samedi 28 décembre 2013

Pourquoi Mohammad Chatah a été tué à J-20 de l'ouverture du procès Hariri par le Tribunal Spécial pour le Liban ? (Art.202)


Comme le dit si bien Jakob Bob Dylan dans une de ses chansons, hier les Libanais ont eu une nouvelle preuve que « evil is alive and well ». Le diable est vivant et se porte bien, on a parfois tendance à l’oublier ! Je sais que ce n’est pas le moment. C’est peut être déplacé d’en parler et inconvenant de mettre un lien qui pointe vers le site en question, alors que le pays du Cèdre est en deuil. Mais je le ferai quand même car le hasard a voulu que je m’émerveille sur ces images quelques minutes seulement avant que la mauvaise nouvelle ne me plonge dans une grande stupéfaction, une profonde tristesse et une colère indescriptible. Wlé ya ékhwét el charmouta, comme vous pouvez le voir sur ces photos animalières touchantes, si on fait cohabiter très tôt des prédateurs et des proies aux instincts pourtant fixés par la génétique, ils finissent par vivre ensemble pacifiquement le reste de leur vie. La nature animalière est vraiment extraordinaire. Je ne dirai pas autant de la nature humaine de certains ! Mais bon Dieu, qu’est-ce qu’il faut faire pour vivre en paix avec vous ? Mais bon sang, à quelle bestialité les hommes politiques du 14 Mars doivent faire face aujourd’hui de la part de certains de leurs compatriotes ? 

Je ne serai pas très long. L’humeur n’y est pas. D’ailleurs, il n’est nullement besoin de l’être. Je me contenterai d’un simple cadrage à ma manière, think different. 7 morts et 75 blessés, tous des innocents. Et parmi eux, Mohammad Baha Chatah ! Encore un homme qui n’est pas mort, ni de vieillesse, ni dans son lit. Il a été tué par l’explosion d’une voiture piégée en plein cœur de Beyrouth, non loin de là où Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais, fut assassiné. On l’a tué pour ce qu’il représentait, un politicien du camp souverainiste du 14 Mars et membre du courant du Futur. Il n’a pas été choisi par hasard. C’était un grand patriote sunnite. Patriote, parce qu’il avait une idée noble du Liban, que je partage pleinement. Sunnite, est une précision, hélas, mille fois hélas, utile de nos jours, utile pour les lecteurs d’outre-mer, utile pour les amnésiques et utile pour les sunnitophobes déclarés, camouflés ou cachés derrière l’index de sayyed Hassan Nasrallah.

C’était un premier ministrable au potentiel prometteur, comme l’était Pierre Gemayel, un présidentiable prometteur. Economiste de haut niveau, Mohammad Chatah a travaillé au Fonds monétaire international et à la Banque centrale du Liban. Il a été diplomate et ancien ministre des Finances. Mais plus que tout cela, Mohammad Chatah était un gentleman ! Brillant, réfléchi, serein, tolérant et aimable. Il rassurait par sa quiétude. Il incarnait l’homme responsable. Bref, c’est mon Liban qu’on a assassiné hier, et pour cette raison je vous maudirai, bande de fascistes, jusqu’à la nuit des temps.

Il y a quelques semaines, je me demandais dans un article pourquoi « le 8 Mars (notamment Hassan Nasrallah et son fidèle allié Michel Aoun) semble systématiquement zapper le fait que depuis ce funeste 14 février 2005, les glandes lacrymales de la moitié des Libanais, toujours les mêmes, sont mises à rude épreuve par les mêmes criminels. Elles n’arrivent plus à produire autant de larmes qu’il faudrait et qu’ils voudraient pour pleurer leurs martyrs. » Et je ne croyais pas si bien dire. Mohammad Chatah a rejoint cette longue liste des hommes et des femmes « martyrs » sur qui nous avons versé des larmes de sang :
- Des personnalités assassinées à cause de leur appartenance politique : Wissam el-Hassan (14 Mars / Futur, tué le 19 octobre 2012), Wissam Eid (14 Mars, tué le 25 janvier 2008), Antoine Ghanem (14 Mars / Kataeb, tué le 19 septembre 2007), Walid Eido (14 Mars / Futur, tué le 13 juin 2007), Pierre Gemayel (14 Mars / Kataeb, tué le 21 novembre 2006), Gebrane Tuéni (14 Mars, tué le 12 décembre 2005), Georges Haoui (14 Mars, tué le 22 juin 2005) et Samir Kassir (14 Mars, tué le 3 juin 2005). Comme on le voit, toutes ces victimes étaient du camp du 14 Mars. 
- Des personnalités qu’on a tentées d’assassiner à cause de leur appartenance politique également : Samir Geagea (14 Mars / parti des Forces libanaises, tentative d'assassinat le 4 avril 2012), Boutros Harb (14 Mars, tentative le 5 juillet 2012), Samir Chéhadé (14 Mars, tentative le 5 septembre 2006), May Chidiac (14 Mars, tentative le 25 septembre 2005), Elias el-Murr (14 Mars, tentative le 12 juillet 2005) et Marwan Hamadé (14 Mars, tentative le 1er octobre 2004). Là aussi, toutes les personnalités sont du camp du 14 Mars.

Je m’en fous royalement de ce que fera ou ne fera pas Walid Joumblatt, Nabih Berri et Michel Aoun, trois personnages fossilisés de la guerre civile libanaise, incapables d’évoluer et de s’adapter au changement de l’Histoire. Wlak law badda tchaté ghayamit. Le premier est un impuissant, le second est un opportuniste et le troisième est un cas désespéré, dans l’erreur il y est et dans l’erreur, il y restera jusqu’à la fin de ses jours. Ma 7adann yéz3al, chacun du trio cumule ces trois qualificatifs dans des proportions variables.

Qu’on ne se leurre pas, Mohammad Chatah n’a pas été tué uniquement parce que c’était un « sunnite modéré ». Ce n’était pas une raison suffisante même si l’on croit les médias d’épouvante du 8 Mars (al-Manar, al-Jadeed, OTV, al-Akhbar et tant d’autres) et que les takfiristes seraient déjà aux portes du Vatican ! Non, il n’a pas été tué pour pousser la communauté sunnite vers l’extrémisme non plus, et permettre aux extrémismes chiites de justifier leurs agissements au Liban et en Syrie. Le gentleman a été tué parce que c’était un « sunnite résistant » à l’hégémonie du Hezbollah sur le Liban. Qui doute de cela, n’a qu’à lire ses deux derniers tweets publiés une heure et demi avant son assassinat, qui tournent autour de la même idée : « Le Hezbollah intimide et fait pression pour parvenir à ce que le régime syrien a imposé pendant 15 ans : l’abandon par l’Etat (libanais) de sa souveraineté en matière de sécurité et de politique étrangère. » Quels tweets cher Mohammad ! Et l’on se demande ce matin dans les cafés de Beyrouth, quel hypocrite peut encore bien prétendre que même si Mohammad Chatah avait présenté ses lettres de créance à Morgoth et au Prince des Ténèbres, il serait au paradis aujourd’hui ! Ces pauvres hypocrites ont déjà oublié qu'on ne comptait plus les menaces franches des leaders du Hezbollah à l'encontre du 14 Mars ces derniers temps, comme le prouvent les « ne nous tentez pas », « ne nous essayez pas » et « ne jouez pas avec nous » de Hassan Nasrallah et consorts. Enno ma3léh, khoudouna be7elemkoun.

L’assassinat de ce gentleman de la classe politique libanaise répond à divers objectifs. Outre l’avantage inespéré de pouvoir éliminer, en pleine pagaille loco-régionale, un premier ministrable incontournable, au potentiel prometteur, opposant farouche à la politique du Hezbollah, au Liban comme en Syrie, et à l’ingérence du monde perso-chiite dans les affaires du monde arabo-sunnite, les assassins ont souhaité adresser trois messages dans trois directions et dans trois buts :

1. Paralyser Michel Sleimane et Tammam Salam. Le 1re message serait donc, « gare à vous, Michel Sleimane et Tammam Salam, ne serait-ce que de penser à nous exclure du prochain gouvernement ». Bien qu’ils disposent d’une marge de manœuvre très étroite, les deux hommes étaient déterminés à briser les obstacles imposés par les uns et les autres, au moins, à faire bouger les choses en début d’année, d'accoucher par exemple, d'un gouvernement restreint et neutre. Etant un homme de dialogue, en l’absence du chef de l’opposition du 14 Mars, Saad Hariri (pour des raisons de sécurité évidentes!), et en raison du véto du 8 Mars sur le redoutable Fouad Siniora, certains voyaient Mohammad Chatah au grand Sérail un jour ou l’autre, après les élections présidentielle et législatives. Il convient de préciser également que cette possible exclusion du Hezbollah du pouvoir exécutif constitue aujourd’hui un véritable cauchemar pour la milice chiite car même si théoriquement l’espérance de vie du gouvernement de Tammam Salam est courte (jusqu’à l’élection présidentielle, avant le 25 mai 2014), en pratique, il pourrait rester de très longs mois, en cas de vacance présidentielle. Inutile de vous dire qu’un tel scénario pourrait, la sama7 Allah, pousser les leaders de la milice libanaise, qui est enlisée dans la guerre civile syrienne (elle aurait perdu au moins 400 miliciens chiites à ce jour, « morts dans l’accomplissement de leur devoir djihadiste » comme elle prétend) et poursuivie par le Tribunal Spécial pour le Liban (cinq membres pour l’instant), à se mettre carrément sous une trithérapie composée de Xanax, de Prozac et de Stilnox ! C’est pour vous dire.

2. Terroriser le 14 Mars. Le 2e message serait alors, « gare à vous, leaders du 14 Mars, de prendre des initiatives qui vont à l’encontre des intérêts du Hezbollah et de la Syrie de Bachar el-Assad ». Et des initiatives de la sorte, il n'en manquera pas, que ce soit à l'occasion de l’élection présidentielle, des élections législatives ou de la formation des gouvernements pré et post-électorale. Précisément, je pense par exemple au déploiement de l’armée libanaise aux frontières avec la Syrie, à l’arrestation des accusés du Hezbollah (impliqués dans l’assassinat de Rafic Hariri ou dans la tentative d’assassinat de Boutros Harb), à l’exploitation des données de télécommunication (dans toutes les affaires criminelles qui secouent notre pays, comme l'assassinat de Wissam el-Hassan, les attentats de Tripoli, la tentative d’assassinat de Samir Geagea, et même l’assassinat de Mohammad Chatah), au jugement de certains accusés du 8 Mars (comme Michel Samaha et les Eid), à la reprise du contrôle du port et de l’aéroport de Beyrouth par l’Etat libanais (actuellement sous l’emprise du Hezbollah), j’en passe et des meilleures.

3. Mettre en garde la communauté internationale. Le 3e message est sans l’ombre d’un doute le plus important de tous. Il est double. Il s’adresse d’une part, au monde occidental. Celui-ci serait ainsi, « gare à vous, pays occidentaux, de laisser le Tribunal Spécial pour le Liban commencer son réquisitoire contre les cinq membres du Hezbollah, avec l'étalage du linge sale de sayyed Hassan Nasrallah, qui doit se mettre en place à partir du 16 janvier 2014 (un processus qui peut prendre des années). A vous de choisir : soit le TSL, soit les leaders du 14 Mars. » Ce message s’adresse d’autre part, au monde arabe, notamment à l’Arabie saoudite. Celui-là serait donc, « débrouillez-vous, pays arabes, spécialement vous l'Arabie saoudite, pour empêcher par tous les moyens, les djihadistes sunnites, de frapper les intérêts et le fief du Hezbollah au Liban (comme ce fut le cas, pour le double attentat de l’ambassade iranienne à Beyrouth). A vous de choisir : soit les leaders du 14 Mars, soit les djihadistes sunnites au Liban. » Le Hezb le sait très bien, les attaques terroristes qui le visent au Liban et qui sont liés à son intervention odieuse aux côtés du dernier tyran des Assad en Syrie, finiront par exaspérer même une partie des partisans de Michel Aoun.

Toujours est-il, près de neuf ans séparent le « Rapport de la mission d’établissement des faits chargée d’enquêter au Liban sur les causes, les circonstances et les conséquences de l’assassinat de M. Rafic Hariri, ancien Premier ministre », qui a été présenté au Conseil de sécurité le 24 mars 2005 (la mission dirigée par Peter FitzGerald), de la première audience du Tribunal Spécial pour le Liban, qui doit juger les cinq membres du Hezbollah accusés du meurtre de l’ancien Premier ministre, le jeudi 16 janvier 2014 à 9h30 précises. Neuf ans au cours desquels, le Hezbollah n’a cessé de manifester son irritation, sa défiance, son mécontentement, et pour cause ! Depuis le 14 février 2005 à 12 h 56 mn 26 s, la grande préoccupation de Hassan Nasrallah se concentre sur l’enquête criminelle en cours car c’est le seul paramètre que sayyed ne contrôle pas directement. Avec ses alliés, il a fait tout ce qui est possible et imaginable pour la discréditer, à défaut d’empêcher son démarrage. En vain, fort heureusement.

A en croire l’ambassadeur syrien au Liban et les médias d'épouvante du 8 Mars, Israël et l'Arabie saoudite seraient derrière l’assassinat de Mohammad Chatah. Bienvenue au dernier éléphant rose dans l’espace aérien libanais ! Si tel était le cas, le Hezbollah doit donc réclamer, en toute logique, la saisine du Conseil de sécurité, et demander au gouvernement libanais qu’il contrôle, de transférer le dossier de l’assassinat de Mohammad Chatah à La Haye, en vertu de l’article 1 du statut du Tribunal Spécial pour le Liban. Nous sommes en plein délire. Plus sérieusement, le 14 Mars devrait étudier toutes les options juridiques pour y parvenir, puisque « Le Tribunal spécial a compétence à l’égard des personnes responsables de l’attentat du 14 février 2005 (...) S’il estime que d’autres attentats terroristes survenus au Liban entre le 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005 ou à toute autre date ultérieure décidée par les parties avec l’assentiment du Conseil de sécurité ont (...) un lien de connexité avec l’attentat du 14 février 2005 et sont de nature et de gravité similaires, le Tribunal aura également compétence à l’égard des personnes qui en sont responsables. » Et c’est le cas, sans aucun doute.

Malgré la terreur et la douleur, nous devons nous souvenir que ce qui arrêtera les assassinats politiques au Liban, ce n’est ni un gouvernement neutre, ni un gouvernement d’union nationale, ni un gouvernement fantoche, ni toutes les formules gouvernementales abracadabrantesques, ni la noyade de Bachar et d’Asma dans le fleuve Amour, ni le raccourcissement de la barbe de Rohani, ni les documents d’entente, ni les rouleaux de PQ, ni les torchons de cuisine, ni les tables de dialogue, ni les palabres, ni les mascarades, ni les larmes de crocodile, ni el estinkarét, woul ta3ézé, wou tébwiss el lé7é, wala man ya7zaroun. Le seul paramètre qui arrêtera les assassinats politique au Liban ce sont uniquement la justice et un Etat de droit.

Hélas, il n’y a rien à attendre de la justice libanaise et l'Etat de droit au Liban est renvoyé aux calendes grecques. Les deux sont à l’image de notre pays, nases ! Malgré la gravité des faits, qui ne laissent de la place à aucun doute, Michel Samaha, accusé d’avoir projeté commettre des attentats terroristes à caractère confessionnel à la demande du régime syrien au Liban, et les Eid, accusés d’avoir facilité la fuite en Syrie des auteurs du double attentat de Tripoli, coulent des jours heureux, l’un derrière les barreaux en attendant le moment propice à sa libération sans jugement, et l’autre sirote des sirops de jallab sur les hauteurs de la capitale du Nord. Et en attendant, les Libanais ne savent toujours rien sur qui a tué ou tenté de tuer la longue liste de personnalités du 14 Mars que j’ai détaillée plus haut.

La seule lueur d’espoir pour le pays du Cèdre réside dans la justice internationale incarnée par le Tribunal Spécial pour le Liban. Merci le 14 Mars et longue vie à l’ancien Premier ministre, Fouad Siniora ! Et par conséquent, si le 14 Mars accepte de former un gouvernement aujourd’hui, demain ou après-demain, avec le parti des accusés officiels et officieux des assassinats politiques, le Hezbollah pour le nommer, non seulement il n’arrêtera pas les assassinats politiques au Liban, mais il trahira ses martyrs également, et surtout, il contribuera à amortir l'onde de choc du séisme juridique qui frappera bientôt tout le Moyen-Orient, de Beyrouth à Téhéran en passant par Damas, et dont l’épicentre se situera pourtant, à La Haye en Europe.