Michel
Aoun a évidemment le droit de s’exprimer et de manifester dans le cadre des
lois libanaises en vigueur, sans être conspué et menacé d’avoir affaire à
l’armée s’il le fait. C’est enfantin de lui tomber dessus à chaque fois qu’il
ouvre la bouche, alors que beaucoup se taisent quand les Joumblatt, Abou Faour
et Azzi l’ouvrent et dérapent. D’un autre côté, le général n’a pas à amplifier les faits en faisant croire que toute la classe
politique se ligue pour empêcher la mobilisation de ses sympathisants. « Tous les médias parlent des grands
préparatifs qui nous attendent ». C’est ridicule étant donné la dernière
performance il y a quelques semaines. C’est
encore plus grotesque que de se montrer menaçant. « J’espère que c’est clair pour tout le monde... Ne nous pousser
pas à en dire plus... Nous ne tairons plus à partir d’aujourd’hui ».
De grâce, c’est une monnaie qui n’a plus cours de nos jours. Dans le sillage de
cette intro, je rajouterai qu’il n’y a
pas à se moquer de la (dé)mobilisation aouniste. Personne ne fera beaucoup mieux de nos jours, en plein mois
d’août, avec une température ressentie de 39°C à Beyrouth, et l’abattement
politique ambiant, s’il appelle demain à manifester ici ou là, sans événement
catalyseur.
Michel Aoun a déliré un peu hier. Ce n’est pas la
première fois et ça ne sera pas la dernière. Trouver encore des fleurs bleues parmi ses
sympathisants pour gober ses légendes à cinq piastres, qu’il était l’élément
déclencheur, le seul, de la libération du Liban de « l’occupation
syrienne », terme qu’il n’a pas osé prononcer, « grâce à MA coopération avec des puissances internationales », et
que la mort de Rafic Hariri n’est qu’une « coïncidence »
dans l’histoire, que ses ministres avaient des plans ingénieux pour résoudre
les cauchemars des Libanais, les problèmes d’eau et d’électricité, mais qu’ils
n’ont pas été écoutés, relève franchement du miracle.
Je suis persuadé qu’un peu plus de modestie
et de réalisme de la part du général, rendrait Michel Aoun plus sympathique et
surtout, plus sérieux.
En tous cas, le général Michel Aoun semble oublier deux points essentiels de son CV. C'est peut-être dû à l'âge. 82 ans tout de même, wel 3omer kello. Alors, je
me fais un plaisir de lui rappeler :
1. Il
fait partie intégrante du paysage politique et militaire libanais depuis plus
de 30 ans,
en tant que commandant de l’armée libanaise (1984-1990), Premier ministre
(1988-1990), opposant pénard en exil et non soumis à la Terreur du régime sécuritaire
libano-syrien (1990-2005), député de la nation (2005-2017) et chef du plus
important parti politique chrétien (depuis 2005). Ce n’est quand même pas rien !
2. Il
fait partie intégrante des pouvoirs législatif depuis 10 ans et exécutif depuis
6 ans.
Il a détenu 1/3 d’un gouvernement (8-Mars), qui a exercé le pouvoir pendant près de
trois ans, et 1/5 du Parlement, sur trois mandats svp. Ça fait plutôt rêver !
Alors,
si toute la classe dirigeante libanaise est incompétente, et il n’a pas complètement tort, mais
il en fait partie, pardi ! Et si cette classe politique s’arrange
comme elle veut avec la Constitution et les lois libanaises, et il a sans doute
raison, mais il en fait partie, bordel. Par quelle logique peut-il se
demander, « pourquoi ils ne se sont
pas entendus sur une nouvelle loi électorale ? » Mais enfin, il
fait partie du « ils ». Wallah el3azim rawéyé. Si Michel Aoun
juge que le Parlement est « illégal »,
il est alors « illégitime »
lui aussi. Wlak ya general, ma be2oul el
matal, on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. Et puis,
disons-le une fois pour toutes, si le Conseil constitutionnel n’a pas invalidé
la regrettable autoprorogation parlementaire, cela signifie que celle-ci est légale, en
dépit de ces fatigantes jérémiades.
Par ailleurs, Michel Aoun semble oublier une base fondamentale de la vie politique.
Là ce n'est pas la faute de l'âge, mais c'est parce que ça l’arrange. Alors, je me fais un devoir de lui rappeler que dans tout
système démocratique, il existe des
règles du jeu, qu’on ne peut pas modifier à sa guise. Soit on les respecte,
soit on travaille pour les changer. Mais, on ne peut pas bon sang,
protester contre les règles du foot en plein match, encore moins en plein Mondial. Dans
une démocratie, personne ne peut considérer son point de vue comme étant la
référence. Michel Aoun a entièrement raison de rappeler que des élections
législatives auraient dû précéder l’élection présidentielle. Ça n’a pas eu
lieu, tout le monde connait les raisons, la mésentente de toute la classe
politique libanaise sur une nouvelle loi électorale et la stupide attente à la
fois des leaders du 14-Mars et du 8-Mars (le Hezbollah en tête, l’allié de
Michel Aoun), de l’issue de la guerre en Syrie. Bilan des courses, nous sommes
là, bloqués au beau milieu de l’autoroute. Le dinosaure du Parlement, Nabih
Berri, a déjà appelé les députés à 28 séances électorales svp, pour élire
un président de la République, toutes boycottées par Aoun et ses députés, à l’exception
de la première séance du 23 avril 2014, où Samir Geagea, président des Forces libanaises et candidat désiré du 14-Mars, avait obtenu 48 voix, alors que Michel Aoun, président du Courant patriotique libre et candidat indésirable du 8-Mars, aucune. L’ironie de l’histoire
c’est qu’aujourd’hui même, mercredi 12
août, alors que les députés de la nation étaient convoqués à la 27e séance place de l’Etoile, pour élire le 13e président de la
République libanaise, Michel Aoun et
ses députés, ont préféré rester dans la rue, pour soi-disant dénoncer la
mauvaise gouvernance du Liban, la corruption de la vie politique libanaise et
les violations de la Constitution du pays du Cèdre. Eh oui, le surréalisme politique
existe. Je l’ai rencontré au Liban où il avait pris la forme de la mascarade.
Toujours
est-il que Michel Aoun a dérapé au cours de sa conférence de presse hier, comme jamais auparavant. Dire dans le
contexte que tout le monde connait « qu’ils
veulent imposer une élection présidentielle avant les élections législatives »,
relève de la mauvaise foi, étant
donné le rôle actif qu’il a joué lui-même dans cette affaire, et qui n’a pas permis aux leaders libanais de s'entendre sur une
nouvelle loi électorale. Dire « qu’il
n’y a plus de respect de la Constitution et des lois au Liban... tous ces abus
ne sont plus acceptables », relève de l’hypocrisie de la part de celui qui a boudé, avec son allié le
Hezbollah, pas moins de 27 occasions d’élire un nouveau président au Liban.
Dire que « certaines forces
politiques sont liées à l’étranger », relève de l’aveuglement sélectif, étant donné l’enlisement de la milice du
Hezbollah dans la guerre civile syrienne. Dire « que personne ne me demande quelle sera la prochaine étape... qu’est-ce
qu’on obtiendra à l’avenir », relève de l’inconscience politique. Dire « nous
avons gagné et personne d’autre », relève du populisme. Se demander si « on
a trouvé le moindre indice qui inculpe quiconque dans les crimes qui ont été
commis (au Liban) », relève d’un manque
de suivi de l’actualité. Dire « vous
savez quand tous les crimes (politiques) disparaitront ? C’est lorsque l’enquêteur
est celui qui a commis le crime, comme l’histoire des Dix petits nègres »,
relève de la calomnie. Dire que « nous sommes les seuls à éprouver
quelque chose à l’égard du peuple libanais, qui doit se lier à sa terre, ses
projets, son développement et sa capitale », relève des foutaises, le Courant patriotique libre
a voté la libération sauvage des loyers anciens au
Liban, qui expulsera à terme les Libanais de la classe moyenne et des natifs de
Beyrouth de leurs appartements et livrera la capitale libanaise aux promoteurs
sans scrupule. Dire que « nous leur
avons parlé de la question des déchets et nous les avons averti des conséquences »,
relève de la récupération facile.
Dire « ce que nous essayons de faire
c’est de vous rafraichir la mémoire... c’est votre affaire, pour que vous puissiez
rester, vous et vos enfants, sur cette terre, et pour que vous sachiez plus
tard, si vos problèmes sont résolus, qui les a au moins résolus », relève
de la suffisance.
« Nous rêvons d’un pays où la loi, la
Constitution et le peuple existe, et non du pays des déchets, du vol, du pillage
et de la corruption. » Je partage entièrement ce rêve avec le
général. Mais, appeler les Libanais à descendre dans la rue ne sera pas
entendu. Pas massivement en tous cas, car les
Libanais ont en ont marre de ces beaux discours et de ces belles légendes. Ils veulent du concret et du bon sens. Michel Aoun doit sortir des petits calculs
politiciens, en prenant la décision courageuse de se présenter au Parlement
à la prochaine séance électorale le 2 septembre. S’il gagne, sahtein 3a albo, et s’il perd, il
rentrera dans l’histoire, avant de tirer sa révérence. De l’autre côté, la classe politique libanaise
doit cesser de traiter le courant aouniste avec autant de mépris et de
désinvolture. Elle ne fait que renforcer sa popularité au sein de la
communauté chrétienne, même si celle-ci est en constante déclin. Oui Chamel
Roukouz mérite d’être commandant de l’armée libanaise. Il n’est pas le
seul, heureusement pour l’institution militaire. Il n'est pas le mieux placé peut-être. Qu'importe, que le meilleur soit nommé,
point barre. Tout ce qui se dit en dehors de ça, n’est que palabres au pays des
palabres et des calculs politiciens au royaume des magouilles. Je ne comprends pas
qu’on puisse juger la compétence d’un homme sur son livret de famille, alors que
l’on raconte sa bravoure aux quatre coins du Liban. C’est indigne de la
République libanaise. Les images de la
réunion arrosée au champagne, qui s’est tenue il y a quelques jours chez l’ancien
président de la République, Michel Sleiman, après la prorogation du mandat de l’actuel
commandant de l’armée, Jean Kahwaji, sont
déplacées. Il n’y avait vraiment pas de quoi pavoiser. La nomination du général Chamel Roukouz, chef du régiment des
commandos de l’armée libanaise et gendre de Michel Aoun, à la tête de nos forces armées, aurait pu débloquer une situation
politique figée depuis près de deux ans, si elle avait été proposée et soumise à certaines conditions. Occasion ratée. Et ça, ce n'était pas malin de la part du gouvernement de Tammam Salam et de la classe
politique libanaise.
Réf.