Iraniens, en grand nombre, des Irakiens, des Afghans. L’armée syrienne, en petit nombre. Et le Hezbollah libanais. La direction des opérations est assurée par les Iraniens.
- Carol Malouf : Et l’armée syrienne ?
- Prisonnier : C’est un soutien, présence médiatique, elle renseigne sur les régions.

- Carol Malouf : Qu’est-ce qui t’a traversé l’esprit au moment du guet-apens ? Qu’est tu pensais qu’on allait faire de toi ? Et comment tout s’est passé contrairement à ce que tu pensais ?
- Prisonnier : ... Lorsque nous avons été encerclés... Au fond, nous étions sûrs de mourir, immolés par le feu, égorgé, (Carol Malouf sourit, comme si Mohammad Hammiyé et Ali Bazzi, relevaient de la mythologie), découpés, l’image qu’on avait dans la tête en tant que Libanais... Au début, on a reçu quelques coups... Puis un cheikh leur a demandé d’arrêter... On a reçu ensuite des piqures de soins... Avant de nous emmener à l’hôpital, on nous a prévenus de ne rien dire aux médecins qui pourraient montrer que nous étions Libanais ou qu’on appartenait au Hezbollah, pour que le médecin nous soigne comme si nous étions de Jabhat al-Nosra...
- Prisonnier : ... Je suis resté avec un jeune (de Nosra)... on a bavardé, ce n’était pas un interrogatoire. Il me demandait pourquoi vous êtes venus, vous n’étiez pas obligé, nous on défend notre terre. Il m’a donné un matelas et des couvertures... on nous a interrogés qu’une fois... Et depuis, on mange et on boit, on nous donne du thé, des fruits...

- Carol Malouf (la palme d’or de la question la plus longue et la plus irréfléchie !): Plus d’une fois, on a remarqué que des captifs de Jabhat al-Nosra, parlent de manière très positive durant leur captivité, mais dès qu’ils sont libres, ils parlent autrement. Je me permets de poser cette question importante, qui déplaira peut-être à Jabhat al-Nosra, pourquoi ça se passe comme ça ? Vous parlez de cette façon car vous craignez pour votre vie ou c’est vraiment la vérité ? Et pourquoi ceux qui sont libérés disent le contraire, parce qu’ils ont peur du Hezbollah ? Quelle est la cause de ce dualisme dans cette affaire ?
- Prisonnier : ... Il y a une mauvaise image des deux côtés... Des deux côtés, il y a des gens qui transmettent une mauvaise image de l’autre... Il y a des Chiites qui donnent une mauvaise image des Chiites, transmise à Nosra et aux Sunnites, qui se construisent une idée que ces gens-là haïssent les Sunnites et que leur but c’est de nous tuer, alors tous les Chiites ne sont pas comme ça... La même chose de l’autre côté, chez Nosra et les Sunnites. Nous, ce qui nous parvient des Sunnites, c’est que ces gens-là détestent la descendance de l’imam Ali et les Chiites...
- Carol Malouf (l’interrompt énergiquement) : Je vais te dire, c’est tout cela était vrai, les sanctuaires chiites ne resteraient pas 1 400 ans en terres sunnites...
- Prisonnier : Ceux qui sont venus de l’étranger, qui ne sont pas Syriens, c’est eux qui voulaient détruire les sanctuaires (chiites)... Ces gens qui étaient emprisonnés en Arabie saoudite, en Tunisie (et qu’on a relâché) sont venus ici, et ce sont eux qui veulent tout raser, les sanctuaires, les vestiges archéologiques... Ce ne sont pas les Sunnites qui habitent près du sanctuaire de saïydé Zeinab depuis toujours.

- Carol Malouf : Je vais te poser une question directe, à ton avis ce qui se passe ici en Syrie, et vous qui êtes des combattants étrangers arabes, et qui venez combattre un peuple sur sa terre, est-ce que cela est justifié ou pas ?
- Prisonnier : A mon avis, non... Il revient au peuple syrien de décider.
- Carol Malouf : Tu blâmes ton commandement, tu regrettes d’être venu ?
- Prisonnier : Quand nous étions à la frontière, à supposer qu’il y avait un danger, peut-être que c’était un droit. Mais aller se battre à des dizaines et centaines de kilomètres dans les campagnes de Homs, Idleb, Lattaquié, Alep, c’est quoi la justification ? Tout cela fait partie d’une guerre régionale et internationale. Les grandes puissances ne veulent pas qu’une des deux parties l’emporte...
- Carol Malouf : Avant ces 42 jours (de détention), tu pensais comme ça ?
- Prisonnier : Jamais... Ce qui est touchant, c’est ce qu’on nous a dit en prison. Vous défendez le régime des Assad, Hafez et Bachar qui vous ont fait voir de toutes les couleurs au Liban... Très peu de Libanais, n’ont jamais eu de problèmes avec le régime syrien (au Liban)... En fin de compte, les leaders finissent par se mettre d’accord, et ce sont les bases qui paient. Doha 1, Doha 2, Taef 1 et Taef 2. Ceux qui perdent vraiment, ce sont ceux qui se font tuer.
- Carol Malouf (la palme d’argent de la question la plus irresponsable) : Qui est à ton avis, le responsable de ta captivité, qui porte cette responsabilité ?
- Prisonnier (Hassan) : En premier, c’est moi. Personne ne m’a mis le sabre sur le cou, et m’a forcé à venir. En seconde, c’est le Hezbollah, qui m’a fait venir (la caméra est sur CM, le regard montre une satisfaction de la réponse)...
- Prisonnier (Mohammad) : Nous aurions dû être plus conscients. Aux jeunes enthousiastes de 16 ans et plus, et aux chômeurs, qui regarderont cette interview, qu’ils pensent d’abord à ces propos... Nous venons maintenant d’ouvrir les yeux... La direction du Hezbollah assume la responsabilité de l’éloignement de nos familles.
- Carol Malouf (la palme de bronze de l’intervention la plus nase, avec un grand sourire) : Inchallah je vous revoie après votre libération et je verrai si vous allez me redire la même chose !

- Prisonnier (Hassan) : J’ai un 1er message à transmettre à mes parents (voir la transcription dans l’article)... Le 2e message, c’est pour remercier tous ceux qui se donnent beaucoup de peine pour nous. J’espère que les prisonniers aux mains du Hezbollah, sont traités ainsi.
- Carol Malouf : Tu crois que c’est le cas ?
- Prisonnier : C’est ce qu’on nous disait.
- Prisonnier (Mohammad) : J’ai un message aux gars du Hezbollah qui détiennent des prisonniers... (voir l’article)

- Carol Malouf (jusqu’au bout déconnectée de la réalité !) : Est-ce que le peuple syrien mérite (que vous lui exprimiez) des regrets ?
- Prisonnier (Hassan) : Toute la planète devrait présenter ses excuses au peuple syrien... C’est un peuple géant. Nous après 33 jours de guerre (contre Israël, en juillet 2006), nous étions au dernier souffle. Eux, ils y sont toujours... La volonté de vivre est toujours là... Et on te remercie...
- Carol Malouf : Je veux remercier Jabhat al-Nosra qui m’a permis de réaliser cette interview.