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lundi 2 février 2015

Opération de Chebaa (Liban) et raid de Quneitra (Syrie) : le Hezbollah, l’Iran et Israël, entre violations, ententes et mensonges (Art.271)


Récapitulons. Le 18 janvier 2015, plusieurs hélicoptères israéliens de combat mènent un raid en Syrie, je répète en Syrie, tuant un gradé des Gardiens de la Révolution et une demi-douzaine de miliciens libanais du Hezbollah, dont le fils d'Imad Moughniyé, tué lui aussi en Syrie en 2008. Que faisait tout ce beau monde en Syrie ? Tout ce que vous voulez, sauf du tourisme ou de l’action humanitaire. « Ils effectuaient une tournée d'inspection de la zone de Quneitra », selon l’explication évasive de Hassan Nasrallah. Lol, c’est c’là oui. Mais enfin, ils inspectaient quoi et pourquoi faire ? Il ne manquait plus que de nous faire croire que el-chabeb étaient à Damas et avaient perdu le nord ! Foutaises.

Quneitra est une ville de montagne fantôme du plateau du Golan qui se trouve dans la zone démilitarisée située à cheval entre la Syrie et Israël. Bien que syrienne, elle est actuellement sous contrôle de la Force des Nations unies chargée d'observer le dégagement (FNUOD) entre les deux pays ennemis, créée par la résolution 350 du Conseil de sécurité (votée le 31 mai 1974). Occupée par Israël entre 1967 et 1974, elle fut intentionnellement et entièrement détruite par l’Etat hébreux avant de la livrer au commandement de l’ONU, dans le but de mettre en place le No Man’s Land avec la Syrie. Ce que le chef du Hezbollah n’a pas osé dire à son public et au monde, c’est que le brigadier iranien et les six miliciens hezbollahi se trouvaient en fait dans la zone démilitarisée de la FNUOD, à un jet de pierre de la « ligne Alpha », le terme du droit international qui définit de facto la ligne Ouest de la zone onusienne, la frontière israélienne, bien loin de « ligne Bravo », qui correspond à la ligne Est de cette zone, qui est de facto la frontière syrienne. Les sept hommes étaient peut-être désarmés, rien ne le prouve, mais il est clair que ce militaire iranien et ces miliciens libanais, étrangers au pays de surcroit, n’avaient strictement rien à faire dans cette zone qui selon la mission de la FNUOD, doit être dégagée même des forces israéliennes et syriennes. Mis à part les pertes humaines, qui sont toujours à déplorer quelque soit le contexte, la présence de ces hommes est une violation de la résolution 350, aussi grave que le raid israélien lui-même. Ainsi, le 18 janvier 2015, Israël, le Hezbollah et l’Iran ont tous les trois violé la résolution 350.

Toujours est-il qu’après le raid israélien sur Quneitra, le ton est monté en Iran. A plusieurs reprises des responsables iraniens ont fait savoir que la mort de leur gradé ne restera pas impunie. La réponse ne tardera pas. Dix jours plus tard, des miliciens du Hezbollah attaquent une patrouille de l’armée israélienne du côté des Fermes de Chebaa par cinq missiles antichars. Que faisaient tout ce beau monde et leurs missiles antichars dans cette zone reléguée aux oubliettes depuis que la milice chiite s’est dressée contre la révolution syrienne, soumise à la résolution 1701 du Conseil de sécurité (votée le 11 août 2006), donc censée être démilitarisée, et qui se trouve sous contrôle de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) ? « Punir l'ennemi (israélien) pour son crime (à Quneitra) », selon l’explication populiste de Hassan Nasrallah. En tout cas, ils n'étaient pas là ni pour libérer Chebaa de l’occupation israélienne, ni pour aider l’Etat libanais à étendre sa souveraineté sur tout le territoire national. Le ton est monté en Israël. Un vent de panique souffla toute l’après-midi de mercredi dernier sur le pays du Cèdre, faisant craindre une riposte disproportionnée de la part du pays hébreux comme il en a eu l’habitude dans le passé, notamment en juillet 2006. Et pourtant, l’analyse de la situation permettait tout de suite d’avancer, sans prendre trop de risque, que les événements seront circonscris. Ils l’ont été. Israël s’est contenté de bombarder les régions frontalières libanaises, le Hezbollah et l’Iran de pavoiser. Bilan de la journée du 28 janvier 2015, le Hezbollah, l’Iran et Israël ont tous les trois violé la résolution 1701 et se sont entendus pour la suite des événements.

On a dit que le Premier ministre libanais a aussitôt effectué des contacts avec l’ONU, les Etats-Unis et la France, pour leur demander d’intervenir d’urgence afin d'éviter à tout prix un remake de la guerre de Juillet 2006. On a dit aussi que Tammam Salam a rapidement établi des contacts avec le Hezbollah pour l’appeler à la retenue et à la raison. On a dit également que le fait que l’opération soit une violation grave de la résolution 1701 et qu’elle ait eu lieu à Chebaa, une zone litigieuse -officieusement libanaise, officiellement syrienne, sous occupation israélienne- dans le « secteur d’opération de la Finul » selon l’ONU- a permis d’éviter que les choses ne s’enveniment. Foutaises sur toute la ligne. Vous pensez bien, rien de ce qui a précédé, ni surtout le sort de 4 millions de Libanais et 2 millions de réfugiés syriens au Liban, n’a pesé bien lourd dans l’esprit des belligérants. Si la situation n’a pas dégénéré, c’est parce que les deux camps n’avaient tout simplement aucun intérêt à ce qu’il en soit autrement.

A commencer par l’Iran. Pourquoi l’Iran ? Parce que de l’aveu même du Hezbollah, n’en déplaise aux autruches dans nos contrées, la milice chiite libanaise se réfère obligatoirement au Guide suprême de la République islamique d’Iran pour tout ce qui relève des questions stratégiques. Donc, le feu vert de l’opération de Chebaa vient directement de wali el-faqih, Ali Khamenei. Et s’il subsistait un soupçon de doute, celui-ci a été levé par le commandant du Corps des gardiens de la Révolution, Mohammad Ali Jaafari, auquel appartient le brigadier iranien tué lors du raid israélien : «  la riposte du Hezbollah à Israël est considérée comme une réponse iranienne ». Bonjour la souveraineté libanaise ! En tout cas, l’Iran qui était la veille de la reprise de ses négociations avec les pays occidentaux à Istanbul, concernant son dossier nucléaire, n’allait pas hypothéquer un événement d’une haute importance pour son avenir et déterminant pour ses ambitions expansionnistes régionales, afin de se livrer à la vengeance d’un homme dont le destin, selon l’idéologique du régime des mollahs, est de se sacrifier pour la République islamique d’Iran.

Ceci dit, pour ce qui est du Hezbollah, l’acteur principal, non seulement il n’avait aucun intérêt à ce que la situation ne dégénère, mais en plus, la milice chiite ne pouvait pas se payer le luxe d’une confrontation avec Israël. Mais alors, pas du tout, contrairement à ce que laisse penser l’attaque de mercredi, wou bahwariyet Hassan Nasrallah vendredi, et ceci pour trois raisons :
. D’abord, parce que ce n’était pas l’objectif de l’opération ! Le but de l’attaque de la patrouille israélienne était double : d’une part, sauver l’honneur hezbollahi-iranien de l’humiliation subie lors du raid israélien, et d’autre part, remonter le moral de leurs bases réciproques qui, le moins qu’on puisse dire, est effondré par le raid de Quneitra, mais surtout par le coût humain et financier de l’implication de la milice chiite libanaise et du régime iranien des mollahs dans l’interminable guerre civile syrienne aux côtés du régime alaouite.
. Ensuite, parce que la milice chiite savait que ses miliciens sont trop enlisés dans la guerre en Syrie pour pouvoir conduire deux fronts simultanément, l’un contre des islamistes qui ont brisé ses lignes de défense dans le Qalamoun (Anti-Liban) et l’autre contre la puissante machine de guerre israélienne.
. Enfin, parce que sayyed Hassan Nasrallah est conscient que désormais, il ne pourra plus jamais réitérer « l’exploit » de la guerre de Juillet, à supposer qu’il y en ait eu un à l’époque.

Si la milice chiite a pu « résister » 34 jours à la puissance de feu de Tsahal en 2006, ce n’est pas seulement parce que le front syrien n’existait pas à l’époque (tout l’effectif milicien était concentré au Liban), mais c’est aussi grâce à divers facteurs qui sont caducs en 2015 : la mainmise des milices chiites sur le Sud-Liban transformé progressivement à partir de 1982 avec l’expulsion des milices palestiniennes en un hezbollah-land (malgré toutes les réserves quant à son application stricte, la résolution 1701 entrave aujourd’hui les actions du Hezbollah entre la ligne bleue, la frontière israélo-libanaise, et le fleuve Litani) ; le « gouvernement de résistance » de Fouad Siniora qui était en place à l’époque (un gouvernement néo-indépendant, sans le Hezbollah, dans lequel la communauté internationale avait une entière confiance et qui n’a rien à voir avec le gouvernement rachitique de Tammam Salam aujourd’hui, formé avec le Hezbollah) ; la sympathie de la population libanaise dont il ne reste plus rien dans les communautés sunnites et chrétiennes du 14-Mars, Courant du Futur, Kataeb et Forces libanaises (et pour cause, le Hezbollah est aujourd’hui poursuivi par le Tribunal Spécial pour le Liban pour l’assassinat de Rafic Hariri, est soupçonné de plusieurs assassinats politiques, est responsable d’une invasion sanglante de Beyrouth, etc.) ; la sympathie des pays arabes dont il ne reste plus rien non plus (à cause de l’implication de la milice chiite aux côtés du régime alaouite dans la répression sanglante de la révolution syrienne. Ainsi, le chef du Hezbollah savait qu’en cas d’un nouveau conflit avec Israël, les 750 000 déplacés de 2006, auraient cette fois-ci beaucoup du mal à trouver refuge au Liban, mais aussi en Syrie, comme ce fut le cas la dernière fois. Et même si une certaine compassion subsistera, surtout en cas d'attaque israélienne d'envergure, avec la présence de 2 millions de réfugiés syriens au Liban, ça ne sera pas possible techniquement.

Du côté d’Israël, les choses étaient claires aussi. Certes, la mort de deux soldats est douloureuse pour l’Etat hébreux. Mais, les intérêts stratégiques ont primé sur toute autre considération. Revenons au raid de Quneitra. Le but de cette intrusion israélienne dans les affaires syriennes était double, signifier aux intéressés, l’Iran et le Hezbollah, primo, que l’Etat hébreux a de puissants services de renseignements qui sont au courant de tout ce qui se passe en Syrie, bel cherdé wel werdé, secundo, qu’il existe une ligne rouge à ne pas franchir, le Golan. Et tout ce qui s’est dit par ailleurs, n’est que balivernes ! Le convoi hezbollahi-iranien se trouvait à un jet de pierre de la frontière israélienne. Quel que soit le rang du gradé des Gardiens de la Révolution et celui des miliciens hezbollahi, les Israéliens ont envoyé un message clair au tandem chiite : vous faites ce que vous voulez en Syrie, mais n’approchez pas du Golan ! D’ailleurs, les Israéliens étaient les premiers surpris par le grade du militaire iranien tué durant le raid, ce qui confirme que l’attaque aérienne de Quneitra n’était pas personnalisée et nominative, mais ciblée et symbolique. Elle devait fixer les limites de l’aire de manœuvre de l’Iran et du Hezbollah en Syrie.

Rajoutons qu’Israël avait d’autant moins besoin de se lancer dans un conflit armé, qu’il se trouve à moins de deux mois des élections législatives, ce qui constituerait un suicide pour le Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu. Et ce n’est pas tout, Israël avait d’autant moins envie de se lancer dans un conflit armé, que ses ennemis jurés, le Hezbollah et l’Iran, sont enlisés jusqu’à nouvel ordre, dans la guerre syrienne qui est, comme je l’ai dit précédemment, très couteuse pour le duo chiite sur les plans humain et financier. Dans l’état actuel des choses, les dirigeants israéliens se tireraient une balle dans le pied, en déclenchant une confrontation militaire à sa frontière nord. En deux mots, ils ne peuvent pas rêver d’une conjoncture plus favorable.

Comme personne ne voulait aller plus loin, à chacun ses raisons, c’est l’entente tacite qui prévalait rapidement sur la scène moyen-orientale quelques heures seulement après l’incident. On s’est rassurés mutuellement via la FINUL et du coup, les agriculteurs israéliens étaient de retour dans leurs vergers dès jeudi matin. C’est Israël qui a annoncé en premier, par l’intermédiaire du ministre de la Défense himself, Moshé Yaalon, d’avoir reçu des garanties du Hezbollah que la milice chiite ne souhaite pas l’affrontement. De l’autre côté, où il n’est pas flatteur d’avouer qu’on communique avec l’ennemi israélien, pour lui donner des assurances, on a préféré insister par le biais de Reuters sur le fait qu’Israël a fait savoir au Hezbollah qu’il ne souhaite pas l’escalade. Ah, comme elles sont touchantes ces amabilités ! Si ces hypocrites s'étaient entendus le 12 juillet 2006, ça aurait évité au Liban le « désastre divin » de 1 500 morts et l’équivalent de 50 % de son PIB de l'époque parti en fumée (plus de 10 milliards de dollars) et à Israël 167 morts et 3 % de son PIB.

Et que fait le chef de la milice du Hezbollah quand il est pris en flagrant délire d’entente tacite avec « l’entité sioniste » qu’il prétend combattre alors que ses miliciens sont enlisés en Syrie à des dizaines de kilomètres de la frontière israélienne ? Eh bien, il se transcende bé filem hezbollahi tawil, « 3ala tarik el qods » (Sur la route de Jérusalem), titre inscrit en fond d’écran derrière Hassan Nasrallah lors de son apparition télévisuelle vendredi 30 janvier, sous le portrait des sept hommes tués lors du raid israélien de Quneitra. A l’arrivée, on a eu droit à une conférence de presse de près d’une heure vingt, pleine de menaces, d’héroïsme, de bravoure et surtout de palabres au pays des palabres, 2art 7aké fi bilad 2art el7aké. Israël, le Hezbollah et l’Iran ont tous les trois violé les résolutions 350 et 1701 du Conseil de sécurité, et se sont entendus tacitement pour circonscrire ces violations et retourner chacun à ses occupations antérieures. De part et d’autre, l’honneur étant sauf, la tuerie en Syrie peut donc reprendre. Pour tous ceux qui connaissent le Hezbollah, et le juge sans passion ni aveuglement, en dépit d’un courage certain de ses hommes, la milice chiite libanaise est un cas d’école de ce que l’on a coutume de désigner dans nos contrées bel 3arabé el mchabra7, kezbé kbiré, un gros mensonge. Il vient de nous le démontrer brillamment encore une fois. Un titre qu’il peut partager cette fois, avec l’Iran et Israël.

mardi 23 septembre 2014

Alors que Gebran Bassil était attendu au Conseil de sécurité à New York, on l’a retrouvé à l’église Saint Garabet à Las Vegas (Art.244)


Décidément, les douches écossaises se suivent mais ne se ressemblent pas. Lundi 15 septembre, 7h du mat. Paris s’active pour accueillir les vingt-quatre pays qui participent à la Conférence internationale sur la paix et la sécurité en Irak. L’objectif de cette réunion à haut niveau est d’affiner le plan d’aide de la communauté internationale au nouveau gouvernement irakien de Haïder al-Abadi, pour faire face à la menace terroriste de « l’Etat islamique ». Ainsi, se sont retrouvés au Quai d’Orsay, John Kerry, Laurent Fabius, Sergueï Lavrov, Gebran Bassil et un tas d’autres ministres des Affaires étrangères.

Au début de sa courte allocution, le représentant du Liban est apparu comme un homme résolu. « Nous nous réunissons aujourd'hui pour réaffirmer notre détermination à lutter contre le terrorisme (...) Nous devons réunir nos efforts en vue d'éliminer cette épidémie (...) Nous sommes dans une alliance contre l’obscurantisme de Daech. » Jusqu’ici rien à redire. C’est par la suite que ça s’est gâté. « On ne peut pas exclure quiconque de cet effort collectif (allusion à la Syrie et à l’Iran), et personne n'a le droit de démissionner de cette obligation (allusion aux pays arabes, ça se retournera contre lui) ». Je ne m’étalerai pas sur ce point, chacun ses raisons. Je suis pour l’exclusion des deux alliés de Gebran Bassil (qui appartient au Courant patriotique libre de Michel Aoun), des régimes terroristes, qui sont les principales sources qui nourrissent l’organisation terroriste. J’ai exposé les raisons dans mon article sur la « quatrième guerre du Golfe ». En tout cas, le ministre libanais n'a pas hésité à réclamer un « soutien immédiat des forces armées libanaises » de la part de la communauté internationale.

Pour impressionner son auditoire Gebran Bassil s’est enorgueilli d’avoir contacté le procureur de la Cour pénale internationale afin d’évoquer les « crimes contre l’humanité » commis par Daech. Tout à l’honneur du Liban. Il a rappelé aussi qu’il a écrit à tous les pays de la coalition et aux pays amis du Liban, pour obtenir leur soutien dans ce domaine afin d’accélérer la lutte judiciaire contre « l’Etat islamique », et qu’il espérait prouver par cette démarche, l’efficacité de la justice internationale. En l’écoutant, même Lavrov avait la larme à l’œil. Qu’est-ce qu’on n’a pas entendu de la part de son parti politique sur une autre haute juridiction internationale, le Tribunal Spécial pour le Liban ? C’est un « plat de graviers » nous a dit un jour Michel Aoun. Et puis dans la foulée, ne pouvait-il pas saisir la Cour pénale internationale à propos de « l’album de César » dans lequel on retrouve 54 000 (é)preuves accablantes de « crimes contre l’humanité » commis depuis plus de trois ans par Bachar el-Assad, sur 11 000 prisonniers syriens torturés et affamés par son régime ? Ou tenez, ne pouvait-il pas dans la foulée, saisir la Cour pénale internationale sur les « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » commis par les troupes de Bachar el-Assad à travers le gazage de près de 1 500 Syriens, dont 426 enfants, il y a un peu plus d’un an ? Evidemment pas. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement puisque le big boss de Bassil lui-même, aurait déclaré en privé en juin dernier « qu’il soutient le président syrien Bachar el-Assad, auquel il faudrait décerner un prix Nobel de la paix pour sa lutte contre le terrorisme ». Certes, Gebran Bassil a essayé de glisser que les opérations aériennes contre Daech doivent être menées dans le cadre de la légalité internationale et que les opérations au sol doivent être effectuées par les composantes de la région, deux allusions au régime syrien de Bachar el-Assad, mais personne ne l’a écouté. Le big boss de Kerry avait déjà donné les grandes lignes de cette longue bataille, le 10 septembre : « Dans la lutte contre l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant), nous ne pouvons pas compter sur le régime d’Assad qui terrorise son propre peuple, un régime qui ne retrouvera jamais la légitimité qu'il a perdue ».

Au cours d’un aparté entre le représentant du pays le plus souverain de la planète et celui du pays le moins souverain du monde, immortalisé par cette photo très parlante, John Kerry a énuméré avec beaucoup de patience à Gebran Bassil, qui était tout ouïe comme on le voit sur l’image, les différents aspects du plan d’actions engagées par les Etats-Unis et leurs alliés arabes et occidentaux, pour affaiblir et détruire l’organisation terroriste Daech. A l’issue de cet entretien, John Kerry a donné rendez-vous à son homologue libanais à New York en fin de semaine, pour approfondir le plan de lutte contre « l’Etat islamique ».

La semaine est passée comme un clin d’œil. Nous voilà le vendredi 19 septembre. Sur la côte Est des Etats-Unis, il y a une réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité. A cette 7271e séance, présidée par les Etats-Unis, le fer de lance de lutte contre Daech, « 40 représentants d’Etat dont 27 ministres des Affaires étrangères, déclarent une lutte sans merci contre l’Etat islamique en Irak et au Levant ». John Kerry, le Secrétaire d’Etat américain, profite de l'occasion pour appeler tous les participants à s’engager dans une campagne globale afin d'empêcher l’EIIL de trouver un refuge en Irak, en Syrie et ailleurs. Le Conseil de Sécurité reconnait que le Liban figure sur la liste des pays qui subissent des attaques terroristes de la part de « l’Etat islamique », ce qui est indispensable pour réclamer à l’avenir l’aide de la communauté internationale dans ce domaine. Tout se passait comme prévu, mais au beau milieu de la réunion, John Kerry se tourne vers moi et me chuchote à l’oreille : « hey BB, mais où est passé Bassil ? » Ya ard ncha2é wou bla3iné, comment lui répondre franco ? D’un air désespéré, je hausse mes sourcils, fais la grimace, inspire profondément et lui dis sec : « Il est à l’Ouest, John ! »

Le comble, c’est qu’il était vraiment à l’Ouest, au sens propre comme au sens figuré. Eh oui, le ministre libanais des Affaires étrangères a décliné l’invitation de participer à une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU consacrée à la lutte contre Daech, pour rencontrer de toute urgence, tenez-vous bien, el jéliyé el lebnéniyé, la diaspora libanaise à Los Angeles, et pour assister à la messe dans l’église maronite Saint Charbel et l’église arménienne orthodoxe de Saint Garabet à Las Vegas. Wé7yett min jama3na, aussi incroyable que ça puisse paraître ! A vrai dire, il fallait s’en douter depuis Paris, qu'il n'allait pas venir, rien qu’en regardant la photo-souvenir de la conférence : c’est à peine si j'ai réussi à le retrouver, la pire des photos de classe de tous les temps, il est tassé au dernier rang, pas trop fier d’y être on dirait !

Entre deux déclarations populistes, sur la nécessité que les émigrés libanais n’oublient pas leur langue maternelle et investissent dans leur pays natal -alors que le CPL est contre le vote des expatriés à l’étranger selon le caza de leurs lieux de naissance- et l’élection du président de la République au suffrage universel -alors que le CPL viole la Constitution et les principes démocratiques en bloquant l’élection présidentielle au suffrage parlementaire- le ministre est revenu sur la lutte contre Daech. Il a précisé que « le Liban a participé (à la coalition) politiquement, car il est au cœur de la bataille, il combat déjà Daech sur le terrain ». Il faut comprendre par-là, que notre pays est donc dispensé de faire plus, et par conséquent, la présence de son ministre des Affaires étrangères à New York vendredi dernier était facultative. Continuons. Il reconnait tout de même que « nous (le gouvernement libanais) avons participé (à la coalition) car le cadre international de cette intervention est juste... mais nous avons besoin d’armes, d’avions et d’argent (pour combattre Daech). » Mais alors pourquoi diable il n’est pas à New York avec ses homologues du monde entier pour les réclamer ? Bon, ne cherchez pas, Gebran Bassil craint sans doute d’avoir à s’expliquer pourquoi son parti, le Courant patriotique libre (CPL/Michel Aoun) et son camp (8 Mars), qui sont au pouvoir depuis le début de l’année 2011 (soit deux mois avant le début du soulèvement populaire syrien et ses conséquences du côté libanais), n’ont donné, trois ans et demi après, malgré la grave menace terroriste qui pèse sur le Liban depuis deux ans, aucun ordre politique à l’armée libanaise pour tenir d’une main de fer la frontière syro-libanaise, dans les deux sens, empêchant les « djihadistes chiites » du Hezbollah d’aller combattre aux côtés des troupes de Bachar el-Assad en Syrie, et les « djihadistes sunnites » de Daech de mener en représailles des actions terroristes au Liban ?

Quoi qu’il en soit, pendant que le Conseil de sécurité discutait de la lutte de la communauté internationale contre « l’Etat islamique », Gebran Bassil expliquait à la diaspora libanaise, « qu’en somme, le Liban ne servira pas de base pour mener des attaques étrangères sur Daech dans la région, ni un couloir pour leurs avions (de la coalition internationale), car la bataille est sur notre sol et qui veut aider, n’a qu’à aider notre armée et nous ferons le travail ». Foutaises. Encore un gars qui a peur de se mouiller alors qu’il se noie ! De grâce, de quel travail il parle ? Depuis la fin de l’occupation syrienne du pays du Cèdre en 2005, le Liban n’est pas fichu, comme tout pays normalement constitué, de déployer son armée à la frontière avec la Syrie car les alliés de Gebran Bassil, le Hezbollah et le régime syrien, ne veulent pas en entendre parler. Encore une fois, l’explication de texte réside dans cette situation embarrassante dans laquelle s’est placé le parti de Michel Aoun depuis 2006, allié d’entités pestiférées -la tyrannie des Assad, le régime des mollahs et la milice du Hezbollah- condamné à les défendre coute que coute, en dépit des intérêts du Liban en général et des communautés chrétiennes en particulier.

Eh oui, alors que le Conseil de sécurité décrétait de New York « une lutte sans merci contre l’Etat islamique », le ministre libanais des Affaires étrangères, précisait à Las Vegas devant la diaspora libanaise, c'est à peine s'il ne s'est pas photographié avec une man2ouché et un Coca-Cola, avec un culot schizophrénique hallucinant que « le plus important et le plus grave, c’est que nous devons retirer Daech des esprits (...) en encourageant la modération islamique (sunnite), afin que Daech ne gagne pas l’esprit des gens (sunnites) ». Allez donc comprendre comment fait-il pour encourager la « modération sunnite », au Liban et en Syrie, en rangeant son parti « chrétien » du côté d’un régime « alaouite » syrien qui ne représente que 10 % de la population, du régime « chiite » iranien et d’une milice « chiite » libanaise, qui se liguent pour combattre un soulèvement « sunnite » syrien qui représente 70% de la population ? Encourager la « modération sunnite » par une « alliance des minorités » du « courant chrétien » de Michel Aoun avec des « extrémistes chiites et alaouites », relève de l’illusionnisme politique. C’est comme cette dernière bed3a : « La République islamique d’Iran » aurait sa place dans la lutte contre « l’Etat islamique d’Irak et du Levant ». Rien que sur le plan sémantique, cette hérésie fait sourire. Allez, il semble que la douche écossaise ait de nombreux bienfaits. Espérons que c’est vrai.

jeudi 16 janvier 2014

Jour J : J du Tribunal Spécial pour le Liban et J pour Justice au Liban (Art.100)


Il n’y a rien de pire dans la vie que le sentiment d’injustice ! Aussi bien sur le plan personnel que collectif, l’injustice ronge l’individu comme la rouille corrode le fer. Rarement un événement n’a été aussi attendu que celui d’aujourd’hui dans l’histoire récente du Liban. En numérotant mes articles, j’avais sciemment sauté le numéro 100, pour réserver ce chiffre rond à un article marquant sur un moment mémorable.

Ce jeudi 16 janvier 2014 à 9h30 précises, cinq « suspects juridiques », de nationalité libanaise, sont appelés à comparaitre devant le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) : Mustafa Badreddine, Salim Ayyash, Hussein Oneissi, Assad Sabra et Hassan Merhi. Ils sont tous membres du Hezbollah, de l’aveu même de la milice libanaise. D’après les actes d’accusation, les inculpés sont poursuivis pour plusieurs chefs d’inculpation, dont celui de « complot en vue de commettre un acte de terrorisme ». Les deux premiers sont accusés de « la perpétration d'un acte de terrorisme au moyen d'un engin explosif, homicide intentionnel de Rafic Hariri et de 21 personnes, et tentative d'homicide intentionnel de 226 personnes, avec préméditation au moyen de matières explosives ». Les trois derniers sont accusés de complicité pour les quatre chefs d’inculpation. A titre d’exemple, on apprend du TSL que « M. Badreddine est accusé de s’être joint à un complot visant à commettre un acte de terrorisme consistant à assassiner Rafic Hariri. L’acte d’accusation affirme aussi que M. Badreddine assurait le contrôle de la perpétration matérielle de l’attentat. M. Badreddine est aussi accusé d’avoir contrôlé et coordonné, avec Salim Ayyash, la surveillance de Rafic Hariri aux fins de préparation de l’attentat ainsi que l’achat du camion utilisé pendant l’attentat. M. Badreddine est de plus accusé d’être impliqué dans la préparation de la fausse revendication de responsabilité visant à soustraire à la justice les réels auteurs du complot. » Etant donné que le gouvernement 8 Mars de Najib Mikati, qui est contrôlé par Hassan Nasrallah, Nabih Berri, Walid Joumblatt et Michel Aoun, n’a pas réussi ou voulu, au choix, capturer les accusés, ceux-ci seront donc jugés par contumace.

Un des arguments avancés par tous les « suspects politiques » du crime du 14 février 2005 pour se dédouaner de l’acte criminel qui venait de se produire ce jour-là, est que ça ne pouvait pas être eux parce qu’il était évident qu’ils allaient être accusés du crime, et qu’ils n’étaient pas si sots pour commettre une telle erreur. L’argument est d’ailleurs fréquemment remis sur le tapis médiatique et utiliser dans d’autres contextes. Nos zozos feignent d’ignorer que nul n’a imaginé au cours des préparatifs de cet attentat complexe, et nul veut dire pas une seule personne, la moitié d’un quart de seconde comme on dit au Liban, noss rébé3 séniyé, que neuf années plus tard, une haute juridiction internationale des plus sérieuses au monde, tiendra sa première audience pour juger les criminels incriminés dans cet attentat qui a fait 22 morts et 226 blessés.

Par « suspects politiques », un terme légitimé par la peine populaire et les faits politiques, une partie des Libanais accusent l’alliance tricéphale infernale, Da7iyé (banlieue sud de Beyrouth)-Damas-Téhéran, d’être la responsable de cet attentat. Le procès de La Haye apportera sans doute un éclaircissement sur la répartition des rôles. Mais d’ores et déjà tout le monde au Liban, sans exception, a sa petite idée. De l’aveu même des intéressés, affirmé à plusieurs reprises et attesté noir sur blanc ainsi que par le son et les images, sur les questions stratégiques, la milice chiite du Hezbollah se tient aux décisions de wali el-fakih du régime des mollahs, le Guide suprême de la République islamique d’Iran (de confession chiite), Ali Khamenei, quels que soient la fierté et l’orgueil du côté libanais, et la longueur des barbes des gouvernants du côté iranien, 3 jours ou 35 ans, qu’importe, c’est lui et lui seul qui décide. A supposer qu’il n’en soit pas le commanditaire, tout le monde sait aussi qu’un acte terroriste sophistiqué de cette envergure ne pouvait pas se faire en plein cœur de Beyrouth sans la participation de l’occupant syrien, le régime alaouite de Bachar el-Assad.

Il est clair aussi qu’en ce début d’année 2005, il existait une importante convergence d’intérêts entre Damas, Da7iyé et Téhéran, pour faire de Rafic Hariri, l’homme à abattre. Et ce ne sont sûrement pas les raisons qui manquaient ! Une personnalité politique sunnite de premier plan, charismatique, transcommunautaire (c’est incontestablement le paramètre le plus dangereux au pays des 18 communautés), puissant homme d’affaires (dont la fortune personnelle était estimée entre 4 et 10 milliards de dollars), bâtisseur (fortement impliqué dans la reconstruction du Liban de l’après-guerre, notamment du centre-ville de Beyrouth) et philanthrope (il a ouvert des dizaines de dispensaires dans toutes les régions libanaises et a permis à près de 40 000 étudiants libanais de poursuivre leurs études, dont 2/3 à l’étranger). Par ailleurs, de par sa vie professionnelle (en Arabie saoudite et au Liban) et son long parcours politique (intervenant en coulisse dès le début de la guerre et jusqu’en 1990, participant même à la conférence de Lausanne en 1984 et à l’accord de Taëf en 1989, puis député et Premier ministre du Liban à cinq reprises, cumulant dix années au pouvoir entre 1990 et 2005), Rafic Hariri a su créer un réseau d’amitiés et de relations nationales, transcommunautaires, et internationales, arabo-occidentales, impressionnant ! Il a su aussi mettre à profit ses relations pour parvenir au vote historique de la résolution 1559 par le Conseil de sécurité le 2 septembre 2004 (qui exige le respect de la souveraineté nationale et le retrait des forces étrangères du Liban, ainsi que la dissolution et le désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises). Autour de lui se sont cristallisés les efforts des opposants souverainistes (notamment ceux de Kornet Chehwan, un rassemblement de politiques chrétiens parrainé par le Patriarche Sfeir), la veille des élections législatives de printemps 2005 (où ils devaient rafler la mise comme en l’an 2000), afin de mettre fin à l’occupation du Liban par la Syrie et d’étendre la souveraineté de l’Etat libanais sur tout son territoire. Certains ont reproché à l’homme ses choix économiques, le creusement de la dette publique, la politique de Solidere, la dissolution du parti des Forces libanaises, l’incarcération politique de Samir Geagea pendant 11 ans et la prolifération d’une anomalie incontrôlable comme le Hezbollah, faisant fi du fait que sa marge de manœuvre était bien étroite et qu’il se trouvait toujours coincer entre le marteau et l’enclume du Hezbollah et de la Syrie. Toujours est-il, Rafic Hariri est devenu au fil des années une personnalité libanaise hors pair, représentant merveilleusement bien le Liban d’antan, celui de la cohabitation islamo-chrétienne et la Suisse de l’Orient, ainsi que le Liban d’avenir, un pays en paix, souverain et prospère. Du coup, l’alliance tricéphale ne voyait plus en lui que l’homme qui contrarie dangereusement ses projets au Liban.

Il faut dire aussi que le savoir-faire ne manquait pas non plus à l’alliance infernale ! Des attentats-suicide, comme celui qui a tué Rafic Hariri, l’Iran et le Hezbollah en avaient l’expérience, depuis les explosions des QG des marines américains et des parachutistes français à Beyrouth le 23 octobre 1983 (plus de 300 morts), entre autres. On se souvient même de Hassan Nasrallah qui décrivait à Robert Fisk en 1993, sourire aux lèvres svp !, la sérénité d’un kamikaze avant de se faire sauter avec ses ennemis. Quant à la tyrannie des Assad, père et fils appartiennent à la même école du crime, celle qui n’a pas hésité à éliminer une autre personnalité charismatique et transcommunautaire comme Bachir Gemayel, le 14 septembre 1982.

Décision prise, il n’y avait plus qu’à préparer minutieusement cet attentat à haut risque et à trouver une bonne fenêtre de tir ! La puissance de la charge explosive, l’équivalent de 2500 kg de TNT, prouve à quel point les criminels étaient déterminés à tuer l’ancien Premier ministre sur le champ et ne pas rater leur cible. Par comparaison, la charge de l’attentat à la fiche magique d’état civil du 2 janvier dernier, était de 20 kg seulement.


Tout ce beau monde était persuadé que l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, rejoindra en silence les autres victimes du terrorisme, dans le passé comme à l’avenir, ceux qui ont péri comme ceux qui ont survi, sans faire trop de vague et sans bouleverser l’ordre établi par la terreur de la Pax Syriana : des présidents de la République, Bachir Gemayel et René Mouawad (assassinés en 1982 et 1989), un Premier ministre, Rachid Karamé (dont l’assassinat en 1987 a donné lieu à un simulacre de procès), des hommes politiques (comme Kamal Joumblatt et Dany Chamoun, assassinés en 1977 et en 1990), des personnalités politiques (comme Pierre Gemayel et Mohammad Chatah, assassinés en 2006 et 2013), des hommes religieux (comme le mufti Hassan Khaled, assassiné en 1989), des hommes des renseignements (comme Wissam Eid et Wissam el-Hassan, assassinés en 2008 et en 2012), des écrivains et des journalistes (comme Samir Kassir et Gebrane Tuéni, assassinés en 2005), des leaders étudiants (comme Ramzi Irani et Hachem Salman, assassinés en 2002 et en 2013), des miraculés (comme Marwan Hamadé, Elias el-Murr et May Chidiac, qu’on a tentés d’assassiner en 2004 et en 2005), des rescapés (comme Samir Geagea et Boutros Harb, dont les tentatives d’assassinat en 2012 ont échoué), et tant d’autres compatriotes de toutes confessions, des chrétiens et des sunnites dans la majorité des cas, mais aussi des chiites et des druzes pour certains, tous tombés sur l’autel de la patrie, tous victimes de ce « recours à la violence dans un but politique » qu’on appelle le terrorisme. Pire encore, tout ce beau monde croyait dur comme fer que le dossier de l’enquête, comme les autres dossiers criminels, sera enterré avec la victime, comme à l’époque des pharaons, comme faisant partie des affaires personnelles du défunt, un complément biographique posthume. Tout ce beau monde pensait que quelques larmes de crocodile et trois jours de deuil national suffiraient pour sceller à jamais la tombe du défunt et assécher les larmes de sang de ses compatriotes, le tour serait joué et la vie politique continuerait comme si de rien n’était au pays du Cèdre, du hommous, des palabres et des tébwiss el lé7é. Mais comme le dit si bien Abou el-Tayeb al-Moutanabbi, ma koulou ma yatamannahou el mar2ou youdrikouhou, tajri el riya7o béma la tachtahi el soufounou (pas tout ce que souhaite l’individu ne se concrétise, le vent souffle dans le sens contraire à ce que voudraient les navires).

Aussitôt après le séisme du 14 février 2005, contrairement à ce qui était prévu par les organisateurs, des voix islamo-chrétiennes de toutes confessions se sont élevées contre l’occupant syrien, rendu pleinement responsable de l’assassinat de Rafic Hariri. Certes, une telle réaction était prévue par les metteurs en scène de cette tragédie macabre, mais pas son ampleur ! Leur réponse fut donc irréfléchie et sans vergogne, pour étouffer dans l’œuf toute voix dissonante contre la Pax Syriana. Ainsi, une grande manifestation de soutien aux forces d’occupation syriennes fut organisée par les « suspects politiques », Hezbollah en tête, le 8 mars 2005, trois semaines à peine après le meurtre de Rafic Hariri, sous la bannière « Merci la Syrie des Assad » place Riyad el-Solh à Beyrouth. Elle a rassemblé près de 400 000 personnes. C’est dans ce contexte éhonté qu’est né le camp du 8 Mars. Choqué par le mépris ostentatoire du Hezbollah, la riposte du peuple libanais libre est fulgurante. Six jours ont suffi pour mobiliser un million et demi de Libanais, de toutes confessions, bravant la terreur hezbollahi-syro-libanaise et les faire descendre place des Martyrs à Beyrouth le 14 mars 2005 afin de réclamer deux choses : « le retrait des troupes d’occupation syriennes du Liban et que justice soit faite pour l’assassinat de Rafic Hariri ». C’est dans ce contexte remarquable qu’est né le camp du 14 Mars. Nul des commanditaires et des exécutants de l’assassinat de Rafic Hariri n’a évidemment prévu la moitié d’un quart de seconde cette bravoure du peuple libanais. Le premier objectif fut atteint le 26 avril 2005. Le deuxième, est en voie d’accomplissement en ce jour historique.

Depuis cette date tragique, à l’instar de beaucoup de pays, le Liban est donc divisé en deux camps : le 8 Mars et le 14 Mars. Bien que faisant partie de ceux qui sont descendus place des Martyrs, les partisans de Michel Aoun ont vu leur leader les replacer pour des raisons politiciennes, dans le camp du 8 Mars, le 6 février 2006. En tout cas, cette dichotomie regrettable fut naturellement exacerbée par la révolte du peuple syrien contre le dernier tyran des Assad.

En ce jour historique, il convient de rappeler aux amnésiques par conviction et par omission, que le Tribunal Spécial pour le Liban est le fruit d’un accord établi entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise. Il a été créé à la demande du gouvernement libanais de Fouad Siniora (14 Mars), en application des résolutions 1664 et 1757 du Conseil de sécurité, datant du 29 mars 2006 et du 30 mai 2007, la dernière étant votée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui autorise le Conseil à recourir à des mesures militaires ou non militaires « pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». L’article premier du statut du TSL stipule que « Le Tribunal spécial a compétence à l’égard des personnes responsables de l’attentat du 14 février 2005 (...) S’il estime que d’autres attentats terroristes survenus au Liban entre le 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005 ou à toute autre date ultérieure décidée par les parties avec l’assentiment du Conseil de sécurité ont (...) un lien de connexité avec l’attentat du 14 février 2005 et sont de nature et de gravité similaires, le Tribunal aura également compétence à l’égard des personnes qui en sont responsables. » Yé3né, bel mchabra7, à l’issue de ce long procès, nous devons connaitre la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri, et nous pourrons aussi connaitre la vérité concernant les autres assassinats politiques et tentatives d'assassinat commis au Liban, comme ceux de Samir Kassir, de Georges Haoui, de Gebrane Tuéni, de Pierre Gemayel et de Mohammad Chatah, entre autres, qui relèvent théoriquement de la compétence du Tribunal Spécial pour le Liban également.

Après avoir échoué à saboter sa création, le 8 Mars fait tout ce qui est possible et imaginable depuis neuf ans, pour entraver l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri et discréditer le Tribunal Spécial pour le Liban. Cela va des accusations grotesques de sayyed Hassan Nasrallah contre Israël (la « piste israélienne » a été développée en long, en large et de travers, diversion oblige, lors d’une très longue conférence de presse savamment préparée en août 2010), aux constats absurdes de son allié, le général Michel Aoun (le TSL serait pour le général un « plat de graviers », tabkhit ba7ess ; GMA s’est même étonné il y a quatre semaines seulement que le TSL « n’ait pas encore tenu une audience » alors que la date du procès est annoncée depuis de longs mois), ainsi qu’aux allégations ridicules des médias du 8 Mars sur l’implication de l’ancien chef des renseignements libanais, Wissam el-Hassan, dans l’assassinat de son patron de l’époque, Rafic Hariri.

Par l’ouverture du procès à La Haye aujourd'hui, on peut affirmer que le Hezbollah et ses fidèles alliés ont perdu définitivement la bataille du Tribunal Spécial pour le Liban. Ils n’ont pas réussi ni à enterrer l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, ni à empêcher la création de ce tribunal, ni à discréditer cette cour, ni à faire diversion en envoyant les enquêteurs dans des impasses, ni à ôter le droit inaliénable du peuple libanais de connaitre la vérité, ni à échapper à la justice de ce bas-monde. Pour paraphraser la formule de Giban Khalil Gibran, « vous avez votre Liban, j’ai le mien », je dirais aux intéressés, vous avez eu votre jour de gloire, nous aurons désormais le nôtre ! Notez bien que pour nous, peuple du 14 mars 2005, c’est le deuxième après la libération du Liban de l’occupation syrienne le 26 avril 2005. Votre arrogance a fait du 7 mai 2008 un « jour glorieux », notre détermination fera du 16 janvier 2014 un jour historique. Justice sera faite au moins pour une fois au Liban. Nous vous laissons la chimère du « peuple-armée-résistance » et l'illusion d'une « victoire divine » sur le peuple syrien, et nous nous contenterons de la certitude de cette « victoire judiciaire » à venir, qui sera illustrée par la triptyque victorieuse de la vérité sur le mensonge, de la justice sur le terrorisme et de l'Etat de droit sur l'impunité.