Il existe des gens, plus ils s’expriment,
plus ils inquiètent. Sleimane Frangié en fait partie. Son interview publiée
dans le quotidien al-Safir le 1er février, ne déroge pas à cette règle. Pour les détails, voici les neufs passages
qui ont retenu mon attention et qui démontrent magistralement ce constat.
1. Commençons par les
flatteries à cinq piastres de l’auteur de l’interview, Imad Mermel, un journaliste d’al-Manar,
la chaine du Hezbollah. « L'homme
(Sleimane Frangié) demeure sur son
naturel, sa spontanéité et sa transparence qui n'ont pas été influencées
par le ‘prestige’ (en français svp) présidentiel. Ce qu’il a sur le cœur et à
l’esprit, jaillit sur sa langue, sans censure préalable ». Figurez-vous
que ce n’est pas la première fois que ce trait de caractère est mis en avant,
comme si c’était un point positif ! Lol. Mermel et consorts ne se rendent pas compte qu’avec une telle
description, ils font apparaitre Sleimane Junior comme un homme irréfléchi et
impulsif, deux conditions éliminatoires pour briguer la magistrature suprême.
2. « Le plus important pour moi c’est de ne pas
perdre cette précieuse opportunité politique de faire accéder un (candidat) du
8-Mars à la présidence de la République (libanaise)... La victoire de notre
projet (8-Mars)... Que notre projet (8-Mars) gagne ou le leur (14-Mars)... Nous, l’équipe du
8-Mars... Hariri et l’Arabie saoudite, sont convaincus de l’inéluctabilité
de l’élection d’un président des rangs du 8-Mars... » La messe est dite.
Elle l’est depuis le 8 mars 2005, pour ne pas dire depuis 1957, où l'homonyme grand-père s'était lié d'amitié avec le premier tyran des Assad. Et l'on ose encore présenter l’incarnation personnifiée de « Merci la Syrie des Assad », le slogan de cette journée de rassemblement trois semaines après l'assassinat de Rafic Hariri,
comme un candidat de rassemblement. Balivernes. Juste pour rappel, les partisans de Michel Aoun avaient défilé le 14 Mars 2005.
3. Concernant les boulets qu’il traine
depuis toujours, depuis ce honteux 13 octobre 1990 au moins, les mauvaises fréquentations de Sleimane Frangié. « Certains ne comprennent pas la nature des mes relations avec
sayyed Hassan Nasrallah et le président Bachar el-Assad... Je suis engagé dans la voie de l’arabisme et de la résistance ». Propos aseptisés pour
faire oublier que l’homme considère Bachar
el-Assad, le chef du régime syrien, comme son « frère », et Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, comme
« le souverain de tous ». Encore
une condition rédhibitoire pour Sleimane Junior, qui, s’il est élu, la sama7 allah, est censé « prêter serment de fidélité à la
Nation libanaise ».
4. « Si le 8-Mars, avec à sa tête le Hezb,
décide de boycotter la séance (électorale du 8 février), je boycotterai aussi ». Et l’on ose encore présenter un adepte de la violation de la
Constitution libanaise, notamment de ses articles 49, 74 et 75 (qui n’accordent
aucune place à l’hérésie du boycott, comme c’est le cas dans tous les pays du
monde), comme le futur président de la République libanaise, censé « jurer
par Dieu tout-puissant », et selon les termes des articles 49 et 50, « d’être
fidèle » à la Constitution, « d'observer » la Constitution
et « de veiller au respect » de la Constitution. Bienvenue dans le
surréalisme politique libanais.
5. « Sans les voix chiites déterminantes à
Baabda, Jbeil, Kesrouane et Jezzine, le bloc (parlementaire) du général Aoun,
ne dépasserait pas les doigts d’une main ». C’est incontestablement la
phrase clé de toutes les interviews accordées par le beik de Zgharta depuis que son nom circule comme présidentiable. Sleimane Junior vient de reconnaitre explicitement que la loi
électorale actuelle, dite loi de 1960, permet au Hezbollah (chiite), mais aussi
au parti d’Amal (chiite), au Parti socialiste (druze) et au courant du Futur (multiconfessionnel
à dominante sunnite), de contrôler la représentation des citoyens chrétiens au
Parlement libanais, au détriment des partis chrétiens des Forces libanaises, du
Courant patriotique libre, des Kataeb et des indépendants. C’est donc une
loi archaïque, injuste et anti-démocratique. Cet aveu permet de bien comprendre
les motivations les plus profondes du rapprochement des leaders chrétiens, Geagea-Aoun, qui militent depuis des
années, en vain, pour l’abolition de la loi de 1960, et la ferme résistance des leaders
musulmans, Joumblatt-Hariri-Berri-Nasrallah, depuis 2009, à son remplacement. D'apparence communautaire, le clivage est pourtant déterminé par des intérêts politiques. Rappelons dans
ce sillage, qu’il est impératif de doter
le Liban d’une loi électorale moderne, ma préférence va pour la circonscription uninominale
(à deux tours ou par tirage au sort), qui permettra une bonne représentativité
des citoyens libanais au Parlement, quelles que soient leurs appartenances
communautaires et leurs tendances politiques.
6. « On s’est déjà mis d’accord à Bkerké (siège de l'Eglise maronite; sachant que d'après le Pacte national islamo-chrétien de 1943, le poste de président revient à un citoyen de confession maronite) sur
le fait que le président de la République doit être fort dans son environnement
et accepté des autres environnements. Hariri a choisi de soutenir un candidat
qui répond à ce critère parmi les quatre candidats forts et non en dehors.
Par conséquent, ma candidature prend en compte les deux considérations exigées
aux niveaux chrétien et national, chez tout candidat à la Présidence ».
Foutaises sur toute la ligne ! Junior
et consorts brodent autour de Bkerké sans connaitre les termes exacts de
l’accord, alors que l'intéressé y était. Rappelons aux amnésiques par conviction ou par omission, que le
premier point de cet accord tacite était de laisser passer trois tours
d'élection, pour permettre à chacun des quatre candidats d'évaluer ses chances
de succès. Geagea et Gemayel l'ont fait, pas Aoun et Frangié. L'accord
prévoyait que si aucun des quatre ne parvenait à percer, on passe au second
point, les quatre devaient se désister et se réunir de nouveau pour examiner
d'autres candidatures, en dehors des quatre noms. Là aussi Geagea et Gemayel étaient prêts à le faire pas Aoun et
Frangié. En plus, l'accord exigeait des quatre, d'éviter à tout prix la vacance
présidentielle et de s'engager à assister à toutes les séances électorales. Là encore,
Geagea et Gemayel, l'ont fait. Mais, 32 séances électorales plus tard, les pôles principaux
du 8-Mars, Aoun et Frangié, et le Hezbollah surtout, ont boycotté toutes les
séances électorales et n'ont assisté qu'à la première, où Geagea avait récolté
48 voix, alors que Aoun, Gemayel et Frangié, aucune voix. Donc, normalement, si on avait respecté l'accord
de Bkerké, même partiellement, on aurait évité la vacance présidentielle de 20 mois et la présidence serait revenu à Samir Geagea a priori, ou à Michel Aoun même, mais surement pas à Frangié. Alors, de grâce, il faut zapper une fois pour toutes l’accord
de Bkerké quand on s’appelle Sleimane Frangié ou on envisage de soutenir ce nom.
7. « Aoun considère que je suis comme son
fils. Alors comment peut-il s’allier avec le responsable de la mort de mon
père ». De l’avis
général, l’opération d’Ehden (1978) ne visait pas à tuer Tony Frangié et sa
famille. La victime est morte, cela va de soi. L’exécutant est mort aussi. Les
commanditaires de l’opération du parti des Kataeb sont morts également. Etant blessé avant l'arrivée des troupes au palais,
Samir Geagea fut transporté à l’Hôtel-Dieu avant le drame. Et ce n’est pas
tout. Sleimane Frangié s’est réconcilié à la fois avec l’exécutant et les
héritiers politiques des commanditaires. Les
faits étant ce qu’ils sont, continuer à exploiter cette tragédie sur le plan politique reflète l’immaturité
et la bassesse de ceux qui le font, Sleimane Frangié compris.
8. « Au cours de la 1re réunion avec
Hariri à Paris, j’ai présenté une feuille sur laquelle étaient écrits les
points suivants : élire Sleimane Frangié président de la République,
nommer une personnalité du 14-Mars comme Premier ministre et se retrouver
au milieu du chemin sur les dossiers controversés ». C'est très joli tout cela sauf que c’est bien
vaste une personnalité du 14-Mars et le mi-chemin est une notion bien
subjective. Tenez, je suis curieux de savoir que pensera Junior de la nomination de Fouad Siniora ou d'Achraf Rifi comme futur Premier ministre, et pour le mi-chemin, de fermer hermétiquement la frontière syro-libanaise dans les deux sens et de restreindre la décision de la guerre et de la paix, exclusivement au Conseil des ministres ? Il veut faire le malin, faisons les malins ! Toujours est-il que Frangié ne s’est
engagé concrètement à presque rien, à part son élection. Lol ! Sachant que je ne soutiens pas cette démarche, car le général n'a pas officiellement rompu avec le Hezb et les régimes d'Assad et des mollahs, sans la combattre pour autant, car il existe une chance qu'il le fasse, Geagea a tout de même obtenu d’Aoun qu’il s’engage à : « respecter l’Accord de Taëf
et la Constitution libanaise, sans sélectivité et loin des considérations
politiques et des interprétations erronées, adopter des principes
souverainistes pour les questions régionales et internationales, s’engager à ne
jamais recourir à la violence et aux armes, permettre aux forces armées légales
d’étendre l’autorité de l’Etat libanais seul sur tout le territoire libanais, d’avoir
une politique étrangère indépendante dans le respect du droit international, de
contrôler la frontière syro-libanaise dans les deux sens, de respecter les
résolutions de l’ONU, de mettre en œuvre les décisions prises lors des réunions
de dialogue nationale et d’adopter une nouvelle loi électorale juste et représentative.
» Je ne voudrais pas être sarcastique, mais enfin, je n’ose pas croire
que Saad Hariri risque de se faire arnaquer à ce point !
9. Plus
grave encore, on apprend par le journaliste du Hezbollah que lorsque « le
président du Futur s’est enquis des garanties qu’on ne le renversera pas à l’avenir
(comme ce fut le cas en 2011) », Sleimane Frangié lui a « affirmé que la seule garantie est de
ne pas franchir les lignes rouges politiques ». Comme par exemple,
celle fixée par Hassan Nasrallah au printemps 2007, pour interdire à l’armée
libanaise d’écraser le groupe terroriste Fateh el-Islam, envoyé au Liban par le régime syrien de Bachar el-Assad, et qui s'est retranché dans le camp
palestinien de Naher el-Bared, au
nord du Liban. Le 14-Mars n’en a pas tenu compte. Ce fut l'âge d'or du 14-Mars ! Aujourd'hui, non seulement Saad Hariri n’a
pas réussi à obtenir un seul engagement public, concret et précis du beik de Zgharta,
à part celui portant sur sa propre élection à la présidence de la République,
mais en plus, cheikh Saad pourrait s'engager
lui-même, lasama7 allah kamena, à se ligoter les mains. Alors de deux choses l’une : soit le
beik ment, soit sa franchise lui joue des tours. La première option impose au président du Futur de trancher et de s'exprimer d'urgence sur le sujet. Que veut-il, que fait-il et où va-t-il ? La seconde option nous conduit à chercher la vérité
ailleurs. Et là aussi, de deux choses l’une :
soit Hariri se fait réellement arnaquer par Frangié, et par certains de ses conseillers, et il est de notre devoir patriotique de le mettre en garde, soit le deal entre
Hariri et Frangié, qui doit pour se concrétiser inclure Joumblatt, Berri et Nasrallah,
comporterait des clauses secrètes, portant entre autres, sur le déroulement des élections législatives sous la loi
électorale de 1960, ou une loi apparentée favorable à tout ce beau monde, et sur le lancement de la juteuse extraction de l’or noir au
large du Liban (enfin, surtout le gaz), avec toutes ses retombées financières sur tout ce beau monde ! Inutile de préciser que tout ce qui relève du secret, est source de rumeurs, qui de par leur nature, sont toujours malveillantes.