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Dimanche 27 août, 5h22 du matin. L'armée libanaise
annonce dans un communiqué qu'elle effectuera une pause dans ses opérations menées sur
la chaine de montagnes de l'Anti-Liban, Fajr el-Jouroud. Le
cessez-le-feu qui doit entrer en vigueur à 7h du matin est censé
permettre à ceux qui sont impliqués dans ce dossier « d'engager
la dernière étape des négociations (avec Daech) concernant le sort
des militaires enlevés (en août 2014) ». Lueur d'espoir.
Hussein Youssef, père du soldat Mohammad Youssef, porte-parole des familles des militaires libanais enlevés par l'organisation terroriste Daech en août 2014 |
- 8h40. Le « média militaire » du
Hezbollah annonce que « les tirs ont cessé à 7h du
matin de ce dimanche, dans le cadre d'un accord global pour mettre
fin à la bataille dans le Qalamoun de l'ouest (Syrie) contre
l'organisation Daech ». Tiens, tiens, à « 7h »
du matin aussi et « accord global », comme par hasard!
Mais enfin, dans le Qalamoun libanais, l'armée libanaise a annoncé son
cessez-le-feu 3 heures et 18 minutes avant celui de la milice chiite libanaise
et du régime syrien. Il n'échappe à personne que le but de cette
manœuvre basse du Hezbollah est de faire croire qu'il y a une
« coordination » entre l'armée libanaise et l'armée
syrienne. Ridicule et grotesque.
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Vers 9h30. Le ministre libanais de la Défense, Yakoub
Sarraf, déclare de Ras Baalbek: « Comme nous avons
préparé la bataille des Jouroud et nous l'avons gagné, l'armée
prépare le retour des kidnappés et elle l'assurera ».
Quant à Gebrane Bassil, ministre libanais des Affaires
étrangères, qui était lui aussi sur place, pas loin du front, il a
fait savoir : « Nous avons une pensée pour les militaires
enlevés », ainsi que pour deux évêques orthodoxes syriens et un photographe libanais disparus en Syrie en 2013. Rayon d'espoir.
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Vers 10h, Abbas Ibrahim, le directeur général de la
Sûreté générale, l'officier chargé par l'armée de suivre l'affaire, affirme devant les caméras de la chaine du Futur que « le
dossier des militaires otages de l'organisation terroriste Daech sera
refermé aujourd'hui ». Premier malaise.
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Vers 13h. Les familles des militaires enlevés
s'activent et se rassemblent place Ryad el-Solh à Beyrouth. Malgré
la tension, elles affirment qu'elles ont toujours une « lueur
d'espoir » de revoir leurs fils sains et saufs. Le
père de l'un d'entre eux, Hussein Youssef , porte-parole des familles des militaires, a résumé la situation en ces termes : « Nous
vivons une tragédie et une douleur et nous nous attendons à une
nouvelle horrible et cruelle, mais nous espérons que ça sera un
mensonge ». Hussein Youssef est d'une noblesse et d'une dignité remarquables, qui contrastent avec l'hypocrisie
incompréhensible de l'Etat libanais et les basses manigances du
Hezbollah.
- Vers 16h. Des médias officiels syriens
annoncent « qu'après les succès réalisés par nos forces
armées (syriennes) en coopération avec la résistance nationale
libanaise (milice chiite) dans les jouroud du Qalamoun de l'ouest
(Syrie), l'accord conclu entre le Hezbollah et l'organisation
terroriste Daech a été approuvé (par le régime alaouite syrien)
». Deuxième malaise. Tenez-vous bien, selon les termes de
l'accord, le régime de Damas permettra aux jihadistes de Daech de se
retirer des zones frontalières libano-syriennes pour aller
s'installer dans l'Est de la Syrie, Deir el-Zorr. Comprenne qui
pourra! Daech s'engage aussi à remettre au Hezbollah les dépouilles
de cinq miliciens chiites libanais tués en Syrie. Quelle magnifique
entente entre des gens civilisés, n'est-ce pas? Pour rappel, le
régime de Bachar el-Assad, le Hezbollah et Daech, sont considérés
par la quasi totalité de la communauté internationale,
officiellement ou officieusement, comme des entités terroristes.
- Vers 16h30. Les habitants du village
chrétien de Qaa, qui se situe à un jet de pierre de la
frontière syro-libanaise et des combats menés par l'armée
libanaise contre Daech et qui a été frappé par huit
attentats-suicides le 27 juin 2016 (ayant fait cinq morts et une trentaine de
blessés) dénoncent l'hypocrisie régnante et les manigances en
cours, et déclarent : « Nous nous demandons étonnés,
pourquoi on fait passer ces terroristes en Syrie, avant de les
interroger et de les punir par des sanctions appropriées? Est-ce que
le sang de nos héros innocents ne mérite pas une enquête pour
connaître les circonstances de ce crime terroriste, qui l'a organisé
et dans quel but? » Troisième malaise de la journée.
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Vers 17h, Abbas Ibrahim, annonce devant les familles
des otages à bout de forces et de peine, que les militaires qui
étaient otages de Daech sont probablement morts. « J'aurai
souhaité que ce dossier soit clos comme les précédents.
Malheureusement, il a été clos par une page noire. »
Quatrième malaise.
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Vers 19h, l'armée libanaise annonce que « les
dépouilles des huit personnes » découvertes dans la
localité de Wadi el-Dib, qui se situe dans Jouroud Ersal, seront
transférées à l'hôpital militaire afin d'effectuer des tests ADN
et de les identifier. L'identification peut prendre des
jours, voire des semaines, selon l'état des dépouilles. D'après
les premières infos, il s'agirait probablement du corps des
militaires (nombre, lieu, vêtements, chaussures, etc.) et leur mort
serait ancienne. Cinquième malaise.
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Vers 21h30. Abbas Ibrahim déclare via la chaine NBN :
« La Sûreté Générale avait des informations (depuis
février 2015) sur l'exécution des militaires dans Wadi el-Dib ».
Cet aveu sincère passe comme si de rien n'était, alors qu'il
soulève beaucoup d'interrogations.
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Flashback. Jeudi 24 août. Hassan Nasrallah révèle
l'existence de « négociations » entre le régime
terroriste d'Assad et l'organisation terroriste de Daech, qui
concernent entre autres, la libération des militaires libanais
enlevés par les jihadistes de l'Etat islamique en aout 2014. Pour
que les négociations aboutissent et y parvenir, le chef du Hezbollah
fait savoir « qu'une coopération avec Damas et une demande
officielles de la part du Liban sont nécessaires ».
Entre
le martyre des familles des militaires enlevés, le sacrifice de
l'armée, la barbarie de Daech, l'hypocrisie de l'Etat libanais et
les manigances du Hezbollah, vous venez de lire la chronique d'un
dimanche qui restera dans les annales et les mémoires.
Les
trois premiers points sont indiscutables.
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Rien qu'à regarder le visage digne de cet homme, Hussein Youssef,
le père de Mohammad Youssef, on comprend que le martyre des familles des
militaires libanais était immense. Leur calvaire a duré trois ans,
plus de mille et une nuits d'affliction insoutenable. Et ce n'est pas fini.
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Le sacrifice de l'armée libanaise n'échappe à personne. Elle
vient de réaliser deux choses : d'une part, libérer un territoire du Liban des
jihadistes de Daech, et d'autre part, prouver aux yeux de tous,
à l'exception des aveugles et des autruches, les limites militaires
d'une milice-guérilla, incapable d'écraser une organisation
terroriste comme Daech seule.
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Nul n'avait besoin de cet acte funeste pour découvrir la barbarie de
Daech, une organisation terroriste, sans foi ni loi.
Ce
qui pose problème pour une partie des Libanais ce matin, ce sont les deux
autres points. Qui a suivi l'actualité libanaise de près ce
dimanche, ne peut que parvenir à deux conclusions
incontournables.
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D'un côté, il est clair que des responsables de l'Etat libanais
savaient que les militaires libanais enlevés en août 2014 ont été
exécutés par l'organisation terroriste Etat islamique en février
2015. Ils ne l'ont pas dit aux familles éplorées. On
nous embobinera par une formule bidon du genre, on voulait les
protéger. L'hypocrisie de certains dirigeants libanais est affligeante! Pire encore, ils ne
l'ont pas dit aux Libanais attristés non plus. Eh oui, il ne
faut pas oublier, cette affaire est aussi, celle de tous les citoyens
qui ont encore une fibre humaniste et patriotique. Plus grave encore,
ils ne l'ont pas dit aux braves soldats de l'armée libanaise
engagés dans l'opération Fajr el-Jouroud, pour libérer la
terre et les hommes. Comment je peux en être certain? Mais enfin,
dans le cas contraire, il n'y aurait pas eu ni de cessez-le-feu ni de communiqué ni de tweet à 5h22 du matin!
Par
conséquent, les familles, les Libanais et les soldats de l'armée
libanaise sont aujourd'hui en droit d'exiger des responsables
libanais trois réponses concrètes: qui savait que les
militaires ont été exécutés, qui a décidé de ne pas révéler
leur assassinat et pourquoi a-t-on gardé leur exécution secrète
pendant deux ans et demi? Une commission d'enquête doit être
créée et chargée de faire toute la lumière sur cette sombre
affaire. D'ici là, le président de la République Michel Aoun
et le Premier ministre Saad Hariri, doivent expliquer aux
Libanais, au nom de quoi et de qui, l'Etat libanais laisse une milice accorder aux assassins des enfants
de la patrie, le droit de partir en Syrie, comme si de rien n'était et sous bonne garde, du régime de Damas?
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D'un autre côté, dans sa précipitation, le Hezbollah, qui était
à la recherche désespérée d'une victoire rapide et nette au Liban
-pour remonter le moral de ses troupes, miliciennes et civiles,
très éprouvées par six années de guerre en Syrie (ayant fait près de 2 000 morts dans leurs rangs)- a accumulé les erreurs ces derniers
temps. Il a cru que la « coopération-coordination »
entre le gouvernement libanais et le régime syrien était une chose
acquise, grosse erreur. Il y travaille depuis plusieurs mois. Rappelez-vous, au début, on parlait de coopération au sujet du retour des réfugiés syriens du Liban en Syrie. Ça n'a pas marché. Le Hezb a été surpris par la
résistance côté libanais. C'est à ce moment qu'il a précipité son
opération milicienne contre al-Nosra, fin juillet, pour couper
l'herbe sous le pied des soldats libanais et les forcer à coopérer.
Echec aussi. L'armée libanaise lance son opération militaire contre
Daech en ignorant le Hezbollah. Coincé, il décide alors de
traverser la frontière de l'Anti-Liban pour aller se battre contre
Daech aux côtés de l'armée syrienne, et faire croire qu'il y a
coordination. La troupe libanaise écrase Daech plus vite que la milice libanaise ne le pensait. Cette dernière avait encore une fois, sous-estimé
la rapidité, la réactivité et la puissance de l'armée libanaise.
Les opérations militaires de l'armée libanaise étaient à leur fin et
toujours pas de coopération réelle. Le Hezb décide alors de dépêcher des ministres pro-syriens à Damas et déclare qu'il y avait coopération, mais que du côté libanais, on ne veut pas l'avouer. En vain. Acculé, il s'est souvenu subitement du sort des militaires libanais retenus en otages par Daech. Belote et rebelote, si vous voulez les libérer, il
faut coopérer avec Damas. Ça ne marche toujours pas. Fajr
el-Jouroud entre dans sa dernière phase, Daech est pratiquement
écrasée, l'armée libanaise annonce dimanche à 5h22 un
cessez-le-feu pour 7h sur le versant ouest de l'Anti-Liban (Liban),
afin de permettre à Abbas Ibrahim de faire la lumière sur le sort
des militaires libanais enlevés. Précipitation du Hezb, qui annonce
3 heures et 18 minutes plus tard, à 8h40, qu'un cessez-le-feu est entré en vigueur à
7h du matin, côté syrien aussi. C'est c'là oui! C'est la dernière tentative en date pour faire
croire aux naïfs de la dernière pluie, qu'il y a coopération et coordination des opérations militaires entre
le Liban et la Syrie.
La
suite, nous la connaissons maintenant. Les militaires libanais auraient été exécutés par Daech vers le mois de février 2015. Le
Hezbollah le savait forcément. Toutes ses manigances depuis le début de l'été jusqu'à ce dimanche inclus, n'avaient
qu'un seul et unique but : forcer le gouvernement de Saad Hariri à
coopérer avec le régime terroriste de Bachar el-Assad. Tout le
reste n'est que poudre aux yeux. Ce soir, Hassan
Nasrallah doit s'expliquer et répondre à deux questions
fondamentales que se pose tout citoyen patriote et humaniste libanais
: pourquoi a-t-il délibérément utiliser le dossier des militaires
libanais enlevés par Daech à des fins politiciennes, et surtout, au
nom de qui et pourquoi, la milice chiite du Hezbollah laisse filer
les terroristes de Daech en Syrie, ceux qui ont assassiné les militaires libanais, sous la bonne garde du régime
alaouite de Bachar el-Assad?
J'avais
terminé mon article du 19 août « Liban vs. Daech : afin
que le combat, l'effort et le sacrifice de l'armée libanaise ne
soient pas vains », par le paragraphe suivante : « Si
le pouvoir politique au Liban et le Hezbollah ne font pas ce que leur
impose le devoir patriotique envers la nation (donner
l'ordre à l'armée libanaise de tenir la frontière syro-libanaise
d'une main de fer et la contrôler dans les deux sens; retirer tous
les miliciens du Hezbollah de Syrie), le combat, l'effort et le sacrifice de l'armée libanaise seront vains. Hélas,
ça ne sera pas la première fois dans l'histoire que des
politiciens gaspillent les bénéfices d'une victoire durement gagné
par les militaires. » C'est toujours vrai et plus que
jamais.