jeudi 23 mai 2013

Le drame de Tripoli : la déficience du pouvoir politique et l'impuissance de l'armée libanaise (Art.146)


Le drame de Tripoli ne laisse personne indifférent. Non seulement parce que toutes ces images nous ramènent au pire moment de la guerre civile (1975-1990) mais aussi parce qu’elles sont récurrentes. Elles nous démontrent que les guerres du Liban ne sont pas encore terminées ; hélas, nous sommes toujours en état de guerre civile. Elles nous prouvent que notre pays abonde d’armes et d’excités de la gâchette. Elles nous rappellent qu’au pays du Cèdre, toute arme en dehors des mains des autorités libanaises, n’est qu’un outil de la mort au service d’intérêts personnels et loco-régionaux. Le meilleur exemple étant cette soi-disant « résistance », auto-désignation du Hezbollah de l’action de sa milice contre Israël, embourbée aujourd’hui dans la guerre civile en Syrie aux côtés du dernier tyran des Assad.

Toujours est-il, certains compatriotes trouvent que l’inaction de l’armée libanaise à Tripoli est une « honte ». Ils pensent que « L'armée a l'autorité et l'ordre émanant de tous les conseils des ministres de maintenir l'ordre sur tout le territoire national. Se cacher derrière l'autorité de l'exécutif est un mensonge. La décision revient à l'armée, plus qu’à la décision politique. L'armée a la mission non seulement de maintenir l'ordre à Tripoli mais aussi d'anéantir toute source de tirs et de tirer sur n'importe quel élément armé. » Si on suit ce raisonnement, l'armée libanaise devrait donc intervenir à Tripoli et ailleurs, coute que coute, car elle aurait en quelque sorte carte blanche « permanente » pour le faire. Certes, tout citoyen est en droit d’exiger de l’armée libanaise que sa sécurité soit assurée. Mais, il n’empêche qu’un tel raisonnement, donner un feu vert « permanent » à l’armée pour intervenir à l’intérieur du pays, n'est valable que dans un régime militaire ou fasciste. Ce n’est absolument pas le cas du Liban, fort heureusement.

L’armée libanaise, même dans une démocratie rachitique comme celle du Liban, dépend étroitement du pouvoir politique. Comme le pouvoir politique au Liban est « déficient », l’armée libanaise se trouve « impuissante » face à un drame comme celui de Tripoli. C’est aussi simple que ça !

Dans ce contexte confus, il est nécessaire de préciser cinq points :

1. Le rôle d’une armée n'est pas de maintenir l'ordre mais de défendre les frontières. Hélas, au Liban, la milice du Hezbollah s’est accaparée le rôle de l’armée, reléguant l’armée libanaise dans un rôle de police. En tout cas, même pour la défense des frontières, l’armée doit avoir le feu vert du pouvoir politique pour engager le pays et sa population dans toute guerre extérieur.

2. On a recours à l'armée libanaise à l'intérieur de notre pays pour deux raisons. D’un côté, parce que 23 ans après l'accord de Taëf et malgré deux résolutions du Conseil de sécurité (1559 et 1701), il y a encore des milices et des groupes armés au Liban (libanais et palestiniens ; le Hezbollah étant la milice la plus importante de toutes), hélas pour la population civile. D’un autre côté, parce qu'aucune institution ne peut faire face à ces milices et ces groupes armés à part l'armée libanaise. Si un engagement extérieur nécessite l'aval du pouvoir politique, comme dans toute démocratie, alors n'en parlons pas pour les interventions à l'intérieur des frontières.

3. Depuis l'accord de Taëf, l'armée libanaise est contrôlée principalement par le Conseil des ministres réunis, et secondairement par le ministre de la Défense, le commandant de l'armée libanaise et le chef des forces armées (le président de la République). En effet, l’article 49 de la Constitution libanaise précise que « les forces armées sont soumises à l'autorité du Conseil des ministres ». Idem pour l’article 65, « Le pouvoir exécutif est confié au Conseil des ministres qui constitue le pouvoir auquel sont soumises les forces armées. » Ainsi, tout engagement de l'armée libanaise, nécessite donc l'aval du pouvoir politique. Sinon, elle constituerait une violation de la Constitution et des principes démocratiques. Certes, on n'en est pas à une violation près, mais ça serait une de plus, quand même. 

4. Certains dans notre pays semblent confondre deux situations. L'auto-défense, si l’armée est la cible de tirs, est une chose, l’intervention contre les groupes armés qui se battent entre eux, comme à Tripoli, en est tout autre. La première situation n’a évidemment pas besoin de décision du Conseil des ministres. Théoriquement bien entendu, sauf qu’au Liban, si, même l’auto-défense a besoin d’une couverture politique. La preuve, l’affaire Ersal ! Par contre, toute intervention militaire a bel et bien besoin d'une décision en Conseil des ministres. Sinon, c’est une violation de la Constitution.

5. Le Premier ministre démissionnaire, Najib Mikati, a déclaré hier que « l’armée a toutes les prérogatives pour prendre les mesures nécessaires en vue de mettre un terme aux troubles et arrêter ceux qui constituent une menace pour la sécurité ». Excellent, mais les Tripolitains attendent bien davantage. Faut-il rappeler au chef de gouvernement qu’on est quand même au énième round entre les quartiers de Jabal Mo7sen et Beb el-Tébbéné ? Les combats de ces derniers jours prouvent que toutes les mesures politiques et militaires prises depuis des années jusqu'à ce jour, ne sont que des rafistolages. Si on veut sérieusement et définitivement en finir avec l’insécurité dans la capitale du Nord, comme partout ailleurs au Liban, le Conseil des ministres doit donner un ordre politique clair à l’armée libanaise pour procéder enfin, au désarment des milices et des groupes armés à Tripoli, comme dans le reste du pays du Cèdre, conformément à l'accord de Taëf et aux résolutions du Conseil de sécurité 1559 et 1701. Et tout ce qui est en dehors de cela, n'est que palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el 7aké !

Les événements tragiques de Tripoli ne sont pas sans rappeler ceux de Beyrouth le 7 mai 2008. Jusqu’à ce jour, beaucoup de Libanais reprochent encore à l’armée libanaise de ne pas être intervenue face au Hezbollah. Là aussi, il est peut être intéressant de dresser le contexte. Alors que le Hezbollah venait de montrer encore une fois sa nature milicienne, en mettant Beyrouth et une partie du Mont-Liban à feu et à sang, le 14 Mars était au pouvoir, le 8 Mars n'y était pas, Fouad Siniora était Premier ministre (ce n'est pas un mollasson à ce que je sache!), qu'a-t-on fait ? Rien. L'armée libanaise n'a reçu aucun ordre du 14 Mars pour intervenir « activement » alors que la milice chiite avait placé le Liban de nouveau au bord de la guerre civile. Tout ce qui pourra être dit pour justifier cela est d'ordre politique, et valide mon affirmation! Il faudrait peut-être arrêter une certaine mauvaise foi, et surtout, cette manie de vouloir déplacer les problèmes et trouver des bouc-émissaires. L'origine de l'inaction de l'armée libanaise et son impuissance pour arrêter les combats entre des fractions armées, est incontestablement d'ordre politique ! Tenez, un exemple qui le confirme, il y a six ans, pratiquement jour pour jour, l’armée libanaise avait reçu l'ordre politique de neutraliser un groupe terroriste made in Syria & by Assad, Fateh el-Islam. La mission fut accomplie.

Une toute dernière chose et non des moindres. Tout citoyen libanais est en droit de se demander si nos dépenses militaires qui s’élèveront en 2013 à 1,645 milliards de dollars, sont pleinement justifiées. Mais là aussi, ce point relève uniquement du ressort politique et non militaire. Il dépend exclusivement du gouvernent et du Parlement libanais.