lundi 20 mai 2013

Après « Jésus et les marchands du Temple », voici « le peuple libanais et les marchands de la République » (Art.145)


Depuis bien longtemps déjà, la loi de 1960 est suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des électeurs libanais. Certes, depuis la démission du Premier ministre Najib Mikati, je l’avais bien dit, mais bien avant quand même. Tout a commencé, non à l’époque des Beatles comme le laisse supposer cette date, mais bien après. Il y a pratiquement 5 ans jour pour jour. Le pitch, pour résumer. Sentant que le gouvernement de Fouad Siniora était déterminé à affirmer sa souveraineté comme un pouvoir exécutif et non comme un pouvoir fantoche, la milice du Hezbollah a décidé à l’aube du 7 mai 2008 de faire plier l’Etat libanais. Elle lança ses miliciens dans les rues de Beyrouth et sur certaines collines du Mont-Liban. Bilan des combats : une centaine de morts parmi la population civile, des centaines de blessés et des centaines de milliers de personnes terrorisés. Cette performance funeste du 7 mai fut qualifiée par le chef du Hezbollah comme étant un « jour glorieux ». Pas de doute, nous partageons les mêmes passeports peut-être, mais pas les mêmes valeurs. Toujours est-il, alors que le Hezbollah venait de prouver aux yeux des libanais une nouvelle fois, sa nature milicienne, des pressions libanaises, arabes et internationales, ont poussé le 14 Mars à commettre la plus grave erreur de son existence : l’accord de Doha ! Et s’il n’y a qu’une seule chose à retenir de cet accord, c’est bien la résurrection de la loi électorale de 1960 au cours de ces discussions surréalistes alors que Beyrouth et le Mont-Liban étaient à feu et à sang.

Toujours en vigueur, celle-ci découpe le Liban en de grandes circonscriptions, avec un système de listes et des élections soumises au scrutin majoritaire uniquement. Il s’agit d’une loi féodale d’un autre âge, qui transforme les « élections législatives » en « désignations parlementaires », grâce au « vote en bloc » des communautés libanaises. A l’heure des confusions en tous genres, rappelons pour l’histoire, notamment à ceux qui crient à la « traitrise » des Forces libanaises, amnésiques par conviction ou par omission, que lors du tébwiss el lé7é à Doha, pour sortir le Liban du pétrin dans lequel la milice du Hezbollah l’a mis, Michel Aoun a insisté pour revenir à la loi électorale de 1960. Pire encore, il s’est opposé fermement à ce qu’il soit inscrit dans le projet de l’époque : « loi à usage unique ». Michel Aoun est en quelque sorte, le « père adoptif de la loi de 1960 ».

Avançons quand même. Nos élections étaient censées avoir lieu le 9 juin 2013 et le mandat du Parlement libanais expire le 19 juin. Afin de se donner du temps, nos députés ont repoussé les délais électoraux, pour le dépôt des candidatures au ministère de l'Intérieur, du 19 avril au 19 mai, au grand dam de Walid Joumblatt, fervent défenseur de la loi de 1960. La suite, tout le monde la connait, une mascarade à cinq piastres. Est-ce le prix de notre République démocratique actuellement ou le prix de nos leaders politiques que nous méritons après tout puisque nous les avons élu ? Allez savoir si, comme Ziad el-Rahbani se le demande, « elzé3ama 3am yéstaghéllo el cha3éb wou elcha3éb m3atar, aw elcha3éb 3am yéstaghél elzé3ama wou elzé3ama m3atarinn »? Qui exploitent la crédulité de l’autre : les leaders politiques ou les communautés libanaises ? Dans tous les cas, cessons de palabrer, nous sommes le 20 mai. Aujourd’hui, « on » -y compris Michel Aoun, le « père adoptif de la loi de 1960 »- nous explique que nous nous trouvons face à un dilemme. Proroger le mandat du Parlement ou aller vers des élections législatives sous la loi de 1960.

Précisons d’emblée pour bien orienter le débat, que le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a laissé entendre ce matin même, que son ministère peut parfaitement organiser les élections le 16 juin 2013, sous la loi en vigueur, la loi de 1960, donc, avant l’expiration du mandat du Parlement, rendant inutile toute prorogation.

Ceci étant, les arguments pour la prorogation du mandat du Parlement ne manquent pas. Cette prorogation s’imposerait soi-disant parce que le mandat de la chambre expire le 19 juin et qu’il n’est plus possible d’organiser des élections avant cette date butoir. Faux, comme on vient de le voir, sauf qu’il faudrait accepter que celles-ci se déroulent sous la loi de 1960. Pour l’instant, cette condition est rejetée fermement par les Forces libanaises et les Kataeb, les partis les plus lésés de cette loi féodale, mollement par tous les autres, qu’ils soient du 8 Mars ou du 14 Mars, notamment par Joumblatt et Aoun.  

Le 14 Mars (Futur et Forces libanaises), ainsi que Michel Aoun ne s'opposent pas à une prorogation de six mois; cependant,les premiers souhaitent que leur projet mixte soit soumis tout de suite au vote du Parlement, alors qu'Aoun se dit prêt pour des élections sur la base de la loi de 1960. Le 8 Mars (Nabih Berri et le Hezbollah), ainsi que Walid Joumblatt, seraient plutôt en faveur d'une prorogation de deux ans, la moitié d’un mandat ; ce camp est comme Aoun, prêt pour aller aux élections sous la loi de 1960. Les Kataeb est en principe contre la prorogation et pour la soumission du projet du Rassemblement orthodoxe ainsi que du projet mixte au vote des parlementaires. Eh oui, sur ce point, les lignes de clivage bougent, Joumblatt et Aoun ne sont pas là où on les attendait. En tout cas, les deux camps -smalla 3leiyoun, yérid el 3ein, vous ne pouvez pas savoir comme le monde entier nous envie certains d'entre eux (désolé de considérer la classe politique libanaise dans sa globalité, sans nuance, et de caricaturer mais le sarcasme m'est indispensable pour continuer à suivre l'actualité libanaise!)- arguent que cette longue prorogation, permettrait à nos chers représentants dévoués pour la nation et pour les électeurs autant que pour leurs comptes bancaires, de s’entendre sur une nouvelle loi électorale. Lol, maheik ? Il y a surement une minorité d'entre eux qui est sincère, mais l'écrasante majorité ne l'est pas. Wlak ya reit Jésus pouvait revenir sur Terre en ce jour de la Pentecôte pour fouetter ces « marchands de la République » comme il l’aurait fait avec les ignobles marchands du temple de Jérusalem, il y a près de 2000 ans.

Cette longue prorogation pose plusieurs problèmes.

Premièrement, il y a un problème moral.
Oublions un instant les contraintes légales. Au nom de quoi ces parlementaires autoprorogent leur mandat, d’un quart ou de la moitié d’un mandat, alors qu’ils n’ont pas été fichus de trouver une loi électorale juste pour le pays des 17 communautés ? La logique voudrait de bannir ces 128 noms ad vitam aeternam. Hélas, j'en suis sincèrement désolé, et je prie les députés sincères de m'en excuser, dans cette affaire, el mni7 bérou7 bel wou7ich, woul sale7 bérou7 bel talé7* ("talé7" signifie "féssid").

Deuxièmement, une telle prorogation pose un problème constitutionnel selon plusieurs juristes. Même si on l’a fait entre 1974 et 1992 (un mandat parlementaire de 18 ans, le rêve !), la guerre est une circonstance exceptionnelle. Nous ne sommes pas aujourd’hui en état de guerre, nous ne sommes donc pas dans des circonstances exceptionnelles. Rien n’interdit d’organiser rapidement des élections législatives libres, à part la mauvaise foi et les petits calculs d’apothicaires.

Et justement, on arrive au troisièmement, aux calculs d’apothicaires. Certains partisans de cette option, ne dévoilent évidemment pas leurs arrière-pensées. Ils présentent la chose comme un calice amer que le peuple devrait gober dans son propre intérêt. Officiellement, ça serait pour permettre aux partis politiques libanais de travailler sur une nouvelle loi électorale, soi-disant pour « améliorer la représentativité des électeurs libanais », mais aussi pour « récupérer les droits des électeurs chrétiens ». Chers représentants du peuple, pas tous mais surtout cette bande d’hypocrites, elle se reconnaitra toute seule, la démocratie vous rejette, elle est innocente de vos combines, elle vous désavoue, elle vous condamne au fouet pour avoir transformé les « députés de la nation » en « marchands de la République ».

Enno ma3lé, pas la peine de prendre les vessies des électeurs pour des lanternes, wlak law badda tchaté ghayamit. Si deux ans n’ont pas suffi aux partis politiques libanais pour s’entendre sur une loi électorale, le reste de la décennie ne le permettra pas. Ba2a, baléha ! Ce que cette bande d’hypocrites attend en réalité, c’est la suite des événements en Syrie ! Je vous avoue que c’est le point qui me met hors de moi. Depuis le 15 mars 2011, tolé3 3a lséné cha3ér wou ana 2oul : le conflit syrien sera long, Bachar el-Assad ne tombera pas vendredi prochain, le régime n’éliminera pas les rebelles mardi prochain et surtout, la chute de la tyrannie des Assad ne bouleversera pas la donne au Liban, le Hezbollah ne disparaitra pas comme par enchantement et on a 1001 problèmes qui n’ont rien à voir avec le destin de ce rejeton de la terreur. Deux ans et demi après, mes affirmations sont plus que jamais valables. Donc, il ne sert à rien d’attendre, que l’on soit avec le régime de Bachar el-Assad, comme le 8 Mars, notamment le Hezbollah, qui combat en ce moment même à Qousseir (en territoire syrien ; et compte dans ses rangs des dizaines de morts ces derniers jours, quittant ce bas-monde « en accomplissant leur devoir djhihadiste », comme Hassan Nasrallah a coutume de dire !), et Michel Aoun (qui lui, assure une couverture charitable « chrétienne » à cette milice chiite), ou contre ce régime, comme le 14 Mars, notamment les Forces libanaises, les Kataeb et le Futur qui distribue à ses heures perdues du lait et des couvertures à la population syrienne. Il est vital que le problème des élections législatives au Liban soit résolu rapidement, pour constituer au plus vite un gouvernement, et faire face aux graves problèmes qui nous attendent à tous les niveaux : de la présence de plus d’un million de réfugiés syriens sur notre territoire et ses conséquences désastreuses sur le pays, à l’effondrement prévisible de l’économie libanaise. Si on reporte les élections, on court le risque de rester tout simplement deux ans de plus avec un gouvernement 8 Marsien expédiant les affaires courantes.

Quatrièmement, et c’est sans doute le problème le plus grave, car il équivaut à la déclaration de la faillite politique de l’Etat libanais. Le peuple libanais doit prendre conscience que proroger le mandat parlementaire de 6 mois (comme le réclame le 14 Mars et Aoun), n’en parlons pas de deux ans (comme le réclame le 8 Mars et Joumblatt), c’est prendre sérieusement le risque de se retrouver au printemps 2014 avec le cauchemar suivant : pas de nouvelle loi électorale, encore et toujours, un Parlement autoprorogé anticonstitutionnellement, pas de gouvernement au plein pouvoir, pas de président non plus (dont le mandat expire le 25 mai 2014) et un gouvernement Mikati démissionnaire -incompétent déjà quand il ne l’était pas- expédiant toutes les affaires courantes de la République libanaise et de ses citoyens. Alors, vous comprenez mieux maintenant la raison d’être de ma photo de profil sur Facebook avec cette magnifique pièce de cinq piastres ?

Avec un peu de recul, je suis de plus en plus persuadé que c’est exactement ce que souhaite Hassan Nasrallah. Voilà pourquoi, le 8 Mars réclame une prorogation parlementaire de deux ans : pour couvrir et inclure l’élection présidentielle libanaise dans tout ce bazar. Pathétique. Il y a un art dans la politique libanaise -un art dégénératif quand même !- qui consiste à lier tous les problèmes entre eux, pour avoir à les régler tous ensemble, alors qu'on est déjà incapable de les résoudre un par un. C’est la philosophie de « sallé kamlé moutakamlé », où l’on se partage le pays comme on se partage un gâteau. C’est lamentable.

Etant donné tout ce qui précède, je dis NON à toute prorogation du mandat du Parlement libanais, qu’elle soit de six mois ou de deux ans. OUI, les élections législatives doivent avoir lieu tout de suite, c’est-à-dire le 16 juin, quel que soit la nature féodale et les défauts démocratiques de la loi électorale en vigueur. La seule alternative réaliste serait de soumettre illico presto les deux projets électoraux sur la table, orthodoxe et mixte, au vote des parlementaires et que la démocratie tranche. On pourrait après, et seulement après, proroger le mandat parlementaire du temps nécessaire au ministère de l'Intérieur pour organiser les élections législatives selon la nouvelle loi. Si rien n'est fait, pas de nouvelle loi électorale et pas de prorogation du mandat du Parlement, il n'y aura pas de vide politique, les élections se tiendront obligatoirement le 16 juin selon la loi de 1960. 

Tout le monde connait mon mépris pour cette loi féodale et anti-démocratique ! Mais rien ni personne n’est au-dessus de la démocratie. Tout report des élections et toute prorogation parlementaire, font encourir à la République libanaise des risques, qu’aucun esprit patriotique ne peut accepter. Le président de la République, Michel Sleiman, a bien fait savoir, qu’il est opposé à toute prorogation qui ne serait pas motivée par des raisons techniques, liées à la capacité du ministère de l’Intérieur à organiser les élections. Il a prévenu, comme pour la loi du Rassemblement orthodoxe qu’il saisira le Conseil constitutionnel dans le cas contraire. Ainsi, le vote du projet orthodoxe comme la prorogation, risquent d'être rejetés. Il faut donc absolument en tenir compte avant de choisir une option non viable. C’est dans ce contexte précis qu’il faut placer l’hostilité croissante depuis un moment de Michel Aoun à l’égard de Michel Sleiman. Le président est l’ultime obstacle pour la prorogation parlementaire de deux ans, le souhait profond du 8 Mars.

Et rappelons-nous, pour gagner les élections, la loi électorale compte bien entendu, mais pas autant que le programme électoral. Je me tue à le répéter depuis deux ans et demi déjà ! 30 à 60 % des électeurs libanais selon les circonscriptions ne votent pas, notamment les expatriés. C’est un réservoir de voix inestimable. Rien ne les fera bouger, à part un programme électoral clair, ambitieux et réaliste, loin des slogans creux et des promesses vaseuses, qui aborde toutes les préoccupations du peuple libanais aujourd’hui : les armes du Hezbollah, l’implication de la milice chiite en Syrie, la gestion du million de réfugiés syriens, l'effondrement économique, la montée de l'islamisme, le discours populiste chrétien, les coupures électriques, la lenteur d’internet, la précarité de la classe moyenne, la défiguration de Beyrouth, le manque d’espaces verts, les embouteillages, le cout de la vie, la corruption administrative, etc. Il ne suffira pas de faire des propositions, il faut aussi convaincre ces électeurs réticents et méfiants, qu’on est déterminé à résoudre leurs problèmes sérieusement. Au moins pour une fois !

Enfin, une petite nuance tout de même, si report il doit y avoir, pour des raisons techniques, malgré l’organisation des élections législatives sous la loi de 1960, telle qu'elle est ou amendée à la dernière minute, on devrait l’accepter uniquement pour permettre aux expatriés de voter à l’étranger. Non seulement ces expatriés doivent pouvoir voter aux prochaines élections législatives dans leurs circonscriptions d’origine -quelle honte qu'ils n'aient pas pu le faire à ce jour!- comme l’affirme la loi (sinon, le Conseil constitutionnel pourrait les annuler), mais en plus, étant donné que l’incompétent ministre des Affaires étrangères, Adnane Mansour (8 Mars / bloc Nabih Berri), n’a absolument rien fait dans ce sens (aucune campagne d’information pour pousser les expatriés à s’inscrire dans les consulats libanais !), toutes les conditions liées au vote des expatriés devraient être allégées. Les députés doivent prévaloir un principe simple : il suffit d’être inscrit sur les listes électorales pour voter, que l’on soit au Liban ou à l’étranger. Il faut donc trouver un moyen simple de permettre aux expatriés de voter, même s'ils ne s'étaient pas inscrits préalablement dans les consulats de leurs lieux de résidence.