mercredi 12 août 2015

Mercredi 12 août, alors que Michel Aoun est attendu au Parlement, pour élire un président de la République, on le retrouve dans la rue pour protester contre la corruption de la vie politique au Liban (Art.304)


Michel Aoun a évidemment le droit de s’exprimer et de manifester dans le cadre des lois libanaises en vigueur, sans être conspué et menacé d’avoir affaire à l’armée s’il le fait. C’est enfantin de lui tomber dessus à chaque fois qu’il ouvre la bouche, alors que beaucoup se taisent quand les Joumblatt, Abou Faour et Azzi l’ouvrent et dérapent. D’un autre côté, le général n’a pas à amplifier les faits en faisant croire que toute la classe politique se ligue pour empêcher la mobilisation de ses sympathisants. « Tous les médias parlent des grands préparatifs qui nous attendent ». C’est ridicule étant donné la dernière performance il y a quelques semaines. C’est encore plus grotesque que de se montrer menaçant. « J’espère que c’est clair pour tout le monde... Ne nous pousser pas à en dire plus... Nous ne tairons plus à partir d’aujourd’hui ». De grâce, c’est une monnaie qui n’a plus cours de nos jours. Dans le sillage de cette intro, je rajouterai qu’il n’y a pas à se moquer de la (dé)mobilisation aouniste. Personne ne fera beaucoup mieux de nos jours, en plein mois d’août, avec une température ressentie de 39°C à Beyrouth, et l’abattement politique ambiant, s’il appelle demain à manifester ici ou là, sans événement catalyseur.

Michel Aoun a déliré un peu hier. Ce n’est pas la première fois et ça ne sera pas la dernière. Trouver encore des fleurs bleues parmi ses sympathisants pour gober ses légendes à cinq piastres, qu’il était l’élément déclencheur, le seul, de la libération du Liban de « l’occupation syrienne », terme qu’il n’a pas osé prononcer, « grâce à MA coopération avec des puissances internationales », et que la mort de Rafic Hariri n’est qu’une « coïncidence » dans l’histoire, que ses ministres avaient des plans ingénieux pour résoudre les cauchemars des Libanais, les problèmes d’eau et d’électricité, mais qu’ils n’ont pas été écoutés, relève franchement du miracle. Je suis persuadé qu’un peu plus de modestie et de réalisme de la part du général, rendrait Michel Aoun plus sympathique et surtout, plus sérieux.

En tous cas, le général Michel Aoun semble oublier deux points essentiels de son CV. C'est peut-être dû à l'âge. 82 ans tout de même, wel 3omer kello. Alors, je me fais un plaisir de lui rappeler :
1. Il fait partie intégrante du paysage politique et militaire libanais depuis plus de 30 ans, en tant que commandant de l’armée libanaise (1984-1990), Premier ministre (1988-1990), opposant pénard en exil et non soumis à la Terreur du régime sécuritaire libano-syrien (1990-2005), député de la nation (2005-2017) et chef du plus important parti politique chrétien (depuis 2005). Ce n’est quand même pas rien !
2. Il fait partie intégrante des pouvoirs législatif depuis 10 ans et exécutif depuis 6 ans. Il a détenu 1/3 d’un gouvernement (8-Mars), qui a exercé le pouvoir pendant près de trois ans, et 1/5 du Parlement, sur trois mandats svp. Ça fait plutôt rêver !
Alors, si toute la classe dirigeante libanaise est incompétente, et il n’a pas complètement tort, mais il en fait partie, pardi ! Et si cette classe politique s’arrange comme elle veut avec la Constitution et les lois libanaises, et il a sans doute raison, mais il en fait partie, bordel. Par quelle logique peut-il se demander, « pourquoi ils ne se sont pas entendus sur une nouvelle loi électorale ? » Mais enfin, il fait partie du « ils ». Wallah el3azim rawéyé. Si Michel Aoun juge que le Parlement est « illégal », il est alors « illégitime » lui aussi. Wlak ya general, ma be2oul el matal, on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. Et puis, disons-le une fois pour toutes, si le Conseil constitutionnel n’a pas invalidé la regrettable autoprorogation parlementaire, cela signifie que celle-ci est légale, en dépit de ces fatigantes jérémiades.

Par ailleurs, Michel Aoun semble oublier une base fondamentale de la vie politique. Là ce n'est pas la faute de l'âge, mais c'est parce que ça l’arrange. Alors, je me fais un devoir de lui rappeler que dans tout système démocratique, il existe des règles du jeu, qu’on ne peut pas modifier à sa guise. Soit on les respecte, soit on travaille pour les changer. Mais, on ne peut pas bon sang, protester contre les règles du foot en plein match, encore moins en plein Mondial. Dans une démocratie, personne ne peut considérer son point de vue comme étant la référence. Michel Aoun a entièrement raison de rappeler que des élections législatives auraient dû précéder l’élection présidentielle. Ça n’a pas eu lieu, tout le monde connait les raisons, la mésentente de toute la classe politique libanaise sur une nouvelle loi électorale et la stupide attente à la fois des leaders du 14-Mars et du 8-Mars (le Hezbollah en tête, l’allié de Michel Aoun), de l’issue de la guerre en Syrie. Bilan des courses, nous sommes là, bloqués au beau milieu de l’autoroute. Le dinosaure du Parlement, Nabih Berri, a déjà appelé les députés à 28 séances électorales svp, pour élire un président de la République, toutes boycottées par Aoun et ses députés, à l’exception de la première séance du 23 avril 2014, où Samir Geagea, président des Forces libanaises et candidat désiré du 14-Mars, avait obtenu 48 voix, alors que Michel Aoun, président du Courant patriotique libre et candidat indésirable du 8-Mars, aucune. L’ironie de l’histoire c’est qu’aujourd’hui même, mercredi 12 août, alors que les députés de la nation étaient convoqués à la 27e séance place de l’Etoile, pour élire le 13e président de la République libanaise, Michel Aoun et ses députés, ont préféré rester dans la rue, pour soi-disant dénoncer la mauvaise gouvernance du Liban, la corruption de la vie politique libanaise et les violations de la Constitution du pays du Cèdre. Eh oui, le surréalisme politique existe. Je l’ai rencontré au Liban où il avait pris la forme de la mascarade.

Toujours est-il que Michel Aoun a dérapé au cours de sa conférence de presse hier, comme jamais auparavant. Dire dans le contexte que tout le monde connait « qu’ils veulent imposer une élection présidentielle avant les élections législatives », relève de la mauvaise foi, étant donné le rôle actif qu’il a joué lui-même dans cette affaire, et qui n’a pas permis aux leaders libanais de s'entendre sur une nouvelle loi électorale. Dire « qu’il n’y a plus de respect de la Constitution et des lois au Liban... tous ces abus ne sont plus acceptables », relève de l’hypocrisie de la part de celui qui a boudé, avec son allié le Hezbollah, pas moins de 27 occasions d’élire un nouveau président au Liban. Dire que « certaines forces politiques sont liées à l’étranger », relève de l’aveuglement sélectif, étant donné l’enlisement de la milice du Hezbollah dans la guerre civile syrienne. Dire « que personne ne me demande quelle sera la prochaine étape... qu’est-ce qu’on obtiendra à l’avenir », relève de l’inconscience politique. Dire « nous avons gagné et personne d’autre », relève du populisme. Se demander si « on a trouvé le moindre indice qui inculpe quiconque dans les crimes qui ont été commis (au Liban) », relève d’un manque de suivi de l’actualité. Dire « vous savez quand tous les crimes (politiques) disparaitront ? C’est lorsque l’enquêteur est celui qui a commis le crime, comme l’histoire des Dix petits nègres », relève de la calomnie. Dire que « nous sommes les seuls à éprouver quelque chose à l’égard du peuple libanais, qui doit se lier à sa terre, ses projets, son développement et sa capitale », relève des foutaises, le Courant patriotique libre a voté la libération sauvage des loyers anciens au Liban, qui expulsera à terme les Libanais de la classe moyenne et des natifs de Beyrouth de leurs appartements et livrera la capitale libanaise aux promoteurs sans scrupule. Dire que « nous leur avons parlé de la question des déchets et nous les avons averti des conséquences », relève de la récupération facile. Dire « ce que nous essayons de faire c’est de vous rafraichir la mémoire... c’est votre affaire, pour que vous puissiez rester, vous et vos enfants, sur cette terre, et pour que vous sachiez plus tard, si vos problèmes sont résolus, qui les a au moins résolus », relève de la suffisance.

« Nous rêvons d’un pays où la loi, la Constitution et le peuple existe, et non du pays des déchets, du vol, du pillage et de la corruption. » Je partage entièrement ce rêve avec le général. Mais, appeler les Libanais à descendre dans la rue ne sera pas entendu. Pas massivement en tous cas, car les Libanais ont en ont marre de ces beaux discours et de ces belles légendes. Ils veulent du concret et du bon sens. Michel Aoun doit sortir des petits calculs politiciens, en prenant la décision courageuse de se présenter au Parlement à la prochaine séance électorale le 2 septembre. S’il gagne, sahtein 3a albo, et s’il perd, il rentrera dans l’histoire, avant de tirer sa révérence. De l’autre côté, la classe politique libanaise doit cesser de traiter le courant aouniste avec autant de mépris et de désinvolture. Elle ne fait que renforcer sa popularité au sein de la communauté chrétienne, même si celle-ci est en constante déclin. Oui Chamel Roukouz mérite d’être commandant de l’armée libanaise. Il n’est pas le seul, heureusement pour l’institution militaire. Il n'est pas le mieux placé peut-être. Qu'importe, que le meilleur soit nommé, point barre. Tout ce qui se dit en dehors de ça, n’est que palabres au pays des palabres et des calculs politiciens au royaume des magouilles. Je ne comprends pas qu’on puisse juger la compétence d’un homme sur son livret de famille, alors que l’on raconte sa bravoure aux quatre coins du Liban. C’est indigne de la République libanaise. Les images de la réunion arrosée au champagne, qui s’est tenue il y a quelques jours chez l’ancien président de la République, Michel Sleiman, après la prorogation du mandat de l’actuel commandant de l’armée, Jean Kahwaji, sont déplacées. Il n’y avait vraiment pas de quoi pavoiser. La nomination du général Chamel Roukouz, chef du régiment des commandos de l’armée libanaise et gendre de Michel Aoun, à la tête de nos forces armées, aurait pu débloquer une situation politique figée depuis près de deux ans, si elle avait été proposée et soumise à certaines conditions. Occasion ratée. Et ça, ce n'était pas malin de la part du gouvernement de Tammam Salam et de la classe politique libanaise. 

Réf.
Michel Aoun, ses députés et certains militants du Courant patriotique libre se sont déshonorés pour si peu (Art.305) Bakhos Baalbaki