samedi 16 janvier 2016

La mauvaise nouvelle, c’est la libération de Samaha. La bonne, est que celle-ci enterre le soutien de Hariri à Frangié et du coup, dispense Geagea d’appuyer Aoun (Art.331)


Pour ceux qui ont raté sincèrement le chapitre Samaha, ainsi et surtout, pour ceux qui l’avaient classé déjà, notamment au sein du 14-Mars, et ce n’est pas la peine de balancer les noms dès la première phrase de l’article, je dois une remise en mémoire et cette piqure de rappel.

Michel Samaha est une figure importante du camp qui a défilé sous le slogan « Merci la Syrie des Assad », désigné ultérieurement par le 8-Mars, lors d’une manifestation indécente à cette date en 2005, trois semaines seulement après l’assassinat de Rafic Hariri et de 21 autres personnes, et malgré 29 ans d’occupation du pays du Cèdre par l’armée syrienne. Il a été pris en flagrant délit au mois d’août 2012, de préparation d’actes terroristes avec un arsenal impressionnant, comprenant des grenades, des mines et des revolvers silencieux, mais aussi 24 charges explosives de TNT, composées de 4 charges de 20 kg et de 20 charges de 1 à 2 kg. Les premières bombes, celles de 20 kg de TNT, étaient destinées à commettre des attentats publics. On en a connu des centaines depuis 1975, dont le double attentat à la voiture piégée qui a frappé Tripoli en 2013. Ce fut l'attaque la plus sanglante au Liban depuis la fin de la guerre en 1990. Elle a eu lieu devant deux mosquées sunnites de la ville, à la sortie de la prière du vendredi. Elle a fait une cinquantaine de morts et des centaines de blessés. Les leaders alaouites libanais, la famille Eid, père et fils, qui sont impliqués dans cet acte terroriste, et inculpés svp, sont actuellement en fuite. A ce qu’il parait, ils se seraient rendus, comme par hasard, chez le régime alaouite syrien, avec l’aide des services de Sleimane Frangié, le fidèle des fidèles de Bachar el-Assad, dont Walid Joumblatt en personne, des politiciens de l’entourage de Saad Hariri, comme Nouhad Machnouk, et même des journalistes du Futur TV, comme Nadim Koteich, nous vantaient l’utilité de sa candidature à la présidence de la République, il y a encore quelques semaines. Les secondes bombes devaient servir à l’élimination ciblée de personnes, par l’explosion de leurs propres voitures. On en a connu des dizaines de ces actes odieux et lâches, surtout depuis la seconde indépendance de la Syrie le 26 avril 2005. Ils n’ont touché, comme par hasard, que des personnalités souverainistes du 14-Mars, anti-Assad, dont l’écrivain Samir Kassir (tué), le politicien Georges Haoui (tué) et la journaliste May Chidiac (gravement blessée). Il est intéressant de préciser que les explosifs confisqués chez Michel Samaha sont de même nature que ceux qui ont visé ces trois personnalités, là aussi, comme par hasard. Quant aux revolvers silencieux, ils étaient destinés à la liquidation discrète. Dans tous les cas, la liste précédente n’était pas exhaustive, comme l’a dit le terroriste lui-même : « Quand je monterai (en Syrie), j’en ramènerai encore ».

Grâce à des vidéos enregistrées à l’insu de Michel Samaha et aux aveux propres du chef de projet terroriste lui-même, les Libanais ont eu accès pour la première fois de leur histoire tragique, à la « tête » d’un de ces terroristes qui ont ensanglanté le Liban et endeuillé ses citoyens 1001e fois en 40 ans de guerre. On comprend de ces vidéos et aveux, qui vous glacent le sang, que Bachar el-Assad, le chef du régime syrien, a dû donner l’ordre à Ali Mamelouk, le responsable syrien de la sécurité du régime, et à Michel Samaha, sbire libanais du régime, de préparer 4 grands attentats terroristes au véhicule piégé au Liban et d’assassiner plus d’une vingtaine de personnalités libanaises. L’objectif syrien était triple.

Primo, éliminer physiquement les personnes gênantes, « tous ceux qui entravent le régime syrien » au Liban, comme l’a déclaré Samaha lui-même. Dans les enregistrements, Samaha accuse d’ailleurs l’armée libanaise de couvrir le trafic d’armes entre le Liban et la Syrie et traite de « fils de pute », le président de la République libanaise, Michel Sleimane, et le Premier ministre, Najib Mikati. En tout cas, c’est dans ce cadre précis qu’il faut se remémorer les déclarations de Sleimane Junior, deux semaines seulement après l’assassinat du chef des Renseignements libanais des FSI en octobre 2012. « Pourquoi Imad Moughnieh n'est pas considéré comme un martyr alors qu'il est mille fois plus important que Wissam el-Hassan?... Peut-être il (Hassan) a été tué à cause de l'arrestation de Samaha (deux mois et demi auparavant)... c'est peut-être Israël... La Syrie a mille raisons de tuer Wissam el-Hassan... c'est la règle du jeu pour qui se mêle de la sécurité, notamment en ce qui concerne la chute du régime syrien ». Une chose est donc sûre et certaine, Wissam el-Hassan était en haut de la liste de ceux qui entravent le régime syrien au Liban, puisque c’était lui qui avait procédé au démantèlement de la cellule terroriste syrienne de Michel Samaha.

Secundo, semer la terreur au Liban. Michel Samaha dit dans un des enregistrements, « Ils (les Syriens) avaient préparé une livraison (explosifs) qui demandait un van ». C’est pour dire l’ampleur du projet terroriste concocté par Bachar el-Assad pour le Liban. Les attentats prévus par les terroristes libano-syriens visaient en priorité les rassemblements sunnites libanais et syriens au Nord-Liban, même si cela devait passer par l’assassinat de civils lors des repas de ramadan (de toutes confessions mais, comme le précise le chef de projet terroriste, « ils (la tyrannie alaouite des Assad) ne veulent pas que des Alaouites (soient tués) »), de députés de la nation, dont Khaled el-Daher, et d’hommes religieux (comme il dit, « tant pis pour eux, comme ça, ils n’assisteront plus (aux iftars) »), dont le mufti sunnite de Tripoli et du Liban-Nord, Malek Chaar. Le projet criminel de Bachar el-Assad visait aussi le patriarche maronite, Bechara Raï, lors de sa visite de cette région mixte du nord, où cohabitent des communautés sunnites et chrétiennes.

Tertio, installer la discorde entre les Libanais, en déclenchant des troubles confessionnels au Liban, entre les Sunnites et les Chiites, mais aussi entre les Musulmans et les Chrétiens, dans le but de justifier la propagande de la tyrannie des Assad et du Hezbollah, mise en place depuis le début de la révolte syrienne en 2011, prétendant que le régime alaouite syrien et la milice chiite libanaise combattent les djihadistes sunnites libano-syriens, qui visent sans distinction les Libanais et les Syriens.

Toujours est-il qu’à la surprise générale et malgré des faits accablants pour Michel Samaha, la peine judiciaire contre le chef libanais du projet terroriste syrien, n’a été que de 4 ans et demi de prison. Il n’empêche que ce Corleone à 5 piastres est pourtant bel et bien condamné par le Tribunal militaire d’avoir projeté « mener des actions terroristes au Liban et d'appartenir à un groupe armé ». Ali Mamelouk n’a pas répondu à l’appel de la justice libanaise et Bachar el-Assad n’a jamais été entendu dans cette affaire criminelle alors qu’il en est le principal instigateur. Vous trouverez tous les détails sur ce dossier, comprenant les vidéos accablantes et leur transcription, dans l’article que j’ai rédigé à ce sujet au mois de mai, à l’annonce du verdict allégé contre « l’homme aux figues de Barbarie ». Tout un destin.

Parlons peu, parlons bien. Je l’ai dit à l’époque, je persiste, je signe et je vais même plus loin.

1. L’essentiel n’est pas dans la peine prononcée, élément qui est de toute façon subjectif, mais dans la condamnation explicite et sans appel de Michel Samaha pour « terrorisme » et sa déchéance de ses « droits civiques ». Donc, la question aujourd’hui est de savoir qui des politiciens du 8-Mars osera encore s’afficher aux côtés d’un « terroriste » officiellement reconnu, titre décerné par la juridiction militaire ? Rappelons aussi dans ce cadre, tout à l’honneur du Tribunal militaire, que même s'il n'a pas été entendu, le juge d’instruction avait requis en février 2013 la sentence maximale, la peine de mort, contre le maitre d’œuvre terroriste car « Michel Samaha avait l'intention de faire usage des explosifs saisis dans sa voiture (...) mais les attentats n'ont pas eu lieu pour des raisons indépendantes de sa volonté ». Nuance.

2. La bataille est loin d’être terminée. Il faut continuer à faire pression pour que le jugement de Michel Samaha, qui est cassé en appel, soit revu et corrigé, afin que la sentence finale soit alourdie.

3. C’est à la communauté chiite libanaise et au Hezbollah, d’être le plus révoltés par la condamnation allégée de Michel Samaha et c’est à eux qu’il revient de réclamer le plus, l’alourdissement de la peine. Si le projet terroriste libano-syrien avait pu être exécuté, notamment dans son volet anti-sunnite, c’est le Hezbollah qui aurait été accusé en premier, comme pour Rafic Hariri, et c’est la communauté chiite qu’on aurait blâmée en second, de soutenir massivement et sans réserve le parti chiite.

4. Qu’on ne se trompe pas de cible. Le problème n’est pas dans le caractère « militaire » de ce tribunal d’exception, ou même dans le fait qu’il serait sous l’influence du Hezbollah, autant qu’il est dans les « pressions » exercées sur ceux qui sont censés rendre justice dans notre pays, qu’ils soient civils ou militaires. Et comme les premiers sont forcément plus sensibles à ces pressions que les derniers, je suis contre l’abolition hâtive et irréfléchie du Tribunal militaire réclamée par certaines personnes impulsives, comme Okab Sakr par exemple, qui ferait mieux de rester sur son vœu de silence. Dans l'état actuel des choses, un tribunal civil pourrait faire pire au Liban ! D'ailleurs, il faut savoir que le président de l'autorité pénale de la Cour de cassation militaire qui a ordonné la libération de Michel Samaha, Tany Lattouf, et qui faisait pression sur les autres juges dans ce sens, est le seul civil d'un groupe de cinq personnes. Le pays n’étant pas encore prêt, il faut plutôt chercher à réformer le Tribunal militaire plutôt qu’à le supprimer.

5. Cette condamnation et cette libération ont l’immense mérite de souligner la difficulté de rendre ‪‎justice avec justesse dans nos contrées d'Orient et de clore définitivement le débat sur lutilité du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL). Si le 14-Mars n’avait pas réussi à imposer une enquête internationale, les cinq membres du Hezbollah poursuivis par le TSL pour le meurtre de l’ancien Premier ministre du Liban, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes, et élevés par la milice chiite au rang de « saints », se promèneraient sur la corniche de Raouché et donneraient aujourd’hui des conférences sur « l’héroïsme de la résistance » aux quatre coins du Liban.

6. La libération de Michel Samaha devrait mettre un terme à l’abjection de la candidature de Sleimane Frangié. Pour bien comprendre pourquoi, il faut remonter au 6 mai 2015. Une semaine avant le verdict allégé sur Michel Samaha, Walid Joumblatt avait révélé devant le TSL et sous serment, que l’homme qui allait devenir quelques mois plus tard, le candidat chouchou de Joumblatt, Hariri, Koteich et quelques politiciens du Futur, s’était comporté après l’assassinat de Rafic Hariri en 2005, comme un « chef de gang menaçant ». On sait aussi, que Sleimane Frangié pourrait être impliqué dans l’évasion des Eid, chez les Assad, après le double attentat qui a frappé les deux mosquées de Tripoli à l’été 2013. Le beik de Zgharta avait même trouvé des justifications à l’assassinat de Wissam el-Hassan en 2012 (voir la déclaration plus haut).

Pire encore, moins d’une semaine après l’arrestation de Michel Samaha le 9 août 2012, Sleimane Frangié, qui a été le premier pôle du 8-Mars à briser le silence de ce camp après la mise au grand jour du projet terroriste libano-syrien, ne savait plus quoi inventer pour innocenter son « ami » et son « frère », Bachar el-Assad, et dédouaner Michel Samaha. « Mais enfin, la Syrie n’a-t-elle pas d’autres personnes que Michel Samaha pour le charger de mettre des explosifs dans les régions (libanaises) ?... L’histoire de Samaha vise peut-être à retourner les Chrétiens contre le régime syrien ». Alors que le terroriste Samaha avait avoué qu’une des bombes devait viser le patriarche de la communauté chrétienne maronite, Bechara Raï, lors de sa visite dans le Akkar (région sunnite-chrétienne, et ceci dans le but d’accuser les Sunnites), Sleimane Frangié a eu le culot de rajouter, « je crains pour la vie du patriarche Raï et je rends les services de sécurité, Achar Rifi (chef des Forces de sécurité intérieure) et Wissam el-Hassan (chef des enseignements des FSI) responsables dans ce domaine (sur sa vie) », sachant que ce sont Achraf Rifi et Wissam el-Hassan précisément qui ont empêché Michel Samaha de mettre en œuvre le projet terroriste syrien de Bachar el-Assad. Le délire ! Rajoutez à cela, que le président de l'autorité pénale de la Cour de cassation militaire, Tany Lattouf, qui a ordonné la libération de Michel Samaha est, comme par hasard, originaire de la région de Zgharta, comme Sleimane beik. Et ce n'est pas tout, alors que la Cour qui est composée de cinq juges, était divisée à ce sujet, il parait que c'est lui, le seul civil, qui s'est montré fervent partisan de cette remise en liberté du "conseiller" de Bachar. Enfin, tout cela pour souligner à quel point Sleimane Junior est fidèle à la tyrannie des Assad.

Or, qui connait bien le Liban sait que le scandale Samaha est avant tout une affaire de « pressions » et non de Tribunal militaire. Pour que les pressions soient efficaces et produisent les effets escomptés, il faut qu’elles émanent de « fidèles » qui font partie des rouages du pouvoir. Et nous voilà au cœur du problème. Je ne rentrerai pas dans le jeu, « qui est proche de qui » au sein du tribunal militaire, pour moi toute la campagne contre le Tribunal militaire est un hors sujet. Mais, aujourd’hui, comme beaucoup de Libanais, je me pose une question toute simple : à quoi s’attendent les défenseurs zélés de la candidature de Sleimane Frangié -de Walid Joumblatt à Nadim Koteich, en passant par Saad Hariri et Nouhad Machnouk- en plaçant à la tête de l’Etat libanais, « un chef de gang menaçant », qui se considère comme le « frère » du tyran de Damas et qui ne forme « qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah », qui a accablé Wissam el-Hassan et dédouané le duo Assad-Samaha dans le scandale des 24 charges explosives ? Je vais vous le dire à quoi. A une République bananière, dominée par la tyrannie des Assad et la milice du Hezbollah, où l’on regrettera un jour, « l’impitoyable sentence » prononcée contre un dénommé Michel Samaha. Pathétique.

7. Allons plus loin. On nous dit que Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises, qui boxe dans la catégorie des « poids lourds », est sur le point de retirer sa candidature à la présidence de la République libanaise afin de soutenir celle de Michel Aoun, l’ex-chef du Courant patriotique libre, un autre « poids lourd ». L’objectif étant double, coincer le Hezbollah, en prouvant à Michel Aoun que son allié ne veut pas de lui, et rendre la candidature de Sleimane Frangié, qui boxe dans la catégorie des « poids mouches », caduque. Aujourd’hui, avec la libération de Michel Samaha, Samir Geagea n’a plus besoin de ce procédé tarabiscoté pour parvenir à ses fins. Et comment peut-il en être autrement ? On s’offusque de la libération du « conseiller » de Bachar el-Assad, qui de toute évidence aura à l'avenir un rôle marginal à jouer après avoir démontré qu'il n'est qu'un tocard, mais on s’agite pour mettre à la tête de l’Etat libanais, le « frère » du tyran de Damas, qui n’a jamais raté une occasion pour voler à la rescousse du régime syrien, et qui a fourni, à en croire Achraf Rifi, le ministre libanais de l’Intérieur, des armes aux milices libanaises alaouites de Tripoli. Ça ne tient pas la route. Michel Aoun et Sleimane Frangié apparaissent aujourd'hui comme des dommages collatéraux de la libération de Michel Samaha. La présidence de la République ne peut pas aller à quelqu'un du 8-Mars sous aucun prétexte.

Ce grain de délire, que Geagea allait soutenir Aoun, a émergé dans les esprits de ceux au sein des Forces libanaises qui voulaient se venger de Saad Hariri, de les avoir poignardé dans le dos avec la candidature de Frangié, et ceux au sein du Courant du Futur, qui voulaient rendre la trahison des principes du 14-Mars et leur choix de Frangié plus acceptables. La candidature du beik de Zgharta est morte, non de sa belle mort mais parce qu’elle était un projet abject, mort-né dès le départ. La libération de Samaha est venue nous le rappeler amèrement. Celle-ci devrait a priori, remettre les pendules des hommes politiques libanais à l'heure. Affaire à suivre.