samedi 23 janvier 2016

De la fuite en avant de Nasrallah, au mutisme de Hariri, à l’hypocrisie de Berri, aux enfantillages de Joumblatt et à l’abjection de Koteich. Tour d’horizon après l’initiative Geagea-Aoun (Art.333)


Trois tweets de Walid Joumblatt à propos de la réunion du bureau
politique du Parti socialiste progressiste suite à l'initiative Geagea-Aoun.

Que l’on soit pour ou contre, ou même neutre, nul ne peut dire que l’intifada du 18 janvier 2016 ne s’inscrira pas dans l’histoire et ne restera pas dans les mémoires. L’initiative Geagea-Aoun ne laisse personne indifférent. Des citoyens aux leaders, de toutes les communautés et tendances politiques, tout le monde au Liban a sa petite idée à ce sujet. En haut de la pyramide, le mutisme des uns, comme Hassan Nasrallah et Saad Hariri, était même plus criant, que l’hypocrisie des autres, comme Nabih Berri et Walid Joumblatt. El-Estèz a décrété que « ce n’est toujours pas suffisant » pour débloquer la situation, alors qu’il y a un mois, il claironnait partout : « Quand on a dit que le problème est maronite, beaucoup de gens nous ont critiqué. Mais la réalité a prouvé que le problème est ainsi. » Hal 3kerit el mwarné, ils t’ont eu, hein ? Quant au second, il continue ses enfantillages sur Twitter. A le suivre depuis un moment, on dirait que le beik de Moukhtara ne sait plus s’exprimer que par des émoticônes. Au passage, entre Michel Aoun et la marionnette de la girouette, Henri Helou, qui en près de deux ans de candidature n’a pas encore juger utile d’ouvrir la bouche, c’est le nouveau général sans la moindre hésitation.

Tayeb. Comme tout le monde, j’ai exprimé clairement mon opinion concernant l’initiative en cours. Je le rappelle avec modestie, l’idée que Geagea et le 14-Mars soutiennent Aoun, je l’ai avancé dans un article datant du 24 mai 2014, càd il y a près de deux ans. Toutefois, je l’avais conditionné à une « mise en scène » publique et comique qui se déroulerait entre Maarab, Rabié et l'église Mar Mikhael, pour prouver clairement aux Libanais, notamment à nos compatriotes de la communauté sunnite, le détachement du Général de l’axe Nasrallah-Assad-Mollahs, condition sine qua non pour faire de lui un candidat consensuel entre le 8-Mars et le 14-Mars. Toujours est-il que si ce détachement n’est pas annoncé urbi et orbi, je ne soutiendrai pas Michel Aoun dans sa course présidentielle. Ma méfiance est évidemment justifiée. Pour paraphraser une célèbre formule française, disons qu’elle l’est parce que « les paroles s’envolent et les gestes restent ». Mais, comme le Général s’est engagé à ce que les dix points « souverainistes » annoncés par Hakim, apparaissent dans son discours le jour où il prêtera serment, je ne la combattrai pas non plus, et pour une raison simple, il existe aujourd’hui, par l’initiative de Samir Geagea, des chances minimes mais non négligeables, de dégager Michel Aoun de l’orbite du 8-Mars et du giron du Hezbollah. Cela dit, avec tout le délire que j’ai lu et entendu au cours de la semaine, il m’est difficile de regarder sans réagir des gens qui continuent comme si de rien n’était, à diffuser leur propagande nauséabonde, pour détourner l’attention de leurs compatriotes du cœur du problème.

Nadim Koteich, n’en a pas encore fini d’enfoncer sa tête dans les sables mouvants de la politique libanaise. Ayant perdu le nord, n’ayant plus aucun sens critique vis-à-vis de son camp-employeur, le Futur, il enchaine désespérément les articles grotesques. Il est aujourd’hui comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Dans son dernier opus « Au-delà du soutien de Geagea à Aoun », publié hier dans le quotidien arabe Asharq al-Awsat, qui est diffusé à 200 000 exemplaires svp, le journaliste du Futur nous explique que la raison principale de ce soutien, réside dans « le besoin de Geagea d’avoir un candidat qui stoppe la forte propulsion politique qui pourrait mener son autre adversaire, Sleimane Frangié, à la présidence ». Notez bien la « forte propulsion politique » ! On croirait lire un communiqué du Baath syrien. Koteich sous-entend, la forte motivation de Hariri dans ce sens, alors que le chef du Futur ne s’est pas encore prononcé publiquement et qu’il ferait bien de le faire de toute urgence. Fidèle à lui-même, au moins ces derniers temps, Koteich déforme de nouveau la réalité, comme ça l’arrange : « A Maarab, l’homme (Geagea) a annoncé son passage de l’identité du 14-Mars, une identité nationale unificatrice..., à une identité chrétienne, et même à la cause chrétienne... qui met sur la table, le projet de révision de l’identité nationale libanaise et de toute la logique de partage avec les Musulmans au sein du régime politique libanais ». Rou7 ya ghadanfar, 2afarta ! Après avoir expliqué à ses lecteurs libanais et arabes, dans un ancien article délirant, en gros, que Geagea, le leader chrétien, était responsable de l’écroulement du 14-Mars, le voilà qui leur explique de nouveau dans un autre article délirant que Hakim, ce leader chrétien, est même responsable de l’écroulement de l’identité libanaise islamo-chrétienne. Bon, Nadim Koteich aurait mieux fait d’arrêter de fumer sa moquette en narguilé et d’écouter consciencieusement ce qui s’est passé et s’est dit à Maarab et de l’analyser d’une manière dépassionnée et réfléchie, au lieu de donner libre cours à des réflexions passionnées et impulsives, comme il le fait de temps à autre depuis « ya chabeb wou ya sabaya, yalla yalla 3al saraya » (octobre 2012).

Dans le paysage politique avant le 18 janvier, les Libanais avaient un Joumblatt, des politiciens du Futur, un Koteich et d’autres défenseurs zélés de la candidature du beik de Zgharta, qui tentaient désespérément de vendre le « produit Frangié », LE fidèle des fidèles du camp « Merci la Syrie des Assad », le 8-Mars, « frère » siamois de Bachar et de Nasrallah, avec comme unique argument, que c’était la seule et dernière chance possible, et une option, « qui n’est pas content n’a qu’à proposer mieux ». Dans le paysage politique après le 18 janvier, les Libanais ont un Geagea soutenant un Aoun, dont les partisans avaient participé massivement à la manifestation historique du 14 mars 2005 contrairement aux partisans de Frangié (Koteich & Co feraient bien de s’en souvenir !), s’est engagé à inclure dans son serment présidentiel, dix points clés du projet du 14-Mars, dont les principaux éléments peuvent être résumés par : « 1. La réaffirmation de la foi en un Liban souverain et libre, et dans la cohabitation islamo-chrétienne. 2. Le respect de l’Accord de Taëf et de la Constitution libanaise, sans sélectivité et loin des considérations politiques et des interprétations erronées. 3. L’adoption des principes souverainistes pour les questions régionales et internationales. 4. Le renforcement des institutions de l’Etat et le recours à la loi, ainsi que l’engagement à ne jamais recourir à la violence et aux armes. 5. Soutenir l’armée libanaise et permettre aux forces armées légales d’étendre l’autorité de l’Etat libanais seul, sur tout le territoire libanais. 6. La nécessité d’avoir une politique étrangère indépendante dans le respect du droit international et l’établissement de relations de coopération notamment avec les pays arabes ; considérer Israël comme un pays ennemi et s’attacher au droit de retour des réfugiés palestiniens. 7. Le contrôle de la frontière syro-libanaise dans les deux sens, en ce qui concerne les armes et les hommes. 8. Le respect des chartes et des résolutions de l’ONU et de la Ligue arabe. 9. La mise en œuvre des décisions prises lors des réunions de dialogue nationale. 10. La nécessité d’adopter une nouvelle loi électorale qui prend en compte la parité réelle (islamo-chrétienne) et la juste représentation (parlementaire), afin de préserver les règles de coexistence, ce qui constituera l'entrée principale pour rétablir l'équilibre dans les institutions de l'Etat. » Personnellement, j’aurai rajouté beaucoup de choses encore, mais, fad7al zameno, Nadim Koteich, peut-il expliquer à ses lecteurs en quoi l’annonce de Samir Geagea de ces dix points constituerait une révision de l’identité libanaise, un renoncement aux principes du 14-Mars, une défense de la cause chrétienne et un rejet du partage avec les Musulmans ? Non mais, il faut choisir une moquette à fumer de bonne qualité ! Hélas, « dans l’abjection, j’y suis, j’y reste », telle est la nouvelle devise de Nadim Koteich.

Parlons peu, parlons bien. Si je me suis arrêté un peu plus longtemps sur cet article de Nadim Koteich, c’est non seulement pour dénoncer son contenu, mais aussi parce que le journaliste travaille pour le Futur, partie prenante de l’échiquier politique, et il est suivi par de nombreux lecteurs libanais et arabes, notamment de confession sunnite. Comme la bataille d’opinion est capitale en politique, il est de mon devoir patriotique de combattre le parasitage des esprits. Les Libanais doivent savoir qu’ils ont actuellement deux problèmes politiques majeurs. L’élection présidentielle, sachant que la vacance est en place depuis plus d’un an et demi (après le 25 mai 2014), et les élections législatives, qui doivent se tenir dans moins d’un an et demi (avant le 20 juin 2017). Tout le reste est secondaire. J’ai bien dit au niveau « politique », car sur les autres plans, « la crise des déchets » par exemple, restera à jamais, la honte de tous les responsables libanais sans exception, notamment ceux qui forment le gouvernement de Tammam Salam.

Et sur ces deux points, certains ne savent plus quoi inventer pour brouiller les esprits, des Libanais en général et des partisans du Futur tout particulièrement, la communauté sunnite. Sur le premier dossier, certains veulent faire oublier l’erreur politique de Saad Hariri et le caractère délirant du soutien du camp Hariri-Joumblatt à la candidature de Sleimane Frangié, le « frère » de Bachar el-Assad et celui qui ne forme « qu’une seule personne » avec Hassan Nasrallah, qui a été l’élément catalyseur de l’initiative Geagea-Aoun. A propos, en classant mes notes, je suis tombé sur cette déclaration très éloquente de Nouhad Machnouk, le ministre libanais de l’Intérieur, un éléphant du Futur, dont un des conseillers nous dit-on n’est autre que Nadim Koteich, datant du 19 décembre 2015 : « Frangié s’est porté candidat à une présidence du réalisme politique sincère ». Appréciez cette langue de bois très explicite pourtant du « réalisme politique sincère ». Plus grave encore, sur le deuxième dossier, certains font l'impossible pour fuir la réalité de cette nécessité absolue de remplacer la loi électorale archaïque actuelle dite loi de 1960, non représentative, qui se trouve être particulièrement favorable au Courant du Futur et au Parti socialiste, et très défavorable aux Forces libanaises et au Courant patriotique libre, mais aussi aux Kataeb, par une nouvelle loi électorale représentative, la circonscription uninominale (à deux tours ou par tirage au sort), qui est au centre du rapprochement entre les frères ennemis, Geagea et Aoun. Tout le reste n’est que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi balad 2art el 7aké. Et pourtant, des gens, comme Nadim Koteich, insistent avec une malhonnêteté inouïe, pour présenter ce différend politique de nature démocratique, plutôt comme un clivage confessionnel de nature identitaire. C’est consternant et c’est abject. Au lieu de renforcer la concorde nationale, certains nourrissent la discorde islamo-chrétienne. Dans tous les cas, ils assumeront les conséquences. Et des conséquences, il y en aura, s’ils insistent sur cette voie dangereuse, et s'ils n’ont pas le courage de regarder la réalité en face et de faire le bon diagnostic.