La
liberté d'expression est un droit qui fait partie des
libertés fondamentales de l'homme. Elle permet à tout un chacun
d'exprimer ses opinions sans craindre d'être poursuivi
injustement par ceux qui font l'objet de ses critiques. Toutefois, ce
droit ne permet ni à Fidaa Itani ni à Bakhos Baalbaki ni à
quiconque de ce pays et d'ailleurs, de la planète Terre ou de la
Voie lactée, de salir les individus et les institutions d'un
pays gratuitement. Et pour cause, cela tombe sous la coupe de la
diffamation, interdite par la législation des pays les plus
démocratiques.
On
peut regretter les ennuis judiciaires actuels de Fidaa Itani après
la plainte déposée par Gebrane Bassil, le chef du Courant
patriotique libre, mais force est de constater, depuis des années
déjà, ce journaliste abuse de son droit à la liberté
d'expression, en ayant consciemment et fréquemment recours à
des propos approximatifs dans un but à peine caché de nuire à
la réputation de ses adversaires politiques.
Dans
des posts et un article récents consacrés à l'opération
militaire qui a eu lieu il y a deux semaines dans les camps de
réfugiés syriens de la région Ersal, où cinq kamikazes a priori
syriens se sont faits exploser, Fidaa Itani ne s'est pas contenté de
remettre en cause l'utilité militaire de l'intervention, il a
affirmé aussi que « l'armée libanaise tue les détenus syriens sous la torture ». On peut arguer à juste
raison que c'est son opinion. Cependant, en lisant attentivement ses
écrits, on se rend compte que le journaliste prend des libertés que
la liberté d'expression ne couvre pas. La torture est une accusation
suffisamment grave qui contraint celui qui l'émet et qui prétend de
surcroit être journaliste, de fournir des preuves solides. Ce ne
fut pas le cas de Fidaa Itani. Pire encore, ce dernier a prétendu
que ces actes infâmes relevaient d'une « décision
politique ». Là aussi l'accusation est grave et
gratuite, elle vise probablement le président de la République,
Michel Aoun. Sur Facebook, Fidaa Itani est plus explicite : «
Enfant écrasé. Raids. Harcèlement des réfugiés. Meurtre
à l'aveugle. Des centaines d'arrestations. Obliger les
gens à retourner en Syrie par la force. La poubelle de
Michel Aoun et des forces armées rejoignent les fascistes du
Hezbollah et les rancunes des restes du maronitisme politique.
Des allégations sur la présence de terroristes qu'aucune partie
neutre ne peut confirmer. Tout cela avec la saveur Saad (Hariri) -
(Nouhad) Machnouk - (Wafiq) Safa. Un pays qui vaut Gebrane Bassil. »
Comme nous sommes au Liban, je
suis contraint d'apporter cette précision, le journaliste est de
confession musulmane sunnite, partisans de la cause palestinienne et
de la révolution syrienne. Chacun est libre d'apprécier de tels
propos à leur juste valeur. Je ne m'avance pas trop en disant que
dans n'importe quel pays
de droit, Fidaa Itani aurait été poursuivi pour injure, diffamation
et incitation à la haine raciale.
Certes, il n'est pas le seul à être dans ce cas, mais le cas Itani
est beaucoup plus grave qu'on ne le pense.
Plus
grave encore, Fidaa Itani a le culot d'accuser « les
organismes officiels (libanais) de n'être en position de force
qu'uniquement quand des leaders de communautés libanaises (allusion
aux communautés maronite et chiite) leur demandent de réprimer les
réfugiés syriens, avec l'approbation des autres leaders
communautaires (sunnites et druzes) ». Là aussi l'incitation à
la haine communautaire est flagrante. Non seulement, le
journaliste n'aborde aucun des problèmes qui découlent de la
présence de plus de 1,5 million de ressortissants syriens au Liban,
soit un quart de la population (sécurité, économie, emploi,
logement, tourisme, électricité, eau, embouteillage, etc.), mais il
va jusqu'à dire que ce n'est pas la première fois que les Libanais
prennent « l'autre » pour un
bouc-émissaire, rappelant que la dernière fois c'était avec
« le palestinien » et que cette attitude nous
avait conduit à la guerre civile.
Certes,
il n'a pas complètement tort. Il n'empêche que Fidaa Itani
reproduit le discours type d'une certaine gauche libanaise incapable
depuis 1975 de comprendre d'une part, c'est parce que des leaders
libanais musulmans ont interdit à l'armée libanaise de mettre un
terme définitif aux agissements des milices palestiniennes au Liban
(fin des années 1960), et d'autre part, à cause de l'entêtement
des leaders libanais chrétiens à ne pas réformer le système
politique libanais, que la tension politique islamo-chrétienne s'est
envenimée, sur fond de divergences idéologiques à propos de
l'orientation politique du Liban (monde arabe pour les premiers vs.
monde occidental pour les seconds). Et c'est cela qui a conduit à la
guerre.
Parlons
peu, parlons bien. Pour l'opération d'Ersal comme dans l'affaire
Fidaa Itani, il revient à la justice libanaise de décider ce
qui est sous la loi et ce qui ne l'est pas. J'ai voulu dans la
première partie de ce post mettre en ligne quelques infos basiques
pour que chacun puisse se faire une opinion. Cela étant dit, pour
mieux comprendre la personnalité de Fidaa Itani, il suffit de
prendre du recul et de fouiller dans les archives. Il y a
quelques années seulement, bien après la seconde indépendance, un
certain vendredi 18 novembre de l'an de grâce 2011, ce
journaliste libanais a publié un article dans Al-Akhbar, qui
est resté dans toutes les mémoires. Rappelons d'emblée
qu'Al-Akhbar est un quotidien pro-Assad et pro-Hezbollah, ce qui
devrait suffire pour vous donner une idée précise où se situait
sur le plan politique le journaliste en question.
L'immaturité
politique et l'aveuglement idéologique de Fidaa Itani l'avait
conduit à reprocher à Saad Hariri « de se
solidariser avec des piliers de l'autre camp (les
chrétiens en général et les partis des Forces libanaises et des
Kataeb en particulier), en oubliant tout ce que ce dernier
avait commis contre le droit du peuple palestinien dans les camps (au
Liban), depuis les années 60 ». Pas la peine de
revenir sur la question palestinienne, on en a parlé un peu plus
haut. Arrêtons-nous sur la suite. Le journaliste considérait à
l'époque que le chef du Courant du Futur commettait « la faute
la plus grave » en adoptant la candidature de Samir Geagea,
le président du parti des Forces libanaises, pour le poste de
président de la République libanaise. Ça alors, mais pourquoi
donc? Voici ce qu'il a écrit texto pour justifier sa position : «
Geagea ne restera pas seulement le symbole de la
collaboration avec l'Occident -sur lequel il a misé
contre son pays, son peuple et sa citoyenneté- le symbole des
combats fratricides et l'icône des aventures foireuses de se
réarmer. Il ne restera pas seulement un mendiant d'armes
aux portes de l'ambassade américaine, pour affronter
l'expansionnisme syro-iranien via le Hezbollah. Proposer Samir Geagea
comme prochain président de la République signifie la renaissance
d'un ancien projet au Liban, qui nous ramènera à l'époque de
1982... Samir Geagea ne pourra représenter que l'héritier légitime du projet d'alliance du Liban avec Israël,
ainsi que l'héritier de la gouvernance des Forces libanaises obtenue
grâce aux tanks israéliens... Quelque chose de semblable couterait
beaucoup de sang et de destruction... Saad Hariri ne sait pas que
'lorsqu'on ôte la goupille de sécurité d'une grenade à
main, 'le maitre de la grenade' devient notre ennemie', il
faut le jeter loin, et il ne convient pas, en aucun cas, de porter sa
candidature à la présidence de la République. »
Je me sens navré d'avoir écrit cet article car je partage beaucoup de
constats socio-politiques de Fidaa Itani. Et pourtant, il m'est
difficile de défendre cet ex-journaliste d'Al-Akhbar qui se montre en parallèle aussi
sectaire, immature et aveuglé, et qui semble confondre la lutte
idéologique avec la liberté d'expression. On peut évidemment
reprocher à l'armée libanaise, Michel Aoun, Gebrane Bassil et Samir Geagea un tas de choses.
Le problème n'est évidemment pas dans ce droit de critiquer, mais dans la manière de le faire. Si la liberté d'expression
accorde des droits, elle exige des devoirs. On a cru naïvement qu'on
s'était débarrassés des délires idéologiques qui ont ravagé
beaucoup d'esprits au Moyen-Orient au cours des soixante dernières
années. Eh bien, non, pas encore.