Même
pas peur du ridicule, la suite. « Nous avons mené des raids aériens qui ont créé un cratère et détruit un petit pont, afin d'empêcher le convoi (de centaines de jihadistes de Daech évacués du Liban) de progresser vers l'Est (de la Syrie)... Si nous pouvons frapper l'Etat islamique ou nous sommes en mesure de le faire sans nuire aux civils, nous le ferons. » C'est
ce qu'a déclaré hier, le colonel
Ryan Dillon, le porte-parole de la Coalition internationale. Il y a
96% de chances que ça soit un avion américain. Comme c'est
enquiquinant. Après les bus climatisés pour que les jihadistes ne
souffrent pas trop de la chaleur accablante du désert syrien, les
glaces à l'eau de rose pour relever la romance, la cellule
psychologique spécialement dépêchée par Hassan Nasrallah pour
atténuer le traumatisme du déracinement, les rasoirs Gillette
distribués par Bachar el-Assad dans les bus pour que les affreux énergumènes se fassent tout beau, il va falloir qu'on
leur trouve des chambres d'hôtel dans la région en attendant une éclaircie. Bon, pour tuer
l'ennui, Asma el-Assad, une autre serpent de la Genèse comme Claire
Underwood, grrrrrrr,
profitera peut-être pour leur faire une visite guidée de la vieille
ville de Palmyre. Le régime pourra même les déradicaliser et les
réintégrer dans l'armée syrienne et réussir l'exploit de recycler ces jihadistes jetables. Trêve de plaisanteries, allons dans le vif
du sujet.
Flashback. Fin juillet, le Hezbollah
mène dans la précipitation, une opération milicienne que j'ai
appelée « Anti-Liban 1 » sur le versant ouest de la
magnifique chaine de montagnes de l'Est du Liban, pour couper l'herbe
sous les rangers de la troupe. Quelque semaines plus tard, l'armée
libanaise lance une opération militaire sur le versant ouest de
l'Anti-Liban (Liban), baptisée « Fajr el-Jouroud »,
en faisant fi des désespérantes tentatives du Hezbollah pour
établir une coordination officielle avec une opération milicienne
déclenchée quelques heures plus tard à la hâte côté syrien, par
la milice chiite libanaise et le régime alaouite syrien, qu'on peut
appeler « Anti-Liban 2 ».
On nous dit que c'est dans l'intérêt
du Liban, et patati et patata, et patatipatali et patatatipatala,
blablabla. Ouf, si vous y arrivez, chapeau! Cette tragédie en
trois actes qui s'est déroulée sur le mont Anti-Liban, quelle
appellation ironique!, posent à certains Libanais dont je fais partie, trois problèmes majeurs.
. Le premier concerne le théâtre
des opérations. Tout ou presque se déroule au Liban et
pourtant, les dirigeants de l'Etat libanais sont aux abonnés
absents ou presque. Pas de réunion de crise, pas de mobilisation
générale, pas d'état de guerre, pas de déclaration saisissante,
rien, que dalle. Tout ce qui semble les intéresser c'est
l'application stricte du Code de la route aux bus de Daech.
. Le second concerne les cinq
protagonistes. Ils sont tous considérés comme des entités
terroristes (officiellement ou officieusement), par l'écrasante
majorité des pays du monde, (pays arabes, européens et occidentaux
notamment), à l'exception de l'armée libanaise, qui a le respect
du monde entier. Voilà pourquoi les manigances de Hassan
Nasrallah depuis des mois pour forcer la coordination-coopération
entre le Liban et la Syrie étaient un vœu pieux et grotesque.
Gebran Bassil, ministre libanais des Affaires étrangères et chef du Courant patriotique libre, allié du Hezbollah depuis le 6 février 2006, à deux jours d'intervalle svp ! |
Et
dire que certains compatriotes ne savent plus quoi inventer pour
défendre l'immonde et dédouaner les dirigeants de l'Etat libanais
et du Hezbollah. « Ah mais
tout s'est déroulé en Syrie! » Mais voyons, les jihadistes de Daech et Nosra n'étaient en réalité que des randonneurs adeptes du camping sauvage qui s'étaient égarés dans l'Anti-Liban peut être. Et les attaques, les enlèvements, les décapitations, les exécutions, les combats, les morts et les blessés, ils ont tous eu lieu en Syrie peut être aussi, allez savoir ! Pathétique. En tout cas, de deux choses l'une:
soit l'Etat voulait arrêter ces criminels et les juger, mais ils sont filés
clandestinement en Syrie, avec les guides de montagne du Hezb ; soit
ils sont passés au vu et au su de tout le monde. Le
premier cas pose le problème chronique du contrôle de la frontière
syro-libanaise hermétiquement
et dans les deux sens. Le deuxième pose le problème de la
complicité des dirigeants de l'Etat libanais avec le Hezbollah.
*
Cela fait des semaines que je l'écris
dans mes articles, le Hezbollah s'est lancé depuis cet été dans
une recherche désespérée d'une « victoire ». Il
lui en faut une, c'est vital. La communauté chiite libanaise en
générale et les miliciens du Hezbollah en particulier ont été
très éprouvés par les six années de guerre en Syrie. Ils ont
perdu près de 2 000 combattants chiites dans une guerre civile
enlisée, dans un pays voisin, pour sauver la tyrannie alaouite des Assad et
s'embrouiller pour le reste du siècle avec les communautés sunnites
arabes, par la faute d'Ali Khameneï, le guide suprême
de la République islamique d'Iran, le seul à même de se prononcer
sur les questions stratégiques de l'Internationale Chiite, à
laquelle adhère le Hezbollah.
Qu'importe que « sa victoire »
soit fausse. La « victoire divine »
de juillet 2006 nous a couté plus de 1 200 morts et l'équivalent
de 50% de notre PIB, contre 4% côté israélien, afin de libérer
Samir Kuntar, un ressortissant libanais auteur d'une attaque
terroriste palestinienne sur le territoire israélien commise en 1979
et du meurtre d'une fillette israélienne de quatre ans, tête
écrasée avec la crosse d'un fusil devant son père, pour qu'il
aille finir ses jours en combattant aux côtés du régime syrien.
Qu'importe que « sa victoire » soit honteuse. Le
« jour glorieux » de mai 2008 a
fauché la vie de près de 75 Libanais, saboter l'autorité de l'Etat et mis
le Liban tout entier à deux doigts de la guerre civile. Qu'importe
que « sa victoire » soit humiliante. La « deuxième
libération » d'août
2017, que le Hezbollah fêtera aujourd'hui, a conduit au
retrait sous bonne escorte des terroristes de Daech et de Nosra, de
l'Anti-Liban vers la Syrie, alors qu'ils sont responsables de
l'exécution d'une douzaine de soldats de l'armée libanaise, dont au
moins deux par décapitation et deux par une balle dans la tête, photographiée et diffusée sur les réseaux
sociaux. On voit bien bien que le Hezbollah n'a rien à foutre ni
du Liban ni des Libanais ni de l'armée libanaise. On pourra
rajouter, ni des combattants chiites ni de la communauté chiite
toute entière d'ailleurs. Ce qui compte pour le Hezb ce sont les intérêts
de l'Internationale Chiite tels qu'ils sont fixés par wali
el-fakih, Ali Khameneï.
*
Tous les Libanais sans exception sont aujourd'hui reconnaissants et fiers du sacrifice et de l'exploit
de l'armée libanaise. Par sa combativité, sa force de frappe et
sa puissance de feu, elle a magistralement rempli sa mission :
libérer le territoire libanais occupé par l'Etat islamique et
ramener à leurs familles, les dépouilles des enfants de la patrie
sauvagement exécutés par cette organisation terroriste
multinationale agonisante à dominante syro-irakienne. Ce point ne
fait pas débat.
C'est sur le reste de l'histoire que
les Libanais se divisent. Aujourd'hui, une frange de Libanais, les
partisans du Hezbollah et du Courant patriotique libre, se rendront dans la Bekaa, à la demande du parti et de la milice
chiite, pour fêter la « deuxième libération ».
D'autres y seront de tout cœur avec eux. C'est leur droit. El-Baalbaki fait partie de celles et ceux qui n'iront nulle part et ceci
pour trois raisons.
. Primo, figurez-vous el
chabibé el taïbé ne savent pas compter. Mais enfin, ce
n'est pas la deuxième libération dont il s'agit, mais de la
troisième, pardi! La deuxième libération a eu lieu le 26
avril 2005, quand les troupes syriennes de la tyrannie des Assad ont quitté le Liban, après 29 ans d'occupation et tant de
bombardements, de massacres, d'assassinats et de répressions. On
pourra même dire que c'est la quatrième en fait, en reconnaissant que la première correspond à celle où l'on a mis fin à l'Etat dans l'Etat, à
l'anomalie de l'époque que constituait l'OLP, l'Organisation de la
Libération de la Palestine, au Liban. Que le Hezbollah ait commis
cette erreur de comptage historique grossière, c'est compréhensible. Il l'a
fait exprès. Il vit dans sa bulle. Puis, rappelez-vous, il a crié haut et fort un certain 8 mars 2005 « Merci la Syrie des Assad » et tenter
désespérément de perdurer l'occupation syrienne du Liban. Mais
alors, que le Courant patriotique libre, ne se rend pas compte de ce
mépris, et aille applaudir naïvement à Baalbek l'héros du jour,
c'est aussi incompréhensible qu'impardonnable.
. Secundo, l'invitation
émane du Hezbollah et de ce fait, elle pose problème à
certains compatriotes comme moi. Avec ce parti-milice le passif
est lourd, très lourd. On y trouve le maintien de sa milice et la
détention d'armes en violation de la Constitution libanaise
et des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU 1701 et 1559
(27 ans après la fin de la guerre civile libanaise) ; les
assassinats politiques dont celui de Rafic Hariri et de 21
autres personnes (mais diable, comment peut-on fêter quoi que ce
soit avec le Hezb alors qu'en ce moment même, les victimes de
l'attentat terroriste du 14 février 2005 sont à la barre du
Tribunal Spécial pour le Liban à La Haye pour crier leur douleur!)
; la constitution d'un Etat dans l'Etat (armes, réseaux de
télécommunication, contrôle du port de Beyrouth et de l'aéroport,
zones de non droit, etc.) ; les violations de la souveraineté
libanaise (les opérations Anti-Liban par exemple) ;
l'implication du Liban dans la guerre civile en Syrie (qui est
en partie responsable de l'afflux des réfugiés syriens et des jihadistes au Liban) ; sa classification comme entité terroriste
par les pays arabes et européens (ainsi que les Etats-Unis) ; la
volonté d'établir une république islamique chiite au Liban
(comme l'affirment des dirigeants du Hezb régulièrement, la
dernière fois c'était cheikh Naïm Qassem en 2016!) ; et j'en passe et des meilleures.
Alors, ça va aller ou je continue ?
. Tertio, ce que le Hezbollah et le Courant patriotique libre, alliés depuis le 6 février 2006, fêtent aujourd'hui est totalement inacceptable. D'une
part, la libération du territoire libanais de l'organisation
terroriste Daech et le retour des dépouilles des militaires, c'est à
l'armée libanaise que les Libanais le doivent. Ainsi, il revient
à la troupe seule de le faire et sans aucun partage. Fêter quoi
que ce soit avec une milice illégale alors que l'armée nationale est en deuil et n'a encore rien fêté en grande pompe, est tout
simplement indécent! D'autre part, nous nous réjouissons bien
entendu du fait que le Liban soit aujourd'hui débarrassé de l'autre
organisation terroriste, Fateh el-Cham (ex-Nosra). Mais, nous n'avons
rien demandé à la milice chiite, c'était à l'armée libanaise de
le faire, et elle allait le faire si la milice chiite n'avait pas
précipité son opération Anti-Liban 1. Pire encore, il n'a échappé
qu'aux aveugles et aux autruches que le Hezbollah ne l'a fait que pour
être sur le podium des vainqueurs justement, remonter le moral
de ses troupes, ramener ses fidèles pour l'applaudir et tenter de
convaincre les récalcitrants qu'il a apporté sa contribution à
la libération du territoire libanais des jihadistes syriens et que
de ce fait, « l'anomalie » qu'il constitue au Liban, est
pleinement justifiée et doit perdurer ad vitam aeternam. Et puis
au-delà de tout cela, comment n'éprouvent-ils aucune gêne à nous
demander de fêter leur victoire, alors que la fin de l'histoire
est tout simplement honteuse? Le Hezbollah et le régime d'Assad,
des entités terroristes, ont négocié avec deux organisations
terroristes, Daech et Nosra, qui ont attaqué l'armée libanaise,
enlevé des militaires libanais et exécutés des enfants de la
patrie, pour les laisser partir en Syrie, comme si de rien n'était.
Non merci, c'est avec Gebran Bassil et le Courant patriotique libre
peut-être, mais c'est sans nous. Comme l'affirme le colonel Ryan Dillon : « Leur prétention de combattre le terrorisme semble creuse lorsqu'ils permettent à des terroristes connus de transiter par le territoire qu'ils contrôlent. L'Etat islamique-Daech est une menace mondiale. La relocalisation d'un endroit à un autre, n'est pas une solution durable ». Et encore, il est très poli.
*
Parlons peu, parlons bien. Aujourd'hui, nous avons deux Liban
irréconciliables. On a d'un côté, les Libanais qui gobent encore la
mythologie du Hezbollah en 2017,
comme en 2008 et en 2006, et de l'autre côté, les Libanais qui
résistent à toute cette mascarade. Dans
votre Liban, les assassins échappent à la justice, qu'ils aient tué
un Premier ministre ou des soldats. Dans notre Liban, ils sont
capturés, jugés, condamnés et emprisonnés. Dans votre Liban, vous
fêterez la « deuxième libération » autour d'une
milice illégale, dans la joie, la bonne humeur et l'amnésie
générale. Dans notre Liban, nous fêterons la « quatrième
libération », après avoir enterré dignement nos morts et une
période décente de deuil, avec l'armée libanaise seule et sans
partage.