vendredi 4 novembre 2016

Former un gouvernement en décembre, sachant que des élections législatives doivent avoir lieu avant juin, est une duperie du peuple libanais et un gaspillage de l'argent public (Art.399)


Ra7et el sakra wou ejit el fekra. Il est de coutume d'accorder à tout nouveau pouvoir, un délai de grâce de 100 jours. Hehehe, ça, c'est dans un pays normal où le pouvoir est élu démocratiquement et non désigné lors d'une entente comme c'est le cas au pays du Cèdre. Après le boycott de 44 séances électorales et 890 jours de vacance du pouvoir présidentiel au Liban, orchestrés par le trio Hassan Nasrallah, Sleimane Frangié et Michel Aoun, vous pensez bien que c'est une « transaction politicienne » entre les leaders politiques libanais qui a débloqué la situation. En toute logique, si ces dealers étaient sincères, l'embellie avec laquelle on bassine ce peuple depuis la nuit des temps, devrait apparaître comme un éclair. Accordons donc au nouveau pouvoir, un délai de grâce de sept jours qui permettra de renvoyer les mythologies des uns et autres, des ex-14Mars et des ex-8Mars, aux calendes grecques. C'est un délai plus que suffisant pour que les « tarattatta-général » et les « attendons-de-voir » dessoûlent et retrouvent la gueule de bois, afin que nous puissions tous nous mettre au travail et passer aux choses sérieuses.

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Pour savoir où nous en sommes, à l'aube de cette nouvelle ère, si prometteuse pour les uns et si décevante pour les autres, je vous propose un regard externe sur les événements via une revue de la presse internationale de la semaine écoulée.

- « Michel Aoun élu à la présidence, une victoire par défaut du camp pro-iranien », Le Monde (France)
- « Liban: Michel Aoun, l’allié du Hezbollah, élu président de la République », RFI (France)
- « Liban : Aoun président au prix de concessions au Hezbollah », Le Figaro (France)
« Michel Aoun, un ex-général controversé à la présidence libanaise », L'Express (France)
« Liban: le nouveau président Michel Aoun, retour d'un général disgracié », BFM (France)
- « Michel Aoun, ex-général controversé et nouveau président du Liban », Paris Match (France)
- « Liban: Washington salue du bout des lèvres le président Aoun soutenu par le Hezbollah », Libération (France)

« L'élection de Michel Aoun ou le succès de la diplomatie iranienne », Les lettres persanes (France-Iran)

- « Iran ally Michel Aoun elected as president of Lebanon », The Guardian (UK)
- « Here are some facts about Lebanon's new president and Hezbollah ally Michel Aoun », Business Insider (UK)
- « Lebanese lawmakers pick Hezbollah ally Michel Aoun to end presidential logjam », The Washington Post (USA)
« Lebanon elects christian Hezbollah ally Michel Aoun to help end political vacuum », Newsweek (USA)
« Can newly elected 81-year old Michel Aoun invigorate Lebanon?
 », RT (Russia)
- « Lebanon's new president Michel Aoun does not signal start of a new era », ABC (Australia)
- « Hezbollah Ally Michel Aoun Elected President of Lebanon After Two-year Political Deadlock », Haaretz (Israel)
« Assad et Rouhani félicitent Michel Aoun pour son élection au Liban », The Times of Israël (Israël)
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Avant que quelques exaltés ne pètent une durite, je tiens à le rappeler encore une fois, pour qu'il n'y ait pas de malentendus. J'étais la première personne au Liban en dehors du camp du Général, à suggérer dans un article publié la veille de la longue vacance, le 24 mai 2014, il y a deux ans et demi, « Et si le 14-Mars remplaçait Samir Geagea par Michel Aoun ? » A la différence de Samir Geagea et de Saad Hariri, j'avais conditionné cette proposition au détachement de Michel Aoun de son alignement sur l'axe Hezbollah/régime d'Assad/régime des mollahs, justement dans le but d'éviter de tels titres de presse aussi handicapants pour un nouveau pouvoir. Tant pis pour ceux qui n'ont rien voulu entendre, ils les ont bien cherché.

Si je me suis donné la peine de publier cette revue de presse, c'est pour bien montrer aux Libanais que l'estampille « Président fabriqué au Liban » apposée par Samir Geagea sur l'élection de Michel Aoun, est déconnectée de la réalité et ne veut absolument rien dire étant donné le passif de son encombrant et nouveau allié, depuis son alliance avec le Hezbollah en 2006 et son obstination inouïe à défendre la milice chiite en toutes circonstances. Et combien même, être fabriqué au Liban n'est pas un gage de qualité. Les actions et les paroles dans la vie sont parfois indélébiles. Certains Libanais ont peut-être pardonné au président élu, le blocage du fonctionnement de la démocratie libanaise (183 jours en 2007-2008 et 890 jours en 2014-2016) et ses réflexions déplacées sur les martyrs de la Révolution du Cèdre (une quinzaine de personnalités souverainistes qu'on a assassinées ou tentées d'assassiner entre 2004 et 2013) -pour se limiter à ces deux exemples- mais beaucoup ne les ont pas oublié.

Les protagonistes du nouveau pouvoir libanais, qui se met en place pour quelque temps sont a priori connus, sauf grande surprise. Celui-ci inclura tout l'échiquier politique libanais, à l'exclusion de quelques personnalités politiques souverainistes indépendantes, comme Achraf Rifi, Boutros Harb et Dory Chamoun. A ce stade de la mascarade, une frange de Libanais comme moi, qui n'est pas née de la dernière pluie, n'a que faire des nuances qui peut réellement exister entre les uns et les autres. Aoun, Hariri, Berri, Geagea, Joumblatt, Frangié, Gemayel et Nasrallah, sont solidairement responsables de ce nouveau pouvoir qui se met en place, et ceci de plusieurs manières: en votant pour Michel Aoun comme président de la République (83 voix/127 députés), en désignant Saad Hariri comme Premier ministre (110 voix/127 députés), en acceptant de faire partie de son gouvernement (Hezbollah et Kataeb compris), en reconduisant Nabih Berri au perchoir ad vitam aeternam (de 1992 à 2017 et c'est bien parti jusqu'en 2021) et en faisant partie des grands blocs parlementaires. En d'autres termes, qui ne veut pas être associé au nouveau pouvoir doit se placer clairement dans l'opposition aux trois majorités formées autour de Michel Aoun, Saad Hariri et Nabih Berri. Qu'il y ait un gouvernement d'union nationale ou pas, cela ne change rien à l'équation : qui appartient à l'une de ces trois majorités, fait partie du nouveau pouvoir et devra répondre de ses actes devant le peuple libanais.

Cela étant dit, qui suit l'actualité libanaise depuis une semaine, ne peut qu'être frappé par le dynamisme aussi subit que suspect de la classe politique libanaise. Décoration des fenêtres du palais présidentiel le weekend dernier (avec des guirlandes oranges), élection présidentielle lundi (au grand complet, avec la participation exceptionnelle, comme on dit au cinéma, d'Okab Sakr), emménagement de Michel Aoun à Baabda mardi (avec toutes ses affaires, les vêtements, les sur-vêtements et les sous-vêtements), consultations parlementaires mercredi (seul le Hezbollah n'a pas nommé Saad Hariri), désignation officielle du Premier ministre jeudi (qui revient au pouvoir près de six ans après le coup de force du Hezbollah en janvier 2011). Ah non, pas de formation du gouvernement vendredi , ni ce weekend, ni la semaine prochaine d'ailleurs. Avant Noël peut-être. Et encore, ça sera un miracle. Et en y réfléchissant bien, c'est là que réside le premier faux pas du nouveau pouvoir.

Allez, suivez-moi un peu et vous vous rendrez compte vous-même du surréalisme de la situation politique au Liban. Toute la classe politique libanaise, sans une seule voix dissonante, s'est lancée dès le 1er novembre 2016 dans la formation d'un nouveau gouvernement, sachant que : primo, une élection présidentielle n'impose pas un changement de gouvernement sur le plan constitutionnel ; secundo, la formation d'un gouvernement s'éternise toujours au Liban; et tertio, des élections législatives doivent impérativement avoir lieu avant le 20 juin 2017. Hallucinant ! Former un gouvernement maintenant, alors que la Constitution ne l'exige pas, sachant qu'on aura à refaire la même chose dans quelques mois, comme l'exige la Constitution, est complètement absurde. Mais alors, pourquoi ils le font ?

Je ne vois que deux explications aussi consternantes l'une que l'autre :

- soit la classe politique libanaise veut se partager le nouveau gâteau en nommant de nouveaux ministres, en plaçant de nouveaux copains et de nouveaux fidèles, sans oublier de les accompagner de hordes de nouveaux fonctionnaires et de nouveaux conseillers, ainsi que de nouveaux glandeurs et de nouvelles glandeuses, mais aussi de nouveaux glandouilleurs et de nouvelles glandouilleuses, sachant qu'anciens et nouveaux ministres, pourraient bénéficier d'une retraite à vie selon les cas et la législation grotesque d'un pays endetté à hauteur de 74 milliards de dollars (146% du PIB) et dont les dépenses publiques dépassent les recettes de 263 millions de dollars (déficit public);

- soit la « transaction politicien » que j'ai évoquée il y a quelques jours, qui a permis cette entente inattendue autour de Michel Aoun, prévoit vraiment comme je l'ai déjà dit, une 3e prorogation du mandat du Parlement autoprorogé actuel, et que le gouvernement en formation aurait une espérance de vie supérieure à neuf mois.

L'une n'empêchant pas l'autre, cela va sans dire. Non mais, ils sont vraiment gonflés ! Mais enfin, voilà ce qui arrive lorsqu'un peuple se laisse faire sans protester. C'est tout simplement scandaleux.

Et comment peut-il en être autrement sachant que le gouvernement de Tammam Salam peut très bien expédier les affaires courantes encore six mois, après deux ans et demi de vacance du pouvoir présidentiel. Mais diable! si les leaders-dealers politiques libanais étaient sincères avec le peuple libanais, et se préoccupaient tellement des intérêts du Liban, comme ils le prétendent, ils procéderaient par trois étapes: le vote d'une nouvelle électorale, la dissolution de l'Assemblée autoprorogée et l'organisation de nouvelles élections législatives. Tout ce qui est en dehors de ça, n'est que poudre aux yeux, gaspillage de l'argent public, violation de la démocratie et duperie du peuple libanais.

Par conséquent, je demande solennellement au Président de la République et au Premier ministre, Michel Aoun et Saad Hariri, dans l'intérêt suprême de la nation, d'une part, de renoncer à la formation d'un nouveau gouvernement dans l'immédiat, avant les élections législatives, et d'autre part, de mettre tout leur poids pour que celles-ci aient lieu le plus rapidement possible et sous la meilleure loi électorale qui soit. A défaut, ils perdront de leur crédibilité aux yeux d'une frange de la population libanaise. A bon entendeur, salut !