samedi 29 juillet 2017

L'opération « Anti-Liban », une ironie historique, géographique et politique (Art.451)


Certains compatriotes éprouvant un enthousiasme débordant avec les derniers développements au Liban, font encore semblant de ne pas comprendre que nulle part dans ce monde et dans l'histoire, une telle situation n'a perduré aussi longtemps. Commençons alors par ce qui fâche et rappelons d'emblée ce principe fondamental valable pour tout Etat souverain. Un jour, il va bien falloir que l'anomalie que constitue la situation du Hezbollah au Liban cesse d'exister. Etre obligé de le rappeler, quand même ! Hélas, c'est pas demain la veille.



 I  L'OPERATION « ANTI-LIBAN », UNE IRONIE HISTORICO-GÉOGRAPHICO-POLITIQUE EN PREMIER LIEU

Le hasard a voulu que les combats menés conjointement par le régime syrien de Bachar el-Assad et la milice libanaise du Hezbollah contre les organisations à dominante syrienne, Daech et Nosra, sur un morceau du territoire libanais, se déroulent le long d'une chaine de montagnes appelée Anti-Liban, selslit jibal lebanan el-charquiyé. Incroyable! Jamais l'histoire, la géographie et la politique ne se sont liées aussi intimement et ne se sont montrées aussi ironiques à travers une telle appellation. « Anti-Liban », résume bien la situation de ce qui se passe de l'autre côté du « Mont-Liban ». Ces combats se déroulent en partie sur le territoire libanais, alors que paradoxalement, les représentants de l'Etat libanais sont aux abonnés absents et l'armée libanaise est reléguée au second plan. C'est la dernière illustration de l'anomalie du Hezbollah au Liban.

 II  TOUS LES PROTAGONISTES IMPLIQUÉS DANS LA BATAILLE DE JURD ERSAL SONT CLASSÉS TERRORISTES

Quoiqu'on dise du côté des ex-neo-8Mars, le camp « choukran souriya el assad » (Merci la Syrie des Assad) d'hier et d'aujourd'hui, force est de constater que ces combats impliquent, qu'on le veuille ou pas, que ça plaise ou non, à juste titre ou à tort, des protagonistes qualifiés par une partie ou par la totalité de la communauté internationale de terroristes. Vu de l'étranger et d'une grande partie du monde, ce sont donc des terroristes qui se battent entre eux. Que personne ne soit offusqué, voici les faits.

. Bachar el-Assad est issu d'une tyrannie alaouite qui pratique le terrorisme depuis 1970. En Syrie, c'est par la terreur et une répression sanglante (comme à Hama en 1982, jusqu'à 40 000 morts). Elle est la cause principale de l'actuel conflit syrien (330 000 morts), et de ce fait, elle est pratiquement au ban des nations. Elle ne doit sa survie qu'à la Russie et à l'Iran. Au Liban, outre la terreur qu'elle a fait régner au cours des 29 ans d'occupation du pays du Cèdre, celle-ci est aussi responsable, ou soupçonnée de l'être, de nombreux assassinats politiques (Louis Delamare, Bachir Gemayel, Rafic Hariri, René Mouawad, Rachid Karamé, Samir Kassir, Kamal Joumblatt, Gebrane Tuéni, etc.). On lui doit aussi le grand projet terroriste que devait exécuter Michel Samaha en 2012 afin d'embraser le Liban et le replonger dans les guerres confessionnelles, ainsi que les attentats sanglants de Tripoli commis par les leaders alaouites libanais, les Eid, contre deux mosquées sunnites de la ville.

. Le Hezbollah est un parti politique libanais exclusivement chiite qui a la particularité de posséder une branche armée. Il est soupçonné de terrorisme depuis sa création en 1982 par la République islamique d'Iran. A son actif, les attentats contre les Forces multinationales de sécurité américaines et françaises le 21 octobre 1983 (299 morts). D'ailleurs, c'est le Hezbollah qui a ressuscité le mode opératoire des attentats-suicides. Dans les archives qui le concernent, on retrouve cette séquence surréaliste où Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, expliquait au journaliste britannique Robert Fisk, dans un documentaire datant de 1993, ce que peut bien ressentir un kamikaze avant de passer à l'acte : c'est un homme apaisé, souriant, heureux, c'est comme quelqu'un qui quitte un sauna, après y avoir passé des heures, chaud, fatigué et assoiffé, pour rejoindre une pièce confortable et calme, où l'attendent belles paroles, cocktails et musique classique ! Mais attention, c'est valable pour le kamikaze chiite. Pour le kamikaze sunnite, je ne suis pas sûr pour la musique classique. Actuellement, cinq de ses membres sont poursuivis pour le meurtre de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes. La milice chiite n'a pas hésité à utiliser ses armes à l'intérieur au Liban, contre les miliciens chiites d'Amal (Nabih Berri, 1988-1990, près de 800 morts) et contre les civils et les opposants sunnites (2008, près de 75 morts), et a mené plusieurs actions terroristes à l'étranger (France, Bulgarie, Chypre, Koweit, Egypte, etc.). Jusqu'à nouvel ordre, le Hezbollah est une organisation considérée comme terroriste par la plupart des pays arabes et occidentaux, dont les pays du Golfe, l'Union européenne et les Etats-Unis.

. Daech et Nosra étant des organisations terroristes pour l'ensemble de la communauté internationale sans exception, il est inutile de s'y attarder davantage, passons à l'essentiel.

 III  A-T-ON VRAIMENT FINI AVEC FATEH-EL-CHAM/AL-NOSRA/AL-QAEDA AU LIBAN?

On nous dit qu'ils en ont pratiquement fini. Avec le Front Al-Nosra (ex-Al-Qaeda et actuellement connu sous l'appellation Fateh el-Cham), bien entendu puisque le combat contre Daech n'a pas encore eu lieu. Hassan Nasrallah parle même d'une « très grande victoire militaire ». La soi-disant rapidité avec laquelle le Hezbollah s'est emparée d'une centaine de kilomètres carrés contrôlés par la première organisation terroriste est le moins qu'on puisse dire louche. Alors, de deux choses : soit l'affirmation est inexacte (on n'en a pas encore fini), soit la présence des jihadistes syriens dans ce coin était exagérée (on parlait d'au moins quatre cents combattants), l'un n'empêchant pas l'autre bien entendu. Plusieurs éléments font douter de la véracité des informations filtrées par la milice chiite. Le premier d'entre eux réside dans la question que personne ne s'est posée, à savoir pourquoi le Hezbollah a attendu si longtemps pour se lancer dans une bataille qu'il pouvait gagner en 48 heures ? Mystère et boule de gomme. Pas tant que ça, j'y reviendrai. Le second, vient de cet étrange cessez-le-feu du jeudi matin. On n'accepte un cessez-le-feu, encore plus avec une organisation terroriste, que si la situation est défavorable. L'accord conclu entre le Hezbollah et Al-Nosra après le cessez-le-feu, vient confirmer les doutes. Le troisième, il faut le chercher du côté de Fateh el-Islam, qui s'est emparée du camp palestinien de Naher el-Bared en 2007. Malgré l'évacuation totale du camp et le feu vert donné à l'armée libanaise, il a fallu plus de trois mois de combats et 157 morts, pour venir à bout de cette organisation terroriste qui était pourtant moins puissante qu'Al-Nosra, qui elle, se trouve retranchée dans une zone montagneuse difficile, mais aride, à l'écart des camps de réfugiés.

 IV  LES COMBATS DE JURD ERSAL SONT AUTANT UNE OPÉRATION DE COM' QU'UNE OPÉRATION MILITAIRE

Pour apprécier le sacrifice des miliciens du Hezbollah à sa juste valeur, il va falloir un peu plus que la com' de ce « média de la guerre » et une conférence de presse de sayyed Hassan Nasrallah. Il n'est pas question ici de sous-estimer la puissance, la combativité et la détermination des miliciens chiites. Ce qui pose problème c'est cette constante surestimation passionnelle des capacités du Hezbollah de la part de tous les partisans chiites du parti et de certains partisans chrétiens du Courant patriotique libre. Pour les premiers, il s'agit de perdurer l'anomalie que constitue ce dernier au Liban, pour les seconds de justifier l'alliance conclue entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah en février 2006. La passion délirante pour le Hezbollah pousse quelques uns à se persuader même que la milice chiite est plus forte sur le plan militaire que l'armée libanaise. Je ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer.

Passons sur la mythologie de la « victoire divine » de la guerre de Juillet 2006, qui sera fêtée le 14 août comme l'a annoncée Hassan Nasrallah il y a quelques jours, où le Hezbollah a donné à Israël une occasion en or pour bombarder le Liban pendant 33 jours, ce qui nous a coûté près de 1 200 civils tués, 1 million de déplacés et plus de 10 milliards de dollars de dégâts matériels et de pertes économiques, soit l'équivalent de près de 50% de notre PIB de l'époque (moins de 200 morts et 4% du PIB côté israélien). Le contraste des chiffres parlant de lui-même, que Dieu nous préserve d'une « défaite divine ».

Depuis mars 2011, le Hezbollah s'est impliqué progressivement et massivement dans la guerre civile syrienne. Il est passé de la stratégie de « je ne suis pas impliqué en Syrie », à celles de « je suis peu impliqué », « je défend les chiites libanais installés de l'autre côté de la frontière », « je combats les takfiristes en Syrie », « j'empêche les jihadistes de venir perturber la vie nocturne à Mar Mikheal et à Jounieh », et enfin à celle de « je défends le Liban et les Libanais du projet américano-sioniste ».

Aujourd'hui, le combat du Hezbollah dans le jurd d'Ersal s'inscrit dans le cadre de cette stratégie globale fixée par « l'internationale chiite » présidée par Ali Khameneï, le Guide suprême de la République islamique d'Iran, depuis le déclenchement de la révolte syrienne contre la tyrannie des Assad : sauver le soldat Bachar, maintenir l'axe logistique Téhéran-Damas-Dahiyé, renforcer le maillon faible du « croissant chiite » au Moyen-Orient (Iran-Irak-Syrie-Liban-Yémen) et garantir la continuité territoriale entre les zones syriennes contrôlées par le régime alaouite syrien et les zones libanaises contrôlées par le Hezbollah chiite, quelque soit l'évolution de la situation en Syrie (même dans le cas de la création de l'Etat alaouite).

Ainsi, on voit bien que les intérêts du pays du Cèdre n'entre absolument pas dans le calcul stratégique du Hezbollah. Certains défenseurs zélés de ce dernier diront, oui mais se débarrasser de Nosra et de Daech est quand même dans l'intérêt du Liban, bordel! Evidemment pardi, mais ce n'est absolument pas le but principal du Hezbollah. Et encore, il faut tenir compte des dommages collatéraux ! D'ailleurs, pour la première, c'est loin d'être fini. Pour la seconde, c'est loin de commencer. On entend dire dans les coulisses, que c'est l'armée libanaise qui mènera désormais la bataille contre les deux organisations terroristes. Tiens, tiens, comme par hasard. J'y reviendrai.

Outre l'enjeu communautaire, la bataille d'Ersal est aussi une énorme opération de com' pour le Hezbollah. Elle vise précisément trois objectifs de la haute importance.

. D'abord, remonter le moral de la communauté chiite libanaise en général, et des miliciens chiites libanais en particulier, tous deux très éprouvés par les six années de guerre en Syrie. Une implication qui s'enlise, demandant de plus en plus d'effort et de sacrifice. On parlait en début d'année de 2 000 combattants tués. Par comparaison, le Hezbollah a reconnu la mort de 250 combattants lors de l'affrontement avec Israël en 2006. On serait à dix fois plus. Même si on se retient de toute critique publique, le soutien des Chiites libanais reste massif et inconditionnel, l'utilité de l'intervention du Hezb en Syrie sème le doute dans les esprits.

. Ensuite, impliquer l'armée libanaise au moment même où les Etats-Unis s'apprêtent à alourdir les sanctions contre le Hezbollah. Le but étant d'imbriquer les dossiers afin d'utiliser les pouvoirs de l'Etat libanais pour contrer les sanctions financières américaines. Là aussi, le timing de l'opération Anti-Liban pose des questions. Elle est programmée pour coïncider comme par hasard, avec la visite du Premier ministre Saad Hariri aux Etats-Unis, dont la date était connue depuis un moment.

. Enfin, justifier son implication massive dans la guerre civile syrienne aux côtés du régime terroriste de Bachar el-Assad, faire oublier ses combats contre les rebelles syriens modérés depuis plus de quatre ans et se faufiler dans le train victorieux en marche, celui de la communauté internationale sur Daech/Etat islamique. En Irak, Mossoul est déjà tombée. En Syrie, qui suit de près ce qui se passe, sait que ni Assad, ni Khameneï, ni Nasrallah, ni Poutine n'a combattu Daech réellement. Ce sont les forces syro-kurdo-sunnites qui le font, ils sont déjà rentrés dans Raqqa, fief de l'Etat islamique, ainsi que les forces américaines, qui assurent seules 96% des 11 000 frappes aériennes de la coalition internationale en Syrie (les pays arabes faisant plutôt de la figuration en Syrie et en Irak).

 V  POURQUOI LE HEZBOLLAH A ATTENDU SI LONGTEMPS POUR LANCER SON OPÉRATION ANTI-LIBAN CONTRE AL-NOSRA ET DAECH?

Une partie des raisons ont été exposées précédemment. Mais ce n'est pas tout. Il faut bien comprendre une chose: si le Hezbollah a patienté pendant des années avant de décider de se débarrasser des épines Nosra-Daech qu'il avait dans les pieds, ce n'est certainement pas parce qu'il attendait le feu vert de Farès Souaid et la bénédiction d'Okab Sakr. Eh oui, si le Hezbollah n'avait pas déclenché l'opération Anti-Liban alors que la présence des groupés armés syriens sur le territoire libanais est attestée depuis au moins 2013, et tient aujourd'hui à ce que l'armée libanaise la poursuive, c'est pour au moins trois raisons.

. Primo, parce que cette bataille n'était pas prioritaire dans le passé. Elle pouvait mobiliser beaucoup d'hommes, pendant longtemps, alors que l'urgence était en Syrie, où l'existence de la tyrannie des Assad était sérieusement menacée.

. Secundo, parce que la stérilisation de la chaine de montagnes de l'Anti-Liban des éléments jihadistes, posera inévitablement la question qui fâche, le problème du contrôle de la frontière syro-libanaise dans les deux sens. A défaut, l'opération ne servirait à rien. Quand l'armée libanaise contrôlera d'une main de fer la frontière entre le Liban et la Syrie, il sera difficile au Hezbollah de faire passer ses hommes et ses armes comme bon lui semble.

. Tertio, parce qu'une telle bataille nécessitera une force de frappe et une puissance de feu bien plus importantes que celles dont dispose le Hezbollah. Désolé de briser l'admiration de certains pour ce dernier, mais la milice chiite libanaise seule est incapable de vaincre les groupes jihadistes syriens. Trois éléments le prouvent. Ils se trouvent dans la dernière conférence de presse du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a avoué avoir demandé à l'armée syrienne de l'aider dans cette bataille, qui voudrait passer rapidement les zones conquises à l'armée libanaise et qui a tenu à préciser que « le Hezbollah n'est pas pressé et dispose de tout son temps » pour se débarrasser du Front Al-Nosra. Eh oui, il faut savoir lire entre les lignes et comprendre entre les phrases. Et souvenez-vous du cessez-le-feu d'il y a deux jours et des négociations en cours entre le Hezbollah et Al-Nosra, pour vaincre l'organisation terroriste sans avoir à livrer bataille. Et encore, on ne parle pas de Daech!

La particularité du Hezbollah réside dans sa capacité de mener des actions de guérilla. Or, la guérilla peut être d'une certain efficacité face à une armée régulière comme celle de Tsahal, mais dans le jurd d'Ersal, elle ne présente pas d'avantage sur les groupes jihadistes. Eh oui, c'est la triste vérité qui fera très mal à certains, seule l'armée libanaise au Liban a la force de frappe et la puissance de feu qui permettront de se débarrasser de Daech et d'Al-Nosra, et de sécuriser la frontière syro-libanaise. J'irai même plus loin, la troupe est non seulement plus puissante que la milice, mais seule l'armée libanaise peut obtenir officiellement des armements supplémentaires des pays arabo-occidentaux et demander officieusement à la coalition internationale de mener des frappes contre les positions des jihadistes de Daech et d'Al-Nosra dans les régions montagneuses isolées au fin fond du Liban.

Et dire que certains parlent de complémentarité entre l'armée libanaise et le Hezbollah! C'est là où l'on mesure l'étendue de la naïveté du raisonnement de cette frange de compatriotes aveugles qui ne se rendent pas compte, par conviction ou par omission, à quel point le Hezbollah nuit à l'Etat libanais en général, en violant constamment sa souveraineté, et à l'armée libanaise en particulier, en la privant d'un armement plus conséquent et d'un entrainement de haut niveau. Mais comment en vouloir à des compatriotes mal informés par des médias de propagande, quand leurs leaders eux-mêmes sont si désorientés. Tenez, qui se souvient encore que l'armée libanaise aurait dû recevoir l'équivalent de 4 milliards de dollars en armements et en entrainement de la part de la France? L'Arabie saoudite qui s'est engagée à assurer le financement, a fini par annuler l'opération en février 2016, après avoir constaté à quel point les cinq principaux leaders libanais étaient incapables de s'opposer concrètement à l'hégémonie du Hezbollah au Liban: Michel Aoun et Nabih Berri sont des alliés directs de la milice chiite ; Walid Joumblatt, est un allié de facto du Hezbollah, qui n'a pas hésité à lui assurer le contrôle du Conseil des ministres entre 2011 et 2014 ; Saad Hariri s'est retrouvé comme un ami du Hezbollah par alliance, depuis qu'il a soutenu Sleimane Frangié, un allié indéfectible du régime syrien et du Hezbollah, il lui doit son retour à la tête du gouvernement ; et Samir Geagea lui aussi est devenu un ami du Hezbollah par alliance depuis qu'il soutient Michel Aoun, l'allié indéfectible du Hezbollah. Et ces braves leaders ont même osé critiquer le royaume pour son volte-face !

Hélas, le temps lui a donné raison, comme le confirment les réactions du quintet face à l'opération Anti-Liban. C'est le silence radio du côté du président de la République, Michel Aoun, pourtant, commandant en chef de l'armée libanaise. Quant à Saad Hariri, il aurait « préféré » que « l'armée libanaise fasse ce que fait le Hezbollah aujourd'hui dans le jurd de Ersal ». Extraordinaire, j'en parlerai au chef du gouvernement libanais. Pour Samir Geagea, président du parti des Forces Libanaises, « les sacrifices du Hezbollah » sont appréciables car « l'avancée du Hezbollah a eu un résultat positif pour le Liban ». On dirait qu'il prépare déjà son dossier présidentiel. Et pour Gebrane Bassil, chef du Courant patriotique libre, ce qui compte c'est que « la décision de libérer la terre est une décision purement libanaise ». Je t'assure, je ne sais pas ce qu'il va encore chercher el-Baalbaki. Quant à Walid Joumblatt, qui tweete pour un oui et pour un non, avec moult émoticônes puériles, il est aux abonnés absents. La girouette n'a pas encore déterminé le sens du vent. Wlak yi redd el 3ein 3ankoun.

 VI  LA VICTOIRE EN TROMPE-L'OEIL DU HEZBOLLAH DANS LE JURD D'ERSAL 

« Cette victoire (...) nos moujahidines, nos blessés et les familles de nos martyrs, la dédient à tous les Libanais. (sourire) Comme d'habitude, nous sommes comme ça. Comme en l'an 2000 et en 2006. A tous les Libanais et à tous les peuples de la région qui ont souffert et souffrent du terrorisme takfiriste, de l'horreur takfiriste et de la sauvagerie takfiriste. A tous les Chrétiens et à tous les Musulmans, toutes communautés et confessions confondues. » 

Zappons d'abord, la notion de « victoire » selon les critères de Hassan Nasrallah. Comme on l'a vu plus haut, il ne faut pas aller vite en besogne, la victoire totale sur tous les jihadistes, Daech compris, c'est l'armée libanaise qui l'apportera forcément, le Hezbollah seul n'en est pas capable. En attendant, la bataille d'Ersal est plus une grande opération de com' qu'une opération militaire d'envergure. Le cessez-le-feu de jeudi 27, suivi par l'accord de dimanche-lundi, a permis de dévoiler une partie du plan com' du Hezb. Alors qu'il y a quelques jours, on nous parlait de centaines de jihadistes tués et faits prisonniers, l'accord ne prévoit que l'échange d'une quinzaine de corps (5 du Hezbollah contre 9 de Nosra) et la libération d'une dizaine de prisonniers (8 du Hezbollah contre 2 de Nosra). Pire encore, alors qu'il y a quelques semaines, on nous parlait d'un millier de jihadistes dans le jurd, l'accord ne prévoit de laisser partir en Syrie qu'une centaine au final. Comme le contraste est important, on a tenu à confondre dans la même catégorie tous les candidats au retour, combattants et civils. Du coup, on est passé de 120 à 10 800 personnes prêts à retourner à Idleb et dans le Qalamoun syrien, la confusion servant à amplifier la perception de la victoire dans les esprits chauffés à blanc depuis dix jours

Zappons ensuite, la référence à la guerre de « 2006 », j'en ai parlé précédemment, ce fut un désastre pour les Libanais. Entendre un Ali Fayad, député du Hezbollah, répéter encore que la bataille de jurd Ersal a "renforcé la force de dissuasion contre les Israéliens", et voir que certains compatriotes croient toujours à cette légende, et l'on se dit que nous sommes non seulement très mal barré dans ce pays, mais le pire est à venir. 


Zappons enfin, ce côté bon prince, généreux et bienveillant, comme on l'a vu déjà, l'opération Anti-Liban est essentiellement menée dans l'intérêt de la milice chiite et non du Liban, une nuance qui échappe à beaucoup des partisans du Hezbollah, les fidèles comme les infidèles, et à beaucoup de leaders libanais, les ex-8Mars comme les ex-14Mars.


 VII  QUE PEUT FAIRE LE HEZBOLLAH POUR REDORER SON BLASON?

Soyons francs. Le Hezbollah a un passif colossal avec une partie du peuple libanais qui ne peut être soldé ni avec les combats de jurd Ersal, aussi nobles soient-ils, ni avec l'émotion de Hassan Nasrallah en évoquant l'implication de ses hommes, aussi sincère soit-elle. Pour se montrer sous son meilleur jour, faisant bonne impression et bonne figure sur tous les Libanais, le Hezbollah doit cesser ses pratiques miliciennes, mafieuses et islamistes.

. Primo, par la dissolution de sa milice et la remise de ses armes à l'armée libanaise, conformément à la Constitution libanaise, l'accord de Taëf et les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, 1559 et 1701.

. Secundo, par le renoncement aux assassinats politiques concrétisé par la remise de ses membres accusés du meurtre de l'ancien premier ministre Rafic Hariri à La Haye et la collaboration totale avec le Tribunal spécial pour le Liban.

. Tertio, par le rejet une fois pour toutes de l'idée de l'établissement d'une république islamique chiite au Liban, telle qu'elle est régulièrement exprimée par cheikh Naïm Qassem entre autres, numéro deux du Hezbollah (dans ses livres et ses interviews, la dernière fois, c'était en janvier 2016, dans l'indifférence générale des ex-leaders souverainistes).

Le Hezbollah sous le règne de Hassan Nasrallah, depuis 1992 (25 ans déjà), a commis tellement d'erreurs que ce cahier des charges draconiennes ne sera sans doute pas suffisant pour redorer le blason du parti chiite aux yeux d'une partie des Libanais. En tout cas, pour ce faire, le Hezb doit mener immédiatement une action triple : confier l'opération Anti-Liban à l'armée libanaise, se retirer complètement de la guerre civile syrienne et accepter enfin, l'opération Figuiers de Barbarie. Ce projet pour lequel je milite depuis la condamnation de Michel Samaha en avril 2016, prévoit de sécuriser la frontière syro-libanaise d'une manière écologique et à moindre frais, avec la plantation serrée de 187 500 figuiers de Barbarie, en plusieurs rangées. On pourra le compléter si nécessaire avec le déploiement de l'armée libanaise. Rien n'empêche le gouvernement libanais de demander de l'intégrer dans la résolution 1701.

Un poste de l'armée libanaise dans le jurd d'Ersal
Photo Hussein Malla, AP (juin 2016)
Enfin bref, quand le Hezbollah se contentera de faire de la politique, comme tout le monde, ce jour-là il pourra espérer convaincre par la persuasion les Libanais imperméables à son aura, qu'il se bat pour le Liban et non pour le chef de « l'internationale chiite », wali el-fakih, le Guide suprême de la République islamique d'Iran, Ali Khameneï. « Toute guerre qu'Israël mènera contre le Liban et la Syrie ne restera pas limitée à ces deux terrains, mais ouvrira les frontières terrestres et aériennes à des milliers de jihadistes en provenance d'Irak, du Yémen, d'Iran, d'Afghanistan, du Pakistan et d'autres régions du monde, qui viendraient seconder la Syrie et la résistance. » C'est le secrétaire général du Hezbollah qui le dit et c'était il y a un mois. Et après, il vient nous dédier « sa » victoire, et on a des compatriotes, idiots utiles et frappés d'amnésie, qui viennent nous demander de s'incliner devant le sacrifice actuel du Hezbollah dans le jurd d'Ersal. Il faut que tout ce beau monde comprenne, ni Allah ni le gouvernement ni l'ensemble du peuple libanais ni ses représentants n'ont confié la mission de défendre cette contrée au Hezbollah, de fusionner le sort du Liban avec celui de la Syrie et de transformer le pays du Cèdre en une terre du jihadisme chiite. Et dire qu'ils osent prétendre combattre le jihadisme sunnite de Daech-Etat islamique!

Hélas, l'Etat libanais actuellement est réduit à jouer les intermédiaires entre le Hezbollah et Fateh el-Cham (alNosra-alQaeda), deux organisations considérées toutes les deux comme terroristes par une grande partie de la communauté internationale. Il parraine et veille à l'exécution de l'accord conclu entre elles, avec la bénédiction de la majorité des leaders libanais, dont les ex-souverainistes. Pathétique. Toujours est-il que cela ne doit pas détourner l'attention des patriotes de l'essentiel : ils ont leur Liban, nous avons le nôtre. Et dans le nôtre,
seul l'Etat libanais détient le pouvoir souverain de la guerre et de la paix, et seule l'armée libanaise, le monopole souverain des armes. Assez de palabres, tout ce qui est en dehors ça, est illégal, nul et non avenu.