vendredi 31 mai 2013

Chronique d’une autoprorogation annoncée du Parlement (Art.150)


Difficile d’échapper à cette colère BCBG -bon chic, bon genre, et somme toute civilisée- du citoyen libanais aujourd’hui. On critique, on vocifère et on crache, chacun exprime à sa manière son mécontentement concernant l’autoprorogation du mandat du Parlement libanais, moi compris. Le plus comique dans cette histoire, c’est que certains des 128 députés de la nation s’y mettent eux aussi à maudire leur acte. Le Libanais, une espèce curieuse ! Schizophrénie, mon amour ! On peut palabrer jusqu’au jour où les poules auront des dents, pour répondre aux questions du moment et savoir qui, pourquoi et comment on est arrivés là où nous sommes aujourd’hui. Il n’empêche que le glas a sonné ! Libanais de bonne foi, et surtout de mauvaise foi, désolé, il n’est pas possible d’organiser des élections législatives au pays du Cèdre, comme c’était prévu le 9 juin 2013. Démocratie sous-développée nous étions, démocratie sous-développée nous le resterons. Pourquoi changer une formule qui marche, que dis-je, qui arrange tout le monde ?

Tout le monde ? Justement, parlons-en.

1. Si les leaders politiques libanais étaient vraiment sérieux dans la recherche d’une loi électorale pour remplacer la loi de 1960, ils seraient quand même parvenus. Rien n’est impossible aux gens de bonne volonté. Heureusement !

2. Partant de ce principe, disons que le problème réside comme d’habitude, dans l’hypocrisie générale, dans ces arrière-pensées, dans ce que l’on ne dit pas. Ce n'est pas la peine de se perdre dans les impasses de la politique libanaise. Qui revoit en accéléré le cours des événements au Liban peut parfaitement comprendre ce qui s’est réellement passé.

3. Tout le monde sait que la loi de 1960 est une loi féodale qui viole les principes démocratiques, notamment en ce qui concerne la bonne représentativité des électeurs libanais, toutes communautés confondues, puisqu’elle consacre le « vote en bloc » des communautés libanaises, transformant les « élections législatives » en « désignations parlementaires » et permet à un quartet -Hassan Nasrallah, Nabih Berri, Walid Joumblatt et Saad Hariri- de décider en pratique de l’élection du 3/4 du Parlement libanais.

4. Tout le monde sait que Hassan Nasrallah et Nabih Berri, s’en foutaient royalement de changer la loi électorale et des « droits des communautés chrétiennes ». 

5. Tout le monde sait que Walid Joumblatt a tout fait pour garder la loi féodale de 1960. 

6. Tout le monde sait que Saad Hariri n’a pas mesuré à juste titre et à juste temps, le problème posé par la loi archaïque de 1960, notamment pour les électeurs chrétiens. 

7. Tout le monde sait que Samir Geagea et Amine Gemayel sont les principaux lésés de la loi de 1960, qui ne leur permet pas d'être représentés au Parlement proportionnellement à leur poids populaire.

8. Tout le monde sait que le projet de « loi orthodoxe » s’est imposé après un an de discussions infructueuses.

9. Tout le monde sait que le « vote intracommunautaire » répondait au « vote en bloc » des communautés libanaises.

10. Tout le monde sait que le projet Ferzli n’avait aucune chance d’être appliqué. 

11. Tout le monde sait que le projet électoral mixte, présenté par le courant du Futur et les Forces libanaises, n'est pas la panacée, mais il était mieux que la loi féodale de 1960 et le projet de loi controversé du Rassemblement orthodoxe, et qu’il pouvait parfaitement faire l'objet d’un consensus entre les politiciens de bonne volonté, soucieux à la fois de la bonne représentativité des électeurs ainsi que de la cohabitation islamo-chrétienne, et non obnubilés par remporter les élections coute que coute et éliminer l'autre camp.

12. Tout le monde sait que le 8 Mars a tout fait pour saboter tout accord sur la « loi électorale mixte ».

13. Tout le monde sait que Nabih Berri est une calamité pour la démocratie libanaise (21 ans de règne à la tête du Parlement et fermeture de l’Assemblée nationale un an et demi !).

14. Tout le monde sait que Michel Aoun est le « père adoptif de la loi de 1960 » (accord de Doha en 2008), et a tout fait pour y revenir en 2013.

15. Tout le monde sait que Nabih Berri a violé la Constitution et la démocratie libanaises en ne présentant pas les deux projets électoraux en lice, le projet mixte et le projet orthodoxe, au vote des députés de la nation en séance plénière.

16. Toute le monde sait que l’implication active de la milice du Hezbollah dans la guerre civile en Syrie, avec plus de 4 000 combattants, transforme le Liban tout entier en une cocotte-minute, rendant la tenue des élections hasardeuses.

17. Tout le monde sait que l’autoprorogation a comme principale raison d’être, d’attendre l’évolution des événements en Syrie, chaque camp espérant que la chute de Bachar el-Assad ou l'écrasement de la révolution syrienne, se répercuterait en sa faveur au Liban.

18. Tout le monde sait que cette autoprorogation est anticonstitutionnelle et que le président de République, Michel Sleiman, saisira le Conseil constitutionnel qui pourrait l’annuler.

19. Tout le monde sait qu’on en arrive là car l’Etat libanais se désagrège au profit d’un parti théocratique libanais, le Hezbollah -inféodé à un Etat théocratique étranger, la République islamique d’Iran- qui précise noir sur blanc (voir le livre du cheikh Naïm Qassem, 2009), que pour les questions stratégiques, comme l’implication en Syrie, c’est Wali el-Fakih, le Guide suprême des mollahs, Ali Khamenei, qui fixe le cap et que la meilleure solution au bordel communautaire libanais serait l’instauration d’une République islamique chiite au Liban. 

20. Tout le monde sait qu’il en restera ainsi tant que le peuple libanais acquiescera que la souveraineté de l’Etat libanais soit piétinée par le Hezbollah et ses complices. Hélas, si la souveraineté libanaise est maltraitée autant, bérabkoun, peut-on s'étonner après, que la démocratie dans ce pays soit aussi malmenée ?