Nul n’est au-dessus de son pays, avait
coutume de dire Rafic Hariri. Encore moins, au-dessus de la critique. Il
n’empêche que regarder le doigt, alors
que le sage montre la lune, sachant que la célèbre maxime est connue de
tous, disons sans ambages que cela relève
du crétinisme. Depuis 40 ans, nous
gémissons à longueur de journée et de colonne, de mur et de salon, qu’on tue les nôtres, dont deux présidents
de la République, Bachir Gemayel et René Mouawad,
sans que jamais personne n’ait été jugé.
Et pour une fois, il est donné à ce
peuple, cha3eb lebnen el3azim, d’assister
en direct au jugement des assassins d’un de leurs anciens Premiers ministres, par une haute juridiction internationale
que beaucoup de monde nous envie, on
trouve toujours certains compatriotes déterminés à ne pas liker la page Facebook du Tribunal Spécial pour le Liban (1875 likes pour 4 millions d'habitants et 15 millions d'origine libanaise, la performance de la photo d'une potiche qui se prend pour le nombril du monde, et encore, habillée !), et d'autres compatriotes obstinés à regarder le doigt de celui qui leur
montre la lune, à geindre encore, le plus sérieusement au monde, sur
l’utilité du TSL, la politisation du TSL, le coût du
TSL, la dominance de couleurs politiquement indésirables comme le rouge des
robes et le bleu des écrans dans la salle d’audience du TSL, et à disserter en long, en large et de travers sur l'opération saoudienne « Tempête décisive », sur le mystère du crash de l'A320 et sur un tas d'autres sujets qui n'influenceront pas directement l'avenir du Liban.
Ceci dit, étant indépendant, je peux m’offrir
le luxe de juger les dirigeants libanais à leur performance politique. J’ai beaucoup de choses à reprocher au 14-Mars, spécialement à Fouad Siniora, chef du bloc parlementaire du Futur. A commencer
par le blocage du projet de loi sur la
nouvelle grille des salaires et le vote de la nouvelle loi de
libéralisation des loyers anciens, deux décisions incohérentes, prises sans tenir compte des difficultés financières de la classe moyenne au Liban. Dans ce domaine, il faut avouer
que le 8-Mars, notamment le Hezbollah, s’est montré plus sensible à
ces problèmes sociaux. Mais, ce n’est pas le sujet du jour. Faisons la part des choses. Aujourd’hui, le débat concerne la justice dans notre
pays. Toutes les jérémiades des hypocrites ne sauraient détourner l’attention
des Libanais de la lune, ni éclipser le soleil de la vérité qui, comme le
disait si bien Victor Hugo, fait tout voir et ne se laisse pas regarder.
Qu’il ait dit la vérité ou pas, n’a
strictement aucune importance. Et pourtant, le témoignage
de Fouad Siniora ces quatre derniers jours, a toutefois un grand intérêt. Inutile
de vous perdre dans les palabres de dizaines d’heures d’audiences à La Haye. Devant
le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), Fouad Siniora a apporté un éclairage historique sur trois points précis qui devraient intéresses tout (com)patriote du pays du Cèdre.
1. Ce
qu’on appelle le « système sécuritaire syro-libanais » (Ghazi Kenaan,
Rostoum Ghazalé, Emile Lahoud, Jamil el-Saïyed, etc.), n’était qu’un « outil syrien » pour soumettre le « Liban
souverain » au joug de la « dictature de la Syrie ». Rappelons
que contrairement à ce qui s’est passé au cours du Printemps
arabe tunisien, personne de cette clique n’a été jugé pour la répression sanglante des
citoyens Libanais (notamment des Forces libanaises, des Kataeb et du Courant
patriotique libre), pendant la période de Terreur syrienne entre le 13 octobre
1990 (début de l’occupation syrienne complète du Liban) et le 26 avril 2005
(retrait des troupes syriennes du Liban, après 29 ans d’occupation) ou pour les assassinats et tentatives d'assassinat commis entre 2004 et 2013 (de Marwan Hamadé à Mohammad Chatah), encore moins pour les crimes perpétués par les troupes syriennes pendant l'occupation du Liban entre 1976 et 2005.
2. Le
manitou du système sécuritaire syro-libanais était Bachar el-Assad. Il « tenait le Liban d’une main de fer »,
comme nous l’a confirmé Fouad Siniora, un témoin clé de cette sale période. Le dernier tyran des Assad est donc forcément impliqué dans l’attentat du 14
février 2005. Ce n’est qu’un secret de Polichinelle. Des preuves ? Comme
par hasard, Bachar el-Assad a forcé son coreligionnaire
alaouite, Ghazi Kenaan, l’ancien chef des services de renseignement au Liban
pendant 20 ans (1982-2002), celui qui a créé un « puissant réseau d'influence, d'intimidation et de terreur »
au pays du Cèdre, à se suicider quelques
semaines seulement après son témoignage devant la commission de l’ONU qui
enquêtait sur l’attentat du 14 février 2005. Et comme par hasard aussi, Imad Moughniyeh, le responsable des opérations du Hezbollah, « le partisan de la guerre clandestine et un théoricien de l'attentat à la voiture piégée et de la prise d'otages » (Wikipédia svp), l'homme le plus discret au monde, a trouvé la mort lui également, dans l'explosion de sa voiture à Damas, le 12 février 2008, un an avant la mise en route du tribunal international en charge de juger les assassins de Rafic Hariri. L’histoire ne dit pas si le premier s’est
tiré deux balles dans la tête et si le second a lui même piégé sa voiture, mais il ne manquait plus que de faire croire aux
niais, ceux qui regardent aujourd’hui le doigt de Fouad Siniora, que le crocodile syrien s'est suicidé parce qu’il avait perdu son hamster et le loup libanais s'est fait exploser parce qu'il avait un problème de prostate !
On apprend aussi du témoignage de l’ancien
Premier ministre de la seconde Indépendance, que si le fondateur de cette
dynastie tyrannique syrienne, Hafez, était un dictateur qui restait à l’écoute de
ses interlocuteurs même s’il ne tenait pas compte de ce qu’on lui disait, le fils, est de surcroit, une véritable racaille, insultant et
menaçant. En tout cas, même après le
retrait syrien du Liban, Bachar
el-Assad est demeuré le paramètre le plus influent de la météo
politico-sécuritaire au pays du Cèdre. Pour rappel, actuellement, les leaders alaouites libanais, les Eid, père et fils, sont réfugiés chez le tyran de Damas, après leur inculpation dans le double attentat qui a ensanglanté la communauté sunnite de Tripoli en août 2013, dont le but était d'embraser le Nord du Liban. Actuellement aussi, Michel Samaha, une figure importante de
la nébuleuse politico-sécuritaire syro-libanaise, croupit en prison, pas à
cause de faits survenus pendant la période de répression syrienne (1990-2005),
mais pour la possession en 2012 de 24 charges explosives, fournies par le
régime syrien. Il devait commettre des attentats à caractère confessionnel au
Liban, dont l’assassinat du patriarche maronite et de députés sunnites dans les
régions sunnites du Nord, décidément, et les attribuer à des djihadistes sunnites libanais. Les ordres venaient
de Bachar el-Assad dont l'objectif visait à déclencher une guerre confessionnelle entre les Libanais.
3. Le
Hezbollah aurait tenté d’assassiner Rafic Hariri à plusieurs reprises, selon un soi-disant aveu du défunt
à son ministre, fin 2003, début 2004. Pourquoi ne l’a-t-on pas su avant ?
Mystère. Y-a-il des preuves ? Aucune. Que
vaut réellement cette information ? Pas grand-chose, évidemment, en
dépit de la tempête médiatique qu’elle a déclenchée de part et d’autre. Cette
révélation est périmée, disons dépassée, puisque le TSL a
justement comme mission de juger cinq membres du Hezbollah de l’assassinat même
de Rafic Hariri ! Il ne faudra peut-être pas l'oublier.
Par ailleurs, il serait inutile de s’attarder sur la stratégie de défense des avocats des cinq membres du Hezbollah qui a consisté à multiplier les sujets de diversion sur la dette publique du Liban, la création de Solidere, la privatisation du réseau téléphonique mobile, les entretiens avec Feltman (l’ambassadeur américain au Liban), la détention des quatre généraux (chargés des postes de sécurité), etc. Certes, cela relève du boulot de la défense, il n’empêche que le président de la Chambre de première instance, David Re, n’a pas cessé de demander au franco-libanais, maitre Antoine Korkmaz, avocat de Mustafa Badereddine, le principal accusé du Hezbollah, de formuler clairement ses hypothèses, au lieu de tourner autour du pot en multipliant les questions à l'infini, et d’avoir des documents pertinents à présenter à la barre à la place des « je crois », « je pense » et « de mémoire ».
Par ailleurs, il serait inutile de s’attarder sur la stratégie de défense des avocats des cinq membres du Hezbollah qui a consisté à multiplier les sujets de diversion sur la dette publique du Liban, la création de Solidere, la privatisation du réseau téléphonique mobile, les entretiens avec Feltman (l’ambassadeur américain au Liban), la détention des quatre généraux (chargés des postes de sécurité), etc. Certes, cela relève du boulot de la défense, il n’empêche que le président de la Chambre de première instance, David Re, n’a pas cessé de demander au franco-libanais, maitre Antoine Korkmaz, avocat de Mustafa Badereddine, le principal accusé du Hezbollah, de formuler clairement ses hypothèses, au lieu de tourner autour du pot en multipliant les questions à l'infini, et d’avoir des documents pertinents à présenter à la barre à la place des « je crois », « je pense » et « de mémoire ».
Comme tout témoignage de ce genre, celui de
Fouad Siniora ne comporte pas de révélations fracassantes. Il n’empêche que
cette apparition à la barre du TSL revêt un caractère exceptionnel. Grâce au témoignage de l’ancien ministre des Finances de Rafic
Hariri, les citoyens libanais ont enfin l’opportunité, d’une part, de reconstituer le climat
politico-sécuritaire d’une époque sombre, après l’extension de l’occupation
syrienne à la totalité des régions libanaises en 1990 (merci Bush père !),
d’évaluer la nature des contraintes
syriennes imposées continuellement à l’ancien Premier ministre de la reconstruction,
Rafic Hariri, et de mesurer les menaces
grandissantes qui pesaient sur lui, au fur et à mesure qu’il réussissait à reconstruire
le Liban, qu’il devenait populaire et qu’il essayait d’affirmer la primauté de
la souveraineté libanaise sur l’occupation syrienne.
Dans ce sillage, il convient de rappeler
que la Terreur syrienne avait déjà
atteint son zénith dès le mois d’avril de l’année 1994, avec la constitution de dossiers judiciaires par le système
sécuritaire syro-libanais contre Samir Geagea, le chef du parti des Forces
libanaises, le dernier des Mohicans du Cèdre à rejeter l’occupation syrienne
du Liban. Mais à l’époque, personne n’avait bien compris que la répression qui
frappait les opposants chrétiens de plein fouet, allait rapidement toucher les
sunnites aussi de plein fouet. Toujours est-il, le gouvernement de Rafic Hariri était alors
contraint d’emprisonner Samir Geagea au sous-sol du ministère de la Défense et
de dissoudre le parti chrétien, les mesures furent annoncées par l'apprenti terroriste, Michel Samaha, ami personnel du terroriste en chef, Bachar el-Assad. Aujourd'hui, le premier croupit en prison près de Beyrouth, le second s'enterre dans son palais à Damas et Samir Geagea a retrouvé sa liberté. Eh oui, l’histoire peut se
montrer impitoyable !
Enfin, terminons sur des anecdotes. Savoir si Rafic Hariri était affecté au
plus profond de lui-même par les entretiens humiliants qu’il a eus avec Bachar el-Assad au
point de pleurer un jour sur
l’épaule de son ami de longue date, Fouad Siniora, franchement, c’est une
préoccupation de poissons rouges. A ce propos, le dernier épisode du TSL a
permis de découvrir des admirateurs de
Rafic Hariri ici et là qui s’ignoraient jusqu’au témoignage de Fouad Siniora
à La Haye et qui se sont réveillés offusquer par le récit de ce compagnon de
route ingrat qui aurait eu le culot de montrer l’ancien Premier ministre sous
un angle de « mollasson ». Breaking News, ça vient de tomber. Bachar el-Assad demande de témoigner d’urgence
à La Haye. « Fouad Siniora ment. Quand
je l’ai insulté et menacé, Rafic Hariri m’a semblé imperturbable ».
Ah, le tyran de Damas vient de commettre l’erreur du milliardaire américain Robert Durst qui a avoué
par inadvertance trois meurtres qu’il aurait commis, au cours du tournage d’un
documentaire sur lui. Hitchcock avait bien raison, Le crime était « presque »
parfait. Eh oui, il ne pouvait pas l’être complètement, même quand on a des troupes qui tiennent le
pays d’une main de fer et qui ont tout fait avec les collabos du coin pour
effacer les preuves de la scène du crime. Tenez, c’est encore ce qui sort
du témoignage de Fouad Siniora devant le TSL. Un élément de plus qui prouve que
Bachar el-Assad est directement impliqué dans l’assassinat de Rafic Hariri. Affaire à suive.