« Au
nom du Liban, des soldats kidnappés, du sang des martyrs innocents
et au nom des héros de la grande armée libanaise, je lance
l'opération 'Fajr el-Jouroud' ». Après des semaines de
préparation et d'intenses bombardements de la région, le chef de
l'armée libanaise, le général Joseph Aoun, vient d'annoncer le
déclenchement officiel des opérations militaires d'envergure,
impliquant les armées de terre et de l'air, « L'aube des
régions désertiques », pour déloger Daech-Etat islamique de la chaine de montagnes de l'Est du Liban. Cette bonne nouvelle nous
conduit vers trois réflexions sur ce sujet.
Photo diffusée par l'armée libanaise |
1.
Pourquoi avoir attendu si longtemps?
Disons-le
sans détour, parce que le Hezbollah n'en voulait pas pendant
longtemps. Ah si. Et quand il s'est résigné à accepter l'idée, il
voulait la mener comme et quand bon lui semblait, ce qui était
inacceptable pour un Etat souverain. Eh oui. Ce n'est que lorsqu'il s'est rendu compte que le gouvernement Hariri nettoyera la chaine de montagnes de
l'Est, et que la décision était irrévocable, qu'il a improvisé
l'opération Anti-Liban il y a quelques semaines.
Pour le prouver rappelons-nous deux faits indiscutables. La présence de combattants
syriens anti-régime en territoire libanais sur la frontière
syro-libanaise est attestée depuis au moins le début de l'année
2013. Je l'ai dénoncé dans un article à l'époque. C'était des
éléments de l'Armée syrienne libre, les rebelles dits modérés. Pas de Daech & Co encore.
L'afflux et l'installation des jihadistes au Liban,
comme ceux d'un million et demi de réfugiés et de déplacés syriens d'ailleurs, ont eu lieu essentiellement
entre 2011 et 2014, à une période où le pays du Cèdre était
dirigé par un gouvernement composé exclusivement des forces
politiques du camp dit du 8-Mars (pro-Assad et pro-Hezb), le
gouvernement Najib Mikati (Hezbollah, Courant patriotique libre, Amal, Parti socialiste, etc.). Et pourtant, ce n'est qu'à l'été 2017
que le Hezbollah a décidé de bouger et a soi-disant forcé l'Etat libanais à nettoyer le
jurd. Comprenne qui pourra! En réalité, la milice chiite libanaise s'y opposait jusqu'à
maintenant pour trois raisons principales.
. Primo, parce qu'elle ne voulait pas que l'armée libanaise le fasse seule. Non mais quoi encore, elle en sortira renforcée bien entendu, ce qui pourrait remettre en question la propagande du Hezb sur la faiblesse, l'incapacité et l'impuissance de la troupe libanaise à protéger le Liban, et du coup, remettre en cause l'utilité et l'existence même de cette milice chiite, auto-proclamée "La Résistance", qui combat Israël à Damas!
. Secundo, parce qu'elle voulait absolument y participer pour pouvoir en tirer bénéfice. Or, cette bataille n'était pas prioritaire pour le Hezb dans le passé. Elle pouvait mobiliser beaucoup d'hommes, pendant longtemps, alors que l'urgence était en Syrie, où l'existence de la tyrannie des Assad était sérieusement menacée.
. Secundo, parce qu'elle voulait absolument y participer pour pouvoir en tirer bénéfice. Or, cette bataille n'était pas prioritaire pour le Hezb dans le passé. Elle pouvait mobiliser beaucoup d'hommes, pendant longtemps, alors que l'urgence était en Syrie, où l'existence de la tyrannie des Assad était sérieusement menacée.
.
Tertio, parce que la neutralisation de la chaine de montagnes de l'Anti-Liban des éléments jihadistes, pose inévitablement la
question qui fâche, depuis des décennies, tracer la frontière
syro-libanaise et la contrôler dans les deux sens, le cauchemar absolu de Bachar el-Assad et du Hezbollah.
2.
L'opération « L'Aube des régions désertiques » de
l'armée libanaise et l'opération « Anti-Liban » du
Hezbollah, sont-elles comparables?
Absolument
pas, ni dans la forme ni dans le fond.
Dans
la forme, la nature des protagonistes est totalement différente.
L'opération Fajr el-Jouroud, qui a commencé ce matin, oppose les forces militaires de l'Etat
libanais, contre les jihadistes d'une organisation terroriste
multinationale à dominante syro-irakienne, Daech, appelée
abusivement Etat islamique. Par contre, qu'on le veuille ou pas, que
ça plaise ou non, à juste titre ou à tort, tous les protagonistes
qui étaient impliqués dans l'opération que j'ai baptisée "Anti-Liban" (qui a eu lieu il y a quelques semaines), le régime
syrien, le Hezbollah et Fateh el-Cham, sont qualifiés par une partie
ou par la totalité de la communauté internationale de terroristes.
Mais encore, le Hezbollah est une milice communautaire exclusivement
chiite, qui évolue illégalement en parallèle avec les forces militaires légales, elle détient des armes en violation de la Constitution libanaise, des
résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU (1559 et 1701) et du droit
international. L'armée libanaise elle, est composée de tous les
enfants de la patrie, toutes appartenances communautaires confondues. Grande nuance et non des moindres.
Et ce
n'est pas tout. Tous les experts savent que la bataille contre les
jihadistes nécessite une force de frappe et une puissance de feu
bien plus importantes que celles dont dispose le Hezbollah. Désolé
de briser la romance de certains pour ce dernier, mais la milice
chiite libanaise, une guérilla par excellence, est totalement incapable de vaincre des groupes jihadistes, des guérillas aussi, dans une région désertique comme le Jurd, seule. L'armée
libanaise si, puisqu'elle seule en dispose, de la force de frappe et de la puissance de feu nécessaires. Comme pour Fateh
el-Islam en 2007, elle écrasera Daech, sans l'ombre d'un doute.
Mais puisqu'on y est, rappelons aux amnésiques admirateurs du drapeau jaune, qu'à l'époque, Hassan Nasrallah avait établi une « ligne rouge ». Il avait tenté d'empêcher la troupe de pénétrer dans le camp palestinien du Nord-Liban, pour déloger les terroristes. Il voulait bien faire pénétrer dans certains esprits prédisposés, la propagande selon laquelle l'armée libanaise serait faible, impuissante et incapable. Une façon de justifier l'anomalie que constitue la présence d'une milice communautaire armée au Liban, 26 ans après la fin de la guerre civile libanaise.
Mais puisqu'on y est, rappelons aux amnésiques admirateurs du drapeau jaune, qu'à l'époque, Hassan Nasrallah avait établi une « ligne rouge ». Il avait tenté d'empêcher la troupe de pénétrer dans le camp palestinien du Nord-Liban, pour déloger les terroristes. Il voulait bien faire pénétrer dans certains esprits prédisposés, la propagande selon laquelle l'armée libanaise serait faible, impuissante et incapable. Une façon de justifier l'anomalie que constitue la présence d'une milice communautaire armée au Liban, 26 ans après la fin de la guerre civile libanaise.
Dans
le fond, les objectifs des deux opérations ne sont pas les mêmes,
mais alors là, pas du tout. Ceux de l'armée libanaise ont été fixés
conjointement par le président de la République, Michel Aoun,
commandant en chef de l'armée libanaise, le Conseil des ministres réuni autour du Premier ministre, Saad Hariri, commandant effectif de la
troupe, et le chef de l'armée libanaise, le général Joseph Aoun, commandant des opérations militaires. L'armée
libanaise est chargée d'étendre la souveraineté de l'Etat libanais
sur le territoire libanais situé dans la zone frontalière
syro-libanaise et de protéger le peuple libanais en général, et
les populations locales en particulier, de la menace terroriste.
Par
contre, les objectifs du Hezbollah ont été fixés par le Guide
suprême de la République islamique chiite d'Iran, Ali Khameneï,
al-wali el-fakih, le seul à même de se prononcer sur les questions
stratégiques de ce que j'appelle l'Internationale Chiite. C'est de l'aveu même des
dirigeants du parti chiite libanais! De plus, dans l'opération
Anti-Liban, les intérêts du Liban étaient secondaires.
Khameneï et Nasrallah visaient en premier à renforcer le « croissant
chiite » au Moyen-Orient (via l'axe logistique
Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth et préserver la continuité territoriale
Iran-Irak-Syrie-Liban), remonter le moral de la communauté chiite
libanaise et des miliciens chiites libanais très éprouvés par les
six années de guerre en Syrie (plus de 2 000 combattants chiites
libanais tués en Syrie), forcer le gouvernement libanais à
intervenir pour amortir les effets des sanctions américaines contre le
Hezbollah (qui seront renforcées prochainement), faire oublier son
implication massive depuis six ans dans la guerre civile syrienne aux
côtés du régime terroriste de Bachar el-Assad (responsable en
partie de l'afflux de jihadistes et de réfugiés syriens au Liban)
et se faufiler dans le train victorieux en marche, celui de la
communauté internationale sur Daech/Etat islamique (pour redorer son
blason à l'intérieur comme à l'extérieur).
3.
Que faut-il faire pour que le combat, l'effort et le sacrifice de l'armée
libanaise ne soient pas vains?
On
peut palabrer de jour comme de nuit, de la pluie et du beau temps, de la recette du
tiramisu et de l'origine de nos malheurs et de tout ce qu'il faut faire et ne pas
faire pour sauver notre pays. Mais, personne de sensé, et
patriote à ses heures perdues, ne peut nier le fait que la
libération de la chaine de montagnes de l'Est du Liban des jihadistes
par l'armée libanaise, doit impérativement être complétée par
deux actions concrètes.
Des frontières de figuiers de Barbarie عملية حدود من الصُبَّيْر |
D'un
autre côté, il est demandé au Hezbollah de retirer tous ses
miliciens de Syrie. Il est partie prenante de la guerre civile
syrienne, donc du problème. Cela doit cesser car les répercussions de son intervention affectent tous les Libanais sans distinction. Le Liban n'a absolument rien à faire dans la guerre civile qui ravage son voisin et qui est loin de prendre fin. Sinon, le Hezb légitime le retour par la fenêtre des
jihadistes chassés par la porte, et les actions terroristes qui seront menées au Liban. Il devrait donc en assumer
les conséquences. Hélas, c'est mal barré. En ce moment même, la milice
chiite libanaise se bat aux côtés des troupes syriennes du régime
alaouite dans le Qalamoun, côté syrien. Maigre consolation, le
porte-parole de l'armée libanaise a affirmé qu'il n'y a aucune
coordination directe ou indirecte des deux côtés de l'Anti-Liban.
A
défaut, si le pouvoir politique au Liban et le Hezbollah ne font
pas ce que leur impose le devoir patriotique envers la nation, le combat, l'effort et le sacrifice de l'armée libanaise seront vains. Hélas, ça ne sera pas la première fois dans l'histoire que des politiciens gaspillent les bénéfices d'une victoire durement gagné par les militaires.
«
Les salutations de nos soldats qui affrontent
Daech dans les régions désertiques de Ras Baalbeck aux victimes de l'Espagne et du monde entier » Armée libanaise |