1. A l’aube du 28
mai, un Hummer venant de Syrie, franchit la frontière du Liban, et se
dirige vers un barrage de l’armée libanaise dans la région d’Ersal. A
l’arrivée, les occupants de cette voiture abattent trois soldats de sang-froid,
et repartent en direction de la Syrie. Comme d’habitude, il existe plusieurs
versions de l’événement, selon les organes de propagande qui les diffusent,
mais bon, tenons-nous à celle qui est communément admise.
2. Ce meurtre
gratuit est un crime barbare et odieux. Ses auteurs, doivent être trouvés, jugés
et condamnés.
3. Tout laisse
penser, comme vous le verrez plus loin, que cette attaque contre l’armée
libanaise a été commanditée par Bachar el-Assad en personne. Pour l’exécution
il avait l’embarras du choix, comme d’habitude. Néanmoins, certains
pensent que c’est un acte signé par les rebelles syriens. Une hypothèse qui fait beaucoup sourire.
Ces rebelles syriens, qui il y a peu de temps étaient présentés comme de la «
racaille désorganisée, un ramassis de sauvageons, de mercenaires et de terroristes », qui a à peine de quoi
s’acheter des armes -si l'on tient à croire cette dernière version!- circuleraient aujourd’hui en Hummer, sans plaque d’immatriculation,
tranquillement entre la Syrie et le Liban, pour aller mener des opérations militaires à des dizaines de kilomètres de
leurs bases ! Lol, ça serait une bonne blague pour le prochain sketch du duo Adel &
Abbéss.
4. La tragédie
d’hier s’inscrit dans une certaine perspective des événements, qu’il est judicieux
de dresser afin de comprendre les motifs de ce triple meurtre. Pas besoin de
remonter très loin dans le temps. Ce fut d’abord le déclenchement par l’armée
alaouite de Bachar el-Assad et la milice chiite du Hezbollah de la bataille d’Al-Qusayr, la mère de
toutes les batailles de Syrie, le dimanche 19 mai. Malgré la puissance de feu
des assaillants, 30 obus par minute -qui n’est pas sans rappeler les sinistres
performances de l’armée des Assad à Achrafieh, à Zahlé, à Bhamdoun et à Tripoli-
les rebelles syriens résistent avec une
telle ténacité, qu’on peut dire aujourd’hui, sans trop d’exagération, qu’ils risquent
de transformer Al-Qusayr en Stalingrad de l’axe Téhéran-Damas-Dahiyé. Ce qui me
pousse davantage à cette comparaison historique, c’est aussi la levée par l’Union
européenne de l’embargo sur la livraison d’armes aux rebelles syriens avant-hier, sous condition, tout en maintenant les
sanctions contre le régime de Bachar el-Assad.
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5. L’enlisement de
la milice chiite et de l’armée alaouite à Al-Qusayr a déclenché rapidement une
tornade qui a ravivé les braises de Tripoli. Des combats s’en suivirent, parallèles
à ceux d’Al-Qusayr, entre les alaouites pro-Assad et les sunnites anti-Assad, provoquant
une trentaine de morts et des centaines de blessés. L’armée libanaise a tenté
tant bien que mal wou bellati hiya a7ssan,
de ramener le calme dans la capitale du Nord. A peine elle a réussi, et comme si les Libanais n’en n’avaient pas
assez de souffrance, voilà que le chef du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, apparait
le 25 mai à l’occasion de la fête de la Libération, pour leur annoncer plus de « sacrifices humains sur l’autel des mollahs de la République islamique d’Iran. » Et
comme si les Libanais n’en n’avaient pas assez d’images de la guerre
civile en mémoire, il a fallu que les forces des ténèbres tirent deux Grad de 107 mm sur
Beyrouth, le 26 mai. Et deux jours après, ce fut le triple meurtre d’Ersal.
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7. Depuis plusieurs
mois, le camp « souverainiste » du 14 Mars réclame le déploiement de
l’armée libanaise le long de la frontière syro-libanaise. En vain ! Encore hier, alors
que le sang de nos soldats n’avait pas encore séché, le 14 Mars a encore une fois
réclamé le déploiement de l’armée libanaise pour tenir fermement nos
frontières. En vain, toujours. Et encore hier, alors que tout le monde sait que
les criminels sont venus de Syrie et sont repartis en Syrie, le gouvernement de
Najib Mikati, en place depuis deux ans et demi, et qui englobe toutes les forces
politiques du 8 Mars (Hassan Nasrallah, Michel Aoun, Nabih Berri) ainsi que
Walid Joumblatt, faisait semblant d'être très (pré)occupé par les élections législatives,
au lieu de donner l’ordre à l’armée libanaise de contrôler d’une main de fer les
frontières du Liban.
8. Le déploiement de
l’armée libanaise le long des frontières s’impose pour divers raisons, dont les
principales sont :
-
empêcher d’embarquer le Liban et sa population dans le conflit syrien ;
-
empêcher les « hordes de miliciens chiites » du Hezbollah de s’engager
aux côtés du régime alaouite du dernier tyran des Assad pour réprimer le peuple
sunnite syrien (1700 hommes pour Al-Qusayr seulement!) ;
-
empêcher « quelques individus sunnites » disparates d’aller combattre en
Syrie ;
-
contrôler le flux de réfugiés syriens (nous étions déjà à plus d’un million, il
y a plusieurs mois ; on doit être à 1,5 millions aujourd’hui ; peut-être
2 millions à la fin de l’année) ;
-
éviter les Michel Samaha en puissance : un ancien ministre du 8 Mars,
aujourd’hui emprisonné pour préparation d’attentats terroristes au Liban, dont
l’assassinat du patriarche Bechara Raï ; il a été pris en flagrant délit
avec des dizaines d’engins explosifs ramené de Syrie ; il a avoué que ces
attentats ont été commandités par Bachar el-Assad en personne et visaient à
créer des troubles confessionnels au Liban afin d’accuser les
« extrémistes sunnites libanais » d’en être les auteurs ;
-
empêcher des criminels de venir de Syrie ;
-
empêcher des criminels de fuir en Syrie.
9.
Bon, arrêtons de palabrer et oublions un instant les analyses de propagande à
la mords-moi-le-nœud. Tout citoyen,
analyste et responsable politique, soucieux et peiné par le triple meurtre des
soldats de l’armée libanaise doit se fixer aujourd’hui deux objectifs :
- Que justice soit
faite.
Pour cela, il faudrait naturellement mener une enquête professionnelle. On peut
estimer quand même dès à présent, qu’elle ne serait pas très difficile pour la
simple raison que les Hummer ne courent
pas les rues, au Liban comme en Syrie, on devrait même savoir exactement
combien il y en a et qui les possèdent. Ils ne passent pas inaperçus et ne
s’évaporent pas dans la nature. Ils laissent forcément des traces, beaucoup de
traces.
- Que le crime ne se
répète pas. Quelques
soient les possibilités -criminels libanais ou syriens, régime syrien ou
rebelles syriens, crime commandité par Bachar elAssad ou par les rebelles
syriens- si l’Etat libanais ne partageait
pas sa souveraineté avec des milices et des groupes armés, si la sécurité au
Liban ne se faisait pas « bel taradé », comme à Tripoli de nos jours, ou « bé tébwiss el lé7é », comme
à Beyrouth le 7 mai 2008, si les armes
n’étaient pas disséminées sur tout le territoire libanais et si l’armée
libanaise contrôlait la frontière syro-libanaise, les criminels auraient peu de
chance d’échapper à la justice et ce crime aurait aussi peu de chance de se
répéter ! Hélas, ma phrase est conditionnée par quatre « si »
aussi insurmontable l’un que l’autre.

L’enjeu aujourd’hui
est on ne peut plus simple : déployer l’armée libanaise ou pas le long de
la frontière avec la Syrie pour contrôler fermement le passage des
hommes et des hummers! Le gouvernement du 8 Mars nous a montré qu’il en
était incapable. Le 14 Mars saura-t-il être à la hauteur des attentes du peuple
libanais, toutes communautés confondues?
La veille des élections législatives, le
peuple libanais doit absolument savoir, où est son intérêt et qui le détermine.
Avant de choisir ses représentants, tout Libanais doit donc se poser deux questions
toutes simples :
- Qui décide de
l’intérêt du peuple libanais, l’Etat du Liban ou l’Etat du Hezbollah?
- Est-ce que
l’intérêt du peuple libanais est d’aller combattre à Al-Qusayr ou de déployer
l’armée libanaise le long de notre frontière avec la Syrie?