Le drame de Tripoli
ne laisse personne indifférent. Non seulement parce que toutes ces images
nous ramènent au pire moment de la guerre civile (1975-1990) mais aussi parce
qu’elles sont récurrentes. Elles nous démontrent que les guerres du Liban ne
sont pas encore terminées ; hélas, nous
sommes toujours en état de guerre civile. Elles nous prouvent que notre
pays abonde d’armes et d’excités de la gâchette. Elles nous rappellent qu’au
pays du Cèdre, toute arme en dehors des
mains des autorités libanaises, n’est qu’un outil de la mort au service d’intérêts
personnels et loco-régionaux. Le meilleur exemple étant cette soi-disant « résistance »,
auto-désignation du Hezbollah de l’action de sa milice contre Israël, embourbée
aujourd’hui dans la guerre civile en Syrie aux côtés du dernier tyran des
Assad.
Toujours
est-il, certains compatriotes trouvent
que l’inaction de l’armée libanaise à Tripoli est une « honte ». Ils pensent que « L'armée a l'autorité et l'ordre émanant de tous les conseils des
ministres de maintenir l'ordre sur tout le territoire national. Se cacher
derrière l'autorité de l'exécutif est un mensonge. La décision revient à
l'armée, plus qu’à la décision politique. L'armée
a la mission non seulement de maintenir l'ordre à Tripoli mais
aussi d'anéantir toute source de tirs et de tirer sur n'importe quel élément
armé. » Si on suit ce raisonnement, l'armée libanaise devrait donc intervenir à
Tripoli et ailleurs, coute que coute, car elle aurait en quelque sorte carte
blanche « permanente » pour le faire. Certes, tout citoyen est en
droit d’exiger de l’armée libanaise que sa sécurité soit assurée. Mais, il n’empêche
qu’un tel raisonnement, donner un feu
vert « permanent » à l’armée pour intervenir à l’intérieur du pays,
n'est valable que dans un régime militaire ou fasciste. Ce n’est absolument
pas le cas du Liban, fort heureusement.
L’armée libanaise,
même dans une démocratie rachitique comme celle du Liban, dépend étroitement du
pouvoir politique. Comme le pouvoir politique au Liban est « déficient »,
l’armée libanaise se trouve « impuissante » face à un drame comme
celui de Tripoli. C’est aussi simple que ça !
Dans
ce contexte confus, il est nécessaire de préciser cinq points :
1.
Le rôle d’une armée n'est pas de maintenir l'ordre mais de défendre les
frontières. Hélas, au Liban, la milice
du Hezbollah s’est accaparée le rôle de l’armée, reléguant l’armée libanaise
dans un rôle de police. En tout cas, même pour la défense des frontières, l’armée
doit avoir le feu vert du pouvoir politique pour engager le pays et sa
population dans toute guerre extérieur.
2.
On a recours à l'armée libanaise à l'intérieur de notre pays pour deux raisons.
D’un côté, parce que 23 ans après
l'accord de Taëf et malgré deux résolutions du Conseil de sécurité (1559 et
1701), il y a encore des milices et des
groupes armés au Liban (libanais et palestiniens ; le Hezbollah étant
la milice la plus importante de toutes), hélas pour la population civile. D’un
autre côté, parce qu'aucune institution ne peut faire face à ces milices et ces
groupes armés à part l'armée libanaise. Si un engagement extérieur nécessite
l'aval du pouvoir politique, comme dans toute démocratie, alors n'en parlons
pas pour les interventions à l'intérieur des frontières.
3.
Depuis l'accord de Taëf, l'armée
libanaise est contrôlée principalement par le Conseil des ministres réunis,
et secondairement par le ministre de la Défense, le commandant de l'armée
libanaise et le chef des forces armées (le président de la République). En
effet, l’article 49 de la Constitution libanaise
précise que « les forces armées sont
soumises à l'autorité du Conseil des ministres ». Idem pour l’article 65, « Le pouvoir exécutif est confié au Conseil des ministres qui constitue
le pouvoir auquel sont soumises les forces armées. » Ainsi, tout
engagement de l'armée libanaise, nécessite donc l'aval du pouvoir politique.
Sinon, elle constituerait une violation de la Constitution et des principes
démocratiques. Certes, on n'en est pas à une violation près, mais ça serait une
de plus, quand même.
4.
Certains dans notre pays semblent
confondre deux situations. L'auto-défense,
si l’armée est la cible de tirs, est une chose, l’intervention contre les groupes armés qui se battent entre eux, comme
à Tripoli, en est tout autre. La première situation n’a évidemment pas besoin
de décision du Conseil des ministres. Théoriquement bien entendu, sauf qu’au
Liban, si, même l’auto-défense a besoin d’une couverture politique. La preuve,
l’affaire Ersal ! Par contre, toute intervention militaire a bel et bien besoin
d'une décision en Conseil des ministres. Sinon, c’est une violation de la
Constitution.
5. Le
Premier ministre démissionnaire, Najib Mikati, a déclaré hier que « l’armée a toutes les prérogatives pour prendre les mesures
nécessaires en vue de mettre un terme aux troubles et arrêter ceux qui
constituent une menace pour la sécurité ». Excellent, mais les Tripolitains
attendent bien davantage. Faut-il rappeler au chef de gouvernement qu’on est quand même au
énième round entre les quartiers de Jabal Mo7sen et Beb el-Tébbéné ? Les
combats de ces derniers jours prouvent que toutes les mesures politiques et militaires prises
depuis des années jusqu'à ce jour, ne sont que des rafistolages. Si on veut
sérieusement et définitivement en finir avec l’insécurité dans la capitale du
Nord, comme partout ailleurs au Liban, le Conseil des ministres doit donner un ordre politique clair à l’armée
libanaise pour procéder enfin, au désarment des milices et des groupes armés à Tripoli, comme dans le reste du pays du Cèdre, conformément à l'accord de Taëf et aux résolutions du Conseil de sécurité 1559 et 1701. Et tout ce qui est en dehors de cela, n'est que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el 7aké !
Les événements
tragiques de Tripoli ne sont pas sans rappeler ceux de Beyrouth le 7 mai 2008. Jusqu’à ce jour,
beaucoup de Libanais reprochent encore à l’armée libanaise de ne pas être
intervenue face au Hezbollah. Là aussi, il est peut être intéressant de dresser
le contexte. Alors que le Hezbollah venait de montrer encore une fois sa nature
milicienne, en mettant Beyrouth et une partie du Mont-Liban à feu et à sang, le
14 Mars était au pouvoir, le 8 Mars n'y était pas, Fouad Siniora était Premier
ministre (ce n'est pas un mollasson à ce que je sache!), qu'a-t-on fait ? Rien. L'armée libanaise n'a reçu aucun ordre du 14
Mars pour intervenir « activement » alors que la milice chiite avait placé le Liban de nouveau
au bord de la guerre civile. Tout ce qui pourra être dit pour justifier cela
est d'ordre politique, et valide mon affirmation! Il faudrait peut-être arrêter une certaine mauvaise foi, et surtout,
cette manie de vouloir déplacer les problèmes et trouver des bouc-émissaires.
L'origine de l'inaction de l'armée
libanaise et son impuissance pour arrêter les combats entre des fractions armées, est incontestablement d'ordre politique ! Tenez, un exemple qui
le confirme, il y a six ans, pratiquement jour pour jour, l’armée libanaise
avait reçu l'ordre politique de neutraliser un groupe terroriste made in Syria
& by Assad, Fateh el-Islam. La mission fut accomplie.
Une
toute dernière chose et non des moindres. Tout
citoyen libanais est en droit de se demander si nos dépenses militaires qui s’élèveront
en 2013 à 1,645 milliards de dollars, sont pleinement justifiées. Mais là
aussi, ce point relève uniquement du
ressort politique et non militaire. Il dépend exclusivement du gouvernent
et du Parlement libanais.