Quelques
réflexions après l’adoption du projet électoral mixte par le courant du Futur
et le parti des Forces Libanaises (FL).
1.
N’en déplaise à certains coqs de basse-cour, sans le soutien des quatre grands partis politiques chrétiens
-Forces libanaises, Kataeb, Marada, Courant patriotique libre- au projet de loi orthodoxe, aucune
discussion sérieuse ne se serait engagée entre les partis politiques libanais
sur la loi électorale. Les partis musulmans -chiites, sunnites et druzes- pouvaient,
sans prendre le moindre « risque électoral », faire passer le temps
pour que les délais électoraux expirent et qu’on revienne à la loi de 1960, qui
rappelons-le convient à tout le monde sauf aux électeurs chrétiens. Faut-il préciser
au passage que les discussions sur la nouvelle loi électorale étaient engagées depuis
près de deux ans, en vain, et qu’il y a 72h tout été encore bloqué et de l’avis
même de Samir Geagea, il a fallu engager carrément un bras de fer avec Saad
Hariri pour parvenir à ce projet de loi ?
2.
Disons aussi pour être juste, sans
l’opposition du courant du Futur, du Parti socialiste progressiste, des
indépendants chrétiens et du président de la République au projet orthodoxe, il
n’y aurait pas eu de recherche sérieuse d’un projet électoral mixte, nous
serons allés au vote intracommunautaire de la loi orthodoxe ou retournés vers
le vote féodale selon la loi de 1960, les deux projets de loi les plus controversés.
3.
Sans la suspension des partis chrétiens
de leur soutien au projet de loi orthodoxe à Bkerké, il n’aurait pas été
possible de parvenir au projet de loi mixte adopté conjointement par le Futur
et les FL, on serait retourné tout simplement vers la loi féodale de 1960.
4.
En dépit des hululements annonciateurs de mauvais présage, le projet mixte Futur-FL est une avancée démocratique
par rapport la loi féodale de 1960, puisqu’il permet incontestablement une
meilleure représentativité des électeurs libanais, notamment des communautés
chrétiennes.
5.
Hélas, le projet mixte Futur-FL ne
permet pas de mettre un terme à la violation de la démocratie libanaise que
représente le « vote en bloc » des communautés libanaises. Tout
le monde sait que « l’esprit de la loi orthodoxe », voter pour les candidats de sa
communauté et uniquement pour ceux des autres communautés qui sont alliées à la
sienne, perdurera encore et toujours, au pays du Cèdre. En finir nécessitera
une déconfessionnalisation des esprits, qui ne se fera pas en un clin d’œil, la
veille des élections.
6.
Quoique l’on dise, l’unité chrétienne de
Bkerké était un événement historique, mais ce n’était pas une fin en soi. Son
but était de parvenir à améliorer la
représentativité des électeurs chrétiens, ce que permet justement le projet
mixte Futur-FL.
7.
Ce projet mixte est un événement historique,
sur lequel on peut apposer avec fierté le cachet « made in Lebanon »,
mais ce n’est pas une fin en soi. Son but est de proposer le projet électoral
le plus juste sur le plan représentative,
le plus viable sur le plan constitutionnel
et le plus réaliste sur le plan législatif,
trois paramètres indivisibles. C’est ce qui était demandé par le patriarche
maronite d’Antioche et de tout l’Orient, Bechara Raï.
8.
On dit que la personnalité se révèle pleinement au cours des épreuves. Celle de
la loi électorale a permis à Michel Aoun et à Samir Geagea de confirmer leur
stature nationale. La confrontation des deux hommes aujourd’hui laisse présager
des batailles législatives et -n’oublions quand même pas l’obsession du général-
une élection présidentielle, passionnantes.
Michel Aoun et Samir Geagea, deux parcours diamétralement opposés : l’un se
recroqueville de plus en plus dans le rôle d’un chef de clan, bousillant les «
droits des communautés chrétiennes » pour des intérêts personnels, l’autre s’affine
en homme d’Etat « hakim », en sauvant tant bien que mal, l’intérêt national.
9.
Aucun projet électoral n’est parfait, même dans les pays occidentaux de
tradition démocratique. Il est toujours l’occasion de confrontations politiques
sans pitié. Le projet mixte Futur-FL n’échappe
pas à cette règle, et de ce fait, il peut être amélioré. Certains critères pour
le découpage des circonscriptions et la
répartition géo-communautaire des 128 sièges parlementaires entre le
scrutin majoritaire (68 députés élus dans 26 circonscriptions) et le scrutin
proportionnel (60 députés élus dans 6 circonscriptions), laissent perplexes,
comme le pensent à juste titre les Kataeb et Samy Gemayel tout particulièrement. Mais, il faut savoir qu’il y a
autant de découpages possibles que de Libanais, personne ne me contredira. L’essentiel
est de comprendre la motivation principale du Futur et des Forces libanaises en
proposant ce projet : avancer ! Ces remarques peuvent et doivent être prises en
compte. C’est le but des discussions en commission.
10.
Le projet mixte ne résout pas complètement
la violation chronique de la démocratie libanaise puisqu’un nombre de députés
libanais restent toujours « désignés arbitrairement » de facto par le
quartet musulman, grâce au vote en bloc de leurs communautés (chiite, sunnite
et druze) et non « élus démocratiquement » par les électeurs
libanais, toutes communautés confondues. Il s’agit naturellement de députés
chrétiens. Ils seraient moins d’une dizaine
selon l’aveu même des Forces libanaises, une vingtaine au maximum selon les
Kataeb, tout dépend du critère de calcul, selon que l’on considère un
député chrétien est « représentative » d’une circonscription si les électeurs
chrétiens de cette circonscription représentent plus de 50% des électeurs inscrits
ou s’il est élu par une majorité d’électeurs chrétiens. Mais, le problème est
bien plus grave que ça. Dans ces moments difficiles que traverse notre pays, la
question que tout chrétien, électeur ou responsable, doit se poser est la suivante: faut-il réitérer les erreurs du général
Michel Aoun de 1988-1990 ? Les communautés chrétiennes savent parfaitement
que l’intransigeance du général à
l’époque où il était locataire de Baabda, à la tête d’un gouvernement militaire
transitoire, les a conduit à une
première guerre désastreuse contre les troupes syriennes et à de graves
conséquences, l’accord de Taëf, et son aveuglement les a conduit à une deuxième
guerre funeste contre les Forces libanaises et à de graves conséquences, le
drame du 13 octobre 1990 et la terreur syrienne sur 15 ans ! Aujourd’hui, les
chrétiens doivent se demander s’il est vraiment nécessaire de donner raison à
ceux qui pensent que l’histoire se répète ?
12.
Ce projet mixte, pourrait rester un
avorton de loi sans l’adhésion de Walid Joumblatt. Pour le Beik, les
cuisiniers du Futur et des FL, ont concocté un savoureux plat, en découpant le Mont-Liban en deux morceaux.
Pourquoi le Mont-Liban et pas le Nord, le Sud, l’Est (Beyrouth) ou l’Ouest du
Liban (la Bekaa) ? Parce qu’il a fallu cuisiner le Mont-Liban à la mode de
Moukhtara, en donnant aux cazas d’Aley
et du Chouf une autonomie électorale, les détachant des six cazas que
composent le Mont-Liban, pour que le Beik accepte de gouter au plat électoral.
L’intention est louable aux yeux des uns, elle produit d’ores et déjà ses fruits,
Joumblatt votera la loi mixte. Elle est aussi condamnable aux yeux des autres, puisqu’elle constitue une violation manifeste de
la démocratie, son but n’étant pas d’assurer une meilleure représentativité
des électeurs de la région, mais plutôt d’obtenir l’adhésion du chef druze au
projet mixte. Hélas, la vie d’une nation c’est donnant donnant ! Les Libanais doivent savoir, que refuser ce partage, c’est prendre le
risque de bloquer tout le processus législatif, et revenir à la loi électorale
en vigueur, la loi de 1960, ce qui arrangerait bien les affaires de Walid
Joumblatt, et même les affaires de tout le monde, Futur compris, mais pas
celles des électeurs chrétiens. Enno
badna nékoul 3énab, aw té2tlo el natour ?
13.
Ce projet mixte, pourrait rester un
avorton de loi sans l’adhésion du 8 Mars, évidemment. Afin de séduire le Hezbollah
et Aoun, les cuistots du Futur et des FL ont trouvé là aussi une raison de plus
pour découper le Mont-Liban en deux morceaux, en fourrant le caza de Baabda avec le Metn, Kesrouan et Jbeil, pour
permettre justement au 8 Mars de disposer
de 50 000 électeurs chiites, un bloc de voix précieux, dans une région
à majorité chrétienne. Ce n’est absolument pas à l’avantage du 14 Mars. Prendre
ses adversaires pour des partenaires, alors qu’on n’a pas intérêt à le faire, mais le faire quand même dans l’intérêt
du pays, l’intention est encore une fois louable. Elle pourrait même tenter le
tandem Nasrallah-Aoun et sauver le pays, l’unité nationale et les élections
législatives, même si elle constitue là aussi, une violation manifeste de la démocratie, puisque son but n’étant
pas d’assurer une meilleure représentativité des électeurs de la région, mais représente
une belle « carotte » pour les amateurs de la bêta-carotène ! Là aussi, les cuisiniers du 14 Mars, l’ont
fait dans « l’esprit donnant donnant » et dans l’intérêt du pays.
Et là aussi, refuser ce partage, c’est
prendre le risque de bloquer tout le processus législatif, et revenir à la loi féodale
de 1960, ce qui arrangerait bien les affaires du 8 Mars, mais pas celles des
électeurs chrétiens.
14. AU FINAL ! Quelle loi électorale pour le Liban ? Personne ne s’est
consacré autant que moi à la loi électorale. Enno ! J’ai dû aborder le thème dans une douzaine d’articles. Si je dois établir un top 3 des lois
électorales « démocratiques », tenant compte du confessionnalisme
maladif des esprits libanais, il en sera ainsi :
-
Tirage au sort, parmi les électeurs,
comme pour les jurés. Pas sérieux, s’abstenir !
-
Circonscription uninominale, en
divisant le Liban en 128 circonscriptions, à un ou deux tours. Vous passerez le
bonjour à Carlos Eddé !
-
Loi orthodoxe, instaurant le vote
intracommunautaire, n’en déplaise à certains coqs et poules de basse-cour !
Mais,
gardons les pieds sur terre, aucune de
ces trois lois, n’a la moindre chance de recueillir l’unanimité des partis
politiques libanais à l’heure actuelle.
15. QUE FAIRE ?
Ce n’est plus la peine de continuer à forniquer avec Marie-Jeanne de la Bekaa
en fumant sa moquette et à prendre les vessies des électeurs libanais pour des
lanternes ! Il nous reste deux types de lois électorales et pas trois. Et
entre ces deux types de lois électorales, il faut choisir son camp.
D’une
part, la loi de 1960, qui découpe le
Liban en de grandes circonscriptions, avec un système de listes au scrutin
majoritaire. Il s’agit d’une loi féodale
d’un autre âge, qui transforme les « élections législatives » en
« désignations parlementaires », grâce au « vote en bloc »
des communautés libanaises, où les 3/4 des 128 députés sont désignés par le
quartet Nasrallah-Berri-Joumblatt-Hariri, dont la moitié des députés chrétiens.
D’autre
part, il y a la loi mixte, qui allie
système majoritaire et système proportionnel, comme le projet du Futur-FL et
ses dérivés, qui n’ont de limites que l’imagination des gens sincères et la
mauvaise foi des hypocrites ! Nous sommes arrivés à la fin de la partie, à
la phase d’abattage, alors cartes sur table. Seule une loi mixte a une chance sérieuse d’obtenir une majorité parlementaire.
La prorogation du mandat du Parlement est écarté en principe car
anticonstitutionnelle selon plusieurs juristes. Mais les principes dans notre
pays, vous savez ce qu’on en fait ! Si
le 8 Mars continue à camper sur ses positions, et rien n’est fait ce week-end,
le vote d’une nouvelle loi électorale ou le vote d’un nouveau report des délais
électoraux, le processus électoral suivra son cour, dès lundi, selon la loi
électorale en vigueur, la loi féodale de 1960. Celle-ci convient à tout le
monde, sauf aux électeurs chrétiens. Ce n’est sûrement pas de la sorte qu’on
« récupérera » les droits des communautés chrétiennes ! La
veille, de la séance parlementaire décisive, on se demande si ce n’est pas le souhait intime du tandem
Nasrallah-Aoun, comme en mai 2008 d’ailleurs. Rappelons pour l’histoire, notamment
à ceux qui crient à la « traitrise » et s’offusque de la position des
Forces libanaises, amnésiques par conviction ou par omission, que lors des arrangements
de Doha, pour sortir le Liban du pétrin dans lequel la milice du Hezbollah l’a
mis, Michel Aoun a insisté pour revenir
à la loi électorale de 1960. Pire encore, il s’est opposé fermement à ce
qu’il soit inscrit dans le projet de l’époque : « loi à usage
unique » ! Avait-il déjà l’intention de s’en servir de nouveau ? Nous
le serons sous peu. Il ne pourra plus cacher son jeu bien longtemps. Réponse imminente.