lundi 28 août 2017

Chronique d'une mort annoncée : le martyre des familles des militaires enlevés, le sacrifice de l'armée, la barbarie de Daech, l'hypocrisie de l'Etat libanais et les manigances du Hezbollah (Art.458)


- Dimanche 27 août, 5h22 du matin. L'armée libanaise annonce dans un communiqué qu'elle effectuera une pause dans ses opérations menées sur la chaine de montagnes de l'Anti-Liban, Fajr el-Jouroud. Le cessez-le-feu qui doit entrer en vigueur à 7h du matin est censé permettre à ceux qui sont impliqués dans ce dossier « d'engager la dernière étape des négociations (avec Daech) concernant le sort des militaires enlevés (en août 2014) ». Lueur d'espoir.


Hussein Youssef, père du soldat Mohammad Youssef,
porte-parole des familles des militaires libanais enlevés
par l'organisation terroriste Daech en août 2014

8h40. Le « média militaire » du Hezbollah annonce que « les tirs ont cessé à 7h du matin de ce dimanche, dans le cadre d'un accord global pour mettre fin à la bataille dans le Qalamoun de l'ouest (Syrie) contre l'organisation Daech ». Tiens, tiens, à « 7h » du matin aussi et « accord global », comme par hasard! Mais enfin, dans le Qalamoun libanais, l'armée libanaise a annoncé son cessez-le-feu 3 heures et 18 minutes avant celui de la milice chiite libanaise et du régime syrien. Il n'échappe à personne que le but de cette manœuvre basse du Hezbollah est de faire croire qu'il y a une « coordination » entre l'armée libanaise et l'armée syrienne. Ridicule et grotesque.

- Vers 9h30. Le ministre libanais de la Défense, Yakoub Sarraf, déclare de Ras Baalbek: « Comme nous avons préparé la bataille des Jouroud et nous l'avons gagné, l'armée prépare le retour des kidnappés et elle l'assurera ». Quant à Gebrane Bassil, ministre libanais des Affaires étrangères, qui était lui aussi sur place, pas loin du front, il a fait savoir : « Nous avons une pensée pour les militaires enlevés », ainsi que pour deux évêques orthodoxes syriens et un photographe libanais disparus en Syrie en 2013. Rayon d'espoir.

- Vers 10h, Abbas Ibrahim, le directeur général de la Sûreté générale, l'officier chargé par l'armée de suivre l'affaire, affirme devant les caméras de la chaine du Futur que « le dossier des militaires otages de l'organisation terroriste Daech sera refermé aujourd'hui ». Premier malaise.

- Vers 13h. Les familles des militaires enlevés s'activent et se rassemblent place Ryad el-Solh à Beyrouth. Malgré la tension, elles affirment qu'elles ont toujours une « lueur d'espoir » de revoir leurs fils sains et saufs. Le père de l'un d'entre eux, Hussein Youssef , porte-parole des familles des militaires, a résumé la situation en ces termes : « Nous vivons une tragédie et une douleur et nous nous attendons à une nouvelle horrible et cruelle, mais nous espérons que ça sera un mensonge ». Hussein Youssef est d'une noblesse et d'une dignité remarquables, qui contrastent avec l'hypocrisie incompréhensible de l'Etat libanais et les basses manigances du Hezbollah.

- Vers 16h. Des médias officiels syriens annoncent « qu'après les succès réalisés par nos forces armées (syriennes) en coopération avec la résistance nationale libanaise (milice chiite) dans les jouroud du Qalamoun de l'ouest (Syrie), l'accord conclu entre le Hezbollah et l'organisation terroriste Daech a été approuvé (par le régime alaouite syrien) ». Deuxième malaise. Tenez-vous bien, selon les termes de l'accord, le régime de Damas permettra aux jihadistes de Daech de se retirer des zones frontalières libano-syriennes pour aller s'installer dans l'Est de la Syrie, Deir el-Zorr. Comprenne qui pourra! Daech s'engage aussi à remettre au Hezbollah les dépouilles de cinq miliciens chiites libanais tués en Syrie. Quelle magnifique entente entre des gens civilisés, n'est-ce pas? Pour rappel, le régime de Bachar el-Assad, le Hezbollah et Daech, sont considérés par la quasi totalité de la communauté internationale, officiellement ou officieusement, comme des entités terroristes.

- Vers 16h30. Les habitants du village chrétien de Qaa, qui se situe à un jet de pierre de la frontière syro-libanaise et des combats menés par l'armée libanaise contre Daech et qui a été frappé par huit attentats-suicides le 27 juin 2016 (ayant fait cinq morts et une trentaine de blessés) dénoncent l'hypocrisie régnante et les manigances en cours, et déclarent : « Nous nous demandons étonnés, pourquoi on fait passer ces terroristes en Syrie, avant de les interroger et de les punir par des sanctions appropriées? Est-ce que le sang de nos héros innocents ne mérite pas une enquête pour connaître les circonstances de ce crime terroriste, qui l'a organisé et dans quel but? » Troisième malaise de la journée.

- Vers 17h, Abbas Ibrahim, annonce devant les familles des otages à bout de forces et de peine, que les militaires qui étaient otages de Daech sont probablement morts. « J'aurai souhaité que ce dossier soit clos comme les précédents. Malheureusement, il a été clos par une page noire. » Quatrième malaise.

- Vers 19h, l'armée libanaise annonce que « les dépouilles des huit personnes » découvertes dans la localité de Wadi el-Dib, qui se situe dans Jouroud Ersal, seront transférées à l'hôpital militaire afin d'effectuer des tests ADN et de les identifier. L'identification peut prendre des jours, voire des semaines, selon l'état des dépouilles. D'après les premières infos, il s'agirait probablement du corps des militaires (nombre, lieu, vêtements, chaussures, etc.) et leur mort serait ancienne. Cinquième malaise.

- Vers 21h30. Abbas Ibrahim déclare via la chaine NBN : « La Sûreté Générale avait des informations (depuis février 2015) sur l'exécution des militaires dans Wadi el-Dib ». Cet aveu sincère passe comme si de rien n'était, alors qu'il soulève beaucoup d'interrogations.

- Flashback. Jeudi 24 août. Hassan Nasrallah révèle l'existence de « négociations » entre le régime terroriste d'Assad et l'organisation terroriste de Daech, qui concernent entre autres, la libération des militaires libanais enlevés par les jihadistes de l'Etat islamique en aout 2014. Pour que les négociations aboutissent et y parvenir, le chef du Hezbollah fait savoir « qu'une coopération avec Damas et une demande officielles de la part du Liban sont nécessaires ».

Le 2 aout 2014, trente militaires ont été enlevés dans la région d'Ersal par les deux organisations terroristes, Daech et Al-Nosra (actuellement Fateh el-Cham): 4 seront exécutés rapidement (deux décapités/Daech et deux par balles/Nosra),  1 décédera de ses blessures, 1 rejoindra Daech, 16 seront libérés par Al-Nosra en 2015 et 8 auraient été exécutés par Daech en février 2015 (photo)

Entre le martyre des familles des militaires enlevés, le sacrifice de l'armée, la barbarie de Daech, l'hypocrisie de l'Etat libanais et les manigances du Hezbollah, vous venez de lire la chronique d'un dimanche qui restera dans les annales et les mémoires.

Les trois premiers points sont indiscutables.
. Rien qu'à regarder le visage digne de cet homme, Hussein Youssef, le père de Mohammad Youssef, on comprend que le martyre des familles des militaires libanais était immense. Leur calvaire a duré trois ans, plus de mille et une nuits d'affliction insoutenable. Et ce n'est pas fini.
. Le sacrifice de l'armée libanaise n'échappe à personne. Elle vient de réaliser deux choses : d'une part, libérer un territoire du Liban des jihadistes de Daech, et d'autre part, prouver aux yeux de tous, à l'exception des aveugles et des autruches, les limites militaires d'une milice-guérilla, incapable d'écraser une organisation terroriste comme Daech seule.
. Nul n'avait besoin de cet acte funeste pour découvrir la barbarie de Daech, une organisation terroriste, sans foi ni loi.

Ce qui pose problème pour une partie des Libanais ce matin, ce sont les deux autres points. Qui a suivi l'actualité libanaise de près ce dimanche, ne peut que parvenir à deux conclusions incontournables.

. D'un côté, il est clair que des responsables de l'Etat libanais savaient que les militaires libanais enlevés en août 2014 ont été exécutés par l'organisation terroriste Etat islamique en février 2015. Ils ne l'ont pas dit aux familles éplorées. On nous embobinera par une formule bidon du genre, on voulait les protéger. L'hypocrisie de certains dirigeants libanais est affligeante! Pire encore, ils ne l'ont pas dit aux Libanais attristés non plus. Eh oui, il ne faut pas oublier, cette affaire est aussi, celle de tous les citoyens qui ont encore une fibre humaniste et patriotique. Plus grave encore, ils ne l'ont pas dit aux braves soldats de l'armée libanaise engagés dans l'opération Fajr el-Jouroud, pour libérer la terre et les hommes. Comment je peux en être certain? Mais enfin, dans le cas contraire, il n'y aurait pas eu ni de cessez-le-feu ni de communiqué ni de tweet à 5h22 du matin!

Par conséquent, les familles, les Libanais et les soldats de l'armée libanaise sont aujourd'hui en droit d'exiger des responsables libanais trois réponses concrètes: qui savait que les militaires ont été exécutés, qui a décidé de ne pas révéler leur assassinat et pourquoi a-t-on gardé leur exécution secrète pendant deux ans et demi? Une commission d'enquête doit être créée et chargée de faire toute la lumière sur cette sombre affaire. D'ici là, le président de la République Michel Aoun et le Premier ministre Saad Hariri, doivent expliquer aux Libanais, au nom de quoi et de qui, l'Etat libanais laisse une milice accorder aux assassins des enfants de la patrie, le droit de partir en Syrie, comme si de rien n'était et sous bonne garde, du régime de Damas?

. D'un autre côté, dans sa précipitation, le Hezbollah, qui était à la recherche désespérée d'une victoire rapide et nette au Liban -pour remonter le moral de ses troupes, miliciennes et civiles, très éprouvées par six années de guerre en Syrie (ayant fait près de 2 000 morts dans leurs rangs)- a accumulé les erreurs ces derniers temps. Il a cru que la « coopération-coordination » entre le gouvernement libanais et le régime syrien était une chose acquise, grosse erreur. Il y travaille depuis plusieurs mois. Rappelez-vous, au début, on parlait de coopération au sujet du retour des réfugiés syriens du Liban en Syrie. Ça n'a pas marché. Le Hezb a été surpris par la résistance côté libanais. C'est à ce moment qu'il a précipité son opération milicienne contre al-Nosra, fin juillet, pour couper l'herbe sous le pied des soldats libanais et les forcer à coopérer. Echec aussi. L'armée libanaise lance son opération militaire contre Daech en ignorant le Hezbollah. Coincé, il décide alors de traverser la frontière de l'Anti-Liban pour aller se battre contre Daech aux côtés de l'armée syrienne, et faire croire qu'il y a coordination. La troupe libanaise écrase Daech plus vite que la milice libanaise ne le pensait. Cette dernière avait encore une fois, sous-estimé la rapidité, la réactivité et la puissance de l'armée libanaise. Les opérations militaires de l'armée libanaise étaient à leur fin et toujours pas de coopération réelle. Le Hezb décide alors de dépêcher des ministres pro-syriens à Damas et déclare qu'il y avait coopération, mais que du côté libanais, on ne veut pas l'avouer. En vain. Acculé, il s'est souvenu subitement du sort des militaires libanais retenus en otages par Daech. Belote et rebelote, si vous voulez les libérer, il faut coopérer avec Damas. Ça ne marche toujours pas. Fajr el-Jouroud entre dans sa dernière phase, Daech est pratiquement écrasée, l'armée libanaise annonce dimanche à 5h22 un cessez-le-feu pour 7h sur le versant ouest de l'Anti-Liban (Liban), afin de permettre à Abbas Ibrahim de faire la lumière sur le sort des militaires libanais enlevés. Précipitation du Hezb, qui annonce 3 heures et 18 minutes plus tard, à 8h40, qu'un cessez-le-feu est entré en vigueur à 7h du matin, côté syrien aussi. C'est c'là oui! C'est la dernière tentative en date pour faire croire aux naïfs de la dernière pluie, qu'il y a coopération et coordination des opérations militaires entre le Liban et la Syrie. 

La suite, nous la connaissons maintenant. Les militaires libanais auraient été exécutés par Daech vers le mois de février 2015. Le Hezbollah le savait forcément. Toutes ses manigances depuis le début de l'été jusqu'à ce dimanche inclus, n'avaient qu'un seul et unique but : forcer le gouvernement de Saad Hariri à coopérer avec le régime terroriste de Bachar el-Assad. Tout le reste n'est que poudre aux yeux. Ce soir, Hassan Nasrallah doit s'expliquer et répondre à deux questions fondamentales que se pose tout citoyen patriote et humaniste libanais : pourquoi a-t-il délibérément utiliser le dossier des militaires libanais enlevés par Daech à des fins politiciennes, et surtout, au nom de qui et pourquoi, la milice chiite du Hezbollah laisse filer les terroristes de Daech en Syrie, ceux qui ont assassiné les militaires libanais, sous la bonne garde du régime alaouite de Bachar el-Assad?

J'avais terminé mon article du 19 août « Liban vs. Daech : afin que le combat, l'effort et le sacrifice de l'armée libanaise ne soient pas vains », par le paragraphe suivante : « Si le pouvoir politique au Liban et le Hezbollah ne font pas ce que leur impose le devoir patriotique envers la nation (donner l'ordre à l'armée libanaise de tenir la frontière syro-libanaise d'une main de fer et la contrôler dans les deux sens; retirer tous les miliciens du Hezbollah de Syrie), le combat, l'effort et le sacrifice de l'armée libanaise seront vains. Hélas, ça ne sera pas la première fois dans l'histoire que des politiciens gaspillent les bénéfices d'une victoire durement gagné par les militaires. » C'est toujours vrai et plus que jamais.