Vendredi,
jour de prière et de terrorisme à Tripoli.
Bilan : 42 morts et 500 blessés.
Et puisque nous sommes entrés dans une phase dépressionnaire, allons encore plus loin dans l'horreur. On
dit qu’il n’y a jamais deux sans trois. Après les « attentats-chiites »,
les « attentats-sunnites », la logique des suites suppose qu’on s’achemine vers la « moussélacé ». Le prochain attentat, ou celui d’après, enfin tôt
ou tard, un attentat viserait une région chrétienne, afin que la boucle soit
bouclée. Ce jour-là, tout sera alors mis en place « métél ma beddo Bachar », selon les dernières volontés
de Bachar el-Assad, transmises aux livreurs libanais de colis piégés syriens, Michel Samaha et consorts. Cet attentat odieux et la sombre perspective qui se dessine pour notre
pays, ne peut susciter que la colère.
Savoir
qui a commis le double attentat de Tripoli devant deux mosquées de la ville, n’a
plus beaucoup d’importance de nos jours. Idem pour les attentats qui ont eu lieu dans la banlieue Sud de Beyrouth. Comme pour les prochains. Même
s’il y a beaucoup de suspects au pays du Cèdre, ils sont facilement identifiables,
si on tient compte des objectifs de ces attentats. Avec les attentats de la banlieue sud de Beyrouth les terroristes voulaient
punir la milice chiite dans son fief pour son implication dans les combats en
Syrie aux côtés de Bachar el-Assad. Les auteurs seraient donc, soit des djihadistes
syriens, soit des salafistes libanais. Il a conduit à l’autonomie de fait de la
cité-Etat de Da7iyé. Le Hezbollah se permet aujourd’hui de monter des barrages
de contrôle de la population civile au cœur de la capitale de l’État libanais à
la place de l’armée libanaise, se permettant même d’arrêter des voitures des
Forces de sécurité intérieure, pour des vérifications de routine. Les attentats de Tripoli visaient aussi clairement
la population civile. Ils avaient pour but, soit de punir la communauté sunnite
pour son soutien aux rebelles syriens, soit de déclencher une contre-réaction
communautaire sunnite plus offensive à l'égard du Hezb. De ce fait, les auteurs pourraient être des
extrémistes alaouites libanais, des djihadistes syriens ou des salafistes
libanais. La menace qui pèse sur la ville, pourrait pousser certains à imposer la privatisation de la sécurité de la ville. Et comme je l’ai dit, pour boucler la boucle, un attentat-chrétien pourrait conduire lui aussi à une réaction
communautaire de repli. La suite est
facilement imaginable : des réactions communautaires instinctives en chaîne,
le prélude à l’embrasement général du Liban. Nous assisterons alors à l’exécution du projet de Bachar el-Assad et de Michel
Samaha, avec un an de retard. Personne n’a oublié la fameuse
réplique de l'ancien ministre du 8 Mars aux enquêteurs libanais, « heik baddo bachar » (c’est ce que souhaite Bachar), après
son interpellation avec des explosifs ramenés de Syrie, destinés à semer la
discorde communautaire au Liban. Ceux-ci sont des armes de diversion que Bachar el-Assad réserve aux jours difficiles, et qui pourraient
dissuader les pays occidentaux d’agir en Syrie. Toute la question étant de
savoir, est-ce que le tyran de Damas vit des jours difficiles ? Je ne
crois pas. Enfin, pas encore, hélas.
Et
maintenant, on va où ? Contrairement à l’adage libanais à la con, badda tekbar ta tézghar, la descente aux enfers du Liban continuera
pour un moment. Non, nous n'avons pas atteint le fond. Des attentats odieux comme celui d’aujourd’hui, il y en a eu
des centaines au Liban depuis le funeste 13 avril 1975. Est-ce pour autant qu’on
a pu éviter celui de Roueiss et de Tripoli, 38 ans après ? Non. Compter
sur la maturité des politiques libanais, est possible, à condition de croire à
un autre adage libanais, qui l’annule de surcroit : ntor ya kdich ta yénbout el 7achich.
En
attendant, Najib Mikati constate
que « la main criminelle a pris pour
cible Tripoli une nouvelle fois, mais les Tripolitains sont plus forts que le
complot ». Décisions concrètes pour éviter que ça ne recommence à Tripoli comme ailleurs ?
Que dalle. Pour ceux qui l’ont déjà oublié, Najib Mikati est Premier ministre
du Liban. Wlak ma khalas,
quand un Premier ministre, la plus haute
autorité exécutive de notre pays, originaire de Tripoli en plus, fait de la
littérature politique à un moment aussi grave, comment peut-on s’étonner après que
notre pays part à la dérive ! On se retrouve avec un gouvernement
démissionnaire, un Premier ministre désigné impuissant, un Parlement en sursis, un
commandant d’armée temporaire, un chef des Forces de sécurité intérieure mis à
la retraite d’office, un Conseil constitutionnel paralysé et une présidence de
la République en voie vers une vacance prévisible dans quelques mois. Sans
l'ombre d'un doute, le Liban ressemble
de plus en plus à un navire sans gouvernail, piraté de surcroit par le
Hezbollah. Il n’est donc pas étonnant de le voir voguer au gré du vent
loco-régional et des vengeances de l’équipage.
L’accusation
du Hezbollah d’être derrière l’attentat de la banlieue sud de Beyrouth est
grotesque. Son accusation d’être derrière l’attentat de Tripoli est
fantaisiste. Par contre, nul ne peut
ignorer aujourd’hui, que si les Libanais sont entrés dans une spirale
infernale, c’est bel et bien à cause de la décision de la milice chiite d’aller
combattre officiellement et massivement en Syrie aux côtés de Bachar el-Assad.
Qui ne veut pas voir ça, n’a qu’à foutre sa tête dans le sable, en attendant le
prochain attentat.
Par
ailleurs, la double explosion d’aujourd’hui
n’est pas sans nous rappeler, le cas Michel Samaha. Bien que tous les
éléments de l’affaire soient connus et sans ambiguïté, l'ami personnel du président syrien, coule des jours heureux en prison au Liban. Il ne s’est pas beaucoup inquiété depuis son arrestation le 9 août 2012, malgré la gravité des faits qui lui sont
reprochés.
La
crise syrienne ne touche pas à sa fin. Loin de là. Blâmer Barack Obama et Ban
Ki-moon pour ça, est un déni de la réalité, qui s'apparente plus à une fuite en avant qu'à une analyse sérieuse de la situation. De toute façon, cela ne changera rien au cours des événements et ne dispensera pas les dirigeants libanais d’assumer leurs
responsabilités. Nous sommes à un tournant historique. Nous avons le choix de conduire le Liban soit vers les cités-États, soit vers un État libanais digne de ce nom. Il faut fixer son cap. La situation n’autorise plus ni les interminables attentes depuis deux ans et demi, ni les conditions capricieuses de certains, ni les improbables miracles des superpuissances. Loin de demander la lune, qui croit encore à l’État libanais, doit exiger et œuvrer
immédiatement pour :
1. Le jugement de Michel Samaha, l’incarnation
personnifiée de la discorde nationale, de la permissivité de l’État libanais et
de l’impunité.
2. La distanciation effective du conflit
syrien par toutes les communautés libanaises. Nous n’avons pas à y
intervenir.
3. Le déploiement de l’armée libanaise le
long de nos frontières terrestres et maritimes, avec ou sans l’aide de l’ONU, et le contrôle absolu des frontières.
4. Le réveil de Tammam Salam de sa torpeur,
et la mise en place d’un gouvernement de technocrates, qui doit se mettre à
l’œuvre le plus vite possible.
5. La reconduite d'Achraf Rifi à la tête des Forces de sécurité intérieure (FSI), un homme qui a fait ses preuves, ou la nomination d'un homme à la hauteur de la tâche et des risques.
6. La remise des données de télécoms, par le ministre des Télécommunications, à la demande des Services de renseignement des FSI, che3bet el ma3loumett, à chaque attentat terroriste, dans le cadre de la loi évidemment, mais sans tergiversations politiciennes non plus.
5. La reconduite d'Achraf Rifi à la tête des Forces de sécurité intérieure (FSI), un homme qui a fait ses preuves, ou la nomination d'un homme à la hauteur de la tâche et des risques.
6. La remise des données de télécoms, par le ministre des Télécommunications, à la demande des Services de renseignement des FSI, che3bet el ma3loumett, à chaque attentat terroriste, dans le cadre de la loi évidemment, mais sans tergiversations politiciennes non plus.
7. L’organisation des élections
législatives le plus rapidement possible, et la reprise de la vie
démocratique dans notre pays, indépendamment du conflit syrien, car il est grand temps de comprendre que ce dernier est encore long. Wlak, depuis l’autoprorogation
du Parlement, il y a plusieurs mois, personne ne les a même évoquées ! C'est une honte.
L’heure
n’est plus aux palabres et aux atermoiements. Près de 70 morts et plus de 800 blessés, en moins de 10 jours. Jamais l'horizon n'a été aussi sombre. Tous les dirigeants libanais, cela va du
président de la République aux dirigeants des partis politiques, ne peuvent plus se
contenter de déclarations évasives. L’heure est à la prise de décisions concrètes, qui prouve que nous sommes en train de bâtir un État, non des cités-États, seul à même d'éviter d'autres attentats meurtriers et de protéger la population libanaise du terrorisme. Pour l’instant le
gouvernement Mikati, chargé d’expédier les affaires courantes et non moins
urgentes, est vraiment démissionnaire et les dirigeants libanais crèvent l'écran d'indignation ! It's not enough, it's not enough.