Que l’on soit athée ou agnostique, fidèle ou mécréant, chrétien ou rastafari, une institution qui a 2000 ans d’existence, 1.1 milliard d’adeptes et 265 chefs souverains, ne laisse forcément pas indifférent ! On verra bien, qui restera en l’an 3987 des entreprises du Dow Jones ou du CAC 40 d’aujourd’hui ! Voilà pourquoi un voyage papal est toujours placé sous haute surveillance et scruté à la loupe. Passons sur l’enthousiasme excessif habituel de nos chers compatriotes, débordant et peu écologique, lors des séjours des hautes personnalités au pays du Cèdre. On peut accueillir dignement le pape sans être obligé de placarder tout le Liban d’affiches en couleur et de refaire à la va-vite les chaussées des routes qu’empruntera la papamobile. Allons donc à l’essentiel. Si Benoît XVI a maintenu son voyage au Liban, entre le 14 et le 16 septembre, alors que la situation dans notre pays sur le plan sécuritaire est peu reluisante, c’est parce qu’il est conscient de l’enjeu de son déplacement. Celui-ci doit être considéré sous trois angles de vues géopolitiques : du Liban, de la Syrie et du Moyen-Orient.
1. Angle de vue du Liban
Quarante-huit
ans après la visite éclair de Paul VI (52 minutes à l’aéroport), quinze ans après
la visite historique de Jean-Paul II, Benoît XVI est le 3e pape qui se
rend dans un pays hors du commun. Comme disait son prédécesseur, « Le
Liban est plus qu’un pays, le Liban est un message ». Pourquoi
donc ? Parce que dans ce petit pays de 10 452 km², cohabitent depuis près
de 1400 ans, les deux grandes religions de tous les temps : le christianisme et
l’islam. Certes la vie des 18 communautés libanaises -sans nos compatriotes
juifs depuis 1975- n’est pas un long fleuve tranquille, mais nulle part au
monde ces deux religions cohabitent à pied d’égalité et paisiblement tout
de même! Une image d’Epinal pour certains, mais pas pour le pape, pas pour des
millions d’arabes et pas pour Bakhos Baalbaki. Le souverain pontife délivrera
au pays où coulaient jadis « le lait et le miel », pour reprendre la
métaphore biblique, un message de fraternité -on en a grandement besoin surtout
en ce moment- chrétiens et musulmans
sont unis dans ce pays ad vitam aeternam. Et pour faire de la surenchère
sentimentalo-religieuse à 5 piastres je rajoute, et je m’étonne de
moi-même !, ce qui a été uni par Dieu, les hommes ne peuvent pas le
séparer. Et pour faire de la provocation voltairienne plus conséquente, je
pourrais dire exactement l’inverse, sans pour autant m’étonner !, ce qui a été uni par les hommes, Dieu ne
peut pas le séparer. Amen !
2. Angle de vue de
la Syrie
Il
est évident qu’hormis Joumana Haddad, tout le monde attendra « avec impatience » ce que la
plus haute autorité chrétienne au monde dira sur la Syrie. Je crains que beaucoup de gens ne soient déçus et le feront savoir avec
plus ou moins d’élégance naturellement. Pas moi. Des dizaines de milliers
de morts en Syrie, le pape ne peut que compatir à la souffrance endurée par le
peuple syrien depuis 18 mois, toutes communautés confondues, dans sa quête de
liberté. Benoît XVI s’est déjà prononcé
à diverses reprises sur le conflit syrien avec la même constance. Il a toujours
appelé à la paix, au dialogue et à la solidarité. Rien de plus normal pour
un homme d’Eglise.
Lors
de ses vœux de Nouvel An au corps diplomatique, il avait demandé l’ouverture d'« un dialogue fructueux entre les acteurs
politiques ». Quelques semaines plus tard, il a invité tout le monde,
spécialement les autorités politiques en Syrie « à privilégier la voie du dialogue, de la réconciliation et de
l’engagement en faveur de la paix ». Plus tard, à l’occasion de son
traditionnel message urbi et orbi lors de la fête de Pâques, il a prié pour « que cesse l'effusion de sang et que soit
entrepris sans délai le chemin du respect, du dialogue et de la
réconciliation ». En juin dernier, en s’adressant aux participants de
la réunion des œuvres d'assistance aux Eglises orientales, Benoit XVI a affirmé
sa « proximité aux grandes
souffrances des frères et des sœurs de Syrie, en particulier des petits
innocents et des plus faibles ». Il a expressément demandé que « ne soit épargné aucun effort de la
communauté internationale pour la paix. » Il a aussi formulé le
vœu que « Dieu donne la sagesse du cœur
à ceux qui ont des responsabilités, afin que cessent toute effusion de sang et
la violence qui apporte seulement douleur et mort ». En été, il a tiré
la sonnette d’alarme, « Que ne soit
épargné aucun effort de la part de la communauté internationale pour faire
sortir la Syrie de la situation de violence et de crise actuelle, qui dure déjà
depuis longtemps et risque de devenir un conflit généralisé qui aurait des
conséquences fortement négatives pour le pays et pour toute la région. »
Et il a renouvelé son appel à la solidarité, « J’élève aussi un pressant et douloureux appel pour que, face au
besoin extrême de la population, soit garantie la nécessaire assistance
humanitaire, ainsi qu’à de nombreuses personnes qui ont dû laisser leurs
maisons, certaines se réfugiant dans les pays voisins : la valeur de la vie
humaine est un bien précieux à sauvegarder toujours. » Il y a quelques
semaines, il a exprimé sa vive inquiétude, « Je
continue à suivre avec inquiétude les événements tragiques et violents
croissants en Syrie avec la triste succession de morts et de blessés. Je pense
également au nombre élevé de personnes déplacées et de réfugiés dans les pays
voisins. Je demande que leur soient garanties l’aide et l’assistance
humanitaire nécessaires ». Aucun pouvoir politique, arabe ou
occidental, ne sait prononcer autant que Benoît XVI sur la Syrie.
Il ne fait aucun
doute que son message au Liban sur le conflit syrien, restera dans cet état
d’esprit -paix, dialogue et solidarité- ce qui est encore une fois parfaitement
normal pour un homme d’Eglise. Tout cela est peut-être insuffisant pour
certains. J’entends déjà les insultes fusées ! Personnellement, je n’attends
pas plus du chef de l’Eglise catholique. Ce
dernier sait plus que quiconque, que l’idéalisme simpliste n’est pas de bons
conseils. Le scénario à l’irakienne qui est une catastrophe humanitaire pour
la population civile, notamment la communauté chrétienne ; les premières élections démocratiques dans les pays
arabes libérés du totalitarisme qui ne s’inscrivent pas dans la
« tolérance religieuse » ; la situation peu enviable des
chrétiens de Syrie pris entre le marteau du régime alaouite et l’enclume des Frères
musulmans ; etc. Tout cela est dans l’esprit du pape et il serait naïf pour
tout responsable de son rang de ne pas y penser et de ne pas en tenir
compte, sans être accusé pour autant et ridiculement de soutenir la tyrannie des
Assad !
Par
contre, s’il faut attendre beaucoup,
c’est plutôt des responsables politiques internationaux en général, et des
rebelles syriens en particulier. Eux, ils ont le pouvoir absolu de changer la
donne, pas un pape. En dépit des déclarations hypocrites des uns et des autres,
le « niet » des Russes,
aussi ignoble soit-il, n’est point étonnant de la part d’un ex-KGBiste et suite
à l’aventurisme occidental en Libye. L’assassinat il y a 2 jours de
l’ambassadeur américain à Tripoli et la talibanisation du Mali il y a quelques mois, nous rappellent avec amertume que l’amateurisme
en politique internationale se paye très cher. En tout cas, ce niet arrange tout le monde, sans exception,
puisqu’ils dispensent tous les responsables politiques de la planète notamment
les arabes et les occidentaux, de toute action « concrète » envers la
population civile syrienne. Il est plus qu’évident étant donné l’ampleur du drame, la constante
barbarie du régime d’Assad, le rapport des forces sur le terrain et
l’enlisement de la situation, tous les
partis du conflit doivent se ressaisir et réévaluer leurs analyses.
Aujourd’hui la
révolution en Syrie dérape dangereusement. L’initiative des rebelles d’occuper
des quartiers d’Alep, pris il y a quelques semaines (où règne la confusion la plus totale; ils affirment détenir 60%
de la ville mais l’aéroport fonctionne normalement !), alors qu’avec
le recul on a la certitude qu’ils n’avaient pas les moyens de garder leurs
positions et de protéger efficacement la population civile en cas d’attaque des
forces gouvernementales ; l’exécution sommaire par les rebelles de 20
soldats de l’armée syrienne il y a quelques jours après la prise de la caserne
d’Hanano (depuis, elle a été reprise par les forces gouvernementales!) ;
le recours des rebelles à la voiture piégée contre une position de l’armée
régulière dans la province d’Idleb (18 morts) ; tout cela n’est pas
rassurant sur l’issue des affrontements. Les rebelles doivent revoir leur
copie ; américains, russes, arabes et européens aussi ! Toute action en
Syrie, comme l’inaction aussi, a des conséquences. Et celles-ci se payent en
vies humaines. Se tromper n’est pas
grave, persister dans l’erreur est impardonnable.
Dernier
détail qui a tout de même son importance, les chrétiens de Syrie, près de
1 500 000 fidèles, relèvent à 69% des Eglises orthodoxes et seulement
à 28,5% des Eglises catholiques. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que le
chef suprême des catholiques parle aux noms de toutes les communautés
chrétiennes de Syrie. Benoit XVI ne peut
qu’être fidèle à l’essence des Evangiles communs à ces dernières, l’amour et la
paix, mais ceux-ci ne s’obtiennent ni par la violence ni avec les armes ! Je
suis intimement convaincu que la révolte syrienne aurait dû rester pacifique,
pas pour les mêmes raisons que le pape mais parce qu’elle aurait été plus
efficace tout simplement. Je sais d’avance que mon affirmation choquera
plus d’une personne. C’est mon humble avis. Ce qui a été fait est fait. En tout
cas, je pense plus que jamais comme je
l’ai dit dans un article il y a un mois qu’« Il est temps que les rebelles de Syrie réévaluent l’efficacité de leur stratégie ! » après 18 mois
d’affrontement. Une guérilla est longue et incertaine, dont le coût est exorbitant pour la population civile (vies humaines, souffrance, dégâts matériels, manque à gagner...). La solution en Syrie
est politique et non militaire. D’ailleurs, selon le patriarche maronite
Bechara Raï, le pape appellera au Liban « ceux
qui financent ou arment les uns et les autres dans le conflit d'arrêter de le
faire ». Il
s’est déjà exprimé très clairement sur le sujet dans l’avion qui le menait à
Beyrouth. "L'importation d'armes doit cesser une fois pour toutes car sans
importation d'armes la guerre ne pourrait continuer. Au lieu d'importer des
armes, il conviendrait d'importer des idées de paix, de créativité, d'amour du
prochain". Faute de quoi, il faut accepter d’assister encore longtemps impuissant
à ce spectacle révoltant et meurtrier, avant d’espérer apercevoir une lumière
au bout du tunnel.
3. Angle de vue du
Moyen-Orient.
C’est
sans aucun doute, l’angle de vue le plus important de cette visite. A lui seul,
il permet d’apposer le tampon « historique » sur le séjour pontifical
au pays du Cèdre. Aujourd’hui à 18h, dans la basilique Saint Paul de Harissa, le
pape Benoît XVI, annoncera du Liban, point névralgique du Moyen-Orient, la « nouvelle exhortation apostolique post-synodale »,
que Joumana Haddad aurait mieux fait de lire avant de se lancer dans sa diatribe démagogique et enflammée contre le Saint-Siège.
Qu’est-ce
que tout ce charabia veut bien dire ? Il s’agit des propositions retenues par le pape à partir des conclusions du Synode « L'Église catholique au
Moyen-Orient : communion et témoignage », ce mini-concile qui a réuni il y
a moins de 2 ans à Rome 185 Pères de l’Eglise (dont 140 de traditions
orientales catholiques, avec la participation du Cardinal Mar Nasrallah Boutros
Sfeir), pour débattre en toute démocratie des préoccupations de l’Eglise
catholique au Moyen-Orient. L’idée d’organiser un synode sur la région revient
au Mgr Louis Sako, l’évêque de Kirkouk (Irak), qui l’a proposé au pape Benoit
XVI afin de trouver les moyens pour faire face au désastre suscité par
l’intervention américaine en Irak et ses dommages collatéraux sur les civils
irakiens en général, la communauté chrétienne en particulier. Après 2 semaines
de discussion, les Pères synodaux ont donc soumis au Souverain pontife « un ensemble de propositions concrètes que
les Pères considèrent d’une importance capitale. » L’Exhortation
apostolique qui sera annoncée par Benoît XVI aujourd’hui, et qui reprend une
partie des propositions, engage les autorités catholiques du Moyen-Orient. L’enjeu est donc
important. Vous trouverez ci-dessous les extraits les plus marquants des points
que j’ai sélectionnés.
-
Rester ouverts à tous. (proposition n° 4)
-
Ne pas tomber dans le confessionnalisme. (4)
-
Eveiller la conscience des chrétiens dans le monde à une plus grande solidarité.
(5)
-
Réclamer et soutenir le droit international et le respect de
toutes les personnes et de tous les peuples. (5)
-
Attirer l'attention du monde entier sur la situation dramatique de certaines
communautés chrétiennes au Moyen-Orient. (5)
-
Demander aux instances nationales et internationales un effort spécial pour
mettre fin à cette situation de tension, en rétablissant la justice et la paix. (5)
-
Exhorter nos fidèles et nos communautés ecclésiales à ne pas céder à la tentation de vendre leurs propriétés immobilières.
(6)
-
Aider les chrétiens à garder leurs
terres ou à en acquérir de nouvelles, nous proposons par exemple la
création de projets chargés de les faire fructifier, pour permettre aux
propriétaires de demeurer chez eux dignement et essayer de récupérer ceux qui
sont perdus et confisqués. (6)
-
Appliquer un système d'audit dans les
affaires financières de l'Église. (7)
-
Encourager le pèlerinage, retour aux
sources, découvrir la richesse des Églises d'Orient, rencontrer et encourager
les communautés chrétiennes locales. (8)
-
Prier et œuvrer pour la justice et la
paix au Moyen-Orient. (9)
-
Appeler à la purification de la mémoire,
et à favoriser le langage de la paix et l'espérance, plutôt que celui de la
peur et de la violence. (9)
-
Appeler les autorités civiles responsables à appliquer les résolutions des Nations-Unies concernant la région, en particulier le retour des réfugiés et le
statut de Jérusalem et des Lieux Saints. (9)
-
Créer un bureau ou une commission chargée de l'étude du phénomène migratoire et de ses motivations pour trouver
les moyens de le contrecarrer. (10)
-
Faire tout ce qui est possible pour consolider
la présence des chrétiens dans leurs patries, et cela spécialement à
travers des projets de développement, pour limiter le phénomène de la migration.
(10)
-
La situation des travailleurs immigrés au Moyen-Orient, chrétiens et non
chrétiens, surtout les femmes, nous concerne au plus haut degré. (14)
-
Nous appelons pour que les droits
fondamentaux des immigrés, reconnus par le droit international, soient
respectés, quelles que soient la nationalité et la religion des immigrés, et
pour les aider aux plans juridique, social et humain. (14)
-
Former une commission qui serait chargée d'étudier la situation des fidèles catholiques dans les pays du Golfe.
(19)
-
Intensifier l'usage de la langue arabe
dans le cadre des institutions du Saint-Siège et de ses réunions officielles. (21)
-
Assurer la même rémunération à tous les
prêtres actifs et retraités ; instituer un système de protection
sociale qui devrait être étendu aux religieux et religieuses ainsi qu'aux
épouses des prêtres mariés et à leurs enfants mineurs. (22)
-
Etudier la possibilité d'avoir des
prêtres mariés en dehors du territoire patriarcal. (23)
-
Encourager et renforcer le respect, la
dignité, le rôle et les droits de la femme. (27)
-
Sauvegarder et promouvoir le respect des
droits humains innés des enfants à partir du moment de la conception, pour
leur assurer les soins de la santé et une éducation chrétienne. (27)
-
Renforcer les centres de préparation
au mariage, les centres d'écoute et
d'orientation, l'accompagnement spirituel et humain des jeunes foyers, le
suivi pastoral des familles, surtout celles confrontées à des situations
difficiles (conflits internes, handicap, drogue, etc.). (35)
-
Encouragement de la natalité et de
la bonne éducation des enfants. (35)
-
Etre à l’écoute des jeunes pour
répondre à leurs interrogations et à leurs besoins. (36)
-
S'occuper des gens du troisième âge, des
immigrés et des réfugiés avec leurs divers besoins sociaux. (38)
-
Prendre soin plus particulièrement des
handicapés en leur créant des structures adéquates nécessaires et
favorisent leur intégration dans la société. (38)
-
Les chrétiens auront à cœur de protéger
la nature et l'environnement. Ils appellent les gouvernements et tous les
hommes de bonne volonté à unir leurs efforts en faveur de la sauvegarde de la
création. (38)
-
Les chrétiens du Moyen-Orient sont appelés à poursuivre le dialogue avec leurs concitoyens des autres religions,
dialogue qui rapproche les esprits et les cœurs. (40)
-
Les chrétiens sont invités, avec leurs partenaires, à la purification de la mémoire, au pardon mutuel du passé et à la
recherche d'un meilleur avenir commun. (40)
-
Dans la vie de chaque jour, ils chercheront l'acceptation mutuelle malgré les
différences, et œuvreront à édifier une société nouvelle où le pluralisme religieux est respecté et où
le fanatisme et l'extrémisme seront exclus. (40)
- Les
initiatives de dialogue et de
coopération avec les juifs sont à encourager pour approfondir les valeurs
humaines et religieuses, la liberté, la justice, la paix et la fraternité. (41)
-
Nous refusons l'antisémitisme et
l'antijudaïsme, en distinguant entre religion et politique. (41)
-
Au Moyen-Orient, les chrétiens partagent
avec les musulmans la même vie et le même destin. Ils édifient ensemble la
société. Il est important de promouvoir la notion de citoyenneté, la dignité de
la personne humaine, l'égalité des
droits et des devoirs et la liberté
religieuse comprenant la liberté du culte et la liberté de conscience. (42)
-
Les chrétiens du Moyen-Orient sont appelés à poursuivre le dialogue de vie
fructueux avec les musulmans. Ils
veilleront à avoir, à leur égard, un
regard d'estime et d'amour, mettant de côté tout préjugé négatif. (42)
-
Ensemble, chrétiens et musulmans, sont
invités à découvrir leurs valeurs religieuses respectives. Ils offriront
ainsi au monde l'image d'une rencontre positive et d'une collaboration
fructueuse entre les croyants de ces religions, s'opposant ensemble à tout genre de fondamentalisme et de violence
au nom de la religion. (42)
-
Confier tout le Moyen-Orient à la
protection de la Vierge Marie. (44)
Ces
propositions peuvent être regroupées dans plusieurs catégories : ouverture
d’esprit (4, 9, 40, 41, 42), solidarité (5, 35, 36, 38), respect du droit
international (5, 9), préoccupations chrétiennes (5, 6, 10, 35), respect des
droits des individus (14, 19, 22, 27), vente des terres (6) et transparence
financière (7). Comme dans tout document
de ce genre, il y a un peu de « littérature ». Il n’empêche que cette
Exhortation apostolique est ambitieuse et répondra à un triple
objectif : favoriser l’épanouissement des communautés chrétiennes au
Moyen-Orient, dissiper les menaces qui pèsent sur les minorités chrétiennes
vivant dans des sociétés dominées démographiquement par l’islam sunnite et encourager
la cohabitation pacifique et la tolérance religieuse entre toutes les communautés,
chrétiennes, musulmanes et juives. Reste à savoir comment elle sera traduite
sur le terrain, mais c’est une autre paire de manches.
Je voudrais souligner
particulièrement quatre points. Tout d'abord, le point 9 qui me plaît dans son contenu et sa formulation avec l'« appel à la purification de la mémoire ». Il y a ensuite, une partie du point
38 : « Les chrétiens auront à cœur de protéger la nature et
l'environnement. Ils appellent les gouvernements et tous les hommes de bonne
volonté à unir leurs efforts en faveur de la sauvegarde de la création. »
Wlak bravo wou alf bravo ! Ya reit nos élus pourraient s'en inspirer chi chouei ! Par contre, je ne partage pas la vision des Pères
sur le point 27, « respect des droits humains innés des enfants à partir
du moment de la conception », mais c’est un autre débat. Enfin, le dernier point m’a fait sourire :
« Confier tout le Moyen-Orient à la
protection de la Vierge Marie. » Il fallait y penser !
Conclusion
Nous sommes à une
période cruciale de l’Histoire du Moyen-Orient. Nous avons un
monde arabe en pleine mutation, des révolutions politiques qui se déroulent sans
révolution religieuse, des démocraties naissantes qui amènent au pouvoir des
partis extrémistes, une crise économique mondiale sans précédent, une
hémorragie migratoire continuelle, une démographie déclinante, une vente alarmante
des terres au plus offrant, bref, les
sujets d’inquiétude des orientaux de confession chrétienne ne manquent pas.
La tragédie des chrétiens d’Irak est dans tous les esprits. Le pape en est pleinement conscient en se rendant au Liban: "Le
Printemps arabe est une chose positive, un désir de davantage de démocratie, de
liberté, de coopération, d'une identité arabe rénovée. Mais, nous savons que le
cri de la liberté si important, si positif, court le risque d'oublier un aspect
fondamental de la liberté, la tolérance envers l'autre. Nous devons tout faire
pour que le concept de liberté aille dans la direction juste".
Certes,
l’Exhortation apostolique de Benoît XVI apportera des réponses spécifiques à
certaines craintes. Mais face à ces inquiétudes, ce qui rassurera le plus les communautés chrétiennes, ce n’est ni
le pape ni son exhortation ni tous les miroirs du monde, ce sont surtout leurs compatriotes musulmans ! Et vice versa
bien évidemment. Prenons par exemple le Liban, la répétition inlassable de Saad
Hariri, de son attachement à la parité entre chrétiens et musulmans, est un
élément rassurant. La dissolution de toutes les milices libanaises (Hezbollah)
et non libanaises (palestiniennes), rassurera davantage. Trouver une solution
définitive au problème des réfugiés palestiniens (12% de la population
libanaise... peut-on imaginer une seconde 8 millions de réfugiés dans un pays
comme la France et 38 millions aux Etats-Unis !), rassurera encore plus.
Et je pourrai multiplier les exemples à l’infini. Par contre, quand un grand
pays arabe comme l’Egypte, choisi pour représenter ses 82 millions d’habitants,
des extrémistes (70% du Parlement et le président sont issus des rangs des
Frères musulmans et des salafistes), il faut reconnaitre qu’il n’y a pas de
quoi rassurer l’arabe chrétien. Le distinguo entre salafistes et Frères
musulmans est sans beaucoup d’importance, tant que ces derniers font leurs campagnes
électorales sous le slogan « L’Islam
est la solution ». Rejeter clairement ce slogan, par tout arabe
musulman est surement de nature à rassurer son compatriote chrétien. La
situation en Syrie n’est pas non plus très rassurante. Quand on apprend que ce
sont des groupes armés extrémistes sunnites qui sont à l’origine de la bataille
d’Alep, on ne doit pas s’étonner que les chrétiens de la ville se montrent
inquiets ! Mais c’est loin d’être à sens unique ! De l’autre côté, les chrétiens d’Orient ne doivent pas se
placer loin des préoccupations des musulmans. Sur la Syrie précisément, ils doivent être pleinement conscients, de
la nécessité absolue qu’ils apportent une contribution substantielle dans la
chute de la tyrannie des Assad en Syrie, pour minimiser les risques de
vengeances post-révolutionnaires et être en paix avec leur conscience.
Je
termine ce long article par Régis Debray.
Pour le philosophe français, « Les
chrétiens d'Orient sont l'angle mort de notre vision du monde : ils sont trop
chrétiens pour les altermondialistes et trop orientaux pour les occidentalistes. »
En dépit de cette position spéciale, il pense que leur rôle en Orient est
fondamental. « Toutes ces communautés arabo-chrétiennes - catholiques,
orthodoxes, coptes ou maronites - jouent un rôle irremplaçable de trait d'union
et de médiateur entre l'extérieur et l'intérieur, l'Occident et l'Orient. De
plus, elles ne sont pas seulement un élément d'équilibre, en évitant au monde
arabo-musulman de se replier sur lui-même, mais aussi de modernisation. »
Chrétiens et musulmans du monde arabe doivent en être pleinement conscients
aujourd’hui. Mais cela ne dissipera malheureusement pas toutes les craintes. Seule la démocratie, dans les textes et les
esprits, apportera une assurance durable pour les chrétiens du Moyen-Orient,
et garantira une cohabitation pacifique entre toutes les communautés
religieuses, sachant qu’aucune démocratie
ne sera entière avant la mise en route de la « révolution religieuse »,
aussi bien dans les esprits des chrétiens que dans ceux des musulmans !
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