dimanche 30 octobre 2016

Qui veut barrer la route à Michel Aoun, peut tout faire SAUF « voter blanc » (Art.397)


Avouez que l'imminence d'une éventuelle élection de Michel Aoun comme 13e président de la République libanaise mérite bien une trilogie. Cet article est le 3e et le dernier volet sur la question. Je le justifie par le fait qu'il me semble que certains députés libanais méconnaissent gravement la Constitution du pays du Cèdre. Je vais donc prendre un peu de temps à quelques heures du scrutin, pour leur expliquer quelques points importants qui y figurent, avant qu'ils ne s'engagent avec leur voix à la légère et n'engagent le Liban sur une voie hasardeuse.

D'abord, un mot sur le boycott. Il n'y a aucune référence dans la Constitution libanaise ni sur la mythologie du « droit de boycott » des séances parlementaires de l'élection présidentielle, ni sur le quorum nécessaire pour les valider. Yi ma3'2oul et pourquoi? Eh bien, parce que les Pères fondateurs n'ont pas imaginé la moitié d'un quart de seconde que 88 ans après la mise en place des fondations de la République libanaise, que des enfants de la patrie, décideront heik 3azaw2oun arbitrairement, de ne pas participer à l'élection du chef de l'Etat. Wou mech enno marra aw tnein, 44 fois svp ! A l'arrivée, nous avons eu deux ans et demi de boycott, ainsi que 890 jours de vacance du pouvoir présidentiel. Et comble du surréalisme politique, des ex-souverainistes, qu'ils le veuillent ou pas, ont fini par leur donner raison indirectement. Et ce qui me dérange au plus haut degré dans cette histoire absurde, ce n'est pas seulement cette méprisable prime au boycott qu'ils ont accordée, c'est le fait que les boycotteurs attitrés de la République libanaise, les députés de Michel Aoun et de Hassan Nasrallah, ne semblent rien regretter et sont naturellement disposés à recommencer. Politique pathétique, bienvenue au Liban.

Passons ensuite sur le quorum. Le Parlement libanais compte au grand complet 128 députés. Le quorum de l'élection présidentielle est fixé arbitrairement à 2/3. Ceci signifie que 86 députés doivent être présents dans l'hémicycle pour déclarer la séance électorale ouverte. Cette question a fait couler beaucoup d'encre au Liban depuis la vacance de 2007-2008. Il n'empêche que je suis plutôt d'accord avec Nabih Berri sur son approche constitutionnelle à ce sujet et ceci pour diverses raisons. D'une part, parce que l'élection du président de la République n'est pas un acte parlementaire ordinaire dans un pays ordinaire et qu'on peut faire passer à la majorité ordinaire. C'est discutable, je l'avoue. D'autre part, à mon humble avis, le chef de l'Etat libanais doit bénéficier d'une légitimité islamo-chrétienne pour exercer ses fonctions au Liban. Celle-ci ne peut être acquise que par la présence des 2/3 des députés libanais, au moment de l'élection, toutes appartenances communautaires et tendances politiques confondues. Les Pères fondateurs étaient bien conscients qu'à une époque où les communautés chrétiennes dominaient sur le plan démographique et parlementaire, cette disposition devait permettre aussi d'éviter que les députés chrétiens ne puissent élire un président sans le consentement des députés musulmans et contre leur gré. Aujourd'hui, nous sommes exactement dans une situation inversée. C'est entièrement dans l'esprit du Pacte national de 1943. Tout est imaginé pour renforcer la confiance mutuelle, la cohabitation communautaire et l'entente entre les Chrétiens et les Musulmans. C'était ainsi et ça doit le rester, ad vitam aeternam.

Abordons enfin, l'élection présidentielle proprement dite. Pour que Michel Aoun soit élu dès le 1er tour, il faut qu'il obtient « la majorité des 2/3 des suffrages ». Aux tours suivants, « la majorité absolue suffit » pour obtenir le Graal. Dans tous les cas de figure, ce que certains députés et même des journalistes ne savent pas, c'est que les deux notions de "suffrages" et de "majorité absolue" renvoient plutôt aux suffrages exprimés et qu'au nombre total de députés, présents et absents. Il y a là une nuance aux nombreuses conséquences. 

D'une part, les bulletins doivent être valides. Pas de gribouillage sur le papier évidemment. On ne peut pas noter par exemple la liste des courses, la recette des brownies ou le numéro de téléphone du coiffeur du collègue de gauche. Il faut inscrire le nom du candidat sans fioritures. Pas de petits cœurs de circonstance et je ne sais quoi d'autres. Pas de noms de défunts non plus, comme l'auraient fait des députés du parti de Michel Aoun lors de la 1re séance électorale en avril 2014, qui ont inscrit les noms de Rachid Karamé et Tony Sleimane Frangié (deux personnalités dont l'assassinat est attribué par les intéressés à Samir Geagea). Montrez par ailleurs, son vote à la caméra, comme l'a souhaité le chef du Hezbollah, pour prouver que ses députés veulent vraiment Michel Aoun, est impossible. Une telle imprudence invalide les bulletins. Ni les fatwa de Nabih Berri, comme la « législation de nécessité » (techri3 el daroura), ni même le « règlement du Parlement » (qanoun el majliss), comme l'a affirmé Hassan Nasrallah dimanche dernier dans son discours, ne peuvent rendre l'astuce possible. Ce n'est pas parce que Bakhos Baalbaki et ses friends veulent installer le doute dans les esprits des sympathisants de Michel Aoun (sur le fait qu'au fond, cela fait deux ans et demi que le Hezb ne veut ni de président ni du Général et ce n'est que récemment après la "transaction politicienne" qu'il a changé d'avis), mais tout simplement parce que l'action est anti-constitutionnelle puisque l'élection présidentielle libanaise se déroule selon un mode de « scrutin secret », comme le précise l'article 49 de la Constitution.

D'autre part, et là je prie les députés frondeurs d'ouvrir bien leurs pupilles. Les bulletins blancs ne peuvent pas être comptabilisés dans l'élection présidentielle, au Liban comme ailleurs. C'est comme s'ils n'ont jamais existé. Les députés qui voteront blancs sont donc pour une grande partie hypocrites. C'est le cas de Sleimane Frangié et ses friends. Les autres, les sincères, ignorent les conséquences désastreuses de ce qu'ils s'apprêtent à faire. Non seulement leur vote n'y changera rien, mais pire encore, il permettra à Michel Aoun d'avoir de bonnes chances d'être élu dès le 2e tour, voire même le 1re tour. Eh oui ! Mais pourquoi donc ? Explications.

Comme je l'ai précisé plus haut, une fois qu'on a passé le 1er tour, où il faut recueillir 2/3 des suffrages pour aller décorer la route de Baabda avec des guirlandes oranges, Michel Aoun peut être élu dès le 2e tour à la majorité absolue, soit la moitié des bulletins conformes plus un, à l'exclusion de tous les votes blancs et non validés. Cela étant dit, pour mieux comprendre le piège du vote blanc, deux exemples concrets et réalistes.

Premier cas de figure. Allez, supposons que les 127 députés seront présents au Parlement ce lundi et imaginons un 2e tour dont le dépouillement donnera les résultats suivants : 0 bulletins « Vote blanc », 51 bulletins « Michel Aoun »29 bulletins « Samir Geagea », 24 bulletins « Dory Chamoun », 19 bulletins « Sleimane Frangié », 3 bulletins « Henri Helou » et 1 bulletin « Bakhos Baalbaki ». La majorité absolue étant fixée d'après la Constitution à (127 bulletins valides ÷ 2) + 1 = 65 voix, Michel Aoun n'est pas élu. Bon, il piquera une grave crise de nerfs et dira aux députés ce qu'il a déjà asséné à maintes reprises dans le passé, comme au cours de cette conférence de presse agitée du 7 juillet 2015 : « Si vous (les députés autoprorogés) aviez une once de dignité, vous démissionneriez et vous rentreriez chez vous... La majorité actuelle n'a pas le droit d'élire le président... Tout le Parlement est illégal... Nous devons élire de nouveaux députés et c'est à eux qu'il reviendra d'élire le nouveau président de la République... Qui leur (les députés actuels, càd ceux qui se rendront place de l'Etoile ce lundi à midi pour l'élire!) a donné le droit de dire qu'il faut élire le président d'abord? C'est une honte. » Eh oui, c'est le Général dans toute sa splendeur !

Prenons maintenant un autre exemple, un 3e tour avec un dépouillement donnent les résultats suivants : 22 bulletins « Vote blanc », 51 bulletins « Michel Aoun »29 bulletins « Samir Geagea », 19 bulletins « Sleimane Frangié », 4 bulletins « el-Général », 2 bulletins « Tarattatta », 1 bulletin « La liste de courses de lundi soir de Gilberte Zoueine » et 1 bulletin « Qu'est-ce que je me suis manqué au cours de ces six dernières années? Okab Sakr ». Les bulletins blancs et les bulletins non conformes, soit au total 30 papiers, seront mis à la poubelle comme le veut la Constitution. La majorité absolue étant alors déterminée par la moitié des votes exprimés et valides plus un, soit (97 ÷ 2) + 1 = 50, Michel Aoun est élu président de la République libanaise, avec le même nombre de voix que le premier exemple, grâce aux génies du vote blanc, qui ont rendu l'impossible possible.

Par conséquent, qui veut sérieusement barrer la route à Michel Aoun, peut tout faire SAUF voter blanc ou gribouiller sur son bulletin de vote. Théoriquement, c'est possible. Mais en pratique, est-ce qu'il y a encore des députés qui veulent le faire ? Tant pis, chacun assumera son vote et à bon entendeur, salut ! Et avant que je n'oublie, mes salutations distinguées à ces députés à l'hypocrisie débordante, qui veulent sauver la face avec le subterfuge politique grotesque du « vote blanc ». 

Post-scriptum

Nulle part dans la Constitution libanaise qui établit le cadre légal de l'élection présidentielle au Liban, notamment l'article 49, il n'est écrit qu'on doit tenir compte du « nombre total des membres du parlement » pour valider l'élection au 1er tour et aux tours suivants. Qu'elle fut grand ma surprise, de découvrir qu'il s'agit des usages et non du texte constitutionnel.

Voici l'alinéa de l'article 49 qui aborde le sujet et qui remonte à la Constitution de 1926 et que l'on retrouve naturellement sur le site internet de la Présidence de la République libanaise. « Le Président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers des suffrages par la Chambre des députés. Aux tours de scrutins suivants, la majorité absolue suffit. » Donc, au 1er tour on parle de « suffrages ». Or, les suffrages ce sont des votes exprimés, respectant les règles, et non les députés, présents et absents. Au 2e tour, on parle de « majorité absolue ». Or, il est communément admis dans toutes les législations du monde, que la majorité absolue se réfère à 50%+1 des suffrages exprimés, càd des votes valides, qui ne tiennent pas compte des votes blancs.

Ainsi, une question s'impose et nous laisse dans le désarroi le plus total : est-ce que les dirigeants libanais interprètent mal la Constitution libanaise depuis que celle-ci existe? Dans tous les cas, la conclusion est évidente : on a encore un problème d'interprétation arbitraire de la Constitution libanaise, qu'il va falloir tirer au clair et au plus vite.