lundi 30 octobre 2017

Après l'enthousiasme débordant de Gebran Bassil pour « Rebuild Syria », Saad Hariri est le premier des chefs d'Etat et de gouvernement arabes et occidentaux qui nomme un nouvel ambassadeur en Syrie (Art.479)


Ils n'ont pas jugé utile de commenter la violation verbale de la souveraineté libanaise. C'est noté, allons de l'avant maintenant. Le salon de la « Lebanese National Energy » a eu lieu ce weekend à Beyrouth. Il est inutile de se perdre dans les méandres et les palabres de ce rassemblement économique. Aucun intérêt. Disons-le d'emblée pour faire court, tant que c'est le Hezbollah, et non l'Etat libanais, qui détient le droit de faire « la paix et la guerre » au Liban, il n'y aura ni « stimulation de l'économie libanaise » ni « freinage de la fuite des cerveaux » comme certains l'espèrent. Et pour cause, rappelons-nous l'été 2006. A son début, il devait être marqué par la paix et la prospérité pour le Liban. A sa fin, ce ne fut que désastre et désolation pour les Libanais, des milliers de morts et de blessés, et l'équivalent de la moitié du PIB libanais de l'époque jetée par les fenêtres, soit une bonne dizaine de milliards de dollars. Tout ça pour libérer un criminel des prisons israéliennes, auteur d'une attaque terroriste palestinienne commise sur le territoire israélien en 1979.



Je l'ai dit dans les articles 477 et 478, je le redis, je persiste et je signe, qui ne s'attaque pas aux « trois anomalies » qui plombent l'économie libanaise, le triptyque Daech-Assad-Hezbollah, est soit une autruche qui refuse de regarder la réalité avec courage et discernement, soit un rapace qui la regarde avec opportunisme et cupidité.

Dans tous les cas, gardons le focus sur Gebran Bassil, ministre d'Etat des Affaires étrangères du Liban et chef d'un important bloc parlementaire libanais, allié au Hezbollah et en bons termes avec le régime syrien de Bachar el-Assad, deux entités classées terroristes par la majorité des pays arabes et occidentaux, dont les Etats-Unis et l'Union européenne. Vendredi et Samedi, en présence de Michel Aoun, le chef de l'Etat, Gebran Bassil a tenu les propos suivants :

→ A la cérémonie d'ouverture (27 oct.) : « Est-ce que les malheurs des autres ne peuvent pas être bénéfiques pour nous et nos bénéfices bénéfiques pour eux? Que la reconstruction de la Syrie soit la reconstruction de la Syrie et du Liban. » Raté. Cher Gebran, en général, quand on évoque ce proverbe, c'est toujours dans le sens péjoratif. Si Erasme, Montaigne et Voltaire, ont parlé de ce genre de situation, ils l'ont fait avec cynisme. Oui sur le principe, « que la reconstruction de la Syrie soit la reconstruction de la Syrie et du Liban », mais c'est « à quel prix » en pratique, au sens propre comme au sens figuré ?

→ Toujours à la cérémonie d'ouverture (27 oct.) : « Nous résoudrons le problème des déplacés (syriens au Liban) par le retour des Syriens et l'aller des Libanais en Syrie, non pas comme une invasion mais pour la reconstruction. » Je veux bien, mais cette déclaration ignore deux faits, qu'il serait juste et honnête d'évoquer au préalable : c'est le régime syrien de Bachar el-Assad qui est à l'origine de cette soi-disant « invasion », un terme qui conviendrait plus à l'implication massive des miliciens chiites libanais dans la guerre civile syrienne aux côtés de de ce dernier. 

→ A la cérémonie de clôture (28 oct.): « Les Libanais ont devancé l'Etat sur la question de la reconstruction de la Syrie, qui constitue une grande opportunité à côté du gaz offshore et qui nécessite des réformes structurelles. » 

Ah mais ça ne serait pas toi par exemple, quand tu as rencontré Walid el-Mouallem, le ministre syrien des Affaires étrangères, le 21 septembre à New York? Selon l'agence officielle d'information du régime en Syrie, Sana, « les deux ministres ont discuté des relations bilatérales entre les deux pays frères, y compris de la coordination et de la coopération politique et économique ». Macha2'Allah! Déjà la mention de « pays frères » aurait dû hérisser les poils de notre ministre des Affaires étrangères et le pousser à réagir au communiqué de Sana. On pensait que ce terme de propagande, auquel une grande partie des Libanais est allergique, gisait au fin fond de la corbeille de l'histoire. Eh bien non, il est toujours d'actualité, trônant sur la table de la tyrannie des Assad. Mais bon, Bassil n'a même pas réagi à Rohani, alors zappons. L'agence d'info syrienne nous apprend que Walid el-Mouallem a concentré ses discussions sur la « stabilité des relations libano-syriennes », dictée par « l'histoire et la géographie »,  et l'aspect sécuritaire en Syrie, alors que « pour sa part, Bassil a souligné l'importance des relations entre les deux pays et la coordination entre eux dans divers domaines, affirmant que les développements positifs qu'on observe en Syrie et les victoires de l'armée arabe syrienne sur le terrorisme forceront ceux qui ont une attitude négative envers la Syrie à changer d'avis et à contribuer à la reconstruction de la Syrie ». On y était déjà, dans « Rebuild Syria ». Nulle part il a été question du « retour des réfugiés syriens du Liban » en Syrie, comme on a voulu le faire croire. 

Gebran Bassil n'est pas le seul homme politique libanais aussi enthousiaste pour « Rebuild Syria ». Comme par hasard, le même jour où le ministre des Affaires étrangères et chef du Courant patriotique libre s'emballait pour la reconstruction de la Syrie, Saad Hariri a jugé que c'est le moment le plus opportun pour nommer un nouvel ambassadeur afin de représenter le Liban en Syrie, comme si de rien n'était et comme si rien ne s'est passé. La décision du Premier ministre libanais pose problème pour au moins trois raisons:

→ Primo, cette nomination était inattendue, même au niveau de la sphère diplomatique. Il faut savoir que la liste des nominations diplomatiques est révélée depuis trois mois, sauf que le nom de celui qui était pressenti pour ce poste, Saad Zakhia, n'y figurait pas à l'époque. Grâce à une baguette magique, son nom y figure aujourd'hui. Au passage, Tracy Chamoun est ambassadrice du Liban en Jordanie. En sa qualité de quoi, mystère et boule de gomme. Enfin, les postes diplomatiques, ohlala, oubliez toutes les expressions sur le partage de gâteaux et de fromages, on est bien au-delà. Pour la fille de l'ancien président de la République Camille Chamoun, allez savoir, c'est peut-être pour qu'elle ne se présente pas dans le Chouf aux prochaines élections législatives. En tout cas, Gebran Bassil l'a chaleureusement félicité.

→ Secundo, rien n'obligeait le Premier ministre à franchir ce pas. Depuis trois ans, c'est la propre fille de l'inamovible Nabih Berri, le président du Parlement libanais depuis 1992, la dénommée Farah, qui était chargée d'affaires auprès du régime syrien, remplaçant l'ambassadeur en place à l'époque, Michel Khoury, parti à la retraite. Cela étant dit, n'ayez surtout pas d'inquiétude pour Farah Nabih Berri, elle a décroché déjà le poste de directrice générale des expatriés, remplaçant Haïtham Gemaa, vice-président du mouvement Amal (en poste depuis 14 ans et qui part à la retraite). Eh oui, il y a des postes comme ça au Liban, dont l'attribution est fixe et connue d'avance. Et puis, tiens, tiens, la veille des élections ça peut être très utile quand même!

→ Tertio, par cette décision inattendue du Premier ministre libanais, Saad Hariri, qui a évidemment reçu la bénédiction et la signature du Président de la République libanaise, Michel Aoun, ainsi que l'aval des grands partis politiques libanais sans exception (aucun d'entre eux n'a vraiment protesté), le Liban devient le premier pays au monde, en tout cas, parmi les pays arabes et occidentaux, à envoyer un nouvel ambassadeur à Damas pour présenter ses lettres de créance à Bachar el-Assad ! Triste performance. Mais alors, pourquoi diable avoir fait tout ce cirque cet été, pour savoir s'il fallait établir ou non une « coordination » entre le Liban et la Syrie ? En tout cas, cette nomination n'est pas du goût de l'ancien chef des Forces de sécurité intérieure au Liban. Pour le général Achraf Rifi, dont la popularité ne cesse d'augmenter au niveau national et dans la communauté sunnite en particulier, elle constitue un pas vers la « normalisation » des relations avec le « régime chimique » (de Bachar el-Assad) qui va à l'encontre des « intérêts du Liban et de ses relations arabes » et qui accroitra son « isolement ». Pour le dernier des Mohicans de la souveraineté libanaise, « ceux qui se sont couchés (devant le régime syrien et le Hezbollah) » doivent « cesser de porter atteinte à la souveraineté libanaise, à la dignité nationale et au sang des martyrs » et procéder à « l'expulsion de l'ambassadeur du régime syrien au Liban ».

Dans ce sillage, il est intéressant de revenir sur les grandes lignes de « La stratégie de l'Union européenne pour la Syrie » adoptée par le Conseil de l'Union européenne au mois d'avril 2017: « Mettre un terme à la guerre en amorçant une véritable transition politique, conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies... faire en sorte que les auteurs de crimes de guerre, de violations des droits de l'homme et de violations du droit international humanitaire répondent de leurs actes, notamment en cas d'utilisation confirmée d'armes chimiques ». Les Européens ne croyaient pas si bien dire, c'était la veille de l'attaque au gaz sarin de Khan Cheikhoun, attribuée il y a quelques jours par des experts de l'ONU au régime syrien. A cette occasion, l'Union européenne a fait savoir « qu'elle ne sera disposée à contribuer à la reconstruction de la Syrie que lorsqu'une transition politique globale, véritable et inclusive, négociée par les parties syriennes au conflit sur la base de la résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies et du communiqué de Genève de 2012, aura réellement été amorcée ». Elle a tenu à rajouter que « les coûts de reconstruction devraient plus particulièrement être pris en charge par ceux qui ont alimenté le conflit », ce qui n'est pas pour plaire à la Russie et à l'Iran. Pour les pays arabes du Golfe, la situation est encore plus simple, il n'y aura pas un dollar d'investi dans une Syrie présidée par Bachar el-Assad! C'est pour dire à quel point les participants à la conférence Rebuild Syria tenue le weekend dernier à Beyrouth, étaient à côté de la plaque.

Par conséquent, les autruches ont beau s'activer et les rapaces s'affairer pour la « reconstruction de la Syrie », comme si de rien n'était et comme si rien ne s'est passé, il y aura des rafistolages par-ci par-là, mais il n'y aura pas une vraie reconstruction de la Syrie. Les conditions nécessaires pour cela, sont loin d'être réunies. Ceci est dû à trois raisons principales : la Syrie ne sera pas sécurisée et stabilisée avant longtemps (les troubles et les affrontements persisteront, même après l'écrasement de l'Etat islamique-Daech, ils prendront des formes différentes), le coût de la reconstruction est astronomique (on l'évalue jusqu'à 300 milliards de dollars... hein, il y a de quoi faire l'évolution des espèces dans l'autre sens et transformer certains hommes en reptiles!), et l'argent nécessaire ne sera pas débloqué (ni du côté des pays arabes ni du côté des pays occidentaux). Bassil et consorts peuvent en rêver autant qu'ils veulent, baver à volonté même, ils pédalent dans le bourghoul. Tant que Bachar el-Assad est au pouvoir, non seulement leurs rêves ne se réaliseront pas, mais plus grave encore, les déplacés syriens au Liban ne retourneront pas en Syrie et personne ne pourra les forcer à aller dans cette direction, légalement. Et pour ceux qui vont s'y aventurer, le régime terroriste d'Assad fera l'impossible pour les faire rebrousser chemin: en compliquant les démarches du retour en Syrie (notamment pour les 150 000 enfants syriens nés au Liban et pour leurs parents), en forçant ceux qui y retournent à soutenir l'effort de guerre contre les opposants au régime et en ayant recours à la terreur pour dissuader les candidats qui voudraient passer emboiter le pas.  

En d'autres termes, tant que Bassil et consorts ne comprendront pas que c'est la chute programmée du régime de Bachar el-Assad qui apportera la paix et la prospérité au Liban, ils aideront ce dernier indirectement à réaliser le double rêve de la tyrannie des Assad, père et fils depuis la nuit des temps et cette sinistre année de 1970 : se débarrasser de millions de ressortissants syriens de confession sunnite, qui représentent une menace potentielle existentielle pour le régime alaouite, et coloniser le Liban via 1,5 million de déplacés syriens. Ye3né bel frenséwé el mchabra7, en se pressant pour présenter les lettres de créance à Bachar el-Assad, tout ce beau monde met la charrue devant les bœufs. Non seulement il ne reconstruira pas la Syrie, mais pire encore, il rendra l'implantation des déplacés syriens au Liban de plus en plus effective. Pardon, vous avez comme une impression du déjà vu? Absolument, c'est à peu près comme ça que ça s'est passé avec les réfugiés palestiniens au Liban. Personne n'avait vraiment de mauvaises intentions en 1948. Et pourtant, rien ne s'est passé comme prévu.