1. Le
gouvernement libanais a l’obligation de garantir à tout un chacun le droit
d’exprimer ses opinions et de protester contre une décision ou une
situation qu’il juge injuste. Le mouvement « Tol3it
ri7etkoum » (Vous puez / You stink) devrait donc, en principe, bénéficier de la bienveillance des
autorités libanaises.
2. Toute
expression démocratique doit se faire dans le respect des lois libanaises en
vigueur. L’attitude de certains manifestants de Tol3it ri7etkoum hier, ne s’inscrit pas dans cette logique. Elle
est donc condamnable.
3. Les
sièges des hautes institutions de l’Etat libanais -la présidence de la
République, le Conseil des ministres et l’Assemblée nationale- indépendamment de
leurs locataires et de la compétence de ces derniers, constituent
des lignes rouges. Nul n’a le droit de les franchir illégalement quel qu’en soit le
contexte. Par conséquent, rien ne peut justifier les débordements d’hier.
4. Jeter
des sacs-poubelles et des œufs dans le périmètre du Grand Sérail, siège du
gouvernement libanais, et forcer les
barbelés qui protègent l’unique institution en état de fonctionnement dans notre
pays, sont par les temps qui courent, des
incivilités irresponsables et stériles. C’est d’autant plus condamnable qu’on
a entendu ici et là des slogans proches du
8-Mars. La récupération politicienne par ce camp était donc flagrante et
déplacée.
5. Il
est plus que normal que les forces de l’ordre interviennent pour protéger le
siège du gouvernement libanais. Il se serait passé la même chose à Paris, Londres,
Washington ou Moscou. Ma3lé ma 7adan
yetfalsaf. Les jets d’eau auraient
dû réveiller les protestataires excités et les dissuader de forcer la ceinture
sécuritaire. S’obstiner dans ce contexte
ne relève plus de la liberté d’expression, c’est un trouble à l’ordre public et
une menace contre l’Etat libanais, aussi insignifiante soit-elle. Les activistes, Lucien Bourjeily, Waref
Sleiman, Hassan Chamas, Ihab Abu Mujahid et les autres, auraient dû le prévoir.
La charge de la police antiémeute qui
protège ce centre du pouvoir de l’Etat libanais, contre ceux qui voulaient
forcer les périmètres de sécurité, est parfaitement justifiée, ainsi que la
garde à vue de quatre activistes, qui n’a duré que quelques heures, soit dit au passage. Accuser les
Forces de sécurité intérieure « d’enlèvement
», est de mauvaise foi et prouve l’amateurisme des assaillants. Tout
cela est regrettable. Les coups de
matraque sont condamnables. Il n’empêche que dans toute action il faut connaitre ses limites et savoir où s’arrêter,
au pied de la légalité. Aller au-delà, en connaissance de cause, ou plus
grave encore, en ne prévoyant pas les risques, est irresponsable.
6. Le hashtag #LaRépubliquePoubelle du
journal L’Orient-Le Jour est doublement
déplacé. Non seulement il est populiste mais il est déconnecté de la
réalité. Si nous en sommes arrivés là, en politique comme pour les déchets, c’est
à cause de certains dirigeants libanais. Et si une majorité des dirigeants
libanais n’est pas capable d’assumer des hautes responsabilités, c’est à cause
des électeurs qui les ont choisis, ainsi que des électeurs qui se sont abstenus
de faire leur choix le jour des élections. Il faut donc cesser de faire croire
que les Libanais sont des perles exceptionnelles de la Voie lactée, que les dirigeants du
pays du Cèdre sont des ordures et que leur République n’est qu’une poubelle. La République libanaise est à l’image de ses citoyens et
les citoyens sont à l’image de leurs dirigeants. Eh oui, ce n’est pas
vendeur de le dire ainsi, mais il le faut pourtant. Nous sommes hélas une minorité à sortir du
lot, à mériter mieux et à travailler efficacement pour la renaissance de notre
bien-aimé Liban.
7. Qui
n’est pas content des règles qui régissent la vie publique au Liban et des
conditions de vie ou qui est mécontent de la gestion de certains dossiers, œuvre pour les changer ou pour améliorer la situation, et non pour renverser la table. C’est
valable à la fois en politique, pour l’élection présidentielle, et dans la vie
quotidienne, pour les crises des déchets, de l’eau, de l’électricité, des
locations anciennes, de l'environnement, des réfugiés syriens, etc. Si nous en sommes
arrivés là, indépendamment de tous les autres paramètres, c’est à cause de deux
facteurs essentiels. D’une part, l’incapacité
de certains dirigeants et politiciens, comme de certains médias et militants, à faire le bon
diagnostic et à prescrire le bon traitement. Désolé, mais dans la crise des
déchets, la corruption n’explique rien. Je l’ai démontré dans un article publié
il y a trois semaines. J'y reviendrai. En politique non plus, d’ailleurs. D’autre part, si nous
sommes dans la merde, c’est aussi à cause de l’incapacité des sympathisants des divers partis politiques libanais, à
critiquer leur camp. Avec les mauvais diagnostics des uns et la complaisance
des autres, comment peut-on espérer améliorer la situation au Liban ? Ainsi,
il faut cesser là aussi, de déplacer le problème sur les autres, de fuir ses propres
responsabilités et de mettre tout sur le dos de l’Etat. El dawlé ! Weiniyé eldawlé ? Un exemple parmi d’autres, « non »
ce n’est pas l’entente entre l’Arabie saoudite et l’Iran qui nous donnera un président de la République, mais la
participation des députés du Hezbollah et du Courant patriotique libanais (CPL)
à la 28e séance électorale prévue le 2 septembre, place de l’Etoile.
Tant que les partisans de Hassan Nasrallah et de Michel Aoun, ne font pas
pression sur leurs députés, pour qu’ils accomplissent leur devoir démocratique,
ils se rendent coresponsables du blocage du fonctionnement de la vie
démocratique au Liban. Comme par hasard, on n’entend
pas le mouvement « Tol3it ri7etkoum » sur ce point précis, et pourtant, les fautifs sont connus de tous. Ah, les
amalgames, mettre tout le monde dans le même sac, rendent bien des services à certains. Autre exemple, avec Gebran Bassil, un ministre
du CPL. Il a promis il y a quelques années que les Libanais pourront bénéficier
du courant électrique 24h/24 en
2015. Nous y sommes. Jamais les Libanais n’ont eu autant de coupures
électriques. Ils paient la peau des fesses pour avoir quelques misérables
ampères. Quel sympathisant aouniste ou militant de « Tol3it ri7etkoum » ose
rappeler ces faits ? Personne. Le Courant du Futur est le fer de lance de
la libération des loyers anciens à
Beyrouth, une loi qui expulsera la classe moyenne de la capitale et les
natifs de la ville de leurs logements, offrant les beaux quartiers aux
promoteurs sans scrupules. Quel militant du Futur ou militant de « Tol3it
ri7etkoum » ose le dénoncer ? Personne. Le Liban vit dans l’instabilité politico-sécuritaire depuis
le déclenchement de la guerre en Syrie et l’implication de la milice chiite dans
la guerre civile syrienne. Quel partisan du Hezbollah ou militant de « Tol3it
ri7etkoum » ose s’y opposer ? Personne. Il y a quelques semaines, le
ministre du Travail, Sejaan Azzi, a officialisé la corruption à défaut de la combattre. Quel militant des Kataeb ou
militant de « Tol3it ri7etkoum » a osé protester contre cette mesure absurde ?
Personne. Il est là le fond du problème.
On le trouve dans la crise des déchets. Certains partisans critiquent tous azimuts les adversaires politiques et se taisent sur
les erreurs de leur propre camp, quand d’autres, comme ceux du mouvement «
Tol3it ri7etkoum » se limitent à des constats
vaseux et des slogans creux, en diluant les responsabilités des uns et des autres.
8. J’ai consacré un long article sur la crise des déchets, le moteur de la
manifestation hier. Dans ce document, qui a connu un grand succès, j’ai pointé du doigt les responsabilités
des dirigeants libanais, qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux, mais aussi celles du peuple libanais,
qu’il ne faut pas négliger dans ce dossier. Certes, le mouvement « Tol3it
ri7etkoum » est légitime. Il a même tout pour séduire et canaliser
le mécontentement général de la population libanaise. Sa principale erreur est de
faire un mauvais diagnostic de la situation. Rendre les dirigeants libanais seuls
responsables de la situation, sous le slogan généraliste de « la
corruption de la classe politique », est à la fois simpliste et populiste, car en mettant
tout le monde dans le même sac, on noie les responsabilités individuelles. Or,
comme on le voit, en politique par
exemple, comme pour l’élection
présidentielle, certains sont plus responsables que d’autres dans le
pourrissement de la situation. Et pourtant, le mouvement n’ose pas les
dénoncer. Au sujet des déchets précisément,
qui est à l’origine de cet activisme aigu, les responsables du mouvement dispensent
le peuple libanais de tout effort et le dégage de toute responsabilité dans
cette grave crise. Hélas, les semaines passent et me donnent raison. Beyrouth demeure le nœud de la crise des déchets.
La capitale libanaise n’a ni terrain d’enfouissement, ni la possibilité de
construire une unité de traitement des ordures ménagères, ni même l’option farfelue
de l’exportation des ordures ménagères. La ville dépend entièrement des autres régions libanaises. Faire croire que les Beyrouthins peuvent se
payer le luxe de continuer leur mode de vie, comme auparavant, comme si de rien
n’était, c’est leur mentir et les mener droit dans le mur. On peut trouver
un terrain d’enfouissement dans le Akkar, le Kesrouan, le Chouf ou la Békaa, et commencer à y déposer les déchets de
Beyrouth dès lundi. Mais, il sera saturé dans moins de cinq ans. Et après ?
Comme je l’ai dit dans l’article Mode d’emploi pour
(re)passer du pays où s’entassent les déchets, au pays où coulent le lait et le
miel,
« On ne peut pas demander à n’importe quelle région libanaise d’accepter
les déchets des Beyrouthins et des Mont-Libanais, alors que nous résidents
de la capitale et des régions qui l'entourent, nous ne faisons pas d’efforts,
ou disons pas suffisamment, pour réduire le volume de nos déchets. Les chiffres
sont là pour rappeler une réalité libanaise amère sur laquelle il faut
impérativement agir : les zones urbaines produisent deux fois plus de déchets
par habitant que les zones rurales. Le tiercé gagnant pour sortir le Liban du
pétrin des déchets à long terme, valable pour le reste du monde aussi, est le
suivant : par ordre d’arrivée et d’importance: RÉDUIRE, TRIER et RECYCLER. »
9. S’il faut faire pression sur l’Etat afin d’amener
les dirigeants libanais à assumer leurs responsabilités, et sur ce point « Tol3it
ri7etkoum » a entièrement raison, le mouvement a l’obligation d’inciter les
citoyens libanais à se montrer plus consciencieux, comme dans la gestion des
ordures, et plus exigeants à l’égard de leurs députés, comme pour le blocage de l'élection
présidentielle, où les fautifs sont connus de tous, Hassan Nasrallah et Michel Aoun. A défaut, les activistes de ce mouvement doivent faire attention, le slogan
qu’ils ont créé risque rapidement de s'appliquer sur eux.