mardi 23 septembre 2014

Alors que Gebran Bassil était attendu au Conseil de sécurité à New York, on l’a retrouvé à l’église Saint Garabet à Las Vegas (Art.244)


Décidément, les douches écossaises se suivent mais ne se ressemblent pas. Lundi 15 septembre, 7h du mat. Paris s’active pour accueillir les vingt-quatre pays qui participent à la Conférence internationale sur la paix et la sécurité en Irak. L’objectif de cette réunion à haut niveau est d’affiner le plan d’aide de la communauté internationale au nouveau gouvernement irakien de Haïder al-Abadi, pour faire face à la menace terroriste de « l’Etat islamique ». Ainsi, se sont retrouvés au Quai d’Orsay, John Kerry, Laurent Fabius, Sergueï Lavrov, Gebran Bassil et un tas d’autres ministres des Affaires étrangères.

Au début de sa courte allocution, le représentant du Liban est apparu comme un homme résolu. « Nous nous réunissons aujourd'hui pour réaffirmer notre détermination à lutter contre le terrorisme (...) Nous devons réunir nos efforts en vue d'éliminer cette épidémie (...) Nous sommes dans une alliance contre l’obscurantisme de Daech. » Jusqu’ici rien à redire. C’est par la suite que ça s’est gâté. « On ne peut pas exclure quiconque de cet effort collectif (allusion à la Syrie et à l’Iran), et personne n'a le droit de démissionner de cette obligation (allusion aux pays arabes, ça se retournera contre lui) ». Je ne m’étalerai pas sur ce point, chacun ses raisons. Je suis pour l’exclusion des deux alliés de Gebran Bassil (qui appartient au Courant patriotique libre de Michel Aoun), des régimes terroristes, qui sont les principales sources qui nourrissent l’organisation terroriste. J’ai exposé les raisons dans mon article sur la « quatrième guerre du Golfe ». En tout cas, le ministre libanais n'a pas hésité à réclamer un « soutien immédiat des forces armées libanaises » de la part de la communauté internationale.

Pour impressionner son auditoire Gebran Bassil s’est enorgueilli d’avoir contacté le procureur de la Cour pénale internationale afin d’évoquer les « crimes contre l’humanité » commis par Daech. Tout à l’honneur du Liban. Il a rappelé aussi qu’il a écrit à tous les pays de la coalition et aux pays amis du Liban, pour obtenir leur soutien dans ce domaine afin d’accélérer la lutte judiciaire contre « l’Etat islamique », et qu’il espérait prouver par cette démarche, l’efficacité de la justice internationale. En l’écoutant, même Lavrov avait la larme à l’œil. Qu’est-ce qu’on n’a pas entendu de la part de son parti politique sur une autre haute juridiction internationale, le Tribunal Spécial pour le Liban ? C’est un « plat de graviers » nous a dit un jour Michel Aoun. Et puis dans la foulée, ne pouvait-il pas saisir la Cour pénale internationale à propos de « l’album de César » dans lequel on retrouve 54 000 (é)preuves accablantes de « crimes contre l’humanité » commis depuis plus de trois ans par Bachar el-Assad, sur 11 000 prisonniers syriens torturés et affamés par son régime ? Ou tenez, ne pouvait-il pas dans la foulée, saisir la Cour pénale internationale sur les « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » commis par les troupes de Bachar el-Assad à travers le gazage de près de 1 500 Syriens, dont 426 enfants, il y a un peu plus d’un an ? Evidemment pas. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement puisque le big boss de Bassil lui-même, aurait déclaré en privé en juin dernier « qu’il soutient le président syrien Bachar el-Assad, auquel il faudrait décerner un prix Nobel de la paix pour sa lutte contre le terrorisme ». Certes, Gebran Bassil a essayé de glisser que les opérations aériennes contre Daech doivent être menées dans le cadre de la légalité internationale et que les opérations au sol doivent être effectuées par les composantes de la région, deux allusions au régime syrien de Bachar el-Assad, mais personne ne l’a écouté. Le big boss de Kerry avait déjà donné les grandes lignes de cette longue bataille, le 10 septembre : « Dans la lutte contre l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant), nous ne pouvons pas compter sur le régime d’Assad qui terrorise son propre peuple, un régime qui ne retrouvera jamais la légitimité qu'il a perdue ».

Au cours d’un aparté entre le représentant du pays le plus souverain de la planète et celui du pays le moins souverain du monde, immortalisé par cette photo très parlante, John Kerry a énuméré avec beaucoup de patience à Gebran Bassil, qui était tout ouïe comme on le voit sur l’image, les différents aspects du plan d’actions engagées par les Etats-Unis et leurs alliés arabes et occidentaux, pour affaiblir et détruire l’organisation terroriste Daech. A l’issue de cet entretien, John Kerry a donné rendez-vous à son homologue libanais à New York en fin de semaine, pour approfondir le plan de lutte contre « l’Etat islamique ».

La semaine est passée comme un clin d’œil. Nous voilà le vendredi 19 septembre. Sur la côte Est des Etats-Unis, il y a une réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité. A cette 7271e séance, présidée par les Etats-Unis, le fer de lance de lutte contre Daech, « 40 représentants d’Etat dont 27 ministres des Affaires étrangères, déclarent une lutte sans merci contre l’Etat islamique en Irak et au Levant ». John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain, profite de l'occasion pour appeler tous les participants à s’engager dans une campagne globale afin d'empêcher l’EIIL de trouver un refuge en Irak, en Syrie et ailleurs. Le Conseil de Sécurité reconnait que le Liban figure sur la liste des pays qui subissent des attaques terroristes de la part de « l’Etat islamique », ce qui est indispensable pour réclamer à l’avenir l’aide de la communauté internationale dans ce domaine. Tout se passait comme prévu, mais au beau milieu de la réunion, John Kerry se tourne vers moi et me chuchote à l’oreille : « hey BB, mais où est passé Bassil ? » Ya ard ncha2é wou bla3iné, comment lui répondre franco ? D’un air désespéré, je hausse mes sourcils, fais la grimace, inspire profondément et lui dis sec : « Il est à l’Ouest, John ! »

Le comble, c’est qu’il était vraiment à l’Ouest, au sens propre comme au sens figuré. Eh oui, le ministre libanais des Affaires étrangères a décliné l’invitation de participer à une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU consacrée à la lutte contre Daech, pour rencontrer de toute urgence, tenez-vous bien, el jéliyé el lebnéniyé, la diaspora libanaise à Los Angeles, et pour assister à la messe dans l’église maronite Saint Charbel et l’église arménienne orthodoxe de Saint Garabet à Las Vegas. Wé7yett min jama3na, aussi incroyable que ça puisse paraître ! A vrai dire, il fallait s’en douter depuis Paris, qu'il n'allait pas venir, rien qu’en regardant la photo-souvenir de la conférence : c’est à peine si j'ai réussi à le retrouver, la pire des photos de classe de tous les temps, il est tassé au dernier rang, pas trop fier d’y être on dirait !

Entre deux déclarations populistes, sur la nécessité que les émigrés libanais n’oublient pas leur langue maternelle et investissent dans leur pays natal -alors que le CPL est contre le vote des expatriés à l’étranger selon le caza de leurs lieux de naissance- et l’élection du président de la République au suffrage universel -alors que le CPL viole la Constitution et les principes démocratiques en bloquant l’élection présidentielle au suffrage parlementaire- le ministre est revenu sur la lutte contre Daech. Il a précisé que « le Liban a participé (à la coalition) politiquement, car il est au cœur de la bataille, il combat déjà Daech sur le terrain ». Il faut comprendre par-là, que notre pays est donc dispensé de faire plus, et par conséquent, la présence de son ministre des Affaires étrangères à New York vendredi dernier était facultative. Continuons. Il reconnait tout de même que « nous (le gouvernement libanais) avons participé (à la coalition) car le cadre international de cette intervention est juste... mais nous avons besoin d’armes, d’avions et d’argent (pour combattre Daech). » Mais alors pourquoi diable il n’est pas à New York avec ses homologues du monde entier pour les réclamer ? Bon, ne cherchez pas, Gebran Bassil craint sans doute d’avoir à s’expliquer pourquoi son parti, le Courant patriotique libre (CPL/Michel Aoun) et son camp (8 Mars), qui sont au pouvoir depuis le début de l’année 2011 (soit deux mois avant le début du soulèvement populaire syrien et ses conséquences du côté libanais), n’ont donné, trois ans et demi après, malgré la grave menace terroriste qui pèse sur le Liban depuis deux ans, aucun ordre politique à l’armée libanaise pour tenir d’une main de fer la frontière syro-libanaise, dans les deux sens, empêchant les « djihadistes chiites » du Hezbollah d’aller combattre aux côtés des troupes de Bachar el-Assad en Syrie, et les « djihadistes sunnites » de Daech de mener en représailles des actions terroristes au Liban ?

Quoi qu’il en soit, pendant que le Conseil de sécurité discutait de la lutte de la communauté internationale contre « l’Etat islamique », Gebran Bassil expliquait à la diaspora libanaise, « qu’en somme, le Liban ne servira pas de base pour mener des attaques étrangères sur Daech dans la région, ni un couloir pour leurs avions (de la coalition internationale), car la bataille est sur notre sol et qui veut aider, n’a qu’à aider notre armée et nous ferons le travail ». Foutaises. Encore un gars qui a peur de se mouiller alors qu’il se noie ! De grâce, de quel travail il parle ? Depuis la fin de l’occupation syrienne du pays du Cèdre en 2005, le Liban n’est pas fichu, comme tout pays normalement constitué, de déployer son armée à la frontière avec la Syrie car les alliés de Gebran Bassil, le Hezbollah et le régime syrien, ne veulent pas en entendre parler. Encore une fois, l’explication de texte réside dans cette situation embarrassante dans laquelle s’est placé le parti de Michel Aoun depuis 2006, allié d’entités pestiférées -la tyrannie des Assad, le régime des mollahs et la milice du Hezbollah- condamné à les défendre coute que coute, en dépit des intérêts du Liban en général et des communautés chrétiennes en particulier.

Eh oui, alors que le Conseil de sécurité décrétait de New York « une lutte sans merci contre l’Etat islamique », le ministre libanais des Affaires étrangères, précisait à Las Vegas devant la diaspora libanaise, c'est à peine s'il ne s'est pas photographié avec une man2ouché et un Coca-Cola, avec un culot schizophrénique hallucinant que « le plus important et le plus grave, c’est que nous devons retirer Daech des esprits (...) en encourageant la modération islamique (sunnite), afin que Daech ne gagne pas l’esprit des gens (sunnites) ». Allez donc comprendre comment fait-il pour encourager la « modération sunnite », au Liban et en Syrie, en rangeant son parti « chrétien » du côté d’un régime « alaouite » syrien qui ne représente que 10 % de la population, du régime « chiite » iranien et d’une milice « chiite » libanaise, qui se liguent pour combattre un soulèvement « sunnite » syrien qui représente 70% de la population ? Encourager la « modération sunnite » par une « alliance des minorités » du « courant chrétien » de Michel Aoun avec des « extrémistes chiites et alaouites », relève de l’illusionnisme politique. C’est comme cette dernière bed3a : « La République islamique d’Iran » aurait sa place dans la lutte contre « l’Etat islamique d’Irak et du Levant ». Rien que sur le plan sémantique, cette hérésie fait sourire. Allez, il semble que la douche écossaise ait de nombreux bienfaits. Espérons que c’est vrai.